ANNÉE 1939. 2 E TRIMESTRE. BULLETIN TRIMESTRIEL D E LA SOCIÉTÉ DES DE ANTIQUAIRES PICARDIE AMIENS Au SIÈGE DE LA SOCIÉTÉ IMPRIMERIE Musée de Picardie YVERT ET C IE 46, Rue des Trois-Cailloux 1939 RÔLE PRÉPONDÉRANT de Guillaume BOUILLÉ Doyen de Saint Florent de Roye au Procès de Réhabilitation de Jeanne d'Arc p a r M . A l b e r t H E U D U I N , m e m b r e résidant. I Dix-huit ans s'étaient écoulés depuis la mort tragique de la Pucelle d'Orléans, condamnée par l'évêque Pierre Cauchon, à être brûlée vive, à la suite d'un injuste procès où l'infamie n'était certes pas au banc de l'accusée, mais de l'autre côté de la barre ; Charles VII roi de France faisait son entrée solennelle dans la ville de Rouen, où l'attendait une réception enthousiaste. Mais le caractère sombre et taciturne du monarque se manifestait plutôt par des actes que par des paroles. Néanmoins, le roi semblait fermement résolu à entreprendre la réhabilitation légale et solennelle, non seulement en France, mais dans toute la chrétienté, de la martyre qui avait sauvé le royaume, à la pointe de son épée. C'est dans ce but que Charles VII confia alors à un dignitaire du clergé picard, Maître Guillaume Bouillé, Doyen du Chapitre royal de Saint-Florent de Roye, depuis 1440 , la première enquête sur le Procès de condamna(1) (1) Le Chapitre de la collégiale de Roye avait été fondé en l'an 990 pour 20 chanoines et 15 chapelains, par Herbert III, comte de Wermamdoi.s et sa femme Hermengarde, dans l'église Saint-Georges de Roye, Hugues le Grand y déposa les reliques de saint Florent qu'il avait enlevés, au cours d'une expédition militaire, à l'abbaye de Saint Florent-lès-Saumur. Au XIII siècle, une nouvelle église, sous le vocable de Saint-Florent, fut construite sur la Place de Roye, près du château sur ordre d'Hildebrande, épouse d'Herbert IV de e - 76 tion de Jeanne d'Arc. Ce personnage éminent semblait être l'homme le plus apte à mener à bien une instruction judiciaire de cette envergure. Voyons, d'après Quicherat quelles étaient les brillantes qualités de l'enquêteur nommé par le roi : Guillaume Bouille naquit dans les premières années du xv siècle. Il fut tout d'abord Procureur de la Nation de France, en 1434, Proviseur du Collège de Beauvais, à Paris, en 1437 et Recteur de l'Université de Paris, en 1439. S'étant livré ensuite à l'étude de la Théologie, il se distingua dans cette faculté et en obtint le décanat. Il fut élu Doyen de SaintFlorent de Roye, en 1440, où il succéda à M Sébastien Hérault, puis nommé Chapelain de Saint-Cuthbert, aux Mathurins de Paris, en 1445 et Doyen du Chapitre de Noyon, en 1447 . Charles VII avait une telle estime pour le mérite de ce savant Doyen, qu'il le nomma membre de son Grand Conseil et l'envoya en mission à Rome auprès du SaintSiège. (1) e e (2) Vermandois. Cette collégiale, consacrée en 1152, vit ses biens confirmés, en 1184, par une Bulle du pape Lucius III. Les fondateurs s'étaient réservés la collation des prébendes, mais ce droit passa aux rois de France, lors de l'union du Vermandois à la couronne royale. Le Doyen de Saint-Florent, élu par le Chapitre et confirmé par l'évêque d'Amiens, possédait un premier degré de juridiction spirituelle et jouissait, dans la ville, des droits et privilèges épiscopaux, par la cession qu'en avait fait l'évêque Richard en 1205. Les armes de la Collégiale étaient : d'azur, à la fleur de lys d'or, avec trois couronnes d'or, posées 2 et 1. (1) Jules QUICHERAT (1814-1882). Elève de l'Ecole des Chartes. Son principal ouvrage, en 5 volumes est consacré aux Procès de Condamnation et de Réhabilitation de Jeanne d'Arc. (2) On voit que Guillaume Bouillé, comme beaucoup de ses contemporains, cumulait alors les fonctions et bénéfices de doyen du Chapitre de Roye et de doyen du Chapitre de Noyon. Ces cumuls avaient été consacrés par l'ancien Droit français. Ils ont été bannis de notre législation moderne, en 1791. - 77 Le premier Mémoire écrit contre la validité du jugement de Pierre Cauchon est de Bouillé, ce dernier paraît ensuite assez souvent, comme témoin, dans le Procès de Réhabilitation qu'il suivit avec autant d'assiduité que le lui permirent ses nombreuses occupations et la discorde de l'Université et des Ordres mendiants, pendant laquelle il eut à plaider souvent au Parlement de Paris. En 1464, il renonça à ses bénéfices. En 1473, on le trouve mentionné dans l'Ordonnance de Louis XI contre les Nominalistes. Enfin, il mourut en 1476, ayant prescrit à ses exécuteurs testamentaires de l'inhumer, sans aucune pompe, et sans monument, au pied du grand crucifix de pierre de la cathédrale de Noyon, près du Portail des Sybïlles. Les Annales