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LES CAHIERS DE
COMPRENDRE
N°10 - DÉCEMBRE 2016
INTRODUCTION
Concilier développement économique et préservation de
la biodiversité ; tel est le challenge que les Etats se sont
fixés lorsqu’ils signent la Convention sur la Diversité
Biologique en 1992 lors du Sommet de la Terre de Rio de
Janeiro. Depuis lors, les 193 pays signataires de ladite
convention se réunissent tous les deux ans, lors de la
Conférence des Parties (COP), afin de partager leurs
expériences et de définir les contours de leur politique de
préservation de la biodiversité. Dans le cadre de la COP10
qui s’est tenue à Nagoya en 2010, les Parties adoptent un
Plan Stratégique pour la biodiversité 2011-2020 compre-
nant vingt objectifs : les Objectifs d’Aichi. Afin d’assurer le
financement de ce plan stratégique, le dernier objectif en
appelle à la Stratégie de mobilisation des ressources, déjà
définie par la COP9. Cette stratégie propose notamment
d’étudier des « mécanismes de financements nouveaux
et novateurs » afin de freiner la perte de biodiversité d’ici
2020 (COP9, 2008).
La compensation écologique, déclinaison du principe
pollueur-payeur pour la biodiversité, est identifiée comme
l’un de ces mécanismes. Lorsqu’elle relève d’une obliga-
tion réglementaire, son principe de base est le suivant.
Dans le processus de conception des projets, le maître
d’ouvrage doit intégrer l’environnement dès les phases
amont (choix du type de projet, de sa localisation, solu-
tions techniques, etc.). Pour ce faire, une évaluation de
l’impact du projet sur l’environnement doit être réalisée.
Cette étude d’impact doit notamment intégrer la prévision
de mesures permettant tout d’abord d’éviter au maximum
d’impacter la biodiversité, puis de réduire au mieux les
impacts qui ne peuvent pas être évités. Si, malgré ces me-
sures d’évitement et de réduction, il persiste des impacts
résiduels, alors l’aménageur doit prévoir de les compenser
en conduisant des actions positives pour la biodiversité.
C’est ce que l’on appelle la séquence « éviter, réduire, com-
penser ». La particularité des mesures compensatoires est
qu’elles sont le plus souvent distantes du lieu d’impacts.
Enfin, à la lumière des dossiers ainsi constitués et des avis
des organismes spécialisés consultés, l’autorité adminis-
trative prend la décision d’accepter ou non le projet.
Ainsi, la compensation écologique peut se définir comme
un ensemble d’actions en faveur des milieux naturels,
permettant de contrebalancer les dommages causés par
la réalisation d’un projet et qui n’ont pu être suffisamment
évités ou réduits. Ces actions, appelées mesures compen-
satoires, doivent générer un gain écologique au moins
égal à la perte n’ayant pu être évitée ou réduite, afin d’at-
teindre l’objectif : pas de perte nette de biodiversité (
no net
loss
). L’idée sous-jacente est de permettre la réalisation
d’aménagements nécessaires à notre développement sans
continuer à générer un appauvrissement de la biodiversité,
en prenant en compte la notion de fonctions écologiques.
En France, l’obligation du respect de la séquence « éviter,
réduire, compenser » découle de la loi du 10 juillet 1976
relative à la protection de la nature ainsi que du droit
communautaire, et a été réaffirmée dans la Loi pour la
reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages
promulguée le 8 août 2016. Cependant, tant dans sa
mise en œuvre que dans les concepts scientifiques qui la
sous-tendent, la compensation écologique pose encore
de nombreuses questions. Comment dimensionner les
mesures compensatoires ? Comment les mettre en œuvre,
s’assurer de leur pérennité, les doter des mécanismes
de suivi et de contrôle adéquats ? Sans obérer le fait que
les mesures compensatoires ne sont pas la solution pour
tous les projets et qu’elles ne deviennent réalisables que
si elles sont admissibles. Dans le cas contraire, le projet
devrait être remis en cause.
Afin d’alimenter la réflexion visant à structurer les actions
de compensation à l’échelle française, cette étude détaille
les approches de la compensation écologique mises en
œuvre à travers le monde, sur la base d’une analyse de la
littérature scientifique et d’une consultation d’acteurs(1).
Elle se concentre sur un échantillon de onze pays, dis-
persés sur les cinq continents et qui semblent les plus
pertinents à étudier au vu de leurs réglementations et
pratiques. Il s’agit des pays suivants : Etats-Unis, Canada,
Australie, Allemagne, Pays-Bas, Espagne, Royaume-Uni,
Luxembourg, Brésil, Inde et Afrique du Sud.
Cette étude se décline en trois grands axes. La première
partie aborde l’émergence du concept de compensation
écologique et fait état de son développement, aussi bien
quantitatif que qualitatif, dans la deuxième moitié du XXe
siècle. Puis, la seconde partie s’intéresse à la pluralité des
mesures compensatoires mises en œuvre à l’échelle natio-
nale dans les différents pays précédemment évoqués et
aux difficultés rencontrées par les Etats quant à leur mise
en œuvre. Enfin, la dernière partie croise les modalités de
conception et de suivi des mesures compensatoires identi-
fiées dans chacun des pays étudiés pour conclure sur une
série de réflexions sur le cadre français.
(1) Consultation menée de mai à juillet 2015, complétée par une mise à jour réglementaire
en juillet 2016. La liste des experts locaux interrogés ainsi que les questionnaires transmis
sont présentés en annexe.