Le continuum schizophrénie-troubles bipolaires et le trouble schizo

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L’Information psychiatrique 2005 ; 81 : 891-6
TROUBLES BIPOLAIRES
Le continuum schizophrénie-troubles bipolaires
et le trouble schizo-affectif
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Jean-Albert Meynard*
RÉSUMÉ
La question du continuum ou de la dichotomie des psychoses est une question jeune de deux siècles. La mouvance des
définitions depuis cette date n’a pas permis pour autant d’éliminer de nombreuses formes psychotiques entre la schizophrénie et la maladie maniacodépressive. Le concept de trouble schizo-affectif introduit par Kasanin en 1934 n’a rien
résolu. La définition d’un trouble intermédiaire reste d’actualité. Troisième psychose, trouble empruntant aux deux pôles
schizophrénique et thymique, ou continuum entre les deux maladies majeures ? La question est posée à un double niveau
par les neurosciences et par la récente mise sur le marché des antipsychotiques atypiques qui définissent un spectre
d’activité élargi à toutes les formes même affectives de psychoses.
Mots clés : troubles bipolaires, trouble schizo-affectif
ABSTRACT
Questioning an eventual continuity between schizophrenia, bipolar disorders and schizo-affective
syndroms. Continuum or dichotomy among psychosis is an old-young question which started at the beginning of the
XIXth century. Since then, despite many classifications, the definition of intermediate states of psychosis between
schizophrenia and affective disorders remains uncertain. The concept of schizoaffective disorder introduced by Kasanin in
1934 was of little help. By far the problem is left unresolved. Third psychosis, or hybrid disorder between schizophrenia
and bipolarity, or continuum of psychotic features between the two main diseases ? The question is unsolved but regularly
arises with the neurosciences and recently with the launch of new affective targets for the atypical antipsychotic
compounds.
Key words: bipolar disorders, schizophrenia
RESUMEN
El continuum esquizofrenia/transtornos bipolares y el transtorno esquizoafectivo. La cuestión del continuum o
dicotomía de las psicosis es una cuestión joven de dos siglos. Desde entonces a pesar de los constantes cambios en las
definiciones, no se ha conseguido eliminar a las numerosas formas psicóticas situadas entre la esquizofrenia y la
enfermedad maníaco-depresiva. El concepto de transtorno esquizoafectivo introducido por Kasanin en 1934 no ha resuelto
nada. La definición de un transtorno intermedio sigue estando de actualidad. ¿Tercera psicosis, transtorno mezcla de los dos
polos esquizofrénico y tímico, o bien continuum entre las dos enfermedades mayores? El cuestionamiento se situa a dos
niveles, el de las neurociencias y el de la reciente llegada al mercado de antipsicóticos atípicos que definen un espectro de
actividad que abarca todas las formas, incluso afectivas, de las psicosis.
Palabras claves : transtornos bipolares, esquizofrenia, transtorno esquizoafectivo antipsicóticos atípicos
* La Rochelle. <[email protected]>
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 81, N° 10 - DÉCEMBRE 2005
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J.-A. Meynard
La question du continuum, ou de la dichotomie, entre
schizophrénie et troubles bipolaires se pose depuis le début
du XIXe siècle. Les notions de schizophrénie et de troubles
bipolaires, étant donné la difficulté de leur définition, ont eu
une évolution circulaire au cours du temps et ont en quelque sorte respiré avec les deux siècles. La confusion qui
présidait à leur début s’est partiellement dissipée mais un
flou conceptuel reste toujours d’actualité en ce qui
concerne les multiples formes intermédiaires. Entité indépendante autour d’une troisième psychose ou effet grossissant d’un continuum entre les deux psychoses princeps, le
concept de trouble schizo-affectif, apparemment simple
dans son intitulé, s’avère d’une complexité croissante au
fur et à mesure de son étude. Aujourd’hui, les neurosciences, embarrassées par sa présence troublante au milieu de
syndromes historiquement bien calés, ont l’ambition de
dépasser la clinique pour le définir avec leurs nouveaux
moyens. À l’aune de leurs avancées se repose indéfiniment
la question du continuum ou de la dichotomie des psychoses. Le concept de trouble schizo-affectif, l’empêcheur de
théoriser en rond, rend finalement service au clinicien pour
définir la quadrature du cercle. Le trouble schizo-affectif
recouvre tout à la fois un terme pour désigner de nombreux
états et de nombreux termes pour désigner le même état.
