communiquer pour résister (1940 - 1945)

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CONCOURS NATIONAL
DE LA RÉSISTANCE ET
DE LA DÉPORTATION
2012 - 2013
COMMUNIQUER
POUR RÉSISTER
(1940 - 1945)
LYCEE PROFESSIONNEL
PIERRE BEREGOVOY
NEVERS
Plan
Introduction ………………………………………………………………… p.2
Première partie. Les différents moyens de communication ……………... p.3
I) Les graffitis ………………………………………………………………………..…….. p.4
II) Les papillons ……………………………………………………………………..….….. p.8
III) Les tracts ………………………………………………………………….…………... p.12
IV) Les journaux …………………………………………………………………….……. p.15
A) Presse « nationale » et presse parachutée ………….……………………………… p.15
B) Les journaux locaux …………………………………………………….…………. p.18
V) Croiser plusieurs moyens de communication pour un même objectif : commémorer la
victoire de Valmy en septembre 1942 et 1943 ……………………………………………. p.23
Deuxième partie. Comment réaliser et diffuser des écrits clandestins ? ..p.29
I) L’exemple de Jules Besançon, imprimeur résistant à Clamecy ………………………... p.30
II) La diffusion des écrits et les risques encourus ………………………………………… p.36
A) Diffuser des tracts : l’exemple de Chamoux (1943 – 1944) …………………... p.36
B) Les risques encourus …………………………………………………………... p.37
III) Communiquer pour résister en étant interné dans un camp de prisonniers …………... p.39
Troisième partie. La « guerre des ondes » ……………………………… p.44
I) L’écoute et la transmission avec la France Libre et les Alliés ………………..……...… p.45
II) La communication entre les résistants (été 1944) ………………………………...…… p.48
A) Jules Besançon, agent de liaison ………………………………………………. p.48
B) L’exemple du maquis Bernard ………………………………………..…....…. p.51
C) L’exemple d’une installation téléphonique clandestine ………………………. p.53
Conclusion ……………………………………………………………….… p.54
Bibliographie et sources ……………………………………………….….. p.55
1
Introduction
Nous sommes trois élèves de 3ème PFP (Préparatoire aux formations professionnelles)
du lycée professionnel Pierre Bérégovoy de Nevers et nous avons voulu travailler sur la
Seconde Guerre mondiale, période historique que nous avons étudiée en vue du diplôme du
brevet.
Le Concours National de la Résistance et de la Déportation (CNRD) nous a
particulièrement intéressés par son sujet « Communiquer pour résister (1940 – 1945) ».
Nous avons travaillé aux Archives départementales de la Nièvre avec notre professeur
M. Boudard. Ainsi, nous avons pu étudier des documents divers (des papillons, des tracts, des
journaux, des rapports de police notamment).
Nous avons également eu la chance d’obtenir des informations précieuses grâce à
Mme Monique Rouby, fille de Jules Besançon, imprimeur-résistant dont on parlera dans notre
exposé. Nous la remercions infiniment pour ces documents inédits1.
ALEXANDRE Tim
BREZAULT Thomas
GERNEZ Morgan
1
Les première et quatrième de couverture sont des tracts extraits de la liasse 1067 W 27 aux Archives de la
Nièvre (ADN).
2
- Première partie -
LES DIFFÉRENTS MOYENS
DE COMMUNICATION
Lancer de tracts rue Henri Monnier (9ème arrondissement de Paris) en 1944
(photographie de Robert Doisneau)
3
I) Les graffitis
Cette forme de résistance est sans nul doute celle qui a laissé le moins de traces. En
effet, une fois les inscriptions repérées, elles étaient immédiatement effacées par les forces de
police ou de gendarmerie. C’est donc grâce aux rapports des autorités que l’on peut retrouver
la trace de cette forme de résistance.
Ainsi, dans le rapport ci-dessous du Préfet de la Nièvre à l’ensemble des maires daté
du 8 avril 1941, il est mentionné la prolifération d’un « tracé à la craie d’un V » à Nevers
(voir flèches rouges). Il faut voir ici l’impact de la radio anglaise B.B.C. puisque « le combat
(ou campagne) des V est lancé le 22 mars 1941 au cours de l’émission Les Français parlent
aux Français. Les Français sont invités à dessiner partout la première lettre du mot
Victoire »2.
(ADN. 1067 W 29)
2
D’après la Lettre de la Fondation de la Résistance de septembre 2012 consacrée au sujet du CNRD.