de l'Eglise de Noyon, par Le Vasseur, ouvrage imprimé en 1633, fournissent sur Guillaume Bouillé, les renseignements ci-après, qui concordent avec ceux donnés par Quicherat : « Maistre Guillaume Bouillé, docteur et professeur en Théologie, succéda à Jean de Riparia, au Chapitre de Noyon, par élection au décanat, auquel il fut élu, via spiritus sancti, le 13 janvier 1446 et installé, la veille de Pâques de la même année. G. Bouillé ayant été reçu en Régale le 29 Novembre 1445, à la Chapelle de Saint Cuthbert, aux Mathurins de (1) (1) Pierre Cauchon, docteur en Théologie, conseiller du roi d'Angleterre, évêque de Beauvais, puis chassé de cette ville en 1429, par les habitants. Né à Reims d'une famille bourgeoise anoblie ; Georges Chastellain l'appelle « ung grand et solennel clerc ». Depuis qu'il s'était retiré à Rouen, ce prélat était l'âme damnée des princes de Lancastre, qui exploitaient à leur profit son ambition démesurée, en lui faisant espérer l'archevêché de Rouen, alors vacant. Mais Cauchon n'arriva jamais au siège qu'il convoitait, car il fut nommé, en 1432, évêque de Lisieux ; c'est là qu'il mourut subitement, en 1442, entre les mains de son barbier. Cet homme avait été le mauvais génie du Procès de condamnation où souvent il s'oubliait, au point d'insulter et de menacer les témoins qui déposaient en faveur de l'accusée. On sait que son ami, Thomas de Courcelles, chanoine d'Amiens, ayant proposé de faire mettre Jeanne à la torture, ne fut suivi heureusement que par trois juges : Aubert, Morel et l'infâme Loyseleur. - 78 Paris, avait été élu par les chanoines de la Collégiale SaintFlorent de Roye, Doyen du Chapitre, dès l'année 1440. Dans cette ville, G. Bouillé fut surnommé le Doyen magnifique et c'est en qualité de Doyen de Roye qu'il fut invité, en 1454, au Synode de l'évêque d'Amiens, ayant pour ce, obtenu dispense de MM. du Chapitre de Noyon, à cause de son stage. Le P. Ayrolles S. J. dans son important ouvrage sur Jeanne d'Arc parle en ces termes de Guillaume Bouillé : « Il était un des plus distingués théologiens de son temps — Theologiœ magister auditissimus — d'après la Gallia Christiana. Il est probable que lors de la condamnation de Jeanne, en 1431, il se trouvait parmi les étudiants de l'Université ; de bonne heure, il en occupa les plus hautes dignités. G. Bouillé était, en même temps, pourvu de plusieurs bénéfices. Le principal consistait en un canonicat dans l'église de Noyon. Là aussi, il fut élu Doyen en 1447 et assista en cette qualité au Concile de Soissons, en 1454. Il renonça à cette dignité en 1464. En 1473, on le trouve mentionné dans l'Ordonnance de Louis XI, contre les Nominalistes . Enfin il mourut en 1476 ; son humilité lui fit défendre d'élever aucun monument sur son tombeau. » (1) II Guillaume Bouillé fut appelé à Paris, en 1447, avec Jacques Cœur, de Bourges, Jouvenel des Ursins, archevêque de Reims, et d'autres diplomates, pour tenter de résoudre la question de l'antipape Félix V, qui opposait son autorité à celle du pape Nicolas V régulièrement élu. Les délégués français, anglais et allemands se réunirent à Lyon, au mois d'Août. A cette occasion, G. Bouillé avait sollicité du Chapitre de Noyon, le 4 Juillet, la permission d'aller à Rome, qui lui fut accordée par les chanoines, à la condition (1) Les Nominalistes étaient les partisans d'un système philosophique en vogue au Moyen-Age. Ce système, opposé au Réalisme, niait que les abstractions, les genres, les espèces, appelés alors les Universaux, eussent une existence réelle. - 79 expresse que son retour s'effectuerait au mois d'Août, après la fête de l'Assomption. Les envoyés du roi de France se rendirent à Rome, auprès de Nicolas V, puis à Genève et à Lausanne, auprès de Félix V. Un an plus tard, la même délégation, défrayée par Jacques Cœur, retourna encore à Rome le 10 Juillet pour faire reconnaître l'obédience de Nicolas V et obtenir le désistement de Félix V. Cette démarche eut un plein succès, l'antipape ayant consenti à démissionner, mais en conservant le titre de Légat du Saint Siège. Guillaume Bouillé s'entremit aussi, plusieurs fois, au cours des procès intentés au Chapitre et à l'évêque de Noyon, au sujet du péage de Pont-l'Evêque et des dix-neuf muids de blé d'arrérages dûs par Jean de Mailly audit Chapitre. Il obtint facilement une transaction, acceptée par les deux parties. A Noyon, les fréquentes querelles entre l'évêque et le Chapitre étaient loin d'avoir cessé, à l'avènement de G. Bouillé, mais le plus souvent, tous ces litiges se terminaient à l'avantage des chanoines, ce qui ferait supposer que l'influence du Doyen n'était pas étrangère à ces bons résultats. De