SURVEILLANCE DES CANCERS DU TUBE DIGESTIF Professeur Serge ROHR*, B. ROMAIN*, P. DUFOUR ** - *Service de Chirurgie Générale et Digestive, Hôpital de Hautepierre - **Centre Régional de Lutte contre le Cancer Paul Strauss 1. CANCER DE L’OESOPHAGE • Anatomopathologie On distingue 2 grands types de cancer de l’œsophage : le carcinome épidermoïde et l’adénocarcinome. Le carcinome épidermoïde touche préférentiellement l’homme et est largement favorisé par l’intoxication alcoolo-tabagique. Il apparaît sur des lésions dysplasiques et peut toucher tout l’œsophage. Ces données expliquent la nécessité de rechercher des cancers associés (ORL -bronchique) lors du diagnostic et lors de l’évolution (20% des cas). La surveillance de l’œsophage restant après chirurgie nécessitera une surveillance endoscopique. L’adénocarcinome a une incidence qui augmente. Il se développe préférentiellement dans le tiers inférieur de l’œsophage à partir d’endo-brachy-oesophage (correspondant à une métaplasie cylindrique de l’œsophage) favorisé par le reflux gastro-œsophagien. La persistance de lésions d’endo-brachy-oesophage après chirurgie nécessitera de poursuivre une surveillance endoscopique. • Histoire naturelle L’extension locale se fait vers les tissus avoisinants (trachée, veine cave, aorte, récurrent gauche (qui passe sous la crosse de l’aorte) et récurrent droit (qui passe sous la sousclavière droite). • L’extension ganglionnaire Le siège des métastases est essentiellement le foie, les poumons, le rein et les os. Le pronostic dépend bien évidemment du M mais également du T et du N (dans les formes chirurgicales). • Traitement Le traitement curatif est chirurgical : chirurgical exclusif dans les « petites tumeurs » T1 ou T2 sans adénopathie métastatique (N0) et sans métastases à distance et chirurgical avec radio-chimiothérapie néo-adjuvante. Ce traitement chirurgical comportera une oesophagectomie subtotale avec curage ganglionnaire et reconstruction employant habituellement l’estomac (plus rarement le côlon). Des complications tardives peuvent être à type de sténose de l’anastomose. Il faudra dans ces cas faire la part de ce qui est lié à la chirurgie, des traitements néo-adjuvants (radiothérapie) et à l’évolution tumorale. Les patients ne pouvant pas être opérés en raison du terrain sont traités par radio-chimiothérapie exclusive. Les résultats sont spectaculaires avec des taux de réponse de 60% et une stérilisation dans environ un tiers des cas. Les guérisons (absence de récidive et de métastases à 5 ans) correspondent à environ 20% des cas. • Survie La survie à 5 ans (traitement chirurgical ou chirurgie + radio-chimiothérapie) est de 20% à 30%. Il est très bon dans les formes classées pT1N0M0 (p = statut postopératoire) et dépend beaucoup du N (nodules ou ganglions). • Surveillance La surveillance recherchera une récidive locale et/ou des métastases à distance. Dans les deux formes de cancer de l’œsophage, la surveillance est uniquement clinique. Les examens complémentaires sont réalisés s’il y a des signes d’appel. Cette surveillance clinique comporte un interrogatoire à la recherche d’une dysplasie, appréciera précisément l’état général (la courbe de poids est le meilleur indicateur simple de l’état général). En présence d’une chute de la courbe pondérale, il conviendra de bien préciser l’état dentaire. L’interrogatoire recherche des manifestations de reflux et s’assure que le malade dort en position ½ assise si une intervention de Lewis Santy a été réalisée (en raison des risques d’inhalation nocturne du fait de la position haute de l’anastomose oeso-gastrique). Il est souvent utile de prescrire de l’ERYTHROMYCINE à dose pédiatrique (4 x 125 mg pour un adulte de 75 kg) pour accélérer le péristaltisme gastrique et ceci pendant 1 an. L’interrogatoire recherche des manifestations ORL ou broncho-pulmonaire en présence d’un cancer épidermoïde traité (en raison de la présence dans 20% des cas de cancers synchrones). L’examen clinique comporte une pesée systématique, recherchera une