4
Le Préfet s’inquiète de la situation émanant « sans nul doute d’enfants ou de jeunes
gens » (voir flèche noire). La conséquence est immédiate : dans l’édition du journal ParisCentre du lendemain, mercredi 9 avril, paraît cette annonce avec pour titre « Le couvre-feu
pour la population de moins de 18 ans est fixé de 9 heures du soir à 7 heures du matin » :
« À la suite de nombreuses inscriptions qui ont été apposées sur les murs de la ville de
Nevers, à différentes reprises, les Autorités allemandes ont ordonné les mesures suivantes :
- à partir de jeudi 10 avril, le couvre-feu pour la ville de Nevers est fixé pour toutes
personnes de moins de 18 ans, de 9 heures du soir à 7 heures du matin. Pendant ce temps, il
est interdit à la population de moins de 18 ans de se montrer dans la rue. Cette ordonnance
est à exécuter tant qu’elle ne sera pas levée »3.
Cette décision montre donc une certaine exaspération des « Autorités allemandes » et
leur volonté de mettre fin à cette campagne des V le plus rapidement possible.
Pourtant, les inscriptions ne disparaîtront jamais. Ci-dessous est représenté un graffiti
avec le V et la référence à deux dates : 1918 symbolise la victoire de la France sur
l’Allemagne et 1943 symbolise l’espoir de la fin de la guerre avec la défaite allemande
comme durant la Première Guerre mondiale. On peut donc supposer que ce graffiti a été
réalisé en fin d’année 1942 ou peut-être même au début de l’année 1943.
Site Internet : monsieurbrun.canalblog.com
(professeur au collège Saint-Joseph à Saint-Ambroix dans le Gard)
3
ADN. 1 PER 193/89.
5
Ci-dessous, cette autre photographie non datée comme la précédente représente le V
avec la Croix de Lorraine à l’intérieur.
Site Internet : pierre-mera.ac-versailles.fr (professeur de collège à Auvers-sur-Oise)
Dans la Nièvre, nous ne possédons pas de photographies comme celles qui précédent.
Néanmoins, deux autres rapports d’avril et de juin 1943 mentionnent toujours l’utilisation de
la craie. On peut remarquer que ces messages sont laissés à des endroits assez passants pour
être vus par le plus grand nombre : murs d’un magasin ou murs du Marché Saint-Arigle de
Nevers.
(ADN. 137 W 150)
6
(ADN. 1067 W 27)
Si la référence à Pierre Laval est fréquente dans les graffitis et les tracts des résistants
(il est alors le chef du gouvernement depuis avril 1942), la mention de Marcel Bucard est
beaucoup plus rare. Homme d’extrême-droite avant la guerre, il s’engage activement dans la
Collaboration et se trouve être l’un des cofondateurs de la Légion des volontaires français
contre le bolchevisme (LVF). Il sera, comme Laval, fusillé après la guerre.
Parfois, des inscriptions sont faites à la peinture sur des murs « choisis » : ainsi, en
novembre 1943, « Ici, on collabore ! Mort aux traîtres ! » ont été faites faubourg de Mouësse
à Nevers, sur les immeubles n°9 et 21 (rapport du 10 novembre dans la liasse 1067 W 27).
7
II) Les papillons
Contrairement aux graffitis, les papillons (comme les tracts et les journaux) ont laissé
plus de traces puisqu’ils étaient ramenés par les policiers ou gendarmes comme preuves
accompagnant les rapports ou les dossiers judiciaires.
Ci-dessous, on peut lire l’un des tout premiers papillons conservés aux Archives
départementales de la Nièvre, daté de novembre 1940 :
Tout en longueur (il mesure plus de 20 cm contre 1,5 à 2 cm en largeur), le rapport qui
l’accompagne montre la perplexité qu’il suscite quant à son origine et ses visées :
(ADN. 1067 W 28)
8
Le papillon recto-verso ci-dessous est présent dans une liasse mais on ne dispose pas
de sa date de diffusion. Cependant, on peut penser qu’il a pu être réalisé après les revers
importants de l’armée allemande sur le front de l’Est, donc dans l’année 1943. Dans le V de la
victoire a été représenté le symbole de l’Union soviétique (U.R.S.S.), la faucille et le marteau.
Nous avons laissé les pourtours de ces papillons pour montrer qu’ils ne sont pas droits
et donc faits de manière « artisanale ».
