Rôle prépondérant de Guillaume Bouillé au procès de réhabilitation

ANNÉE 1939.
2E TRIMESTRE.
BULLETIN TRIMESTRIEL
DE LA
SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES
DE PICARDIE
AMIENS
Au SIÈGE DE LA SOCIÉTÉ
Musée de Picardie
IMPRIMERIE YVERT ET CIE
46, Rue des Trois-Cailloux
1939
RÔLE PRÉPONDÉRANT de Guillaume BOUILLÉ
au Procès de Réhabilitation de Jeanne d'Arc
Dix-huit ans s'étaient écoulés depuis la mort tragique
de la Pucelle d'Orléans, condamnée par l'évêque Pierre
Cauchon, à être brûlée vive, à la suite d'un injuste procès
où l'infamie n'était certes pas au banc de l'accusée, mais de
l'autre côté de la barre ; Charles VII roi de France faisait
son entrée solennelle dans la ville de Rouen, où l'attendait
une réception enthousiaste. Mais le caractère sombre et
taciturne du monarque se manifestait plutôt par des actes
que par des paroles.
Néanmoins, le roi semblait fermement résolu à entre-
prendre la réhabilitation légale et solennelle, non seulement
en France, mais dans toute la chrétienté, de la martyre qui
avait sauvé le royaume, à la pointe de son épée.
C'est dans ce but que Charles VII confia alors à un
dignitaire du clergé picard, Maître Guillaume Bouillé,
Doyen du Chapitre royal de Saint-Florent de Roye, depuis
1440 (1), la première enquête sur le Procès de condamna-
(1) Le Chapitre de la collégiale de Roye avait été fondé en l'an
990 pour 20 chanoines et 15 chapelains, par Herbert III, comte de
Wermamdoi.s et sa femme Hermengarde, dans l'église Saint-Georges
de Roye, Hugues le Grand y déposa les reliques de saint Florent
qu'il avait enlevés, au cours d'une expédition militaire, à l'abbaye
de Saint Florent-lès-Saumur. Au XIIIe siècle, une nouvelle église,
sous le vocable de Saint-Florent, fut construite sur la Place de Roye,
près du château sur ordre d'Hildebrande, épouse d'Herbert IV de
Doyen de Saint Florent de Roye
par M. Albert HEUDUIN, membre résidant.
I
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tion de Jeanne d'Arc. Ce personnage éminent semblait
être l'homme le plus apte à mener à bien une instruction
judiciaire de cette envergure.
Voyons, d'après Quicherat (1) quelles étaient les bril-
lantes qualités de l'enquêteur nommé par le roi : Guillau-
me Bouille naquit dans les premières années du xve siècle.
Il fut tout d'abord Procureur de la Nation de France, en
1434, Proviseur du Collège de Beauvais, à Paris, en 1437 et
Recteur de l'Université de Paris, en 1439. S'étant livré en-
suite à l'étude de la Théologie, il se distingua dans cette
faculté et en obtint le décanat. Il fut élu Doyen de Saint-
Florent de Roye, en 1440, où il succéda à Me Sébastien
Hérault, puis nommé Chapelain de Saint-Cuthbert, aux
Mathurins de Paris, en 1445 et Doyen du Chapitre de
Noyon, en 1447 (2).
Charles VII avait une telle estime pour le mérite de
ce savant Doyen, qu'il le nomma membre de son Grand
Conseil et l'envoya en mission à Rome auprès du Saint-
Siège.
Vermandois. Cette collégiale, consacrée en 1152, vit ses biens confir-
més, en 1184, par une Bulle du pape Lucius III.
Les fondateurs s'étaient réservés la collation des prébendes, mais
ce droit passa aux rois de France, lors de l'union du Vermandois à
la couronne royale.
Le Doyen de Saint-Florent, élu par le Chapitre et confirmé par
l'évêque d'Amiens, possédait un premier degré de juridiction spiri-
tuelle et jouissait, dans la ville, des droits et privilèges épiscopaux,
par la cession qu'en avait fait l'évêque Richard en 1205.
Les armes de la Collégiale étaient : d'azur, à la fleur de lys d'or,
avec trois couronnes d'or, posées 2 et 1.
(1) Jules QUICHERAT (1814-1882). Elève de l'Ecole des Chartes.
Son principal ouvrage, en 5 volumes est consacré aux Procès de
Condamnation et de Réhabilitation de Jeanne d'Arc.
(2) On voit que Guillaume Bouillé, comme beaucoup de ses con-
temporains, cumulait alors les fonctions et bénéfices de doyen du
Chapitre de Roye et de doyen du Chapitre de Noyon. Ces cumuls
avaient été consacrés par l'ancien Droit français. Ils ont été bannis de
notre législation moderne, en 1791.