Histoire du continuum
et de la dichotomie
Si Pinel, dès la fin du XVIIIe, siècle avait évoqué une
seule folie à plusieurs formes, les premières conceptions
françaises avec Esquirol, Guislain, puis plus tard Sérieux et
Capgra, apportent à la clinique des syndromes autonomes
relativement hétérogènes. La question de leur place respective au sein de la nosographie sera rarement évoquée. En
Allemagne, sous l’influence persistante des courants de la
Naturphilosophie, les psychiatres privilégient une globalisation des symptômes et se situent au début du XIXe siècle
plutôt du côté du continuum, avec Meyer (1824) et Zeller
(1837). En 1844, Feuchteurleben crée le terme de psychose. En 1845, Griesinger propose le concept de psychose
unique (Einheit Psychose) constitué de deux étapes : une
étape affective et une d’affaiblissement. Plusieurs étapes
majeures sont ensuite franchies en France. Baillarger décrit
en 1853 la folie à double forme et Falret la folie circulaire
en 1854. Morel, en 1860, propose la description clinique de
la démence précoce et des bouffées délirantes polymorphes
des dégénérés que compléteront Magnan en 1880 et
Legrain en 1886. En Allemagne, en opposition avec le
mode habituel de pensée, Neuman décrit en 1859 une
mélancolie sans relâchement des associations et, en 1862,
Hoffman et Saunders évoquent la folie primaire sans manie
ni mélancolie, ce qui semble constituer la première description allemande de la schizophrénie. Ces deux dernières
descriptions soulèvent à leur tour la question de l’unicité
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des psychoses. En 1884, Kahlbaum décrit les troubles psychiques en fonction de leur évolution. Il introduit les
notions de catatonie et de cyclothymie. Au tournant du XXe
siècle, son élève Kraepelin statue sur la dichotomie des
grandes psychoses, opposant une distinction claire entre la
schizophrénie (démence précoce de Morel) et la folie
maniacodépressive. C’est sur cette dichotomie que l’on
s’appuie encore aujourd’hui. La démence précoce est pour
lui caractérisée par des hallucinations et un délire, ainsi que
par une évolution spontanément péjorative, la folie maniacodépressive par l’alternance d’épisodes thymiques, avec
des périodes intercalées de normalité. Kraepelin note
cependant que, dans près de 30 % des cas, les patients
caractérisés comme déments précoces ont un pronostic
favorable, ce qui nuance d’emblée le bel édifice de sa
dichotomie. Depuis lors, les doutes n’ont jamais cessé,
chacun se référant cependant au modèle kraepelinien parce
que le plus commode. La dichotomie est inscrite dans
l’esprit de tous, mais elle est l’objet de beaucoup de questionnements. En 1909, Wernicke parle de perplexité entre
les deux psychoses majeures (Ratlösigkeit). En 1911, Bleuler introduit le terme de schizophrénie. En 1913, Jaspers
évoque la continuité par une hiérarchie intermédiaire des
symptômes, décrite anatomiquement. L’atteinte de la couche profonde signant la schizophrénie, une atteinte supérieure, les maladies affectives. En France, Henri Claude
décrit en 1910 des cas cliniques de psychoses aiguës qu’il
qualifie de schizomanies. La fronde gronde partout. En
1907, Thomsen et Wilmans parlent de catatonie dans les
troubles affectifs. En 1911, Bleuler et Stransky relèvent la
présence de symptômes thymiques dans la schizophrénie.
