8 Décembre 2016, CCI de Rouen La biodiversité: notions fondamentales, approche générale du concept La biodiversité en Normandie : les enjeux par grands types de milieux Dr Thierry LECOMTE Président, Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel de Normandie 1- Introduction: L’écologie, une science jeune en pleine évolution 2- notions fondamentales: La vie : une histoire d’échanges ou le rôle des interfaces 3- approche générale du concept: La biodiversité ; question de mode ou question de fond? 4- les enjeux par grands types de milieux: 3 exemples d’interfaces écologiques: -Le bocage -Les zones humides -Les estuaires, petits et grands cf les PPT grenelle estuaire 1 et 2 Entre labours et boisement les milieux ouverts en danger Toutes les espèces ont-elles le même poids ?Le poids des espèces : Simberlof -Focus sur les espèces clef de voûte 5- et pour conclure: Une hiérarchisation des écosystèmes et des biodiversités/fonctionnalités associées L’écologie, une science jeune en pleine évolution L’écologie est une science, pas une philosophie, pas un parti politique, pas une religion, pas une fin en soi….. Un outil supplémentaire que se donne l’Homme pour comprendre son environnement et, éventuellement, le mieux gérer L’écologie est une science récente (Haeckel, 1866) : tout reste encore à découvrir, analyser, interpréter, comprendre,…… On sait qu’en fait ………………… on ne sait rien ou du moins pas grand-chose….. « L’ignorance qui était en nous, nous l’avons par longue étude confirmée et avérée » (M. de Montaigne) - L’écologie s’appuie sur une « brique élémentaire » : l’écosystème (comme l’entreprise pour l’économie) - L’écosystème c’est un pan de biodiversité (biocénose) dans sa matrice physico chimique (biotope) - La compréhension du concept de biodiversité sous-tend d’y associer le substrat géologique, climatique, hydrologique,…. La destruction de pans de la biodiversité peut être très rapide, à l’échelle humaine, la reconquête passe par des processus souvent très longs, à l’échelle écologique, et dépend des possibilités de résilience qui sont rarement de 100% : la reconquête sera presque toujours à la fois longue et incomplète…. Eviter de détruire est plus sûr et moins onéreux que de devoir reconquérir d’où une nécessaire bonne application de « ERC » Quelques éléments de compréhension: La vie, en économie comme en écologie, c’est l’échange et ce, aux diverses échelles imbriquées du vivant L’écologie, c’est l’économie de la Nature » (G. Ricou) ? Biôme/Ecosystème Ecotones et écosystèmes spécialisés de la vie Ceci nécessite des (infra)structures d’échange dédiées = interfaces Continuum Organisme Cellule ? Epithéliums et organes spécialisés Membranes et organites spécialisés Exemple du complexe « prairie-forêt » écotone Zone mixte de bénéfices réciproques: échanges faunistiques, élévation de la biodiversité, tampon climatique,…. La longueur de la zone de contact (= lisière = écotone) est déterminante pour le fonctionnement optimal (stabilité, résilience, résistance aux catastrophes,….) 3- approche générale du concept: Biodiversité = diversité biologique ; terme apparu en 1988 mais sort du domaine scientifique en 1992 à l’occasion du Sommet de la terre (Rio) La biodiversité: trois niveaux imbriqués et interdépendants mais avec un focus réglementaire sur le niveau spécifique Niveau écosystémique : écologie de la conservation Niveau génétique : génétique de la conservation Niveau spécifique : biologie de la conservation Le niveau écosystémique intègre bien évidemment les niveaux spécifique et génétique Quelques mots cependant sur la biodiversité spécifique: Virus Mammifères Virus Oiseaux Reptiles Amphibiens Poissons et associés Tuniciers Autres (myriapodes) Monera Mone ra Mycota Mycota Algue s Algues Bryophytes Ptéridophytes sl Crustacés Arachnides Les oiseaux : 0,6% de la biodiversité spécifique sur 1,4M d’espèces , en fait beaucoup moins si on considère le chiffre de 4/5 M d’espèces. Bryophytes Pté ridophyte s sl Gymnosperme s Angiosperm es Gymnospermes Protozoaires Angiospermes Cnida ire s Porifè res = une directive européenne (Dir. « Oiseaux ») Pla thelminthes Ne ma thelminthes Annélides Mollusques Protozoaires Porifères Cnidaires Plathelminthes Nemathelminthes Annélides Mollusques Insectes Echinoderm es Insectes Crusta cés Arachnides Autres (m yriapode s) Une directive « Habitats » qui arrive plus tard pour les autres espèces et les habitats d’espèces