50 | SCIENCE ET SAVOIR LA MALADIE HONTEUSE Fistules inflammatoires, douleurs, cicatrices, pus, sentiment de dégoût, peur, repli sur soi – les personnes souffrant d’acné inversée doivent souvent endurer de lourdes souffrances physiques et psychiques. La maladie touche à peine une personne sur cent. Au début surtout, elle est souvent difficile à diagnostiquer – et à avouer. Texte: Klaus Duffner Certaines maladies sont si répugnantes qu’elles semblent n’exister que dans l’ombre. C’est le cas de l’acné inversée (ou hidradénite suppurée, ou maladie de verneuil). Une large part de la popu­ lation ne sait quasi rien de cette affection. En Suisse, il n’existe aucune organisation de patients pour soutenir les personnes touchées. Mais une chose est sûre: en comparaison d’autres mala­ dies dermatologiques, l’acné inversée est sans doute l’une des plus éprouvantes. Des abcès gros comme un œuf de poule Il n’est pas rare que l’acné inversée débute par l’ap­ parition de nodules inoffensifs, de la taille d’un petit pois, ou de petites inflammations, surtout dans les régions comptant beaucoup de glandes sudoripares: au niveau des creux de l’aisselle, de l’aine, de la région génitale et périanale, ou, chez les femmes, sous les seins. Ces inflammations, qui deviennent vite très douloureuses, grossissent et se transforment souvent en abcès, pouvant at­ teindre la taille d’un œuf de pigeon, voire de poule, et qui, si on le perce, libère un liquide pu­ rulent et nauséabond. Avec le temps, des fistules profondes remplies de pus ou de sécrétions peu­ vent se former. Les inflammations et nodules peuvent tout à fait disparaître d’eux-mêmes et les kystes cicatriser spontanément. Par contre, ces fis­ tules ou «tanières de renard» ne sont pas capables de se désagréger et de guérir. Surproduction de cellules cornées Les causes de l’acné inversée restent méconnues. Certaines familles semblant être plus touchées que d’autres, on présume que la prédisposition géné­ tique joue un rôle important. Certains des gènes responsables de la maladie ont entre-temps été identifiés. Ceux-ci subiraient des mutations pro­ voquant la formation de kystes et d’inflamma­ tions. Le follicule pileux semble être particulière­ OTX World | N° 77 | Juin 2015 ment impliqué dans la maladie. On a en effet constaté un trouble de la kératinisation au ni­ veau de la couche supérieure de la peau. La sur­ production de cellules cornées bouche les conduits d’évacuation des glandes sébacées re­ liées aux follicules pileux. Les glandes sudori­ pares jouent aussi un rôle dans l’acné inversée. Le bouchon formé empêche le sébum de s’écou­ ler – le follicule continue donc de grossir, en­ traînant des inflammations et la multiplication des bactéries (surtout staphylocoques dorés). Ce gonflement excessif du follicule peut pro­ voquer une rupture de la paroi de la glande. Du liquide se déverse alors dans le derme, entraî­ nant des surinfections que l’organisme tente d’encapsuler en créant des abcès. En comparaison d’autres maladies dermatologiques, l’acné inversée est sans doute l’une des plus éprouvantes. Les fumeurs et personnes en surpoids plus touchés? Une série de facteurs semblent favoriser le déclen­ chement de la maladie. Les hormones sexuelles, p. ex., jouent un rôle non négligeable. Mais les fu­ meurs sont aussi davantage touchés. Le surpoids favorise également la maladie: les plis de la peau se superposent, entraînant une transpiration plus abondante et donc un ramollissement de la peau. Selon une étude américaine, 70 pour cent des ma­ lades seraient des fumeurs et 55 pour cent, des personnes en surpoids. Le stress, des vêtements trop serrés ou inadaptés, le rasage humide et une mauvaise alimentation sont aussi soupçonnés de favoriser l’acné inversée. Une peur constante L’acné inversée n’est pas si rare. En Suisse, on es­ time qu’entre 0,5 et 1 pour cent (d’autres estima­ tions parlent même de 1 à 4 pour cent) de la population est concernée. Alors que chez les hommes, la maladie se loge plutôt au niveau de la région anale et génitale, chez la femme, elle touche davantage la zone axillaire et le sillon mammaire. La tranche d’âge la plus touchée est celle des 20 à 30 ans, les femmes plus que les hommes. Cette maladie entraîne de lourdes souffrances physiques et psychiques. Elle peut créer des problèmes au travail, mais aussi dans la relation de couple et la sexualité. Les douleurs gênent considérablement la marche et la station assise. En cas de plaies ouvertes, les personnes vivent avec la peur constante de se retrouver trempées de sécrétions et craignent les odeurs désagréables. Ulrich Thiele, 62 ans, parle libre­ ment de ses années de souffrance: «Il arrivait que les pustules s’ouvrent et déversent leur liquide dans mes vêtements. Les douleurs étaient atroces, chaque mouvement me faisait mal. J’ai bien sûr dû arrêter le sport.» Les cicatrices et sécrétions nauséabondes entraînent un profond «dégoût de soi-même». Et dans ces conditions, entre­ tenir une relation est difficile. «Je n’ai eu que très peu de partenaires, je ne voulais pas leur impo­ ser ma maladie», poursuit U. Thiele. Des inter­ ventions chirurgicales régulières étant néces­ saires, les malades redoutent les arrêts de travail et le licenciement. Dès lors, pas étonnant que nombre de ces patients souffrent de troubles de l’humeur et du sommeil, d’angoisses, de dépres­ sion et d’isolement