Et cela ne cessera pas. Le problème majeur réside dans les
nombreux cas de psychoses intermédiaires mal définies, à
évolution aiguë ou chronique, que tous les cliniciens
s’efforceront de définir. Les multiples définitions retrouvées dans la littérature témoignent de leur insatisfaction
devant la stricte définition kraepelinienne. Au fil du temps,
toutes les hypothèses seront posées sans réelle assise définitive : en 1916, Wimmer « psychogenic mental desease »,
en 1917 Bonhoeffer et 1923 Birnbaum « degenerative
phantasten », en 1921 Kleist « psychose métabolique » (de
metaballein = sujet à changement), en 1928 Kleist encore
« Eingebung psychose » ou psychose aiguë et « Randpsychosen » ou psychoses marginales. Le doute prend Kraepelin lui-même qui, dans sa grande sagesse, écrit en 1921 :
« Il devient de plus en plus clair que les distinctions entre
les deux maladies ne sont pas satisfaisantes, et le doute
s’installe sur le fait que le positionnement du problème
serait incorrect ». La dichotomie rigide n’a pas pris en
compte les cas cliniques où les symptômes affectifs et
schizophréniques s’entremêlent. Kraepelin décrit alors les
Mishpsychosen qui diffèrent des états mixtes, propres aux
troubles de l’humeur avec la présence de signes maniaques
et dépressifs dans le même temps, Mischzustände. En
1924, Kretschmer propose à la fois une distinction et un
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Continuum schizophrénie-troubles bipolaires et trouble schizo-affectif
continuum entre une disposition et un état de maladie. En
1924, Bleuler parle de « cas aberrants de schizophrénie ».
En 1926, Gaupp et Mauz décrivent les « psychoses intermédiaires ». En 1926, Schroeder décrit une « autochtone
konstitutionnelle psychose ». En 1929, Bleuler et l’école de
Tübingen, toujours fidèles à l’idée du continuum, proposent deux axes psychopathologiques. Le premier est le
suivant : schizothymie – personnalité schizoïde – schizophrénie ; le second : cyclothymie – personnalité cycloïde –
psychose maniacodépressive.
C’est dans ce contexte pour le moins agité que, en 1933,
Kasanin (qui est un psychanalyste issu de l’école américaine d’Adolf Meyer) décrit un sous-groupe distinct de
schizophrènes jeunes, dont la maladie paraît en rapport
avec des conflits émotionnels d’origine sexuelle. Sa description se fait en quatre points successifs : 1) l’entrée dans
la maladie se situe entre 20 et 30 ans, chez des personnes en
bonne santé physique, sans trouble de la personnalité, ayant
un bon niveau d’adaptation sociale ; 2) survient un stress
environnemental ; 3) la maladie débute brutalement, dans
un contexte de désarroi émotionnel, avec une distorsion de
la réalité, de fausses impressions sensorielles, et un
mélange de symptômes schizophréniques et affectifs ; 4) la
durée de la maladie est de quelques mois, l’évolution se fait
vers la guérison, mais il existe une tendance à la répétition
des accès. Kasanin propose de qualifier ces patients de
« schizoaffectifs ».
Les années suivantes, et ce jusqu’aux années 1970, la
schizophrénie va rester au premier plan. Son expansion,
aux dépens des troubles affectifs fait que les états schizoaffectifs vont être classés à l’intérieur des schizophrénies.
La psychose maniacodépressive se trouve réduite à une
catégorie minimale de patients, enkystée à l’existence d’un
état maniaque franc, pour évoquer son diagnostic.
Mais les interrogations perdurent. En 1936, Fünfgeld
parle de « motility psychose » et de « confusion psychose », et en 1937 Wyrsch de « psychoses mixtes » (reprises en 1971 par Elsässer). Les défenseurs du continuum
traversent tout le siècle. De Julius Wagner von Jauregg
(nobélisé en 1927) à Timothy James Crow pour l’époque
actuelle, en passant par Schroder (1920), Hoffmann (1921),
Pauleikhoff (1957), Odegaard (1963), Rennert (1965),
Brockington (1980), Tsuang (1984), etc.
Au décours des années 1940, le trouble schizoaffectif est
considéré comme une schizophrénie à bon pronostic.
Le tissu est de plus en plus ténu. L’école scandinave
ajoute une nouvelle offensive. Langfeld (élève de Kleist)
sépare en 1939 les « psychoses constitutionnelles », des
« psychoses réactionnelles » et des « états schizophréniformes » qui sont des états schizophréniques durant environ
six mois et améliorés par les électrochocs.
