50 SCIENCE ET SAVOIR
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OTX World | N° 77 | Juin 2015
Fistules inflammatoires, douleurs, cicatrices, pus, sentiment de dégoût, peur, repli sur soi – les
personnes sourant d’acné inversée doivent souvent endurer de lourdes sourances physiques
et psychiques. La maladie touche à peine une personne sur cent. Au début surtout, elle est souvent
dicile à diagnostiquer – et à avouer. Texte: Klaus Duner
Certaines maladies sont si répugnantes qu’elles
semblent n’exister que dans l’ombre. C’est le cas
de l’acné inversée (ou hidradénite suppurée, ou
maladie de verneuil). Une large part de la popu-
lation ne sait quasi rien de cette aection. En
Suisse, il n’existe aucune organisation de patients
pour soutenir les personnes touchées. Mais une
chose est sûre: en comparaison d’autres mala-
dies dermatologiques, l’acné inversée est sans
doute l’une des plus éprouvantes.
Des abcès gros comme un œuf de poule
Il n’est pas rare que l’acné inversée débute par l’ap-
parition de nodules inoensifs, de la taille d’un
petit pois, ou de petites inammations, surtout
dans les régions comptant beaucoup de glandes
sudoripares: au niveau des creux de l’aisselle, de
l’aine, de la région génitale et périanale, ou, chez
les femmes, sous les seins. Ces inammations, qui
deviennent vite très douloureuses, grossissent et
se transforment souvent en abcès, pouvant at-
teindre la taille d’un œuf de pigeon, voire de
poule, et qui, si on le perce, libère un liquide pu-
rulent et nauséabond. Avec le temps, des stules
profondes remplies de pus ou de sécrétions peu-
vent se former. Les inammations et nodules
peuvent tout à fait disparaître d’eux-mêmes et les
kystes cicatriser spontanément. Par contre, ces s-
tules ou «tanières de renard» ne sont pas capables
de se désagréger et de guérir.
Surproduction de cellules cornées
Les causes de l’acné inversée restent méconnues.
Certaines familles semblant être plus touchées que
d’autres, on présume que la prédisposition géné-
tique joue un rôle important. Certains des gènes
responsables de la maladie ont entre-temps été
identiés. Ceux-ci subiraient des mutations pro-
voquant la formation de kystes et d’inamma-
tions. Le follicule pileux semble être particulière-
ment impliqué dans la maladie. On a en eet
constaté un trouble de la kératinisation au ni-
veau de la couche supérieure de la peau. La sur-
production de cellules cornées bouche les
conduits d’évacuation des glandes sébacées re-
liées aux follicules pileux. Les glandes sudori-
pares jouent aussi un rôle dans l’acné inversée.
Le bouchon formé empêche le sébum de s’écou-
ler – le follicule continue donc de grossir, en-
traînant des inammations et la multiplication
des bactéries (surtout staphylocoques dorés).
Ce gonement excessif du follicule peut pro-
voquer une rupture de la paroi de la glande. Du
liquide se déverse alors dans le derme, entraî-
nant des surinfections que l’organisme tente
d’encapsuler en créant des abcès.
Les fumeurs et personnes
en surpoids plus touchés?
Une série de facteurs semblent favoriser le déclen-
chement de la maladie. Les hormones sexuelles,
p. ex., jouent un rôle non négligeable. Mais les fu-
meurs sont aussi davantage touchés. Le surpoids
favorise également la maladie: les plis de la peau
se superposent, entraînant une transpiration plus
abondante et donc un ramollissement de la peau.
Selon une étude américaine, 70 pour cent des ma-
lades seraient des fumeurs et 55 pour cent, des
personnes en surpoids. Le stress, des vêtements
trop serrés ou inadaptés, le rasage humide et une
mauvaise alimentation sont aussi soupçonnés de
favoriser l’acné inversée.
Une peur constante
L’acné inversée n’est pas si rare. En Suisse, on es-
time qu’entre 0,5 et 1 pour cent (d’autres estima-
tions parlent même de 1 à 4 pour cent) de la
population est concernée. Alors que chez les
hommes, la maladie se loge plutôt au niveau de
la région anale et génitale, chez la femme, elle
touche davantage la zone axillaire et le sillon
mammaire. La tranche d’âge la plus touchée est
celle des 20 à 30 ans, les femmes plus que les
hommes. Cette maladie entraîne de lourdes
sourances physiques et psychiques. Elle peut
créer des problèmes au travail, mais aussi dans
la relation de couple et la sexualité. Les douleurs
gênent considérablement la marche et la station
assise. En cas de plaies ouvertes, les personnes
vivent avec la peur constante de se retrouver
trempées de sécrétions et craignent les odeurs
désagréables. Ulrich iele, 62 ans, parle libre-
ment de ses années de sourance: «Il arrivait que
les pustules s’ouvrent et déversent leur liquide
dans mes vêtements. Les douleurs étaient atroces,
chaque mouvement me faisait mal. J’ai bien sûr
dû arrêter le sport.» Les cicatrices et sécrétions
nauséabondes entraînent un profond «dégoût
de soi-même». Et dans ces conditions, entre-
tenir une relation est dicile. «Je n’ai eu que très
peu de partenaires, je ne voulais pas leur impo-
ser ma maladie», poursuit U. iele. Des inter-
ventions chirurgicales régulières étant néces-
saires, les malades redoutent les arrêts de travail
et le licenciement. Dès lors, pas étonnant que
nombre de ces patients sourent de troubles de
l’humeur et du sommeil, d’angoisses, de dépres-
sion et d’isolement social. Malgré les sourances,
l’acné inversée est une maladie encore fort mé-
En comparaison d’autres mala-
dies dermatologiques, l’acné
inversée est sans doute l’une
des plus éprouvantes.
LA MALADIE
HONTEUSE