social. Malgré les souffrances, l’acné inversée est une maladie encore fort mé­ ZONES DE LA PEAU TOUCHÉES PAR L’ACNÉ INVERSÉE aisselle droite aisselle gauche pli gauche sous la poitrine pli droit sous la poitrine pli du ventre aine gauche aine droite zone génitale région du coccyx cuisse droite cuisse gauche 52 | SCIENCE ET SAVOIR ZONES DE LA PEAU TOUCHÉES PAR L’ACNÉ INVERSÉE OU MALADIE DE VERNEUIL Anatomie du cheveu Evolution en cinq phases 1. Hyperkératose: formation excessive de couche cornée, venant obstruer le follicule pileux. cheveu 2. Excès de sébum: le sébum ne parvient plus à s’écouler. Le follicule grossit. épiderme 3. Inflammation: le sébum n’étant plus évacué, une inflammation se crée dans les glandes. glande sébacée 4. Rupture: sous la pression du sébum et du pus, la paroi du follicule se rompt, provoquant des surinfections. glande eccrine sudoripare follicule pileux 1. 2. 3. connue du grand public. Les patients doivent donc régulièrement faire face aux préjugés et à la minimisation de leur état. Une maladie souvent découverte par hasard Les formes légères d’acné inversée sont souvent découvertes par hasard, expliquait récemment le Dr méd. Mark Anliker de l’Hôpital cantonal de Saint-Gall dans la revue spécialisée «Ars Medici». «Le patient vient consulter pour un psoriasis et se plaint ‹d’avoir aussi quelque chose aux fesses›. Chez de nombreux patients, les premiers symptômes se manifestent aussi sous la ceinture ou l’agrafe du soutien-gorge. Et il s’avère que c’est une acné inversée.» Selon le dermatologue, près de la moitié des cas auraient été diagnostiqués par hasard. «Quand on souffre de psoriasis, de névrodermite ou d’acné du visage, on consulte plutôt son généraliste.» De plus, il n’est pas rare que des formes légères soient diagnostiquées par erreur comme une «acné normale». Opération chirurgicale – le traitement le plus indiqué La maladie guérit rarement spontanément. Si elle n’est pas traitée, l’acné inversée poursuit donc sa progression. A terme, si la maladie est chronique, les zones de peau touchées risquent d’être complètement détruites. Si elle est à un stade très précoce, un traitement conservateur peut être envisagé. Au stade initial, selon la gravité, la prise d’antibiotiques peut dans certains cas stopper l’évolution et une éventuelle infection bactérienne. Chez les femmes, les antiandrogènes peuvent contrer l’effet des hormones sexuelles masculines. Mais ces traitements conservateurs OTX World | N° 77 | Juin 2015 4. 5. hypoderme glande apocrine Illustration: www.akne-inversa.org cuir chevelu (derme) 5. Abcès: la zone touchée est encapsulée, un abcès se forme. Consulter à temps «Les formes légères d’acné inversée sont souvent découvertes par hasard.» Dr méd. Mark Anliker, Hôpital cantonal de St-Gall ne sont pas efficaces à long terme. La solution la plus indiquée reste l’ablation chirurgicale de la zone touchée. Si seules de petites surfaces de peau sont touchées, l’ouverture chirurgicale du foyer infectieux peut au moins atténuer les douleurs à court terme. Si la maladie est à un stade avancé et que de plus grandes zones de peau sont endommagées, seule l’intervention chirurgicale est judicieuse. Toute la peau infectée est enlevée, y compris les glandes sébacées et sudoripares. Si les lésions ne sont pas trop importantes, les bords de la plaie sont suturés ensemble et l’intervention ne laisse alors que de petites cicatrices. En cas de plastie par lambeau local, de la peau saine est prélevée dans le voisinage de la lésion afin de refermer la plaie. Il faut toutefois veiller à ce que la liberté de mouvement ne soit pas entravée par la tension qui se crée au niveau de la peau. En cas de greffe cutanée, de la peau saine est par exemple prélevée au niveau de la cuisse pour refermer la plaie. Enfin, dans de rares cas, on utilise aussi la thérapie au laser pour traiter les tissus endommagés. Des études cliniques ont récemment testé les médicaments biologiques pour endiguer les symptômes et les inflammations. C’est lorsque l’acné inversée est à un stade précoce que les perspectives de traitement sont les meilleures. «Beaucoup trop de patients viennent consulter quand il est trop tard, lorsque les kystes purulents et douloureux ou les fistules sont déjà présents, que les lésions sont très enflammées ou les ganglions lymphatiques gonflés. Souvent, la fièvre s’est aussi installée. Dans ce cas, seule l’opération peut les aider», avertit M. Anliker. De telles opérations d’urgence, surtout quand elles sont récurrentes, provoquent souvent des bourrelets au niveau de la cicatrice. Plus tard, la peau semble alors parsemée de crevasses. Mieux vaut enlever méthodiquement les zones critiques. «On obtient ainsi une peau plate et homogène, exempte de glandes sébacées et de follicules pileux afin qu’aucune inflammation ne puisse plus s’y développer. Une cicatrice bien faite, en forme de triangle, sous le bras, peut même être jolie.» Sources ■ Duffner K. Interview mit Dr. med. Mark Anliker. Congress­ Selection Dermatologie (Ars Medici).2015;33–34. ■ Thiele U. KBV Forum.2014;29:7–8. ■ Zouboulis CC et al. Therapie der Hidradenitis suppurativa/ Acne inversa. S1-Leitlinie zur Therapie der Hidradenitis suppurativa/Acne inversa. AWFN Reg.Nr.013–012. ■ www.acneinversa.ch ■ www.akne-inversa.org ■ www.aknewelt.de/akneformen/akne-inversa ■ www.netdoktor.de/krankheiten/akne/inversa