L’école allemande n’est pas en reste. Kleist et Leonhardt
créent les concepts de « psychoses atypiques » et de « psychoses cycloïdes », Rümke en 1938, celui de « pseudoschizophrénie » et, en 1949, Meduna décrit l’« oneiro-
phrenia ». Les psychoses cycloïdes auront une grande
fortune dans le monde entier, à l’exception de la France (où
Pierre Pichot sera pratiquement le seul à défendre ce
concept). Cette période est aussi marquée par Kurt Schneider, dont la catégorisation des symptômes en premier et
deuxième rangs aura une très grande influence en permettant de nuancer la dichotomie de Kraepelin.
Les DSM qui vont se succéder montrent bien les difficultés récurrentes pour situer le trouble schizoaffectif dans
la nosographie. En 1952, le DSM-I l’introduit et le positionne d’emblée pour sa clinique et son évolution à l’intérieur des limites de la schizophrénie.
Et le doute n’en finit pas. Les nouvelles catégories fleurissent. En 1957, Barhona Fernandes « holodysphrenias »,
1958 Welner et Strömgren « forme bénigne de schizophrénie », 1962 Vaillant « remitting psychosis », 1963 Labhardt
« psychose émotionnelle, schizophrénie like », 1966 Wimmer « psychoses psychogéniques », 1966 Stephens « good
prognosis schizophrenia ».
En 1968 paraît le DSM-II (conjointement à l’ICD-8).
Les formes intermédiaires de psychoses sont classées
comme telles. Les troubles schizoaffectifs deviennent une
association de symptômes schizophréniques et affectifs.
Cette même année une évolution remarquable se dessine.
Un glissement s’opère vers les troubles thymiques. Clayton
décrit une rare évolution vers la schizophrénie et situe
l’histoire familiale plus dans les troubles affectifs. En 1973,
Schneider puis, en 1976, Procci évoquent les « cas intermédiaires » ; en 1974, Perris en Suède reprend le terme de
« psychoses cycloïdes » qu’ils rapprochent des bouffées
délirantes polymorphes de Magnan. L’ICD-9 dans le
même temps décrit les « épisodes schizophréniques
aigus », tandis que le concept de « psychose cycloïde » de
Kleist et Leonhardt est utilisé en Italie par Rossi (1969), en
Bulgarie par Kirov (1972) et en Hongrie par Pethö (1972).
En 1978, Retterstöl revient sur le terme de « psychose
réactive », tandis que, en Russie en 1973, Schesnewski
reprend celui de « psychose cycloïde » située dans la schizophrénie. Toujours en Russie, en 1976 Gamkrelidse, puis
en 1977 Nadsharow séparent les troubles schizoaffectifs
des schizophrénies, tandis que Lichko et Ozeretskovsky les
associent aux troubles affectifs. Pour terminer ce bref rappel historique sur la mouvance d’un concept, Mitsuda et
Fukuda, au Japon en 1974, reprennent le terme de « psychose atypique » de Kleist et Leonhard.
Le débat d’appartenance est plus que jamais relancé. En
1974, une révolution survient avec les publications de Pope
et Lipinski qui décrivent des symptômes du premier rang
de Schneider dans les psychoses maniacodépressives. Spitzer en 1978 avec les critères RDC (research diagnostic
criteria) donne une définition très large, tandis que Angst et
Tsuang, en 1979, puis Rosenthal, en 1980, incluent les
schizoaffectifs dans les troubles thymiques. Ces publications précèdent de peu l’édition de la troisième version du
DSM. Les psychoses intermédiaires disparaissent au profit
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J.-A. Meynard
SA 1978 RDC
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SAdép˚
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du concept de CPNCH (caractéristiques psychotiques non
congruentes à l’humeur). Les troubles schizoaffectifs sont
cantonnés dans la catégorie des troubles résiduels, entre la
schizophrénie, les troubles schizophréniformes et les troubles affectifs. Les cliniciens étant renvoyés à une incapacité
d’établir le diagnotic de schizoaffectivité. En 1981, Himmelhoch propose le concept de troisième psychose. En
1987, paraît la version révisée du DSM-III, dans laquelle
les troubles schizoaffectifs retrouvent une place indépendante avec une définition que reprendra en partie le
DSM-IV en 1995. Les troubles schizoaffectifs y sont définis comme associant les critères A de la schizophrénie et
des signes dépressifs, maniaques ou mixtes, avec, dans le
cours de l’épisode, la présence unique pendant deux semaines du critère A de la schizophrénie sans les traits thymiques.