(ADN. 137 W 150) Taille : 6 cm par 5 cm
Nous avons également trouvé ce papillon recto-verso ci-dessous. Il a dû être réalisé
par la même personne que précédemment car le verso est identique notamment une erreur
dans la représentation de la faucille et du marteau (la faucille est dans le mauvais sens).
Comme la bataille de Koursk a été remportée par l’U.R.S.S. à l’été 1943, on peut donc penser
que ce papillon date du deuxième semestre.
(ADN. 137 W 150) Taille : 6 cm par 5 cm
Certains papillons font également mention du général de Gaulle, chef de la France
Libre, et même aux Nations unies, regroupant toutes des forces alliées contre les forces de
l’Axe (voir ci-après).
9
(ADN. 137 W 150) Taille : 8,8 cm sur 5,8 cm
(ADN. 137 W 150) Taille : 8,8 cm sur 5,8 cm
Des papillons « Vive l’Angleterre », « Vive la Russie », « Vive la France » et « Vive
les Américains » sont également conservés aux Archives.
Certains papillons peuvent être aussi
plus surprenants car ayant demandé plus de
« travail de conception ». Ci-contre, en
janvier 1943, à Cosne, une centaine de ces
papillons en papier est jetée dans les rues.
Selon le commissaire, « le découpage
paraît avoir été effectué de la façon
suivante : une forme métallique a été
appliquée sur un certain nombre de feuilles.
Le dessin a été tracé au crayon ; la trace en
demeure sur certains découpages. Ce
procédé a permis d’en obtenir plusieurs
d’un seul coup de ciseau ».
(ADN. 137 W 150)
10
Dans cet autre rapport d’avril 1943, il est fait mention d’autres papillons découverts à
Lormes : une Croix de Lorraine a été découpée avec un V à sa base (en haut à gauche et
reproduction plus large à droite).
(ADN. 137 W 150)
Ce drapeau français sur lequel ont été dessinés une Croix de Lorraine d’un côté et
« Morvan Libre » de l’autre est un cas unique.
11
III) Les tracts
Les Archives départementales conservent également un nombre important de tracts de
la Résistance. Nous avons sélectionné ce rapport d’octobre 1943 car il montre que les moyens
de propagande sont de plus en plus perfectionnés : en effet, outre la possibilité de laisser cette
feuille dans la rue, il est noté que « le verso de la dite feuille est gommé ce qui permettrait de
la coller à un mur ou à un édifice quelconque le cas échéant ».
(ADN. 1067 W 27)
12
En parcourant d’autres sites internet d’archives départementales de France, on peut
constater que le tract appelant à châtier les traîtres a également été distribué en Savoie (qui
précise « tract gaulliste ») et dans le Puy-de-Dôme (qui note sa distribution en février 1943).
Ces informations corroborent donc celles de la Nièvre.
Le tract ci-dessous a été sans doute l’un des plus diffusés durant la guerre, étant le
premier acte de résistance, le 18 juin 1940. En septembre 1943, des gendarmes en découvrent
dans la commune d’Urzy-Demeurs, collés sur les poteaux télégraphiques (en même temps que
le tract intitulé « Aux armes citoyens » que nous avons choisi pour comme première ce
couverture).
(ADN. 1067 W 27)
13
Cette photographie ci-contre a été
réalisée à postériori par Robert
Doisneau. Elle montre le « travail »
dangereux de ces hommes qui, la
plupart du temps la nuit, collaient des
tracts ou des affiches sur des murs,
des poteaux, des arbres etc.
L’un des hommes fait le guet
pendant que l’autre colle le tract.
D’autres tracts se veulent être des « avertissements ». Il en est ainsi de celui adressé
« aux gendarmes et brigadiers de gendarmerie » « ainsi qu’aux agents de police » (expression
rajoutée au tract initial). Il a été envoyé par courrier en août 1943 (ADN. 1067 W 27).
14
IV) Les journaux
Avec la radio, la presse était le principal moyen pour s’informer avant la Seconde
Guerre mondiale. Durant l’Occupation, deux types de journaux vont paraître :
- ceux autorisés par les Allemands et le régime de Vichy : c’est la presse
collaborationniste (dans la Nièvre, le journal le plus important s’appelle Paris-Centre) ;
- ceux qui sont clandestins, dirigés par des résistants, que nous présentons ci-dessous.