plus, suivant l'opinion de tous les historiens, G. Bouillé joua un rôle important dans la lutte entre l'Université de Paris et les Ordres mendiants, en 1455 et 1456. Le grand théologien prit parti pour l'Université ; la querelle se termina en 1458, par une transaction qui donnait raison aux religieux. En cette affaire, Bouillé avait eu, comme adversaire, le Supérieur des Jacobins : Jean Bréhal, Inquisiteur de la Foi, son collègue dans le Procès de Réhabilitation de la Pucelle. Guillaume Bouillé était infatigable. Il intervint encore avec succès, dans le long procès entre le Chapitre de Noyon et l'Abbaye de Saint-Eloi, au sujet des reliques de cet (1) Jacques Cœur (1400-1456), célèbre financier, Argentier de Charles VII et disgracié par lui. Il fut réhabilité sous le règne de Louis XI qui rendit à ses enfants une partie des biens dont leur père avait été dépouillé. - 80 e évêque du VII siècle. Un Arrêt du Parlement ayant donné raison aux chanoines, les religieux citèrent ces derniers à comparaître devant la papauté. G. Bouillé alla à Rome pour défendre ses collègues, le 19 Avril 1463. On lui paya son voyage et ses frais. Le Doyen séjourna dans la Ville Eternelle jusqu'au mois de Février 1464. Mais, sans attendre son retour, les chanoines de Noyon le révoquèrent brutalement et envoyèrent à Rome le chanoine Roussel pour le remplacer auprès du pape. Bouillé indigné de la conduite inqualifiable du Chapitre de Noyon à son égard, résigna son canonicat au profit de son ami Simon Soyer qui devait être élu, lui aussi, Doyen de Saint-Florent de Roye, en 1464. Que s'était-il passé, pendant l'absence de Guillaume Bouillé ? Son confrère, le chanoine Sézille, prétend qu'il fut révoqué à cause de ses absences continuelles et des frais considérables que ses voyages mettaient à la charge du Chapitre. Toutefois Bouillé conserva sa dignité de Doyen de Noyon et il eût l'honneur de recevoir, à ce titre, le roi Louis XI, au grand portail de la cathédrale, de lui présenter l'eau bénite et de chanter le Te Deum. III Mais la révision du Procès de condamnation de Jeanne d'Arc s'imposait alors devant l'opinion publique. La Pucelle n'était plus, il fallait bien, après l'achèvement de son œuvre, réhabiliter la mémoire de celle qui avait été condamnée aussi injustement. Suivant l'expression d'Ernest Lavisse, « le roi de France victorieux ne voulait pas rester sous le coup de la sentence prononcée à Rouen, qui, indirectement, faisait de lui le complice d'une sorcière ». En 1450, comme nous l'avons dit, Charles VII, après la prise de Rouen, ayant eu entre les mains les archives du premier procès, avait chargé Guillaume Bouillé d'entreprendre une vaste enquête judiciaire et, dans ce but, de • - 81 recueillir les pièces du Procès de condamnation et les documents de toute sorte pour en faire un rapport au Grand Conseil (15 Février 1450). La lettre du Roy est datée de Rouen et en voici la teneur : « Charles, par la grâce de Dieu, Roy de France, à nostre amé et féal conseiller, Maistre Guillaume de Bouillé, docteur en théologie, salut et dilection, « Comme au temps passé, Jehanne la Pucelle eust été prinse et appréhendée par nos anciens ennemys et adversaires les Anglais et admenée en ceste ville de Rouen, contre laquelle ils eussent faict fère tel quel procès, par certaines personnes, à ce commis et députés par eux ; en faisant lequel procès, ils eussent faict et commis plusieurs faultes et abus, et tellement que, moyennant que les procès et la grande hayne que nos dicts ennemys avoient contre elle, la firent mourir iniquement et contre raison traîtreusement ». « Et, pour ce que nous voulons sçavoir la vérité dudict procès et la manière comment il a esté déduict et procédé, nous mandons, commandons et expressément enjoignons que vous nous enquériez et informiez bien diligemment, de sur ce que dict est, et l'information par vous sur ce faict, apportée ou envoyée semblablement close et scellée par devers nous et les gens de nostre Grand Conseil. Et, avec ce, tous ceulx que saurez qui auront aulcunes escriptures, procès ou aultres choses touchant la matière, contraignez-les, par toutes voyes deues, et que vous verrez estre à fère, à les vous bailler, pour les nous apporter ou envoyer, pour pourvoir sur ce, ainsi que nous verrons estre à fère et qu'il appartiendra par raison de ce fère, vous donnons provision, commission, mandement spécial, par ces présentes ; mandons et commandons à tous nos officiers, justiciers et subjects, que à vous et à vos commis et députés en ce faisant obéyssent et entendent diligemment. « Donné à Rouen, le XV jour de Février, l'an de grâce 1449 et de nostre règne le 28 ». Sic, signé par le Roy, à la relation du Grand Conseil, Signé : DANIEL. e e - 82 Aussitôt après la réception du document royal, Guillaume Bouillé recueillit les premiers témoignages qui devaient charger de faits terribles les juges du Procès de condamnation. Puis, sans tarder, il fit venir les quatre dominicains : Martin l'Advenu, Isambart de la Pierre, Jehan Toutmouillé et Guillaume Duval, qui avaient assisté ou vu la sainte victime, au cours de son procès. Ces quatre religieux furent longuement et minutieusement interrogés; naturellement, ils cherchaient à se disculper, mais l'éclat des vertus de Jeanne n'apparaissait que plus brillant G. Bouillé se rendit compte du rôle véritable joué par tous ces personnages. Il entendit encore Jehan Beaupère, Guillaume Manchon et Jehan Massieu, puis il partit pour Orléans, avec Jouvenel des Ursins et les commissaires envoyés dans cette ville, en vue de procéder à l'audition des témoins Orléanais. Guillaume Prévosteau, licencié en Droit, Isabelle Romée, Pierre et Jean d'Arc, Simon Chapiteaut, maître ès arts, Hector de Coquerel, Robert Boivin, licencié en Droit Canon et Jehan Hugon faisaient également partie de cette Commission D'autres enquêtes furent encore ouvertes à Rouen, Domremy, Vaucouleurs et Paris, où beaucoup de témoins furent entendus. On écouta, avec émotion, les témoignages des bons villageois qui avaient connu Jeanne, dans son enfance. Les dépositions de ses compagnons d'armes : les Dunois, les Gaucourt et le duc d'Alençon forment, dans leur ensemble, une magnifique épopée qui devait ranimer, (2) (1) Ces quatre dominicains ne furent point recherchés, comme ayant participé à la grande iniquité. Jeanne d'Arc était très liée avec le duc d'Orléans et avec sa fille, mariée au duc d'Alençon. Aussi, après son voyage à Chinon, « elle ala veoir la duchesse d'Alençon, en l'abbaye de Saint-Flourent-près-Saumur, là où elle estoit logiée. Diu sçait la joye que la mère dudit Alençon, lui et ladite fille d'Orléens sa femme, lui firent par III ou IV jours qu'elle fut audit lieu. Et après ce, tousjours depuis, se tint plus prouchaine et acointe du duc d'Alençon que de nul autre et tousjours en parlant de lui, l'appeloit : Mon beau duc, et non autrement. » (Quiçherat - IV, p. 10). ( 2 ) Collégiale de SAINT FLORENT de ROYE. - 83 dans les âmes de leurs contemporains, le feu sacré d'un ardent patriotisme. Après être revenu à Rouen, G. Bouillé rédigea, en faveur de Jeanne d'Arc, un Mémoire qu'il remit aux juges du second procès. Son Mémoire est l'un de ceux qui furent insérés dans l'Instrument de la Réhabilitation et Quicherat en a extrait le préambule, pour le faire paraître dans son ouvrage sur les Sources de l'Histoire de Jeanne d'Arc. Guillaume Bouillé, dans ce Mémoire où il résume les résultats de la première enquête, explique la véritable pensée royale et le caractère de la mission à lui confiée par Charles VII. Il conclut à l'invalidité de la sentence de mort : « A l'honneur et gloire du Roi des Rois qui protège l'innocence et surtout à l'exaltation du Roi de France qui jamais, comme en témoigne l'Histoire, n'a favorisé les hérétiques et ne leur a prêté une adhésion quelconque et pour la glorification dudit Roi, moi Guillaume Bouillé, j'ai rédigé ce protocole. « Laisser le silence se prolonger sur cette inique condamnation serait porter atteinte à l'honneur royal. Quelle tache dans l'avenir, si les ennemis pouvaient dire qu'un Roi de France a entretenu dans ses armées, une femme hérétique et en communication avec les démons. Je crois donc l'ensemble du passé bien considéré et après mûr examen de la conduite, de la vie et de la mort de la Pucelle, que c'est faire œuvre de piété et de salut public, de soutenir son innocence. Elle travaillait pour la restauration du royaume de France, si souvent prédite par elle... J'ai discuté les douze articles envoyés par Pierre Cauchon à Messieurs les prélats et docteurs, comme base du jugement à porter. Il en résulte clairement que les personnages consultés ont été égarés par un faux exposé des faits, par suite, le Jugement tout entier, la sentence portée par les prétendus juges avec tout ce qui s'en est suivi, est dénué de toute force et valeur, le procès croule absolument ». - 84 « Il semble, dit M. Hanotaux, que la procédure ainsi dégagée dût aboutir rapidement. Non seulement Guillaume Bouillé indiquait tous les moyens de révision, mais avec finesse, il dégageait les prélats et les docteurs, pour reporter toute la faute sur l'évêque Pierre Cauchon, mort en 1442, auteur de l'erreur volontaire touchant le point de fait. Ainsi, le travail de révision était simplifié sur le fond, le parti était