adénopathie susclaviculaire gauche, une hépatomégalie, une ascite ou un nodule de carcinose au toucher rectal. L’examen clinique sera fait tous les 3 mois pendant 1 an puis tous les 6 mois jusqu’à 5 ans. • Examens complémentaires Sur le plan biologique, un dosage des marqueurs tumoraux peut être réalisé s’il était élevé en pré-thérapeutique : ACE dans l’adénocarcinome et le SCC (Squamous Cell Carcinoma) dans le cancer épidermoïde. En cas de suspicion de récidive locorégionale ou de métastases à distance, le scanner cervico-thoraco-abdominal est l’examen à faire en première intention. L’endoscopie digestive haute est à réaliser en présence d’une dysplasie. Une endoscopie annuelle est utile s’il existe un endo-brachy-oesophage sur l’œsophage résiduel. 2° CANCER DE L’ESTOMAC Son incidence globale a diminué avec néanmoins une augmentation progressive des cancers indifférenciés. • Anatomopathologie On distingue des formes différenciées et des formes à cellules isolées en bague à chaton (cancer indifférencié). La linite plastique est une forme macroscopique d’un cancer à cellules isolées associée à un stroma, réaction intense donnant l’aspect et la consistance du lin. • Histoire naturelle L’extension locale se fait vers le reste de l’estomac pouvant toucher tout l’estomac dans les cancers indifférenciés même très localisés. La dissémination lymphatique se fait vers les chaines ganglionnaires péri-gastriques puis vers les ganglions axillaires et cervicaux. Des métastases par dissémination hématogène se localisent préférentiellement au foie, au poumon mais également aux os et au cerveau. L’atteinte péritonéale (carcinomatose) est fréquente dans les formes indifférenciées. Les métastases ovariennes (tumeur de Krukenberg) sont classiques et peuvent être le mode de découverte de la maladie. • Pronostic L’extension pariétale (T) et l’envahissement ganglionnaire sont des facteurs pronostiques importants. La présence de métastases à distance ou d’une carcinomatose rend le pronostic très péjoratif. Une bonne différenciation anatomopathologique est un élément de pronostic plus favorable. Une résécabilité chirurgicale complète (absence de récidive microscopique = résection R0) est un élément important au pronostic. • Traitement Le traitement curatif du cancer de l’estomac associe habituellement une chimiothérapie néo-adjuvante (3 cures), une chirurgie, puis une chirurgie adjuvante (3 cures). Seules les formes superficielles seront traitées par chirurgie seule. Les formes métastatiques sont traitées par chimiothérapie. La chirurgie n’a d’intérêt dans un but palliatif qu’en présence d’une tumeur obstructive ou d’une occlusion. La chirurgie curative est à type de gastrectomie totale ou subtotale en emportant les ganglions péri-gastriques et des artères du tronc cœliaque. Les cancers à cellules isolées seront traités par gastrectomie totale. La splénectomie ne sera que réalisée en présence d’un cancer de la grosse tubérosité. Cette splénectomie est faite pour faciliter le curage du pédicule splénique. Les tumeurs métastatiques possédant des récepteur HER2 peuvent bénéficier d’un traitement cible par TRASTUZUMAB (HERCEPTIN). • Survie La survie tous stades confondus est de l’ordre de 10%. La survie dans les formes localisées ayant été traitées par chimiothérapie et chirurgie est de l’ordre de 30 à 40%. • Surveillance La surveillance est essentiellement clinique. Les examens complémentaires seront faits sur les signes d’appel clinique. L’interrogatoire est essentiel. Les signes généraux (asthénie, anorexie) ont une place importante dans le suivi. L’examen clinique s’attachera à évaluer la courbe de poids, à rechercher une masse abdominale, une hépatomégalie, une ascite, un nodule au toucher rectal, un gros ovaire, des métastases ganglionnaires notamment axillaires et cervicales. Cet examen clinique sera fait tous les 3 mois pendant 1 an puis tous les 6 mois pendant 5 ans. Un traitement par vitamine B12 sera instauré à vie (soit 1 injection de 1000 gamma de vitamine B12 en intramusculaire