Etude autoradiographique des premiers stades du

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/. Embryol. exp. Morph. Vol. 29, 3, pp. 585-600, 1973
Printed in Great Britain
585
Etude autoradiographique des
premiers stades du developpement de Febauche
du membre anterieur chez deux especes de
Cheloniens (Testudo graeca L. et Emys
orbicularis L.)
Par J. VASSE1
Institut Pasteur, Sannois {Directeur: A. Raynaud)
SUMMARY
Autoradiographic study of early stages of the anterior limb-bud in
two species of chelonian embryos
Embryos of two chelonian species {Testudo graeca L., Emys orbicularis L.) from 20-somites
stage to 34-somites stage, fixed 2-4 h after an injection of tritiated thymidine or uridine or
leucine, then emulsion-exposed 12-14 days, showed the following results:
(1) When the labelling index was determined in the mesoderm of the somatopleure, the
labelling index in the flank region (S15-S1G) remained at about 0-3 but the labelling index in
the prospective anterior limb region rose to 0-4-0-5 when the processes of the somites S6-S13
reached the somatopleure. The somites seem to induce the proliferation of the somatopleure
and the transformation of the somatopleural cells in mesoblastic basophilic cells.
(2) The dilated extremities of the processes of somites S6-S12 proliferate cells which become
free from the somite and multiply. Thus, the somites S6-S12 participate materially in the constitution of the mesoblastic blastema of the limb-bud.
(3) In the mesoblast, regionalizations appear in transverse histological sections - in the
cranial-caudal direction.
(4) An apical epiblastic crest develops, at 26-27-somites stage, in the area where the
mesoblastic cells are the most abundant and the most active (between somites S8 and S n ).
At 28-29-somites stage, this crest Anlage synthesizes very little DNA; and at 34-somites
stage the synthesis of RNA and proteins also decreases.
These results are compared with results obtained in other reptiles and chick embryos, in
the light of the theories on the role of the somites and of the apical crest in the development
of the anterior limb-bud.
INTRODUCTION
L'etude histologique des premiers stades du developpement du membre
anterieur chez l'embryon de Tortue mauresque (Testudo graeca L.) (Vasse &
Pieau, 1970) avait mis en evidence une heterogeneite de l'ebauche a ces stades
(structure differente du mesoblaste et de l'epiblaste suivant les niveaux somi1
Adresse de Vauteur: Service d'Embryologie experimentale, Institut Pasteur 20, rue des
Moulins, 95110 Sannois, France.
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J. V A S S E
tiques) et avait decrit les etapes de la formation de la crete apicale a partir d'un
epaississement localise de l'epiblaste. L'etude autoradiographique presente,
effectuee chez les embryons de Tortue mauresque et de Cistude d'Europe (Emys
orbicularis L.), a pour but de savoir comment se comportent les differentes
zones mises en evidence dans le mesoblaste et l'epiblaste (crete apicale en particulier) en ce qui concerne les syntheses d'ADN, d'ARN et de proteines et de
suivre, si possible, revolution de ces syntheses.
La description se rapportera aux deux especes, les resultats etant tres comparables; dans le cas ou il existe des differences, l'espece sera mentionnee.
MATERIELS ET METHODES
Deux especes de Tortue ont ete utilisees: la Tortue mauresque (Testudo
graeca L.) originaire de Tunisie, elevee au laboratoire, et la Cistude d'Europe
(Emys orbicularis L.) provenant des etangs de Brenne (France). Les ceufs ont
ete pondus en juin-juillet dans les terrariums exterieurs avec des abris vitres
servant de refuge aux animaux la nuit ou par mauvais temps. Une ponte naturelle de Cistude trouvee dans le sol a ete egalement utilisee (aucune difference
avec les autres pontes n'a ete observee). Les oeufs ont ete mis en incubation sur
du coton remplissant un cristallisoir presque entierement recouvert d'une plaque
de verre de maniere a ne laisser qu'un petit espace pour les oeufs entre le coton
et la plaque de verre. Le coton est legerement humecte d'eau distillee dans la
partie inferieure du cristallisoir. Les temperatures d'incubation ont ete 25 et
30 °C. La vitesse du developpement varie avec la temperature d'incubation:
l'embryon de Cistude par exemple forme en 24 h 5-6 somites supplementaires
a 30 °C, 4 somites a 25 °C. Les stades seront exprimes en nombres de paires de
somites. Cinq stades seront distingues en ce qui concerne Pebauche du membre
anterieur. Le developpement des embryons des stades 1 a 3 est comparable a celui
du stade 10 donne par Yntema (1968) pour Chelydra serpentina: embryons rectilignes, de 6-7 mm de longueur; ceil non pigmente; placode olfactive deprimee
en une cavite; bourgeon maxillaire superieur tres court; bourgeon allantoidien
non apparent exterieurement. Le developpement des embryons des stades 4 et 5
est comparable a celui du stade 11 d'Yntema: embryons a legere courbure
cervicale, de 7 mm de longueur; ceil pigmente; bourgeon maxillaire s'etendant
jusqu'au bord de l'oeil; bourgeon allantoidien non apparent exterieurement.
