D’aucuns, comme le candidat socialiste fran-
çais Benoît Hamon et l’eurodéputée
luxembourgeoise Mady Delvaux, suggè-
rent que l’on instaure une «taxe sur les
robots». Peut-être s’agit-il d’une nouvelle preuve
du fait que la créativité des politiciens ne s’ex-
prime qu’à l’occasion de la création de nouvelles
taxes. Sans doute faut-il aussi relever que l’idée
de taxer des machines, qui ne protestent pas et
ne votent pas, peut enthousiasmer certains, même
s’il faut bien que le débiteur de la taxe soit un être
humain ou une société dont les associés sont aussi
des êtres humains...
Le raisonnement suivi est en général le sui-
vant. Certains craignent que les robots prennent
progressivement la place des travailleurs dans
de nombreux secteurs de l’économie. Selon eux,
c’est déjà le cas dans l’industrie et cela devrait
l’être également, de plus en plus souvent, dans
les services. Ils considèrent alors que l’emploi
en général est fatalement destiné à diminuer, et
qu’un nombre croissant de personnes se retrou-
vera au chômage. L’idée est alors de taxer le tra-
vail des robots, à la fois pour dissuader de leur
utilisation et pour maintenir des emplois pour
les humains. Il s’agit aussi, pour les partisans de
cette taxe, de financer un «revenu universel»
permettant d’assurer un montant minimum de
revenus aux personnes qui n’auront plus de tra-
vail. On confirme ainsi au passage que l’alloca-
tion universelle n’est pas concevable sans un
accroissement des impôts.
On peut d’abord répondre qu’il est loin d’être
certain que les robots, dès aujourd’hui, prennent
du travail aux êtres humains. Le chômage est
certes important dans certains pays d’Europe,
comme la France, l’Espagne ou la Grèce, mais ces
pays utilisent plutôt moins de robots que des
contrées où le chômage a beaucoup baissé et
où l’on est proche du plein emploi, comme
l’Allemagne, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis.
Le démographe Alfred Sauvy avait remarqué
que le progrès au cours du dernier siècle avait
correspondu à une diminution massive des
emplois dans l’agriculture, compensée par un
accroissement du travail dans l’industrie, puis
par une réduction des emplois industriels, com-
pensée, là aussi en raison de l’utilisation de
machines, par l’arrivée de nouveaux emplois dans
le secteur des services. On peut espérer que l’uti-
lisation de robots dans l’industrie et dans les ser-
vices entraînera la création d’autres emplois,
notamment dans l’économie numérique ou dans
l’économie collaborative.
La vraie question est donc de savoir comment
on fera pour que les travailleurs s’adaptent,
parce qu’il est probable qu’il y aura moins d’em-
plois non qualifiés, et un plus grand nombre qui
requerront des connaissances ou un savoir-faire
spécialisés.
On se heurterait de plus au problème de la défi-
nition d’un robot. S’il s’agit d’une machine qui
effectue le travail d’un être humain, n’importe
quel ordinateur, ou même une calculatrice, une
éolienne, ou n’importe quel moyen de transport
pourrait être considéré comme un robot. Et si on
définit celui-ci sur la base de critères plus res-
trictifs, il y a de fortes chances pour qu’il soit ins-
tallé là où la taxe qui le frappe ne sera pas en
vigueur. On reproduira ainsi des situations qui se
sont déjà réalisées dans d’autres domaines: à force
de taxes, de charges et autres cotisations, on trans-
forme une région en un désert économique. Les
robots partis ailleurs continueront à produire,
mais cela ne donnera aucun travail à ceux dont
on prétend qu’ils auraient pris les emplois.
Il est d’ailleurs significatif que l’idée de taxer
les robots soit associée, presque systémati-
quement, à celle de l’allocation universelle. On
part du principe que, désormais, il ne faudra plus
travailler pour gagner sa vie, ce qui fait plaisir
à beaucoup de monde. Mais il est simpliste de
croire qu’il suffira de faire travailler des
machines. La réalité est que les taxes sont tou-
jours payées par des êtres humains, et, sou-
vent, répercutées par eux sur d’autres êtres
humains, essentiellement les consommateurs.
Les machines ont permis une diminution
extrêmement sensible du coût de la vie dans
les dernières décennies. La proposition de
taxer les robots est non seulement une lutte
contre le progrès, mais une manière pour les
Etats de tenter de s’approprier tout ou partie
des gains de productivité que ces machines
permettent. Et cela revient toujours à
créer de nouvelles recettes pour les
Etats, au détriment des travail-
leurs et des consommateurs.
z
actu fiscalité
INDUSTRIE
FAUT-IL TAXER LES ROBOTS?
La proposition
de taxer les robots
est non seulement
une lutte contre
le progrès, mais
une manière pour
les Etats de tenter
de s’approprier
tout ou partie
des gains
de productivité
que ces machines
permettent.
THIERRY AFSCHRIFT
Professeur
ordinaire
à l’ULB