Les années 1980 se terminent avec une interrogation
enrichie. Le trouble schizoaffectif est soit un intermédiaire
sur l’axe d’une psychose unique évoquant le continuum,
soit un chevauchement entre schizophrénie et maladie
maniacodépressive, soit un groupe autonome sans relation
avec la schizophrénie ni la maladie maniacodépressive, soit
une pathologie qui dépend de la schizophrénie et de la
maladie maniacodépressive.
L’ICD-10 (F25 0, 1, 2 pour maniaque, dépressif, mixte)
n’apportera pas plus de lueurs...
L’époque actuelle
Finalement, le XXe siècle, et même le début du
XXIe siècle, n’ont pas tranché. La schizophrénie va
s’enkyster dans ses frontières extérieures et s’agrandir dans
ses frontières intérieures (Berner) tandis que la psychose
maniacodépressive va s’étendre bilatéralement, d’un côté
vers les tempéraments affectifs et de l’autre vers les troubles schizoaffectifs.
On attendait la lumière avec l’avènement des neurosciences. Elles ne vont pas vraiment être d’un apport sub-
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SAmanie
UP
BP
stantiel pour rendre le concept de schizoaffectivité plus
limpide pour les cliniciens. Leurs hypothèses supportent
alternativement l’idée de la dichotomie et du continuum
des psychoses. Cliniquement, nos patients sont inchangés.
Les schizophrènes présentent des variations thymiques,
50 % des patients bipolaires ont des caractéristiques psychotiques et un certain nombre de patients dans « l’entredeux » évoluent schizophréniquement comme des bipolaires. Après un engouement légitime pour le trouble
schizoaffectif, les neurosciences semblent s’essouffler
devant sa complexité. Nous retiendrons quelques éléments
à même d’ajouter à la confusion. Peu d’éléments biologiques peuvent différencier les schizoaffectifs des autres psychotiques. Au niveau noradrénergique, les MHPG urinaires
diminuent dans la dépression et chez les schizoaffectifs
déprimés (Schildkraut 1978, Goodwin 1980). Un seul élément aurait ici une valeur discriminante, la densité de site
de liaison a2-adrénergique sur les plaquettes qui serait
augmentée chez les schizoaffectifs (Pritchard 1982, Van
Kampen 1984). Le test à la clonidine (agoniste
a2-adrénergique) augmenterait la sécrétion de l’hormone
de croissance chez les schizophrènes et non chez les schizoaffectifs.
Au niveau de la dopamine, il est rapporté une réponse au
traitement différente pour les schizoaffectifs et les schizophrènes (Galinowski 2002). Pour la sérotonine (5HT),
rien ou peu de choses discriminantes entre les schizoaffectifs dépressifs et les dépressions unipolaires. Au niveau des
concentrations plasmatiques de noradrénaline, du
corticotropin-releasing factor, de la monoamine-oxydase
plaquettaire, du GABA, des anticorps antiviraux et immunoglobulines, du test de suppression à la dexaméthasone,
de la thyrotropin-releasing hormone, rien n’est apparu
comme définitivement discriminant.
Au niveau de la neuro-imagerie des ventricules cérébraux, comme pour la schizophrénie (Johnstone 1976,
Weinberger 1979) et la bipolarité (Jacoby-Levy 1980, Nasrallah 1982, Kellner 1983), une dilatation a été retrouvée
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Continuum schizophrénie-troubles bipolaires et trouble schizo-affectif
chez les schizoaffectifs (Rieder 1982). D’autres images peu
discriminantes ont été décrites à type de densité neuronale
augmentée (Selemon 1995), d’élargissement ventriculaire,
d’atrophie cérébelleuse, de diminution des lobes frontaux
et temporaux, d’élargissement du sulcus, de diminution de
volume du noyau caudé avec la même prévalence que dans
la schizophrénie (Taylor 1992).
Kupfer, en 1975, a rapproché le sommeil des schizoaffectifs de celui des déprimés sur la diminution de la durée
globale du sommeil, la diminution du sommeil profond et
la diminution de la latence du sommeil paradoxal.
Un élément anecdotique et pratiquement seul discriminatif, passé pratiquement dans l’oubli, est la mesure du
middle ear muscle activity (MEMA) qui serait spécifiquement diminué chez les schizoaffectifs et augmenté chez les
schizophrènes.
