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UN GENTILHOMME GASCON BU XV° SIÈCLE
JEAN D'ARMAGNAC
SEIGNEUR DE SAINTE-CIIR!STJE, EN ARMAGNAC
PAR
J. DE CARSALADE DU PONT
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ATICII
IMPRIMERIE ET LITHOGRAPHIE G. FOIX, RUE BALGUERIE
1890
Document
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-
UN GENTILHOMME GASCON DU XV
0
SIÈCLE
JEAN D'ARMAGNAC
SEIGNEUR DE SAINTECHRISTJE, EN ARMAGNAC
(1)
•1
Eu l'année mil quatre cent cinquante-cinq vivait, à la
cour de Monseigneur Jehan comte d'Armagnac, un page.
jeune, intrigant, plein de ruse et d'audace, beau joueur,
aimant follement les dés et les dames, piaffeur et arrogant
comme un prince, au demeurant joyeux compagnon, un
vrai page de Gascogne. On ne savait d'où il venait. li avait
paru un jour à la cour de Lectoure, portant le nom du
comte régnant; en avait-il le droit, ou était-ce une usurpa-
tion? Nul ne pouvait le dire; il s'appelait Jean d'Armagnac,
et si quelqu'un eût voulu lui contester ce droit, il eût chère-.
ment payé son audace.
li portait à la fortune une terrible rancune. L'ingratitude
des princes et l'oubli des hommes avaient mis dans son
coeur une soif de revanche qu'il s'était promis d'éteindre;
les uns et les autres allaient compter avec lui et payer à ses
vingt ans la misère et les souffrances de ses premières années,
(1) Les documents qui ont servi à écrire cette histoire sont conservés aux
archives de Pau, carton E. 284. Ils forment un gros dossier intitulé:
P,'ocês de
Sainte-G/zristie. Ce sont des actes authentiques, des mémoires, des requêtes,
des arrêts du Parlement, etc. Le procès eut lieu de 1518 à 1534 entre Main
d'Albret, d'abord, puis entre son petit-fils, fleuri d'Albret, roi de Navarre, et
Jeanne d'Armagnac, daine de Sainte-Christie. Nous cri ferons l'histoire dans la
seconde partie de ce travail.
-6---
Son his toi re était lamentable. Ceux des vieux gentilshommes
qui avaient vécu sous le connétable d'Armagnac auraient
pu en dire long sur les malheurs tic sa famille, si(quarante
années d'exil et d'oubli, dans un pays où l'on avait plus
le culte de l'épée que celui de la plume et où les chroniqueurs
étaient rares, n'eussent effacé les anciens souvenirs. Mais
lui, il n'avait rien oublié.
Armagnac, il l'était, et de sang et d'allure. Ses aïeux,
détachés au
XIVe
siècle du rameau des seigneurs et barons
de Termes, avaient été apanagés de la terre de Sainte-Clins-
tic, près Nogaro. L'un d'eux, Bertrand, homme prudent et
sage, s'insinua si avant dans l'amitié du conn&.able d'Arma-
gnac, que le bruit était dans toute la Gascogne qu'il gouver-
iiaitMoneigneur le Comte. li fut gravement compremis dans
de drame sanglant qui se termina en 4402, par la mort du
comte
de:
Pardiac et de ses deux fils (4). Les deux enfants
lui avaient été confiés; il avait juré d'en répondre sur son
honneur et sur ses biens. Le connétable, gêné dans ses pro-
jets par Phonnête gentilhomme, prétexta des affaires pres-
santes en Espagne, et l'y envoya en qualité d'ambassadeur.
Confiant dans son maître, Bertrand lui remit la garde des
pupilles et passa les monts. Mais à peine était-il parti, que
le cruel et félon connétable les fit jeter en prison, et sans
égard poule sang d'Armagnac qui coulait dans leurs veines,
les condamna au supplice de la faim. Les pauvres enfants
furent réduits dans leur détresse à manger les doigts de
leurs mains et moururent misérablement (2).
(1)
Voir
Documents retat/
Vs â la chuta &Armagnac-Fee,t;a9uct
et à
la
mort du comte de Pardiac,
par Ni. Paul Durieu.
(2)
Le P. Anselme (11.1. p. 435) donne un récit dramatique de l'arrestation
des jeunes Pardiac; il accuse Bertrand de les avoir livrés et le qualifie par erreur
de batard.
Jeanue d'Armagnac justifie, dans son Mémoire, son aïeul de ce
crime. Voici le texte de son récit:
e ...