Les radioelements utilises sont la [3H]methyl thymidine (activites specifiques:
18 ou 25 Ci/mM), [5-3H]uridine (activites specifiques: 20 ou 6 Ci/mM), [4,5-3H]L-leucine (activite specifique: 15 Ci/mM), a la dose de 5 a 10 /*Ci environ par
oeuf, pour chacun des radioelements. L'injection a ete faite en une seule fois,
pres du bord de l'aire vasculaire que Ton repere facilement par transparence a
travers la coquille en mirant l'ceuf; la quantite de liquide injectee est de 1/100 a
1/50 ml par oeuf. Les embryons traites a la thymidine tritiee ont ete sacrifies 4 h
apres l'injection (temperature d'incubation: 30 °C); ceux traites a la leucine
Autoradiographie du membre d'embryons de Cheloniens
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tritiee, 2 h apres l'injection (temperature d'incubation 25 °C); avec l'uridine
tritiee, la fixation des embryons a ete faite le plus souvent 2 h apres l'injection
(temperature d'incubation: 25 °C), pour quelques uns 4 h apres (temperature
d'incubation 30 °C). Le melange de Bouin a servi de fixateur. Les coupes, en serie
a 5 fim, ont ete trempees dans l'emulsion K 5 (Ilford) diluee de moitie et l'exposition a dure 12 a 14 jours. Apres developpement au Microdol X, une coloration
de fond a ete faite a l'hemalun-eosine. L'indice de marquage est obtenu en faisant le rapport du nombre de noyaux marques a la thymidine tritiee au nombre
total de noyaux. Les comptages ont ete effectues, en general, sur la moitie des
coupes c'est-a-dire tous les 10/tm. L'indice de marquage est la moyenne des
comptages effectues a chaque niveau somitique. L'intensite du marquage a
l'uridine et a la leucine tritiee est appreciee par le nombre moyen de grains
d'argent par noyau (uridine) ou par cellule (leucine).
RESULTATS
Stade 1 {embryons de 21 a 23 paires de somites)
Du somite S6 au somite S lo (Sx designant le ler somite post-otique) et dan le
sens cranio-caudal, chaque somite envoie un prolongement ventral qui passe
entre l'epiblaste et le rein embryonnaire et vient au contact dufeuillet mesodermique somatopleural a sa base. L'extremite du prolongement ventral du somite
touche Tangle laterodorsal de la cavite coelomique puis, s'en detachant et se
dirigeant vers l'epiblaste, il penetre a l'interieur du feuillet mesodermique somatopleural legerement epaissi, en poussant les cellules somatopleurales devant
lui (Fig. 1A); chez Tembryon d'Emys, cette extremite du prolongement somitique est une vesicule dilatee qui souleve l'epiblaste localement avant de penetrer
dans le feuillet mesodermique somatopleural; elle est bordee de plusieurs couches
de cellules du cote de la future ebauche du membre, d'une seule couche de
cellules sur la face opposee; c'est une partie paraissant indifferenciee alors que,
a ce stade, la partie dorsale du somite est differenciee en dermatome et myotome.
Aux extremites des prolongements des somites S6 a S9, des cellules somitiques
se dissocient sans se separer encore du prolongement.
Le feuillet mesodermique somatopleural n'est epaissi qu'a la hauteur des
somites S6 a S lo qui sont seuls, a ce stade, a former des prolongements ventraux.
Ceci est vrai aux stades 22-23 paires de somites. Au stade 21 paires de somites,
cette description n'est valable que pour les somites S6 a S9 et l'epaississement de
la somatopleure ne se trouve qu'a ce niveau. Cet epaississement represente la
partie craniale du futur territoire de l'ebauche du membre; plus caudalement,
le feuillet mesodermique somatopleural, est reste constitue par un mince feuillet
de 2-3 couches de cellules.
Quelques differences regionales apparaissent a la fin de ce stade 1: au niveau
S 6 -S 7 , des cellules somatopleurales se sont tassees sous l'epiblaste; elles se
sont detachees du feuillet basal du mesoderme somatopleural; sous elles, le
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D
J. VASSE
Autoradiographie du membre d'embryons de Cheloniens
589
mesoderme somatopleural est plus lache. Ces phenomenes ne font que
commencer aux niveaux posterieurs. D'autre part la densite cellulaire est plus
faible dans la region S6-S7 que plus caudalement.
Marquage par la thymidine tritiee (Fig. 1 A)
D'une facon generate, l'extremite des prolongements soraitiques et le feuillet
mesodermique somatopleural sont beaucoup plus actifs (indices de marquage:
0,4 a 0,6) que l'epiblaste du territoire de la future ebauche du membre (indice
de marquage: 0,2 a 0,3). Les chiffres les plus eleves pour les indices de marquage
sont releves au niveau des somites S})-S10; le nombre limite d'embryons a ce stade
ne permet pas de savoir si cette difference est significative. Dans le feuillet
mesodermique somatopleural, sur un meme niveau transversal, on observe les
noyaux marques aussi bien dans le feuillet basal que juste au dessous de
l'epiblaste ou entre l'epiblaste et le feuillet basal du mesoderme somatopleural
(memes localisations que pour les mitoses).
D'autre part, on n'observe pas de difference significative, en ce qui concerne
les indices de marquage, entre l'epiblaste de la future ebauche de membre et
le reste de l'epiblaste embryonnaire, aux niveaux S6 a S10.