pris ». — « Il ne restait plus que la question de forme à examiner. » IV A cette époque, parut dans l'Eglise de France, un homme que sa situation, l'éclat de son nom, son patriotisme ardent et le siège de Rouen, dont il était titulaire, appelaient à jouer un rôle de premier ordre dans la Réhabilitation de Jeanne d'Arc. D'autre part, une mission que le pape lui avait confiée, sa légation en France, s'opposaient à ce qu'il prit part à une affaire ayant un caractère politique. C'était le cardinal Guillaume d'Estouteville récemment nommé archevêque de Rouen. Il voulut reprendre une cause dont le premier et injuste jugement avait abouti au supplice de la Pucelle, il allait y apporter tout son patriotisme et sa prudence habituelle. Tant que l'affaire en resta aux préliminaires, il se dissimula derrière Guillaume Bouillé, à qui Charles VII avait donné le pouvoir de citer les témoins du premier procès et d'en recueillir les dépositions. Le cardinal prit connaissance de ces témoignages importants, qui devaient servir de base au Procès de Réhabilitation. (1) Estouteville (Guillaume d'), archevêque de Rouen et cardinal; né vers 1403, mort à Rome en 1483, second fils de Jean II, seigneur d'Estouteville. Le pape Eugène IV le nomma cardinal, en 1437. Il fut envoyé comme légat auprès de Charles VII, par Nicolas V, en 1452, et commença les informations juridiques pour la révision du procès de Jeanne d'Arc (seconde enquête, sur les plaintes des habitants de Rouen, qui voulaient être purgés du crime dont la ville avait été souillée). - 85 L'œuvre du prélat allait être féconde ; proche parent de Charles VII, il était aussi l'un des Conseillers du pape Martin V. Il transmit au roi le procès-verbal de l'enquête et des dépositions des témoins. Puis il jugea encore utile et nécessaire, sur les instances du roi de France, de solliciter l'avis de deux théologiens et canonistes réputés, sur le cas de la Pucelle : Théodore de Lelliis et Paul Pontanus. Ce dernier était un observateur fort prudent et tandis qu'à la lumière des dépositions reçues par Guillaume Bouillé, il démolissait, pierre à pierre, l'édifice du Procès de condamnation, les passions politiques revenaient au calme et l'on finissait par adopter les conclusions du savant docteur. La consultation de Lelliis suivit, pas à pas, les perfides insinuations résumées en douze articles, sur lesquels il donnait son avis motivé, sous une forme élégante, et qui servit plus tard aux historiens de Jeanne d'Arc pour dégager la vérité, à travers les nombreuses pièces du premier procès. Le Mémoire de Théodore de Lelliis est remarquable par la façon dont il énumère toutes les iniquités de la procédure du terrible évêque Pierre Cauchon. D'autre part, M Pierre l'Hermyte, sous-doyen de Saint-Martin de Tours, ayant été consulté comme témoin de l'irrégularité du Procès de condamnation, répondit que Jeanne d'Arc n'étant pas la sujette de l'évêque Pierre Cauchon, ce dernier ne pouvait pas la retenir sous sa juridiction et que, par conséquent, son jugement était injuste, déraisonnable et de nulle valeur Le cardinal d'Estouteville envoya au roi de France le détail de l'information faite à Rouen, sur son ordre et terminée le 10 Mai 1452. Les personnages chargés de porter e (1) Pierre Cauchon n'avait qualité pour juger la Pucelle que comme évêque de Beauvais et sur le territoire de ce diocèse où Jeanne avait été prise ; mais non pas à Rouen, puisqu'il n'en était même pas archevêque. - 86 cette seconde enquête à Charles VII, furent les deux grands instigateurs de la Réhabilitation: Guillaume Bouillé et Jean Bréhal. Voici la lettre dont l'original se trouve dans la collection de Dom Grenier (paquet 27, n° 2, à la Bibliothèque Nationale) : — 22 Mai 1452. — « Mon Souverain Seigneur, je me recommande très humblement à votre bonne grâce. Et vous plaise scavoir que vers vous s'en vont présentement : l'Inquisiteur de la foy et maistre Guillaume Bouillé, doyen de Roye et de Noyon, lesquels vous référeront bien au plain, tout ce qui a esté fait au procès de Jehanne la Pucelle. Et pour ce que je say que la chose touche grandement vostre honneur et estat, je m'y suys employé de tout mon pouvoir et m'y employeray tousjours, ainsi que bon et léal serviteur doibt faire pour son Seigneur, comme plus amplement serez informé par les dessusditz. Non autre chose pour le présent, mon Souverain Seigneur, fors que me mandez tousjours vos bons plaisirs pour les accomplir. « Au plaisir de Dieu, qui vous ait en sa sainte garde et vous donne bonne vie et longue ». Escrit à Paris, le XXII jour de May. Vostre très humble et très obéissant serviteur, Le Cardinal d'ESTOUTEVILLE. e Les Mémoires