par semaine). En présence d’une gastrectomie partielle, une endoscopie haute sera faite annuellement pendant 5 ans puis tous les 10 ans. En cas de splénectomie, il conviendra d’administrer de la PENICILLINE V 1 MUI 2 fois/jour pendant 2 ans (en présence d’une allergie à la PENICILLINE, aucun antibiotique ne sera administré). La splénectomie nécessite une quadruple vaccination antipneumococcique, contre l’Haemophilus Influenzae, contre le Méningocoque A et C et la grippe avec un rappel de vaccination tous les 3 à 5 ans pour le vaccin contre le pneumocoque, tous les 10 ans contre l’Haemophilus Influenzae et tous les 3 à 5 ans contre le Méningocoque A et C, et annuel pour la grippe. 3° FORME PARTICULIERE : TUMEUR STROMALE OU GIST (Gastrointestinal Stromal Tumor) Il s’agit d ‘une tumeur à malignité intermédiaire qui se localise principalement à l’estomac (70%) plus rarement à l’intestin grêle ou au côlon. Cette tumeur se caractérise sur le plan biologique par une forte expression du récepteur C-KIT. Ces tumeurs métastasent au foie, au poumon et au péritoine. Elles sont de meilleur pronostic que les adénocarcinomes de l’estomac. • Traitement Le traitement associe de la chirurgie et des thérapies ciblées (IMATINIB, SUNITINIB). Le traitement chirurgical nécessitera une exérèse de la tumeur avec des marges saines, sans curage ganglionnaire. De ce fait, des exérèses atypiques de l’estomac pourront être réalisées. Les thérapies ciblées (IMATINIB, SUNITINIB) ont modifié le pronostic des formes avancées ou métastatiques autorisant des survies sur des années. Ces thérapies ciblées sont préconisées dans les formes localisées à fort potentiel de récidive (traitement par IMATINIB pendant 3 ans). • Surveillance La surveillance est identique à celle des adénocarcinomes de l’estomac en se rappelant que les gastrectomies sont habituellement partielles. La vitamine B12 sera prescrite dans les gastrectomies totales mais également dans les résections gastriques emportant la grande tubérosité de l’estomac (disparition du facteur intrinsèque). Dans les formes métastatiques, les effets des thérapies ciblées sont souvent visibles sur les scanners habituels de manière retardée. La persistance d’images métastatiques au scanner ne signifie pas une évolutivité de la maladie. 4° CANCER COLIQUE Il s’agit du cancer le plus fréquent en France avec un diagnostic de plus en plus précoce grâce au programme national de dépistage par test Hemoccult. • Anatomopathologie Il s’agit dans la majorité des cas d’adénocarcinomes localisés dans 60% des cas au niveau du colon gauche. Ces cancers se développent dans 85% des cas à partir d’adénomes. Ces adénomes surviennent sporadiquement ou plus rarement dans le cadre d’une polypose familiale. La durée moyenne de la dégénérescence d’un polype adénomateux en adénocarcinome est de 5 à 10 ans. Dans 15% des cas les cancers se développent sur les lésions dysplasiques (dans le cadre d’altérations de gènes de réparation pouvant survenir dans le cadre d’un syndrome héréditaire – syndrome de Lynch). Ces cancers intéressent plutôt le côlon droit. • Histoire naturelle Il s’agit d’événements transformant un adénome en dysplasie modérée puis sévère puis en adénocarcinome. Les adénocarcinomes coliques métastasent préférentiellement au foie et au poumon. Les métastases péritonéales et ovariennes ne sont pas exceptionnelles. Les métastases osseuses et cérébrales sont rarement rencontrées. • Facteurs pronostiques Le pronostic dépend du stade TNM en particulier l’existence de métastases viscérales et d’un envahissement ganglionnaire. Le jeune âge du patient et les tumeurs opérées en urgence (occlusion – perforation) sont des facteurs de mauvais pronostic. Certains facteurs sont controversés comme la présence d’angio-invasions ou le degré de différenciation cellulaire. • Traitement Le traitement curatif repose sur la chirurgie à type d’hémicolectomie réalisée par laparotomie ou laparoscopie. Les métastases hépatiques pulmonaires ou péritonéales peuvent faire l’objet d’exérèse