Marquage par V uridine tritiee
Le marquage, dans le cas d'une fixation de l'embryon deux heures apres
l'injection, est localise au niveau du noyau de la cellule marquee; pratiquement
FIGURE 1
(A) Coupe transversale, passant par le 6eme somite (S6), d'un embryon d'Emys
de 22 paires de somites. Thymidine tritiee: l'extremite du somite (ex.S.) penetre
dans le mesoderme somatopleural (m.s.). Le feuillet mesodermique somatopleural
(m.s.) est nettement epaissi, bien marque. A l'extremite du somite, des cellules se
dissocient sans se separer encore du somite. ep.: epiblaste; r.\ rein embryonnaire.
(B) Coupe transversale, passant par le 9eme somite (Sd), d'un embryon d'Emys de 26
paires de somites. Thymidine tritiee: trois zones sont visibles dans le mesoblaste: le
mesenchyme lache (m.l.) peu marque; le feuillet basal du mesoderme somatopleural (b.m.s.) et le mesoblaste basophile (m.b.) bien marques. Des cellules somitiques (c.S.) se detachent de l'extremite du prolongement du somite (ex.S.).
(C) Coupe transversale, passant par le lOeme somite, d'un embryon de Testudo
de 34 paires de somites. Uridine tritiee; fixation 4h apres l'injection. Les assises
internes de la crete apicale (c.a.) ne presentent plus qu'un tres leger marquage malgre
la duree de Texposition. ep.: epiblaste.
(D) Coupe transversale, passant par le 8eme somite, d'un embryon d'Emys de 30
paires de somites. Thymidine tritiee. Dans l'epiblaste (ep.), faible marquage des
assises internes de la crete (c.a.: crete apicale). Dans le mesoblaste, nombreuses
cellules marquees dans le feuillet basal du mesoderme somatopleural (b.m.s.), pres
de Textremite du prolongement somitique (ex.S.).
(E) Coupe transversale, passant par le 9eme somite, d'un embryon d'Emys de 31
paires de somites. Uridine tritiee. La crete apicale (c.a.) est nettement moins marquee
que le reste de l'epiblaste (ep.d.: epiblaste dorsal: ep.v.: epiblaste ventral).
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J. VASSE
tous les noyaux des cellules de tous les tissus de la future ebauche de membre
sont marques.
Dans l'epiblaste on ne peut observer de regions marquees differentiellement.
L'extremite des prolongements somitiques est bien marquee. Dans le mesoderme somatopleural, surtout a la fin du stade, apparaissent des regions differant par leur marquage: au niveau S6-S7, les cellules somatopleurales sont
peu marquees par rapport a celles du niveau S8-S9; sur un meme niveau transversal, les cellules somatopleurales dans une zone au voisinage de l'extremite
du prolongement somitique sont plus marquees; celles du feuillet basal du mesoderme somatopleural sont nettement moins marquees que celles situees entre
ce feuillet et l'epiblaste.
Marquage par la leucine tritiee
On observe de nombreux grains dans la plupart des cellules de tous les tissus,
alors que la fixation des embryons a ete faite 2 h seulement apres l'injection.
Les grains sont situes dans le cytoplasme des cellules, parfois en bordure des
noyaux (cellules somatopleurales en particulier). Le marquage est homogene
et on ne peut distinguer de differences dans les intensity's de marquage des
differents tissus de l'ebauche; la partie sous-epiblastique du mesoderme somatopleural parait plus intensement marquee mais en realite la densite des cellules
est nettement plus forte qu'a la base du mesoderme somatopleural d'ou cet
aspect.
Stade 2 {embryons de 24 a 26 paires de somites)
L'ebauche du membre anterieur commence a se soulever a l'exterieur, a hauteur des somites S6 a S13. Chez l'embryon de Testudo, les prolongements ventraux
des somites S6 a S10 penetrent maintenant dans l'ebauche; chez l'embryon
d'Emys, le prolongement de S n y penetre egalement en se terminant, comme les
autres prolongements, par une vesicule dilatee. De l'extremite de ces prolongements, des cellules commencent a se detacher a la fin du stade, dans plusieurs
directions (vers l'epiblaste, la base du mesoderme somatopleural, dans une
direction intermediate); bien que tres proches de l'epiblaste, a ce stade, elles
en sont separees par des cellules somatopleurales, elles-memes en contact avec
l'epiblaste. Les somites S12 et S13 chez Emys ( S n egalement chez Testudo) arrivent
au contact du feuillet mesodermique somatopleural dans Tangle latero-dorsal
de la cavite coelomique.
La region bien developpee de l'ebauche se situe a hauteur de S8 a S10: en coupe
transversale, on observe, a la base de la somatopleure une zone constitute de
mesenchyme lache, et, au dessus, un materiel mesoblastique basophile constitue par des cellules somatopleurales tassees sous l'epiblaste et par des cellules
detachees de Textremite des prolongements somitiques (Fig. 1B). Dans l'epiblaste apparait a la fin du stade, une region particuliere, situee dans l'axe du
prolongement du somite, basophile, epaissie (epaississement de la couche de
cellules internes).