tant agréés que commandés, qui ont pris part dans l'instrument du procès, sont au nombre de huit. Ils ont pour auteurs Jean Gerson ; Elie de Bourdeille, évêque de Périgueux ; Thomas Basin, évêque de Lisieux ; Martin Berruyer, évêque du Mans ; Jean Bochard, évêque d'Avranches ; Jean de Montigny, Conseiller au Parlement, Guillaume Bouillé qui avait fait à Rouen l'enquête de la réhabilitation et Robert Ciboule, chancelier de NotreDame. La troisième enquête, qui eût lieu en 1455, fut l'œuvre des juges du Procès de Réhabilitation. - 87 V Jean Avantage, soixante-deuxième évêque d'Amiens, de 1437 à 1456, convoqua dans sa ville épiscopale, en 1454, un SYNODE DIOCÉSAIN, dont les statuts, publiés au siècle dernier, par Mgr Mioland, auraient été, d'après le P. Daire, imprimés pour la première fois, le 26 Novembre 1456 Guillaume Bouillé, invité à ce synode à titre de Doyen de la collégiale Saint-Florent de Roye, accepta l'invitation. Mais, comme il ne pouvait s'absenter de Noyon, sans la permission des chanoines de cette ville, il avait dû obtenir dispense des membres du Chapitre à cause de son stage, pour venir à Amiens assister à l'assemblée synodale du Clergé picard . Quelques temps après, le Souverain Pontife daigna confirmer, de sa haute autorité, l'urgente nécessité d'une révision du Procès de condamnation de Jeanne d'Arc. L'affaire se trouvait donc ainsi presque jugée. Mais à qui devait appartenir l'initiative de la demande en révision de l'injuste procès et quel en serait le juge ? Il s'agissait, en l'espèce, d'annuler le jugement d'un évêque et d'un Inquisiteur de la Foi ; un Tribunal ecclésiastique pouvait seul abolir ce qu'un autre Tribunal ecclésiastique avait fait. Et quelle serait cette juridiction ? le Métropolitain de Reims ? une Assemblée de l'Eglise gallicane ? ou la Papauté ? Jeanne d'Arc, lors de son premier procès, en avait appelé au PAPE DE ROME, elle indiquait ainsi la marche à (1) (2) (1) Il n'existe plus aucun exemplaire de cette édition, qui offrirait aujourd'hui un grand intérêt, comme spécimen de l'art typographique amiénois, à cette époque, où l'imprimerie était d'invention toute récente. Les armes de Jean Avantage étaient : d'azur, à 3 têtes de licornes d'argent. Cet évêque mourut en 1456 et fut inhumé à la cathédrale d'Amiens, dans la chapelle réservée aux chapelains, dite Notre-Dame Anglette (actuellement, Chapelle Saint-Joseph), son tombeau, recouvert de lames de cuivre, fut enlevé à l'époque de la Révolution. ( 2 ) - 88 (1) suivre, en la circonstance . La cause était, en réalité, internationale et portait sur le différend de deux couronnes. Mais la guerre entre ces deux puissances n'en était pas arrivée à un point tel que la papauté, qui s'était tenue sur la réserve jusque là, consentit aisément à devenir l'arbitre du différend. Le pape d'alors était Nicolas V, diplomate, lettré, prudent et pacifique. Son successeur, Calixte III Borgia, espagnol, disciple de saint Vincent Ferrier, gardait dans la vieillesse, la verdeur et l'énergie de la race ardente à laquelle il appartenait. Il fut élu pape le 8 Avril 1455 . Le roi de France, pour enlever à ses démarches auprès du Saint-Siège, le caractère politique qui aurait pu en retarder l'effet, fit intervenir directement Isabelle Romée, la mère de Jeanne et ses fils, lesquels renouvelèrent l'appel de la glorieuse victime au PAPE DE ROME. Calixte III prit cet appel en considération et, par un Rescrit apostolique, expédié le 11 Juin 1455, il chargea Jean Jouvenel des Ursins, archevêque de Reims , Guillaume Chartier, évêque de Paris et Richard de Longueil, évêque de (2) (3) (4) (1) La Pucelle en avait également appelé à Dieu. Lors de sa dernière communion avant d'être conduite au bûcher, elle aperçut l'évêque Cauchon et lui dit : « Evêque, je meurs par vous... si vous m'eussiez mise aux prisons d'Eglise, ceci ne fut pas advenu... C'est pourquoi J'EN APPELLE, DE VOUS, DEVANT DIEU ! » ( 2 ) Calixte III (Alfonso Borgia) pape de 1455 à 1458. Né à Jativa (Espagne) en 1377, mort à Rome, en 1458. Son Pontificat a été marqué par la croisade qu'il prêcha avec énergie, à 80 ans, contre les Turcs, qui venaient de prendre Constantinople, en 1453, puis par le Procès de Réhabilitation de Jeanne d'Arc (1455-1456). Jean Jouvenel ou Juvénal des Ursins, magistrat, prélat et historien, né à Paris en 1388, mort à Reims en 1473. Il fut d'abord Maître des requêtes au Parlement de Poitiers en 1418. En 1432, il succéda, comme évêque de Beauvais, à P. Cauchon, de sinistre mémoire. En 1444, il fut évêque de Laon ; puis en 1449, archevêque de Reims. Il joua un rôle important dans le procès de Jacques Cœur et dans celui de la