Tuniciers Poissons et associé s Am phibie ns Re ptiles Oiseaux Ma mmifères Echinodermes Répartition de la biodiversité spécifique mondiale (d'après E. Wilson, n=1.400.000 sp) Il y a une distorsion forte entre la réalité de l’érosion de la biodiversité et les mesures réglementaires prises La biodiversité a déjà traversé des crises: 5 sont connues va-t-on vers une 6ème? Les espèces ne sont pas figées: une espèce naît, vit et meurt….. Naturellement une espèce disparaît tous les 1000 ans…. Pendant que d’autres apparaissent …..mais le rythme d’extinction est beaucoup plus rapide du fait de l’Homme : appauvrissement de la biodiversité sous toutes ses formes…. 4- les enjeux par grands types de milieux: 3 exemples d’interfaces écologiques: Le bocage : prairies + haies + éléments de diversité (mares, fossés, talus, vergers,….) = des interfaces multiples Une construction humaine certes, mais la plus mimétique de la nature originelle (à climat comparable) quand les grands herbivores sauvages maintenaient des prés-bois ou des bois largement clairiérés. Il s’agit souvent de la « Nature ordinaire » moins spectaculaire et médiatisée que la « Nature extraordinaire » Cependant, au vu de l’érosion généralisée de la biodiversité, la nature ordinaire d’aujourd’hui est …………la nature extraordinaire de demain! Malgré ses vertus paysagères, écologiques, énergétiques, hydrauliques, climatiques, zootechniques: inadaptation au machinisme, au productivisme, au modernisme, au court terme en général Atteinte très forte en Bretagne mais aussi dans la Manche et dans l’Orne (voir avec la DREAL qui a des données chiffrées) Plus le bocage disparaît plus il devrait être préservé : ce n’est pas le cas; un enjeu fort pour la Normandie Les zones humides • Espace de transition entre les grands milieux aquatiques (lacs, fleuves, océans) les milieux terrestres, et les aquifères, le climat (interfaces en 3D!) • Caractérisés par la présence - permanente ou temporaire – et en surface, d’eau, • Marais, lagunes, marécages, sansouires, mares, sources, mouillères, prairies humides, prairies inondables, tourbières, rizières, vasières, estuaires, réseau hydrographique… sont des zones humides • Seulement 2,5% du territoire national (forêts = 28 %) Grand (Pantanal) ou petit (mare) De l’histoire ancienne à l’histoire récente ou les avatars des marais mal-aimés Pour les zones humides, tel un iceberg,dont on ne voit que la partie émergée……. - Difficultés sanitaires réelles pour l’homme et son cheptel - Difficultés agricoles et agronomiques certaines - Croyances populaires ou religieuses 1599 : Édit d’Henri IV… Mais aussi des usages traditionnels spécifiques: roseau, chasse, pêche, élevage, tourbage,… « Tous les marais et paluds du Royaume de France doivent être asséchés et desséchés » - L’assèchement des marais est érigé au rang des grandes missions de l’humanité - L’État comme les particuliers recherche l’assèchement pour un profit à court terme - Les médecins hygiénistes confortent la démarche •1994 : Instance d’évaluation des politiques publiques ( rapport du préfet Bernard): Bilan: dans les années 70-90; 80 000 ha de zones humides disparaissent en France chaque année, soit environ 4% Causes principales: …Vallée de la Seine très concernée! = forts enjeux - Agriculture intensive (prairies humides et inondables drainées pour la culture en particulier le maïs) - Industrialisation, zones d’activités - Urbanisation en zone inondable - Grandes infrastructures (ports, ponts, autoroutes…) - Chambres de dépôts - Carrières et ballastières (granulats et tourbes) - Plantation de peupliers - Déprise agricole enfrichant l’espace - Augmentation de la pression de loisirs (chasse au gibier d’eau) …la partie cachée est la plus importante! = les apports de l’écologie scientifique 1-Très forte productivité biologique 2- Fort potentiel en matière de biodiversité: . Halte migratoire . Sites de reproduction . Mosaïque d’habitats 3 - régulation du cycle de l’eau: . Ecrêtement des crues . Désynchronisation des crues . Recharge des nappes phréatiques . Epuration de l’eau . Régulation climatique 4 - Rédécouverte d’usages traditionnels 5 - Usages nouveaux; tourisme de nature 6- Stockage du carbone La zone humide en période pluvieuse…. nuages Plateau cultivé Bois de pente précipitations Rétention Sous-sol fissuré végétaux Sources Marais Alluvions et tourbes Nappes phréatiques et alluviales Cours d’eau La zone humide en période