Le premier Mémoire écrit contre la validité du juge-
ment de Pierre Cauchon (1) est de Bouillé, ce dernier
paraît ensuite assez souvent, comme témoin, dans le
Procès de Réhabilitation qu'il suivit avec autant d'assiduité
que le lui permirent ses nombreuses occupations et la
discorde de l'Université et des Ordres mendiants, pendant
laquelle il eut à plaider souvent au Parlement de Paris. En
1464, il renonça à ses bénéfices. En 1473, on le trouve men-
tionné dans l'Ordonnance de Louis XI contre les Nomina-
listes. Enfin, il mourut en 1476, ayant prescrit à ses exécu-
teurs testamentaires de l'inhumer, sans aucune pompe, et
sans monument, au pied du grand crucifix de pierre de la
cathédrale de Noyon, près du Portail des Sybïlles.
Les Annales de l'Eglise de Noyon, par Le Vasseur,
ouvrage imprimé en 1633, fournissent sur Guillaume
Bouillé, les renseignements ci-après, qui concordent avec
ceux donnés par Quicherat : « Maistre Guillaume Bouillé,
docteur et professeur en Théologie, succéda à Jean de
Riparia, au Chapitre de Noyon, par élection au décanat,
auquel il fut élu, via spiritus sancti, le 13 janvier 1446 et
installé, la veille de Pâques de la même année.
G. Bouillé ayant été reçu en Régale le 29 Novembre
1445, à la Chapelle de Saint Cuthbert, aux Mathurins de
(1) Pierre Cauchon, docteur en Théologie, conseiller du roi d'An-
gleterre, évêque de Beauvais, puis chassé de cette ville en 1429, par
les habitants. Né à Reims d'une famille bourgeoise anoblie ; Georges
Chastellain l'appelle « ung grand et solennel clerc ». Depuis qu'il
s'était retiré à Rouen, ce prélat était l'âme damnée des princes de
Lancastre, qui exploitaient à leur profit son ambition démesurée, en
lui faisant espérer l'archevêché de Rouen, alors vacant. Mais Cau-
chon n'arriva jamais au siège qu'il convoitait, car il fut nommé, en
1432, évêque de Lisieux ; c'est là qu'il mourut subitement, en 1442,
entre les mains de son barbier. Cet homme avait été le mauvais
génie du Procès de condamnation où souvent il s'oubliait, au point
d'insulter et de menacer les témoins qui déposaient en faveur de
l'accusée. On sait que son ami, Thomas de Courcelles, chanoine
d'Amiens, ayant proposé de faire mettre Jeanne à la torture, ne fut
suivi heureusement que par trois juges : Aubert, Morel et l'infâme
Loyseleur.
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Paris, avait été élu par les chanoines de la Collégiale Saint-
Florent de Roye, Doyen du Chapitre,s l'année 1440.
Dans cette ville, G. Bouillé fut surnommé le Doyen magni-
fique et c'est en qualité de Doyen de Roye qu'il fut invité,
en 1454, au Synode de l'évêque d'Amiens, ayant pour ce,
obtenu dispense de MM. du Chapitre de Noyon, à cause de
son stage.
Le P. Ayrolles S. J. dans son important ouvrage sur
Jeanne d'Arc parle en ces termes de Guillaume Bouillé :
« Il était un des plus distingués théologiens de son temps
Theologiœ magister auditissimus d'après la Gallia
Christiana. Il est probable que lors de la condamnation de
Jeanne, en 1431, il se trouvait parmi les étudiants de
l'Université ; de bonne heure, il en occupa les plus hautes
dignités. G. Bouillé était, en même temps, pourvu de plu-
sieurs bénéfices. Le principal consistait en un canonicat
dans l'église de Noyon. Là aussi, il fut élu Doyen en 1447 et
assista en cette qualité au Concile de Soissons, en 1454.
Il renonça à cette dignité en 1464. En 1473, on le trouve
mentionné dans l'Ordonnance de Louis XI, contre les
Nominalistes (1). Enfin il mourut en 1476 ; son humilité lui
fit défendre d'élever aucun monument sur son tombeau. »
II
Guillaume Bouillé fut appelé à Paris, en 1447, avec
Jacques Cœur, de Bourges, Jouvenel des Ursins, arche-
vêque de Reims, et d'autres diplomates, pour tenter de
résoudre la question de l'antipape Félix V, qui opposait son
autorité à celle du pape Nicolas V régulièrement élu. Les
délégués français, anglais et allemands se réunirent à Lyon,
au mois d'Août. A cette occasion, G. Bouillé avait sollicité
du Chapitre de Noyon, le 4 Juillet, la permission d'aller à
Rome, qui lui fut accordée par les chanoines, à la condition
(1) Les Nominalistes étaient les partisans d'un système philoso-
phique en vogue au Moyen-Age. Ce système, opposé au Réalisme,
niait que les abstractions, les genres, les espèces, appelés alors les
Universaux, eussent une existence réelle.
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