Réhabilitation de Jeanne d'Arc. Chartier (Guillaume), évêque de Paris, frère aîné du poète patriote Alain Chartier, naquit à Bayeux, vers 1392 et mourut à Paris, en 1472. Il fut l'un des négociateurs du Congrès d'Arras (1453) et l'un des juges du Procès de Réhabilitation de Jeanne d'Arc. ( 3 ) ( 4 ) - 89 (1) Coutances d'examiner le procès, d'entendre les deux parties et de prononcer ensuite, selon le Droit et la Justice. VI Ce long et consciencieux procès, ouvert solennellement le 7 Novembre 1455, par l'archevêque de Reims, les évêques de Paris et de Coutances, qui s'étaient adjoints Jean Bréhal et Guillaume Bouillé, avait été entrepris en vertu du Rescrit pontifical précité. Ledit procès ne devait se terminer que le 7 Juillet 1456. Constatons que l'honneur d'avoir entrepris la cause de réhabilitation de la sainte martyre revient de droit au Doyen Guillaume Bouillé, c'est pourquoi, le jour du 7 Novembre 1455, à la séance d'ouverture du Procès, dans la nef de Notre-Dame de Paris, nous le voyons figurer au premier rang, à côté des délégués du Saint-Siège. Devant ce tribunal ecclésiastique, se présenta Isabelle Romée, accompagnée de son fils Pierre d'Arc. La mère de Jeanne, vêtue de deuil, versant d'abondantes larmes et tenant en main le Rescrit du Souverain Pontife, demanda humblement justice « pour son enfant innocente, qu'elle avait élevée dans la crainte de Dieu et les prescriptions de l'Eglise et que les premiers juges avaient, en haine du Roy de France, condamnée et exécutée comme hérétique, contrairement au droit et à l'équité ». Son défenseur prit alors la parole et dit comment l'infortunée s'était adressée au Saint-Siège, la source de toute justice, pour obtenir le remède à tant de maux et comment le Pape ayant accédé à sa prière, elle suppliait les juges d'écouter « les gémissements du pauvre et les doléances de la veuve ». (1) Longueil (Richard-Olivier de), évêque de Coutances et cardinal, né vers 1410, mort à Pérouse en 1470. Chargé de réviser le procès de Jeanne d'Arc, il le déclara illégal et inique. Charles VII obtint, pour lui, le chapeau de cardinal. - 90 Les héritiers de Pierre Cauchon, cités à comparaître, ne voulurent en rien défendre les actes du procès intenté à Jeanne d'Arc « par l'envie et la haine des Anglais ». Les docteurs qui avaient pris part à ce premier procès et vivaient encore, figurèrent comme témoins, au Procès de Réhabilitation. Un chevalier picard, Aimond de Monchy (ou de Macy) avait connu Jeanne d'Arc au Fort de Beaurevoir. Transféré ensuite au Château du Crotoy, il y rencontra Maître Nicole de Quiefdeville, chancelier de l'Eglise d'Amiens, dont il reçut les confidences. Mis au courant de ses relations avec la prisonnière, le chevalier se trouva à même de déposer, en connaissance de cause, au Procès de Réhabilitation, vingt-cinq ans plus tard. Sa déposition confirme et authentifie les consolations prodiguées à l'héroïne, par le chanoine patriote : « Ce chancelier, déposa-t-il, célébrait souvent le service divin dans la prison et Jeanne assistait presque toujours à sa messe. J'ai même ouï dire plus tard, par Maître Nicole, qu'il avait entendu Jeanne en confession et qu'elle était une bonne chrétienne, de grande piété. Il disait beaucoup de bien de cette vertueuse et très chaste fille ». Les Commissaires du Saint-Siège avaient chargé Jean Bréhal, Inquisiteur de France, de faire une récapitulation méthodique des nombreuses questions agitées par eux et par les docteurs associés à leurs délibérations. Ce travail, qui comprenait cinquante-cinq pages in-folio, fut inséré dans les rédactions officielles du Procès de Réhabilitation. Le dossier était divisé en deux parties : la première consacrée à examiner la nature du Procès de Condamnation ; la seconde, à en examiner la forme. Les conclusions furent d'ailleurs très favorables à la Pucelle, au point de vue de son orthodoxie et de son prétendu refus de se soumettre à l'Eglise. Après la récollection de Jean Bréhal, les quatre commissaires pontificaux se rendirent à Rouen, pour assister aux dernières audiences du Procès. A la première séance - 91 et à la seconde, le promoteur Chapiteaut, résumant les raisons fournies par les documents de la procédure, adhérait ainsi aux conclusions des demandeurs. Ceux-ci, représentés par leur procureur Prévosteau, conclurent en suppliant les juges de proclamer l'iniquité ainsi que l'annulation du premier procès et la Réhabilitation de Jeanne d'Arc. Le tribunal remit l'affaire au 7 Juillet, pour rendre sa sentence définitive. Le 7 Juillet 1456, à 8 heures du matin, la grande salle du Palais archiépiscopal de Rouen fut témoin d'une séance mémorable où l'Eglise