Autoradiographie
du membre d'embryons
de Cheloniem
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Tableau 1. Les indices de marquage (Materiels et Methodes) pour les differents
tissus de rdbauche du membre anterieur chez Vembryon d'Emys, au stade 2 (2526 paires de somites)
Niveau somitique
...
Feuillet basal du mesoderme •
somatopleural
Partie basale du mesoderme
somatopleural (mesenchyme lache)
Mesoblaste basophile sousepiblastique
Cellules somitiques detachees de
l'extremite des prolongements somitiques
Epiblaste de l'ebauche du membre
So
S9
0,4
0,6-0,7
0,3
0,4
0,3
0,7
SlO
—
io,4-O,5
0,3
0,2
0,2
0,3
Plus cranialement, a hauteur des somites S6 et S-, on retrouve le mesoblaste
basophile et le mesenchyme lache mais la densite cellulaire est nettement plus
faible et on n'observe pas de zone epaissie dans l'epiblaste. Plus caudalement,
une coupe transversale de l'ebauche montre une structure analogue a celle du
stade 1.
Marquage par la thymidine tritiee (Fig. 1B)
Le tableau (Tableau 1) montre que:
(1) Tous les tissus sans exception sont moms actifs au niveau de S6 qu'au
niveau S9 et Slo.
(2) Le feuillet basal du mesoderme somatopleural ou les noyaux marques sont
tres nombreux pres de l'extremite du prolongement somitique et le mesoblaste
basophile sous-epiblastique sont les plus actifs et nettement plus que le mesenchyme lache sous-jacent. Parmi les cellules detachees de l'extremite des prolongements somitiques dans l'ebauche, on observe des cellules marquees; leur
indice de marquage est de 0,3 a 0,4 dans la region S6-S7; ailleurs il est impossible
a etablir, les cellules somitiques ne pouvant etre distinguees avec surete des
cellules somatopleurales. Au niveau de S15 et S16, entre l'ebauche du membre
anterieur et celle du membre posterieur, l'indice de marquage du feuillet mesodermique somatopleural est d'environ 0,3 comme au niveau de S6 mais tres
different de celui observe au niveau de S9 et S10 (0,5 environ, en associant, pour
le comptage, mesoblaste basophile et mesenchyme lache).
(3) L'epiblaste de l'ebauche du membre est peu actif et pour cette raison il
n'est pas possible de savoir s'il y a une variation localisee de l'indice de marquage dans la region particuliere de cet epiblaste qui commence a s'epaissir.
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J. VASSE
Marquage par Vuridine tritiee
(1) Dans la region S6-S7, quel que soit le tissu considere, les cellules sont
moins marquees que dans la region posterieure (S9 par exemple).
(2) Dans le feuillet basal du mesoderme somatopleural, les noyaux des
cellules, petits, ont peu de grains d'argent par rapport aux autres cellules somatopleurales et aux cellules somitiques.
(3) Les cellules mesoblastiques sous-epiblastiques basophiles sont plus
marquees que les cellules de la base du mesoderme somatopleural (mesenchyme
lache); ceci est bien visible dans la region S9-S10.
(4) Dans l'epiblaste de l'ebauche du membre, la region particuliere qui
s'epaissit est bien marquee mais on ne peut dire si elle est plus ou moins marquee
que le reste de l'epiblaste.
Marquage par la leucine tritiee
Pratiquement toutes les cellules sont marquees alors que la fixation de
l'embryon a eu lieu 2 h seulement apres l'injection. Le marquage est homogene
comme au stade 1.
Stade 3 (embryons de 27 a 29 paires de somites)
L'ebauche du membre anterieur est bien soulevee exterieurement. Les extremites ventrales des somites S6 a S13 sont toujours en relation avec cette
ebauche. Les prolongements somitiques de S6 a S10 sont etires. Chez Testudo,
de l'extremite des prolongements de S6 a S n se detachent toujours des cellules,
basophiles, qu'on ne peut plus distinguer des cellules en provenance du feuillet
basal du mesoderme somatopleural; chez Emys, cette emission de cellules se
produit, a ce stade, pour les somites S6 a S12. La partie la plus developpee de
l'ebauche se situe a hauteur de S7 a S n : la densite des cellules mesoblastiques est
elevee et l'epiblaste presente une zone particuliere bien epaisse: ce sont les assises
internes qui se sont epaissies (la couche externe ou periderme constitute de
cellules aplaties ne parait pas modinee); leurs cellules se disposent en plusieurs
couches commencant a prendre une disposition radiaire.
Au niveau de S6, il y a peu de cellules dans l'ebauche et la zone epaissie de
l'epiblaste est a peine indiquee.
A hauteur de S12-S13, l'ebauche est peu soulevee.
Marquage par la thymidine tritiee
(1) Le mesoblaste: le feuillet basal du mesoderme somatopleural est toujours
bien marque; les noyaux marques se trouvent surtout pres de l'extremite des
prolongements somitiques (ce qui corrobore l'observation, en histologie, de
nombreuses mitoses a cet endroit). Dans la region S7 a S ll5 l'indice de marquage
est de 0,4 a 0,5 (il tend a s'elever sous l'epiblaste et a baisser a la base de l'ebauche
quand on etudie des coupes transversales).
Autoradiographie du membre d'embryons de Cheloniens
593
Dans la region S6, l'indice de marquage est de 0,3.