De nombreuses autres données de la littérature ont montré des résultats situant les troubles schizoaffectifs entre les
schizophrènes et les bipolaires : poursuite oculaire (Holzman 1974), EEG et potentiels évoqués (Shagass 1975, Inui
1998).
Au niveau génétique, les études d’agrégation familiale
ont montré des différences de risque chez les apparentés
(Taylor (1992) :
- parents bipolaires : schizophrénie dans 0,5 à 3,5 %,
schizoaffectifs dans 2 à 3 % ;
- parents schizophrènes : bipolaires dans 6 à 8 %, schizoaffectifs dans 2 % ;
- parents schizoaffectifs : schizophrénie dans 3,7 %,
bipolaires dans 15,6 %, schizoaffectifs dans 5,3 % ;
Si les études de liaison (linkage et linkage disequilibrium) ont déterminé des gènes de susceptibilité avec chevauchement de régions pour schizophrénie et bipolarité,
elles laissent peu de place aux schizoaffectifs. Dans les
régions candidates communes comme 10p13-p12 (Goldberg 1999, Wildenauer 1999), 18p11 (Schwab 1998),
13q32 (Brustowicz 1999, Hattori 2003), 10p14 (Faroud
2000), 8p22 (Ophoff 2002), 22q11 (Kelsoe 2001) avec sur
ce dernier codant pour la COMT, une voie sur les allèles
VAL et MET qui pourrait être une approche des schizoaffectifs, au niveau des cognitions.
D’un point de vue neuropsychologique, les troubles
schizoaffectifs montrent des déficits prémorbides au niveau
du raisonnement abstrait non verbal et visuospatial par
comparaison aux schizophrènes qui ont des déficits globaux intellectuels et comportementaux dans la compréhension, la lecture, la compréhension de la lecture, etc. (Reichenberg 2002). Les anomalies cognitives et tests dans la
performance de tâches exécutives rapprochent les schizoaffectifs des schizophrènes (Manschreck 1997). Si des anomalies neurodéveloppementales sont également notées au
niveau de l’acquisition du langage, du développement psychomoteur et des interactions sociales, elles sont moins
prononcées chez les schizoaffectifs que chez les schizophrènes.
Épidémiologiquement, les troubles schizoaffectifs
représenteraient entre 8 et 10 % des états psychotiques
(Brockington 1980). Les épisodes, qui touchent deux femmes pour un homme, seraient à début brutal, dureraient
4,4 mois en moyenne (Angst 1999) et 20 % passeraient à la
chronicité. Le taux de suicide serait équivalent à celui des
troubles affectifs.
Cliniquement, les troubles schizoaffectifs se présentent
comme des états psychotiques associant les caractéristiques symptomatologiques du critère A de la schizophrénie,
à des signes dépressifs, maniaques ou mixtes. On y
retrouve l’affect émoussé, une diminution de la réponse
émotionnelle, une perte de contact, une dissociation de la
pensée, une perte d’insight, un comportement et un langage
bizarres. Cet épisode serait marqué par une période supérieure à deux semaines au cours desquelles les sujets ne
présenteraient pas de signes de dépression ou de manie.
L’intervalle libre est marqué par des signes résiduels
thymiques, une instabilité mentale, des troubles du sommeil, une perte de l’intérêt sexuel, une diminution de poids,
une instabilité végétative, une grande sensibilité, une diminution de l’activité intellectuelle.
D’un point de vue thérapeutique, les schizoaffectifs
montrent le même flou que les difficultés de leur diagnostic
le laissent supposer. Avant les années 1990, le lithium avait
été considéré par de nombreux auteurs comme le traitement
symptomatique et prophylactique (Perris 1980) ; il améliorerait les deux séries de troubles affectifs et la schizophrénie (Biederman 1979, Rosenthal 1981). De nombreuses
molécules ont également été proposées dans cette période :
la carbamazépine (Klein 1984), le tryptophane (Brewerton
1983), le clonazépam (Victor 1984), l’apomorphine (Corsini 1981), la bromocriptine (Meltzer 1983), le flupenthixol
(Singh 1984), l’acide valproïque (Puzynski 1984) et les
électrochocs (Winokur 1977, Brockington 1980).