de sécheresse… nuages Plateau cultivé . Sécheresse tamponnée Évaporation/évapotranspiration Bois de pente Sous-sol fissuré végétaux Sources Soutien du débit d’étiage Marais Alluvions et tourbes Nappes phréatiques et alluviales Cours d’eau Épuration passive et active,infiltration, recharge des nappes Ce qu’il faut retenir sur les zones humides: -des bassins d’orage toujours en état -des stations d’épuration gratuites -des lieux de richesse biologique -des lieux productifs -des paysages uniques Et de ce fait un regard nouveau…. et en contradiction avec les siècles précédents… amenant de nouveaux usages, de nouveaux modes de gestion, de nouvelles réglementations….s’applique à présent aux zones humides! 1995 : Plan National « Zones Humides » poursuivi par deux autres plans • 85% des ZH d’ importance nationale gravement endommagées • 11% : stationnaires ou en légère régression • 4% : état satisfaisant • Les zones humides restant sont relictuelles et sont d’autant plus précieuses. • 1995: Conseil des Ministres : les zones humides sont érigées au rang d’« infrastructures » naturelles: - mise en place d’un plan gouvernemental d’actions en faveur des zones humides: « la France doit sauver ses zones humides. Les sauver,cela signifie préserver celles qui subsistent, parfois même restaurer celles qui disparaissent… » (Corinne Lepage) - Mise en place d’un observatoire National des zones humides - Evolution progressive de la réglementation et de la fiscalité - Intégration de ces principes dans divers documents dont les Chartes de PNR Malgré tous ces dispositifs (y compris ERC), les zones humides continuent à régresser…enjeux majeurs! Le cas particulier des (grands) estuaires: exemple de celui de la Seine L’estuaire est le « goulet d’étranglement » d’un vaste territoire particulièrement aménagé par l’homme En terme d’économie: Superficie: 79000 km² (14 % de la superficie nationale) Population: 16 millions d'habitant ( 26 % de la population française) 50 % du trafic fluvial national 40 % de l'activité économique française 30 % de l'activité agricole française En terme d’écologie: - Complète le littoral en terme d’interface majeure au niveau planétaire entre continents et océans Chaque estuaire assure la continuité écologique entre un bassin versant parfois très continental (Danube, Nil,…) et le milieu qui lui correspond Les différents sous-écosystèmes qui le composent (vasières, roselières, prés-salés, …… ) occupent peu de surface par rapport au bassin versant et au milieu marin correspondants, L’intensité des phénomènes écologiques ( fonctionnalités diverses épuration, nurseries, reproduction, alimentation, transits divers) qui s’y déroulent est inversement proportionnelle aux superficies Il y a une concurrence très forte entre économie et écologie : les enjeux y sont majeurs et les pertes surfaciques ne sont pas compensables L’estuaire est donc un écosystème « clef de voûte » majeur Entre labours et boisement les milieux ouverts en danger Les milieux ouverts sont les milieux non boisés: prairie, coteau, lande, alpages - La biodiversité des milieux « ouverts » est très importante….. Représentation schématique des pourcentages de phanérogames du Nord de la France en fonction de la physionomie du milieu 5% 15% milieux ouverts landes sèches 1 espèce de phanérogame = 20 espèces en moyenne d’invertébrés inféodés lisières milieux forestiers 15% 2% 62% milieux aquatiques Il s’agit d’un enjeu primordial en terme de biodiversité …. mais très menacée par ….. le « diktat de la charrue »! - La charrue peut passer: grandes cultures = l’agro-système remplace l’éco-système - La charrue ne peut pas passer (contraintes édapho-climatiques diverses) = déprise agricole Déprise agricole = - boisement spontané (et non naturel…. ) du fait de la dynamique de la végétation en absence de facteurs antagonistes ou accélération du processus par boisement volontaire (« re »boisement) Conséquence : pertes des milieux « ouverts » : pelouses, landes, alpages, coteaux, prairies diverses et de toutes les formes de biodiversité (végétales, animales) associées. Nb: il existe un code forestier et nombre de structures avec un « F »: ONF, CRPF, ex DDAF, DRAF, à quand un code prairial et ce qui va avec? Entre labours et boisement les milieux ouverts en danger la pression sur le foncier: bruit de fond national : 60.000 ha sont consommés tous les ans soit un département tous les 7/10 ans L’ouest de la