A) Presse « nationale » et presse parachutée
L’Humanité, journal du Parti communiste, continue de paraître clandestinement
pendant l’Occupation alors qu’il est interdit depuis le 27 août 1939.
Cependant, on peut constater avec les deux numéros ci-dessous édités le même mois
(c’est-à-dire en décembre 1941) que ce journal n’a pas la même graphie ni la même qualité de
papier.
(ADN. 1067 W 27)
15
Le premier journal est réalisé de manière beaucoup plus « artisanale » que le second.
En l’absence de tout rapport (de la police ou de la justice) sur leur origine, nous nous
contenterons de le remarquer sans tenter de l’expliquer.
Ci-dessous est représenté un autre journal très important de la Résistance, Libération,
organe des mouvements de résistance unis. Ce numéro date du 10 avril 1943 mais il a été
ramassé dans une rue de Nevers le 31 mai 1943. Il est constitué de quatre pages
d’informations.
(ADN. 1067 W 27)
Un autre journal important est Défense de la France. Fondé en juillet 1941, il a pu tirer
jusqu’à 450 000 exemplaires dans les deux zones. 47 numéros sont parus jusqu’en août 1944.
Ici, le numéro 31 en date du 20 avril 1943 a été récupéré par le commissariat de police de
Cosne-sur-Loire.
(ADN. 137 W 150)
Selon ce rapport (qui parle d’ailleurs d’un « tract » et non pas d’un journal), la
distribution s’est faite dans la nuit du 22 au 23 avril (« de 21 heures aux environs de minuit »)
donc peu de temps après sa date d’édition. Surtout, le nombre d’exemplaires, « glissés sous
les portes » a été important (« vraisemblablement plusieurs centaines » selon le commissaire).
16
Une presse est également parachutée. Dans la Nièvre comme partout en France, Le
Courrier de l’Air est une publication « apportée » par l’aviation anglaise (la R.A.F., Royal Air
force, dont il est question dans le bandeau, sous le titre).
(ADN. 1067 W 27)
168 numéros auront été parachutés durant le conflit avec un tirage moyen de 3
millions d’exemplaires. La qualité technique, avec photos, dessins ou schémas, tranche
beaucoup avec les journaux précédents.
Mais, ce « moyen de distribution » présente des inconvénients : un rapport de
décembre 1943 témoigne des conséquences de ces largages en l’occurrence la détérioration de
toitures dans la ville de Cosne. Les trois paquets contenant les journaux ayant été récupérés
par les autorités, les journaux n’ont pu être ramassés par les habitants.
L’autre journal parachuté en France s’intitule « L’Amérique en Guerre », « apporté au
Peuple Français par l’Armée de l’Air Américaine » comme il est indiqué sur la première
page. Ce numéro date du 24 mai 1944 (voir page suivante). Sur la quatrième de couverture,
on peut lire qu’il est « publié par l’Office d’Information de Guerre du Gouvernement des
États-Unis d’Amérique à sa base européenne ».
17
(ADN. 137 W 150)
Comme pour Le Courrier de l’Air, ce journal de quatre pages est en couleur sur les
première et quatrième de couverture et dispose de photographies de bonne qualité.
B) Les journaux locaux
La presse communiste a été très active durant l’Occupation avec plusieurs titres qui
s’ajoutaient à leur journal principal L’Humanité.
Ci-dessous, ce rapport d’avril 1943 montre que le journal L’Avant-Garde, organe des
jeunesses communistes de la Nièvre, était distribué par voie postale.
18
(ADN. 137 W 150)
Page suivante, nous avons choisi de représenter le journal Le Patriote Nivernais,
organe du Comité nivernais du Front National de lutte pour la libération de la France daté de
juin 1943.
À ce sujet, Jean-Claude Martinet précise
dans son ouvrage Histoire de l’Occupation et
de la Résistance dans la Nièvre : « À la fin de
1942, le Front National a déployé une grande
activité d’organisation, en particulier sous
l’impulsion d’un instituteur d’Alligny-Cosne,
Georges Millot. Un journal départemental du
F.N. a été édité : Le Patriote Nivernais, avec la
collaboration d’un autre instituteur, Jean
Lhospied, de Champvert, qui en était le
rédacteur » (p.127).
Ci-contre, photographie de Georges Millot,
ancien combattant de la Première Guerre
mondiale, résistant, né et décédé à Clamecy
[19 janvier 1895 – 1er janvier 1973].