vengea l'honneur de ses tribunaux, par la Réhabilitation d'une jeune vierge de vingt ans, victime des manœuvres d'un prélat français à la solde de l'étranger. Les juges prirent séance, sous la présidence de Jean Jouvenel des Ursins, archevêque de Reims, Jean d'Arc, frère de la Pucelle, était présent. Pierre d'Arc et Isabelle Romée étaient représentés par Guillaume Prévosteau, leur procureur, assisté de Pierre Maugier, leur avocat. On avait appelé, en qualité de témoins-jurés : Jean Lefèvre, évêque de Démétriade ; Hector de Coquerel, docteur en décrets, official de Rouen ; Nicolas Lambert, théologien ; Nicolas du Bois, Doyen du Chapitre de Rouen; Jean de Gouvis et Guillaume Roussel, chanoines ; le Doyen Guillaume Bouillé, Alain Olivier, Thomas de Fanouillères, Geoffroy de Grosse, Jean Roussel, Guillaume Lecomte, RegnauIt Diel, Pierre Roque et Jean-de-Vieil, avocats. Avant que les juges ne rendissent leur sentence, Guillaume Bouillé, le grand instigateur de la Réhabilitation, avait harangué le tribunal, par une docte prédication, en prenant pour texte ce verset du psalmiste : Mementote mirabiliunt ejus quœ fecit prodigia ejus et judicia oris ejus (Psaume 104, verset 5). « Sur quoi s'étendant, l'orateur fit un ample discours des merveilles de Dieu et de ses prodiges, en la guerre du roy Charles contre les Anglais, au recouvrement de la France, par le secours de cette 4 - 92 sainte fille, ordonnée miraculeusement par Dieu, à cet effet ». — Annales de l'Eglise de Noyon, par Le Vasseur. Ensuite, le Tribunal, sur la requête des demandeurs et du promoteur, prononça la dernière et irrévocable déclaration de contumace contre les défendeurs non comparants; puis Jean Jouvenel des Ursins donne lecture de la sentence définitive, dont voici le dispositif : « Nous disons, prononçons, décrétons et déclarons que le Procès de Condamnation et les sentences qui s'ensuivirent, entachés de dol, de calomnie, d'iniquité, de contradiction, d'erreur manifeste en fait et en droit, y compris l'abjuration, les exécutions et toutes leurs conséquences, ont été, sont et seront nuls, sans valeur, sans effet, sans autorité ». « Et néanmoins, autant que besoin est, comme la raison l'ordonne, nous les cassons, supprimons, annulons et destituons de toute valeur ; nous déclarons que ladite Jeanne, ainsi que ses ayants cause et parents, demandeurs, n'ont contracté, ni encouru, à l'occasion des sentences susdites, aucune note, ni tache d'infamie, qu'elle est et demeure exempte et purgée desdites sentences et, autant qu'il en est besoin, nous l'en délivrons totalement ». « Nous ordonnons que l'exécution ou promulgation solennelle de notre présente sentence aura lieu sans délai, en cette ville de Rouen, en deux endroits : à savoir, aujourd'hui même, en la Place Saint Ouen, après une procession générale et avec un sermon solennel et, en second lieu, demain, sur le Vieux Marché, c'est, à savoir, au lieu où ladite Jeanne a été mise à mort, par l'horrible et cruel supplice du feu, avec une prédication solennelle qui sera faite en ce lieu même où sera aussi plantée une Croix, pour perpétuelle mémoire et pour demander à Dieu le salut de ladite Jeanne et des autres défunts. Nous nous réservons, d'ailleurs, selon que nous le jugerons convenable, d'ordonner l'exécution, promulgation et signification ultérieure, pour future mémoire, de notre dite sentence, dans les autres cités et principaux lieux de ce royaume et - 93 de prendre toutes autres mesures qui pourraient être encore jugées, par nous, nécessaires ». Le nom de Jeanne-la-Martyre, prononcé dans l'assemblée des fidèles, la prédication en mémoire de ses souffrances, la Croix du Rédempteur élevée à la place du bûcher, telle fut la simple et pieuse réparation d'une immense infortune et d'une suprême injustice ! Après la proclamation de la Sentence de Réhabilitation de Jeanne d'Arc, le roi Charles VII avait pris soin de déléguer vers le pape de Rome : Jean Bréhal, Inquisiteur de la Foi et Guillaume Bouillé, pour remercier le Souverain Pontife de sa haute intervention en faveur de la Pucelle. Ces deux personnages reçurent de la part du roi, cinq cents livres pour leurs frais de voyage. Sur la façade nord de l'Archevêché de Rouen, on a scellé deux plaques commémoratives, en marbre noir, relatant la Condamnation et la Réhabilitation de la Pucelle: DANS CE PALAIS ARCHIÉPISCOPAL LE MARDI 29 MAI 1431 S'EST TENUE LA SÉANCE DU PROCÈS DE JEANNE D'ARC OU ELLE FUT CITÉE A COMPARAITRE LE LENDEMAIN AU VIEUX-MARCHÉ DANS CE PALAIS ARCHIÉPISCOPAL LE MERCREDI 7 JUILLET 1456 LE CARDINAL D'ESTOUTEVILLE ÉTANT ARCHEVÊQUE DE ROUEN FUT RENDUE LA SENTENCE DE RÉHABILITATION DE JEANNE D'ARC