11 est egalement de 0,3 environ pour le feuillet mesodermique somatopleural
du niveau de S15-S16.
(2) I'epiblaste: dans la zone epaissie de Pepiblaste, le marquage des cellules
internes est devenu tres faible, surtout dans la region S9-S10. Ailleurs l'indice de
marquage est de 0,2-0,3.
Marquage par Vuridine tritiee
Pratiquement toutes les cellules sont marquees dans le cas d'une fixation des
embryons 2 h apres l'injection. Les cellules somitiques ne sont pas discernables
par un marquage different des autres cellules mesoblastiques.
L'activite des cellules est faible dans la region S6 a S8, forte dans la region
i>9 a o 1 2 .
On ne peut observer de difference d'intensite de marquage entre la region
epaissie et le reste de I'epiblaste.
Stade 4 {embryons de 30-31 paires de somites)
L'etirement et la degenerescence (nombreuses pycnoses) des premiers prolongements somitiques se poursuivent: des cellules ne se detachent plus des
dilatations terminates de S6 et S7, comme elles continuent a le faire pour les
somites S8 a S12. C'est a hauteur des somites S8 a S n que le mesoblaste est le
plus dense: ses cellules se divisent activement, quelques cellules somitiques s'y
adjoignent encore et, surtout, des cellules provenant du feuillet basal de la
somatopleure qui prolifere.
La zone epaissie de I'epiblaste s'est encore epaissie par rapport au stade precedent: ses cellules internes forment plusieurs couches superposees, organisees
radiairement en un debut de crete apicale bien nette en face des prolongements
des somites S9 et S10 (au niveau des somites S8 et S n , c'est un epaississement
sans structure de crete).
Marquage par la thymidine tritiee (Fig. 1 D)
(1) On observe des noyaux marques dans les dilatations terminates des somites
S8 a S12 mais presque plus dans les dilatations terminales des somites S6 et S7.
(2) Dans le feuillet basal du mesoderme somatopleural, de nombreuses cellules
marquees sont localisees pres de l'extremite des prolongements somitiques.
(3) Le mesenchyme lache a la base de l'ebauchc et le mesoblaste basophile
juste sous Tepiblaste, bien distincts histologiquement au niveau de S8 a S10 sont
egalement bien differents par leur activite de synthese de l'ADN: l'indice de
marquage dans le mesenchyme lache est de 0,3-0,4 alors qu'il est de 0,5-0,6 dans
le mesoblaste basophile.
Au niveau S6-S7 ou l'ebauche est moins dense en cellules, l'indice de marquage
(en associant, pour le comptage, mesenchyme lache et mesoblaste basophile)
est d'environ 0,3.
594
j . VASSE
(4) Dans la partie epaissie de l'epiblaste, le periderme presente des noyaux
marques; par contre dans les assises internes, le marquage est pratiquement nul
dans la region S9-S10, a diminue considerablement dans la region S8 et S n et
commence a diminuer au niveau de S7; dans le reste de l'epiblaste, l'indice de
marquage n'a pratiquement pas change.
(5) Au niveau de S13, le mesoblaste de l'ebauche du membre est constitue
uniquement de cellules somatopleurales (de l'extremite du somite 13 ne se
detachent pas de cellules); son indice de marquage est de 0,3.
II est egalement de 0,3 pour le feuillet mesodermique somatopleural dans la
region S14 a S16.
Marquage par Vwidine tritiee (Fig. 1E)
Aux niveaux S9-S10, les cellules mesoblastiques basophiles sont bien plus
marquees qu'au stade precedent. La, dans l'epiblaste, on peut distinguer, sur
coupe transversale, trois regions d'apres l'intensite du marquage: la crete apicale,
bien que marquee, Test nettement moins que la partie ventrale de l'epiblaste,
elle-meme moins marquee que la partie dorsale.
Aux niveaux plus cranial et plus caudal, ces zones de marquage different ne
sont pas visibles.
Stade 5 {embryons de 32 a 34 paires de somites)
Les prolongements somitiques continuent de s'etirer et de degenerer et n'arrivent plus qu'a la base de l'ebauche (ou meme pour S6 et S7 en sont separes). Le
feuillet basal du mesoderme somatopleural ne prolifere plus. Le mesoblaste se
multiplie activement par division des cellules en place.
Marquage par Vuridine tritiee (Fig. 1C)
La partie la plus developpee de l'ebauche se situe au niveau de S8 a S lo : dans
le mesoblaste, toutes les cellules sont bien marquees. Dans l'epiblaste, la crete
apicale bien differenciee presente un tres leger marquage dans la zone interne
(l'assise externe de cellules aplaties reste toujours marquee).
De part et d'autre de cette region, la densite cellulaire dans le mesoblaste de
l'ebauche devient plus faible, l'epiblaste est moins transforme: a hauteur des
somites 7 et 11, on y observe une zone epaissie mais ne formant pas de crete;
cette zone est marquee mais plus faiblement que l'epiblaste adjacent.
Marquage par la leucine tritiee
Au niveau des somites 9 et 10, on observe un marquage plus faible dans la
crete que dans le reste de l'epiblaste de l'ebauche du membre. Plus cranialement
et plus caudalement, on ne distingue pas de difference nette de marquage entre
l'epaississement epiblastique et le reste de l'epiblaste.
