
souffrance et la mort et que la société a besoin d’avoir sous les yeux cette gure 
de repoussoir qu’est le clochard pour s’en rappeler. Sans ça, les citoyens que 
nous sommes n’accepteraient plus quotidiennement les contraintes de temps, 
d’espace, d’horaires de travail, auxquels nous sommes soumis. Il dit donc que 
nous avons besoin des clochards, qu’ils sont un élément essentiel pour que la 
société fonctionne. Ce qui évidemment est une idée insupportable puisque la 
réalité concrète de ce dont on parle est une abomination. Declerck décrit très 
bien dans « Les Naufragés » ce que ça signie que de devoir quotidiennement 
se cacher entre deux voitures pour déféquer, quotidiennement faire gaffe aux 
deux ou trois choses que l’on possède de peur de se les faire piquer, l’horreur 
de l’alcool à la rue, l’horreur de la vie à la rue. Le fait d’avoir rencontré l’écriture 
de Patrick Declerck a été déterminant dans la conception du spectacle, parce 
qu’il s’agit aussi d’écriture, il connaît son sujet mais c’est aussi une plume, 
il possède un vrai souci de la forme pour faire passer son travail ; c’est une 
énergie. Je ne fais pas un théâtre documentaire, même s’il y a des aspects 
documentaires dans ce que je fais. Ce qui m’intéresse, c’est aussi la forme : 
comment mettre en place quelque chose de juste sur ce sujet précis. Même 
s’il se dit pessimiste et qu’il l’est indubitablement, il y a une pulsion de vie très 
forte dans l’écriture de Declerck, une rage qui permet que ce soit tout de même 
supportable de vivre, malgré l’insupportable. 
Sur la forme de Dehors
On ne fait pas des choses compliquées à recevoir même si elles sont parfois 
compliquées à construire. Dehors est un spectacle construit en deux temps. 
Dans le premier temps les acteurs et les spectateurs partagent le même espace 
sur scène, où des paroles de sans-abris sont transmises (même si je ne fais 
pas un théâtre naturaliste : il n’est pas question d’incarner des clochards, les 
acteurs sont là en tant qu’eux-mêmes). Dans le deuxième temps, on essaie 
de décortiquer comment ces paroles peuvent naître au travers de plusieurs 
situations emblématiques, et surtout comment les acteurs se débrouillent 
avec le fait de devoir gérer ça. Cette deuxième partie est chronométrée : un 
grand décompte commence à 5000 secondes et court jusque zéro, comme 
cela se fait souvent dans les émissions de télévision ou de radio. Ce sera le 
temps qu’on aura pour tenter de faire le tour du sujet. Je ne dévoile pas grand 
chose en avouant qu’on n’y arrivera pas.  L’ensemble des scènes du spectacle 
est tiré au sort. Une vasque contient des papiers avec toutes les scènes qui 
ont été conçues, préparées et répétées. Chaque soir, l’ordre des scènes est 
aléatoire selon le tirage au sort. Il ne s’agit pas seulement de chercher à être 
ludique mais aussi de remettre au premier plan une série de thématiques, pour 
certaines empruntées à Patrick Declerck : une interrogation sur la volonté, 
par exemple. Dans le prolongement de Schopenhauer et Nietzsche, Declerck 
explique à quel point le concept de volonté peut s’avérer creux et inopérant. On 
entend souvent « quand on veut, on peut » mais ce n’est pas souvent vrai. Ce 
qu’on appelle « volonté » n’est souvent que le plus profond de nos désirs mais 
on ne maîtrise pas ses désirs, il est peut-être donc illusoire de penser qu’on est 
maître de son destin... Le décompte afché, le tirage au sort des scènes, entre