France particulièrement touché par la modification du faire valoir de la SAU Les prairies disparaissent dans 80% des cas du fait des cultures: Causes principales des modifications de prairies de 1970 à 1995 (IFEN, 1996 ) 10% 3% 7% céré ales autre s cultures friches et a utre s 13% boisement 67% artificialisa tion À rattacher à la disparition des bocages, des zones humides, … Revenons à la biodiversité spécifique: toutes les espèces ont-elles la même valeur? Sur un plan de l’éthique ou philosophique: oui; exemple du Penicillium Sur le plan de la structuration ou de la fonctionnalité écosystémique : non!!! Simberlof : - Espèce étendard : espèces spectaculaires, ne joue pas nécessairement un rôle très déterminant dans l’écosystème mais peut sensibiliser le public ex: le râle des genets, le pique-prune,…… (signification proche de l’espèce sentinelle) - Espèce parapluie: sa présence sous-tend la présence d’autres espèces qui ont des besoins en partie comparable ex: l’anguille - Espèce ingénieure: modifie localement l’environnement ex: termite, castor,… - Espèce clef de voûte: structure très fortement un écosystème qui s’effondre quand l’espèce (ou le groupe d’espèces) disparaît ex: les coraux (au sens large), les grands herbivores et les méga herbivores. - Mais on pourrait parler aussi des espèces (fourrages) ex: cyprinidés dulcicoles, lombriciens,… - Mais une espèce clef de voûte peut être aussi étendard ou sentinelle etc….. I - Guilde des herbivores II - Endocénose symbiotique III - Parasites: Externes Internes IV - Synusies: Coprophiles Nécrophiles V - Prédateurs VI - Mérocénoses d’induction indirecte VII - Micro-biotopes créés par l’herbivore VIII - Corridors écologiques IX - Développement des écotones X - Activation de la microbiologie du sol Schématisation des divers niveaux de biodiversité/fonctionnalités induits par les grands herbivores: des milliers d’espèces impactées! Quelques races rustiques: - Camargue Andalouse Aubrac Highlands Herbivore I - Broutage Augmentation de la richesse spécifique de la strate herbacée Limitation des espèces coloniales à multiplication végétative Modification des termes de la compétition interspécifique entre sp. coloniales et les non opportunistes II - Piétinement III - Fécès Ouverture du tapis herbacé favorable aux espèces se reproduisant par graines Enrichissement de la banque de graines du sol Remontée vers la surface de la banque de graines Schématisation des relations entre l’herbivore et la richesse spécifique de la strate herbacée Stimulation des populations lombriciennes 5- et pour conclure: En France engagement politique en 2002: arrêt de l’érosion de la biodiversité en 2010!!!! « …avec l’accroissement prévu de la population humaine, le scénario prévu d’augmentation thermique pour le climat, et surtout si l’humanité dans son ensemble ne détermine pas d’ici-là des voies radicalement nouvelles pour conduire les affaires, alors l’horizon est sombre et la sixième crise d’extinction une perspective certaine... Il n’y a pas d’agriculture durable, autre qu’écologique, il n’y a pas de santé durable autre qu’écologiquement fondée… » (R. Barbault, Paris, 2006) «… je ne sais pas trop quel conseil je pourrais donner aux chercheurs qui tenteront en 2050 de créer de nouveaux produits médicamenteux à partir d’espèces disparues… » (J. Langford, Ottawa, 2003) « …Quelles guerres demain pour l’accès à … l’eau potable ? Quel futur pour l’humanité sans Nature harmonieuse et biodiversité maintenue ? En vertu de quel égoïsme et de quel comportement insensé sommes-nous en train de priver nos enfants de ce que la Nature a mis des centaines de millions d’années à leur offrir ?... » (G.Boeuf, Banyuls, 2007) « En ce siècle ou l’homme s’acharne à détruire d’innombrables formes vivantes, après tant de sociétés dont la richesse et la diversité constituaient de temps immémorial le plus clair de son patrimoine, jamais sans doute il n’a été plus nécessaire de dire qu’un humanisme bien ordonné ne commence pas par soi-même mais place le monde avant la vie, la vie avant l’homme, le respect des autres êtres avant l’amour-propre et que même un séjour d’1 ou 2 millions d’années sur cette Terre, puisque de toute façon il connaîtra un terme, ne saurait servir d’excuse à une espèce quelconque, fût-ce la nôtre, pour se l’approprier comme une chose et s’y conduire sans pudeur ni discrétion. » (C. Lévy-Strauss, L’Origine des matières de table, 1968)