Autoradiographie du membre d'embryons de Cheloniens
595
DISCUSSION
La presente etude porte sur les premiers stades du developpement de 1'ebauche
du membre anterieur chez deux especes de Cheloniens allant jusqu'a la formation de la crete apicale. Le role des somites adjacents a 1'ebauche dans le developpement de ces premiers stades est primordial. Au cours de cette periode,
des regionalisations apparaissent dans le mesoblaste et, dans l'epiblaste, on
observe la formation, localisee, d'une crete. Examinons ces diflferents points
a la lumiere des resultats apportes par l'etude autoradiographique.
Role des somites adjacents a Vebauche du membre
(1) Contribution materielle du somite a la constitution de Vebauche du membre
anterieur. Nous retrouvons chez l'embryon d'Emys ce qui avait ete decrit chez
1'embryon de Testudo (Vasse & Pieau, 1970): les prolongements de S6 a S12
penetrent dans 1'ebauche (ceux de S u et S12 tres legerement); de l'extremite de
ces prolongements se detachent des cellules (moins nombreuses que les cellules
d'origine somatopleurale). Ces extremites sont bien marquees par la thymidine
aux stades 1 a 3 et on n'observe plus que quelques cellules marquees quand les
prolongements somitiques n'emettent plus de cellules (stade 4 pour les prolongements de S6 et S7). Parmi ces cellules somitiques emises, il y a des cellules marquees par la thymidine; il est impossible d'etablir leur indice de marquage de
fagon precise (sauf dans la region S6-S7 ou il est de 0,3-0,4) car on ne peut distinguer ces cellules des cellules somatopleurales qu'au moment auquel elles se
detachent du prolongement somitique et leur nombre sur coupe est relativement
petit. Les cellules somitiques se multiplient done dans 1'ebauche (si on admet que
la mitose suit automatiquement la synthese d'ADN) et contribuent ainsi materiellement a la constitution de cette ebauche. En ce qui concerne leurs activites
de synthese d'ARN et de proteines, Pemploi de l'uridine et de la leucine tritiees
respectivement montre qu'elles sont marquees autant que les autres cellules
mesoblastiques d'origine somatopleurale.
Rappelons que cette contribution materielle du somite a ete observee egalement chez les embryons d'Orvet {Anguis fragilis L.) et du Lezard vert {Lacerta
viridis L.) (Raynaud, 1962; Raynaud & Vasse, 1968 a, b, 1969); chez divers
embryons de Reptiles, a des stades plus tardifs (Milaire, 1957); chez l'embryon
de Poulet (Gumpel-Pinot, 1972); chez l'embryon de Roussette (Vasse, 1971).
Chez l'embryon d'Orvet les membres anterieurs et posterieurs, rudimentaires,
regressent avant la naissance; le membre anterieur se souleve au niveau de 4
somites seulement (S6 a S9) au lieu de 8 (S6 a S13) pour un membre normal;
seuls ces quatre somites forment des prolongements ventraux et participent
materiellement a la constitution du membre. Cependant la proliferation somatopleurale est plus faible dans ce membre reduit que dans un membre normal.
(2) Action du somite sur le mesoderme somatopleural. L'indice de marquage
du mesoderme somatopleural au niveau des somites S15-S16 est d'environ 0,3
596
J. VASSE
et ne change pratiquement pas aux divers stades considered dans cette etude.
11 s'eleve a 0,4-0,5 dans le mesoderme somatopleural de l'ebauche du membre
au moment du contact des prolongements somitiques avec la somatopleure et
de leur penetration dans l'ebauche. Le feuillet basal du mesoderme somatopleural
est particulierement bien marque: sur coupe transversale, on y observe de tres
nombreuses cellules marquees par la thymidine a proximite du prolongement
somitique. Ces observations autoradiographiques cadrent bien avec l'hypothese
d'une influence stimulante du somite sur la proliferation du mesoderme somatopleural. Cette proliferation cesse avec la separation des prolongements somitiques de l'ebauche au stade 5. Notre etude ne peut preciser quand a commence
l'action du somite car deja au stade 20 paires de somites, au moins pour les
somites S6 a S9, elle a lieu, le mesoderme somatopleural etant epaissi. Posterieurement, au niveau S 10 -S n , le mesoderme somatopleural n'est pas epaissi et, meme
si Faction du somite a eu lieu, le mesoderme n'a en tout cas pas encore repondu
a cette action.
Chez les embryons d'Orvet et de Lezard vert, l'hypothese d'une influence
stimulante du somite sur la proliferation du mesoderme somatopleural a ete
egalement avancee (Raynaud & Vasse, 1969) et verifiee parune autremethode
(numeration des mitoses, Raynaud, 1972).
Chez l'embryon d'Oiseaux ou de Batraciens, differents auteurs (Amano,
1960; Finnegan, 1963; Murillo-Ferrol, 1965; Pinot, 1970; Kieny, 1971) ont
demontre un role du somite dans le developpement de l'ebauche du membre.