autorisant même dans ces situations avancées la guérison du patient. Cette chirurgie est souvent associée à une chimiothérapie adjuvante dans les cancers coliques avec métastases ganglionnaires, néoadjuvante et adjuvante dans les formes métastatiques, encadrant ainsi le geste opératoire. Les nouvelles chimiothérapies avec un anticorps monoclonal dirigé contre le VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor) ont permis des progrès importants dans la rémission des patients et, associées à la chirurgie, à la survie sans récidive. • Surveillance La surveillance des cancers coliques repose sur le fait que les métastases peuvent grâce à la chirurgie et la chimiothérapie être traitées de manière curative. De ce fait cette surveillance comportera de manière régulière des examens morphologiques. Le risque de rechute ou de métastase est très faible après la 5ème année. L’examen clinique est à faire tous les 3 mois pendant 3 ans puis tous les 6 mois pendant 2 ans. L’imagerie est faite chez les patients pouvant être réopérés en présence de métastases. Une échographie hépatique sera faite tous les 3 mois pendant 3 ans puis tous les 6 mois pendant 2 ans. Un scanner abdomino-pelvien peut être une alternative en présence d’une échographie non performante ou après le traitement chirurgical de métastases hépatiques. La radiographie pulmonaire sera faite une fois par an pendant 5 ans. Un scanner thoracique peut remplacer la radiographie pulmonaire. La coloscopie sera faite à 3 ans puis tous les 5 ans. En présence d’une coloscopie initiale incomplète, le contrôle coloscopique sera fait à 3 ou 6 mois. S’il existe des adénomes ou une tumeur villeuse, le contrôle sera fait à 1 an. Le dosage de l’ACE est optionnel. Il est utile en cas d’élévation initiale pour suivre l’évolution. Le morpho-TEP n’est pas un examen de surveillance. Il est indiqué en cas d’élévation de l’ACE avec imagerie conventionnelle normale. 5° CANCER DU RECTUM Le cancer du rectum est moins fréquent que le cancer du côlon. Sur le plan anatomopathologique, il s’agit préférentiellement d’un adénocarcinome. Les cancers du rectum se développent rarement sur des polypes adénomateux. • Histoire naturelle Les adénocarcinomes du rectum métastasent comme les cancers du côlon préférentiellement au foie et au poumon. Les métastases péritonéales et ovariennes sont également possible. Les cancers du rectum se caractérisent par une extension locorégionale rapidement symptomatique avec envahissement possible du vagin, de la vessie et du sacrum. Les facteurs pronostiques sont identiques à ceux du cancer du côlon. • Traitement Le traitement curatif repose sur la chirurgie à type de résection antérieure avec des anastomoses de plus en plus basse permettant de conserver l’appareil sphinctérien. Ces anastomoses sont habituellement protégées par une iléostomie pendant 2 mois. Les formes très basses de cancer du rectum peuvent justifier d’une amputation abdominopérinéale avec colostomie définitive. Cette chirurgie est habituellement précédée d’une radiothérapie externe potentialisée par une chimiothérapie à base de 5FU. Les métastases hépatiques, pulmonaires et péritonéales peuvent également faire l’objet d’exérèse pouvant autoriser la guérison du patient. • Surveillance La surveillance des cancers du rectum repose sur les mêmes principes que les cancers du côlon. L’examen clinique avec un toucher rectal sera fait tous les 3 mois à 6 mois les 3 premières années puis tous les 6 mois la 4ème et 5ème année. Un scanner thoracoabdomino-pelvien injecté sera fait tous les 6 mois les 3 premières années puis une fois par an les 2 années suivantes. La coloscopie suit les mêmes règles que les cancers du côlon. En option, l’ACE est de dosage utile si son taux est élevé en pré-thérapeutique. L’échoendoscopie ou l’IRM sont utiles dans les 3 premières années ‘il y a un haut risque de récidive anastomotique. 6° RÉFÉRENCES (1) Guide Pratique en Cancérologie P. DUFOUR, S. SCHRAUB, J.P. BERGERAT Ed. Heures de France 2009 (2) www.oncologik.fr