Dictas cornes Armanliaci misit eumdem
lertrandum ad partes et regnum Yspanie pro aliquibus suis negociis et aflariis,
dictis pupillis in suo regimine existentibus, quos rernisit et come]ldaviv dicto
comiti tanquam sors, qui respondit quod non egebant conicudatione quia
ilios tanquam suos consanguineos volebat nutrire et custodire, licet fecerit
—t—
Le gentilhomme :apprit à son-retour d'Espagne l'horrible
trahison de son maître; il fut désespéré, demanda son
congé et rentra dans ses terres. Il n'y fut pas longtemps en
paix. Les parents des malheureuses victimes firent peser sur
lui la responsabilité du crime, et jurèrent de venger dans
son sang la mort des enfants de Pardiac. Accusé de félonie,
poursuivi devant le conseil du Roi, déshonoré, n'ayant de
sûreté ifi en Gascogne ni en France, Be
,
rtrand, pour échapper
à la haine de ses ennemis, fut réduit à s'expatrier. Il rassem-
bla ses vassaux de Sainte-Christie, leur, fit de touchants
adieux et, malgré leurs supplications, patit pour l'Angle-
terre (. Il ne revit plus la Gascogne; la mon le frappa sur
la terre étrangère. Sa veuve, chassée de Sainte-Christie, dont
le connétable s'était emparé, emprisonnée à Estang, réduite
à la dernière misère, vendit ses robes et ses joyaux pour
donner du pain à ses deux enfants et finalement passa elle
aussi en Angleterre.
Le fils aîné de Bertrand se maria de l'autre côté du détroit
et y mourut dénué de terre et d'argent, laissant à son fils
pour tout héritage son nom : JEAN D'ARMAGNAC. C'est notre
héros. Je ne sais s'il eut la pensée de prendre comme ce fils
d'Angleterre dépossédé le nom de
Jean sans Terre,
niais à
coup sûr, jamais pareil surnom n'eût été mieux porté, car
il n'avait pas de terre à lui la largeur de ses pieds. C'est
pourquoi il passa la mer et vint en Gascogne.
Le connétable n'était plus, il avait trouvé la mort à Paris
dans une émeute populaire. Son fils Jean IV, après un règne
de trente ans et des malheurs de tout genre, avait fini ses
contrarilini. Et post recessum die.t-i l3ertrandi, dictus cornes reelusit dictos
pipillos in quadarn eame/a absque co qiiod permiteret quod nullus eis daret
alimenta aliqua, yrno emnia fnerunt eis t.aliter denegata quod ad causant
Minis fuerunt adstricti
CL
cornpulsi comedere digues et corum marins, quod erat
va]de borribile et inhumanum, et flualiter ad causant tamis mort' fuerunt sic
miserabiliter et erudeliter traditi. » (Mob. de Pau, E. 284).
(I) Nous donnons plus loin, dans la seconde partie de cette étude, le texte de
la scène qui se passa entre Bertrand et ses vassauf.
-
-8-
jours à l'Isle-Jourdain, et Jean V venait d'inaugurer son règne,
que. devait terminer à bref délai la plus épouvantable calas-
trophe. À la cour du nouveau comte, la vertu n'était pas le
saint que l'on chômait. Le jeu, le vin, la table et l'amour y
-comptaient plus de partisans que Dieu n'y avait d'adorateurs,
et Monseigneur y tenait la tête autant par le rang de sa
naissance que par le dérèglement de ses moeurs. C'était le
maître qu'il fallait à notre gascon : il entra à son service.
Son arrivéeàla cour fut misérable. 'Il estoit pauvre garçon,
mal habillé, ne sachant la langue du pays, et les autres
serviteurs se mouquoient de luy, mais il profita tant par son
subtil ingein qu'il apprit à parler le françois, gascon et autres
langages (4), » et s'insinua si bien dans l'esprit du comte
qu'il devint
en
peu de temps son favori. II avait d'ailleurs,
nous l'avons dit, toutes les qualités pour occuper cette place:
intrigant, rusé, joueur, débauché, peu scrupuleux, peu
soucieux de l'honneur; ni âme, ni conscience, un parfait
Côurtisan.
Pour ses débuts, Jean d'Armagnac courtisa la maitresse
de Jean V, Huguette de la Rosière, l'enleva et l'épousa (2).
Ce trait d'audace mit le comte en fureur. Le favori fut chas-
sé de la cour et banni de la Gascogne. Mais sa disgrâce fut
de courte durée. Ce n'était pas la peine, d'ailleurs, de se
brouiller pour si peu; les deùx amis se réconcilièrent. Quel
fut le prix de cette réconciliation? « La ribàude et concubine
de Monseigneur Jebau » nous l'aurait peut-être appris si elle
avait laissé des mémoires; on le devine quand même; il est
sûr qu'elle et son mari furent plus choyés que jamais et
que le comte, « pouce qu'il les vouloit bien traiter et entre-
(t) Mémoire d'Alain d'Albret, Areli. de Pau, E. 284
(2) Main d'Albi-et traite fort mal, dans son mémoire, cette maitresse de
Jean V. « Elle portoit, dit-il, grand estat et avoit coustume dcstre bien nourrie
du temps qu'elle estoit entre les mains dudit comte d'Arma],hac » et il ajoute
qu'il fallait que Jean ('ne Lut pas gentilhomme ains homme de basse cou-
dition puysqu'il espousa ceste ribaude et putain. »
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