Mais, etant donne qu'il n'a pas ete fait d'etude histologique des effets precoces
du 'mesenchyme somitique' sur le mesoderme somatopleural, aussi bien in vivo
que dans les associations realisees en greffe, ces auteurs n'ont pu preciser d'une
part quelle partie du somite agissait, d'autre part quelles etaient les modalites
d'action du somite (action sur la proliferation du mesoderme somatopleural,
transformation de ces cellules somatopleurales, . . . ) . II semble que chez l'embryon de Reptiles, le prolongement ventral du somite ait un role privilegie dans
cette action sur le mesoderme somatopleural.
Regionalisations du mesoblaste
Dans le mesoblaste dont le developpement a ete declenche par le somite et
dont les cellules sont d'origine somitique et surtout d'origine somatopleurale,
differentes regions apparaissent quand on examine des sections transversales,
dans le plan de la section d'une part, et d'autre part quand on etudie ces sections
dans le sens cranio-caudal.
(1) Dans un plan transversal. Une region sous-epiblastique se differencie
tres tot des les stades 2-3 a l'etude histologique (cellules plus serrees, basophiles)
comme a l'etude autoradiographique (cellules plus marquees par l'uridine que
les cellules du mesenchyme lache basal et indice de marquage plus eleve: jusqu'a
0,6-0,7). Etant donne l'orientation de l'extremite du prolongement somitique
dirige, aux premiers stades, vers l'epiblaste, on peut concevoir une action
Autoradiographie du membre d'embryons de Cheloniens
597
privilegiee du somite sur l'aire irnmediatement sous-epiblastique par rapport a
Paire basale (mesenchyme lache).
L'etude autoradiographique n'a pu nous montrer de difference entre une
region sous l'epaississement apical de l'epiblaste et le reste de la zone sousepiblastique.
(2) Dans le sens cranio-caudal. La partie craniale de l'ebauche du membre
anterieur, au niveau S6-S7 est pauvre en cellules mesoblastiques. L'etude autoradiographique montre que ces cellules sont peu actives: leur indice de marquage
est faible (0,3 environ) et leur marquage a l'uridine est faible, si on le compare a
celui des cellules mesoblastiques du niveau moyen de l'ebauche (S8 a S10).
On pourrait reprendre ici 1'interpretation donnee dans l'etude histologique
du membre anterieur chez l'embryon de Testudo (Vasse & Pieau, 1970): la
concentration en facteur somitique serait plus grande dans la region S8 a S10.
Formation de la crete apicale
D'une facon generate, l'epiblaste est un tissu toujours moins actif que le
mesoblaste (indice de marquage = 0,2 a 0,3 seulement contre 0,4 au moins
dans le mesoblaste).
Ce qui nous interesse plus particulierement ici, c'est la formation localisee,
d'un epaississement dans cet epiblaste et son role dans le developpement de
l'ebauche du membre. L'examen histologique de coupes transversales montre
que cet epaississement apparait a la fin du stade 2 (stade 25-26 paires de somites),
sur le bord ventrolateral de l'ebauche, dans l'axe des prolongements somitiques:
ce sont les assises internes de l'epiblaste qui se sont epaissies; les cellules sont
disposees sur 2-3 couches, leurs noyaux orientes radiairement. Ceci se produit
en face des somites S8 a S10 puis en face de S7 et S n la ou, sous l'epiblaste, le
mesoblaste est le plus dense (d'apres l'etude histologique) et le plus actif (d'apres
l'etude autoradiographique).
L'etude autoradiographique (Vasse, 1972) montre que dans l'epaississement
epiblastique (et uniquement au niveau des assises internes) la synthese de l'ADN
(etudiee au moyen d'un marquage par la thymidine tritiee) devient tres faible
d'abord en S9-S10, au stade 3 (27-29 paires de somites) puis diminue egalement
en S7-S8 et S n , au stade 4 (30-31 paires de somites). Au stade 5 (32-34 paires
de somites), la synthese des ARN (suivie par un marquage par l'uridine tritiee)
est devenue tres faible, par rapport au reste de l'epiblaste, dans l'epaississement
epiblastique devenu entre temps une crete, au niveau S9-S10 (dans les assises
internes uniquement; les cellules peridermiques sont toujours marquees). Dans
la raeme region, la synthese des proteines (etudiee au moyen d'un marquage par
la leucine tritiee) a diminue par rapport au reste de l'epiblaste.
L'etude histologique et autoradiographique de l'ebauche du membre
anterieur chez l'embryon de Lezard vert (Lacerta viridis L.) (Vasse & Raynaud,
1971), effectuee suivant les memes methodes, a montre au cours de la formation
de la crete apicale des phenomenes en tous points analogues. Chez l'embryon
598
J. V A S S E
d'Orvet {Anguis fragilis L.) (Raynaud & Vasse, 1970, 1971, 1972), revolution,
etudiee par l'histologie et l'autoradiographie, de la crete apicale (rudimentaire
chez cette espece) est la meme que celle d'une crete de membre anterieur normal;
cependant la synthese des proteines (etudiee au moyen du meme marqueur:
leucine tritiee) ne flechit pas brutalement bien que diminuee par rapport au
reste de l'epiblaste. L'etude autoradiographique du membre anterieur d'embryons de Poulet aux stades 19-21 HH traites a l'uridine et a la leucine tritiees
(Vasse & Raynaud, 1972 resultats non publies), nous a montre des resultats
comparables a ceux obtenus pour la crete des Reptiles avec un marquage dans
les assises internes de la crete devenant faible par rapport a l'epiblaste adjacent
aux stades 20-21 HH.