Depuis les années 1990, la clozapine, seule ou en association, a apporté de bons résultats (Ciaparelli 2000, Brown
2001, Towen 2001, Hummel 2002). Aujourd’hui, devant la
mise sur le marché de nombreuses molécules antipsychotiques, la littérature fait état de succès avec l’olanzapine, la
ziprasidone, la quetiapine, la rispéridone, et préfère ces
produits aux neuroleptiques classiques. Certains auteurs
privilégient l’association avec un thymorégulateur (Vieta
2002) et suggèrent la gabapentine (Bennett 96, Cabras
1999), le valproate (Mc Elroy 1993, Fenn 1996), le
valproate + carbamazépine (Towen 1994), l’oxcarbazépine
(Dietrich 2001).
Traités, les schizoaffectifs évoluent d’une manière plus
favorable que les schizophrènes mais moins bonne que les
patients ayant des troubles de l’humeur (Marneros 2002).
Dans une perspective longitudinale, les symptômes paranoïdes auraient tendance à diminuer avec les épisodes, et
l’état résiduel se dessinerait après le quatrième épisode.
Les états de manie seraient plus nombreux avec l’évolution
a contrario de la dépression qui aurait une tendance à la
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stabilisation. Pour Angst et Winokur, les troubles schizoaffectifs réaliseraient un ensemble de troubles du spectre de
la schizophrénie avec une évolution plutôt dans le sens des
troubles affectifs.
La dichotomie kraepelinienne était fondée sur trois
concepts, censés répondre à une division tripartite du cerveau : la pensée, la volonté, les émotions. Les trois étaient
altérés chez les schizophrènes (faiblesse du jugement,
perte de la volition, retrait émotionnel) alors que seules les
émotions devaient être atteintes chez les maniacodépressifs. Les études faites par la suite n’ont pas confirmé ces
données théoriques. Les zones de chevauchement sont
apparues de plus en plus nombreuses. Jusqu’à la proposition d’entités intermédiaires – psychoses intermédiaires ou
schizoaffectives – dont l’autonomie est incertaine et dont il
faut mesurer l’importance. Mais il existe peut-être des
critères de gravité qui permettent de proposer des approches. Plus une psychose a de caractères négatifs, plus elle
est sévère, plus elle est masculine, plus la dimension
maniaque est importante, plus elle est féminine, moins elle
est sévère.
Bibliographie
Conclusion
Schizophrénie et troubles bipolaires sont des cousins
germains et non des frères ennemis. Cliniquement, il apparaît difficile de poser un diagnostic sur un symptôme, dans
un sens ou dans l’autre. Même l’évolution péjorative, longtemps retenue comme critère, ne suffit pas. Il est néanmoins
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fondamental que les cliniciens portent un diagnostic aussi
exact que possible pour mettre en route un traitement
adapté. Le risque reste l’évolution vers la détérioration
progressive, qu’un traitement adapté peut, aux regards des
nouvelles études, ralentir ou stopper, aussi bien chez les
schizophrènes que chez les bipolaires. Les stratégies thérapeutiques pharmacologiques et socio-psycho-éducatives
sont différentes pour les deux psychoses majeures. Une
erreur dans le diagnostic clinique est toujours préjudiciable
au malade. En l’état actuel des connaissances, devant les
nombreux chevauchements symptomatiques, il est toujours
inévitable d’affronter la dichotomie ou le continuum des
psychoses, en positionnant dans leur interface le trouble
schizoaffectif, même si l’on doute de son existence à partir
d’arguments théoriques ou conceptuels. Les nouveaux
antipsychotiques atypiques proposent une relecture de la
clinique au profit d’une démarche globalisante réductionniste. Ce n’est qu’un premier temps pour assimiler leurs
réelles cibles d’action, un deuxième temps plus clinicien
dans une démarche heuristique recomposera le spectre des
différentes psychoses et leur traitement le mieux adapté.
• Pour des précisions concernant la bibliographie, écrire à
l’auteur : <[email protected]>.
MEYNARD JA. Le continuum schizophrénie-troubles bipolaires et le trouble schizo-affectif. L’Information Psychiatrique
2005 ; 81 : 891-6
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 81, N° 10 - DÉCEMBRE 2005
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