Nous avions admis (Raynaud & Vasse, 1972) que les variations des syntheses
d'ADN, d'ARN et de proteines peuvent etre en relation avec la differenciation
morphologique de la crete apicale chez l'Orvet et le Lezard vert; les observations faites chez les Cheloniens (Vasse, 1972) sont en accord avec cette maniere
de voir et il semble qu'il en soit de meme chez l'embryon d'Oiseaux; chez
l'embryon d'Orvet, comme l'a montre l'etude histologique (Raynaud, 1962), la
differenciation de la crete n'atteint pas le stade ultime ce qui expliquerait la
chute moins brutale de la synthese des proteines.
Quant aux relations mises en evidence par l'autoradiographie entre les variations que presentent les syntheses d'ADN, d'ARN et de proteines dans les cellules de la crete et le fonctionnement de la crete, il est actuellement difficile de
les interpreter. Les resultats obtenus par Saunders (1948), Zwilling (1961),
Bell, Gasseling, Saunders & Zwilling (1962), a la suite d'experiences d'ablation
de la crete apicale chez l'embryon de Poulet, demontrent le role de la crete dans
les premiers stades du developpement de l'aile. Cependant l'etendue de ce
role, d'une part, la nature de l'action de la crete d'autre part, sont interpreted
de facon variable par differents auteurs: pour Zwilling (1961), la crete n'agit pas
sur les facteurs entrant en jeu dans l'individualisation des differentes parties de
l'aile. Pour Milaire (1963), la crete a un role important non seulement dans
l'individualisation des differentes parties du squelette du membre mais aussi
dans la topographie des vaisseaux sanguins. Contrairement a Bell, Gasseling,
Saunders & Zwilling (1962) et Milaire (1963), Amprino (1964) n'admet pas une
action inductrice en retour de la crete; pour lui, elle agirait simplement biomecaniquement.
Dans l'hypothese de Faction inductrice en retour de la crete, on peut admettre
pour expliquer 1'evolution des marquages, une specialisation dans la synthese
des proteines: la synthese de la plupart des proteines serait bloquee, seules les
proteines inductrices seraient surtout finalement synthetisees (et en quantite
bien moindre que l'ensemble des proteines synthetisees par la cellule epiblastique non differencieee en cellule de crete); mais l'inducteur de la crete pourrait
etre une proteine n'ayant pas de leucine. Dans l'hypothese d'Amprino pour
lequel la crete ne synthetise pas d'inducteur, on pourrait interpreter la diminu-
Autoradiographie du membre d'embryons de Cheloniens
599
tion de synthese de proteines comme le prelude a la degenerescence de la
crete; elle precederait I'apparition de pycnoses dans la crete (Jurand, 1965).
L'etude autoradiographique ne permet pas de departager ces differentes conceptions. Mais de toute facon, etant donne que la reponse d'un tissu induit (mesoblaste) a un inducteui (crete apicale) demande quelques heures, les phenomenes
decrits dans les trois premiers stades de notre etude et en particulier l'apparition
des premieres regionalisations dans le mesoblaste peuvent se derouler sans
Pintervention d'une influence inductrice de la crete.
D'autre part, aux stades considered dans la presente etude, la region du
mesoblaste situee sous l'epiblaste parait homogene a l'autoradiographie: on
n'observe pas de zone sous la crete apicale differant par son marquage du reste
du mesoblaste sous-epiblastique.
RESUME
Des embryons de Cheloniens (Testudo graeca L., Emys orbicularis L.) du stade 20 somites
au stade 34 somites, fixes 2 a 4 h apres une injection de thymidine ou d'uridine ou de leucine
tritiees (emulsion exposee 12 a 14 jours), ont montre les resultats suivants:
(1) L'indice de marquage dans le mesoderme somatopleural au niveau S15-S16 reste egal
a environ 0,3 alors qu'il s'eleve a 0,4-0,5 dans la region prospective du membre anterieur au
moment du contact des prolongements somitiques avec la somatopleure et lors de leur
penetration dans l'ebauche; il semble que les somites induisent la proliferation de la somatopleure et la transformation des cellules somatopleurales en cellules mesoblastiques basophiles.
(2) L'extremite des prolongements des somites S6 a S12 prolifere des cellules qui se detachent
du somite et se multiplient. Les somites S6 a Si2 participent ainsi materiellement a la constitution du mesoblaste de l'ebauche du membre.
(3) Des regionalisations apparaissent dans le mesoblaste, sur des sections histologiques
transversales et d'autre part quand on etudie ces sections dans le sens cranio-caudal.
(4) Une crete epiblastique, ebauche de la crete apicale, se forme au stade 26-27 somites la
ou les cellules mesoblastiques sont plus nombreuses et plus actives (entre les somites S8 et S n ).
Au stade 28-29 somites, cette ebauche de crete synthetise peu d'ADN; et au stade 34 somites,
les syntheses d'ARN et de proteines decroissent egalement.
Ces resultats sont compares aux resultats obtenus chez d'autres embryons de Reptiles et
chez Tembryon de Poulet, a la lumiere des theories sur le role des somites et de la crete apicale
dans le developpement de l'ebauche du membre anterieur.
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