(ADN. 1629 W 346 et 1 T 753)
19
(ADN. 1067 W 27)
Ce journal de juin 1943 fait mention du prochain 14 juillet qu’il faut célébrer par des
rassemblements « à Nevers, place Carnot et dans toutes les communes place de la mairie ».
La mention de la période révolutionnaire a été souvent utilisée (voir notre partie V).
Jean-Claude Martinet poursuit en écrivant : « Mais, au début de 1943, Jean Lhospied,
militant socialiste connu avant la guerre, perd le contact avec le Front National et est
sollicité par Libé-Nord qui lui demande de fonder un journal qui soit plus en rapport avec les
options de ce mouvement. Ce sera la Nièvre Libre ».
20
Ci-dessous est présentée une copie d’un des premiers numéros de ce nouveau journal,
La Nièvre libre, daté d’octobre 19434. Les premières lignes sont un appel résolu et déterminé
à la résistance et à l’engagement de tous.
Ci-après, La Nièvre libre paraît pour la première fois hors de la clandestinité ; il n’a
jamais autant mérité son titre puisque les Allemands ont alors quitté le département et que les
nouvelles autorités de la Libération s’installent.
(ADN. 1 Per 134/1)
Le mercredi 27 septembre 1944 paraît le premier numéro du Journal du Centre qui
succède à La Nièvre libre. Jean Lhospied en reste le directeur. Le 15 février 1945, Edmond
Nessler est nommé secrétaire de la rédaction du journal5.
4
Nous n’en avons pas trouvé d’autres dans les liasses consultées aux Archives départementales. Le Service
éducatif du Musée de Saint-Brisson a mis en ligne la reproduction d’un des tout premiers numéros de l’été 1943.
5
Edmond Nessler sera nommé Compagnon de la Libération en décembre 1945 (en tout 1038 personnes).
21
(ADN. 1 Per 134/1)
Jean Lhospied (ci-contre) a été un résistant très actif
durant la guerre (en témoigne les commentaires ci-après qui
accompagnent sa proposition d’être élevé dans l’ordre de la
Légion d’honneur).
Né le 11 février 1900 à Pougues-les-Eaux, il a fait
ses études à l’École Normale de Varzy (d’octobre 1915 à
octobre 1918). Installé dans la Nièvre après son service
militaire, il est instituteur dans diverses localités avant de
s’établir à Champvert à partir de septembre 1931.
Militant actif du Parti socialiste (SFIO) dans la
Nièvre, il est élu secrétaire fédéral en juin 1935 et conserve
ce mandat jusqu’en mai 1939 ce qui en fait un des
personnages importants de ce parti.
Il est l’un des trois vice-présidents du Comité départemental de Libération en
septembre 1944 (comme d’ailleurs Georges Millot dont on a parlé précédemment).
Directeur du Journal du Centre jusqu’en 1970, il est sénateur de la Nièvre de 1967 à
1974. Il décède le 25 mai 1983 à Nevers.
(ADN. 137 W 88)
22
V) Croiser plusieurs moyens de communication pour un même objectif :
commémorer la victoire de Valmy en septembre 1942 et 1943
Nous avons trouvé plusieurs supports différents pour annoncer un même événement :
la commémoration de la victoire de Valmy (20 septembre 1792) en 1942 pour le 150ème
anniversaire et l’année suivante en 1943.
Ci-dessous, le numéro spécial de L’Humanité d’août-septembre 1942 consacre une
large place en première page à cette commémoration. Le rapprochement des patriotes français
vainqueurs du duc de Brunswick dont les Allemands sont les héritiers n’est pas anodin : c’est
un appel à la résistance face à l’occupant allemand.
(ADN. 137 W 150)
23
Mais, la presse n’est pas l’unique moyen pour appeler les Français à des
rassemblements. Le Parti communiste émet aussi des tracts (ci-dessous, tracts découverts dans
l’enceinte des Aciéries d’Imphy le 19 septembre).
(ADN. 137 W 150)
Ces appels seront en partie entendus notamment dans les grandes villes.
Sans doute encouragés par ce succès (avec aussi une résistance de plus en plus active),
les communistes appellent à de nouvelles manifestations pour le 20 septembre 1943.
Ainsi, dans l’édition du 1er
septembre 1943, un article intitulé
« Le 151ème anniversaire de Valmy »
appelle de nouveau à des « manifestations
patriotiques » et à des « arrêts de travail
dans les entreprises, les chantiers et
bureaux » (voir ci-contre en première
page).
(ADN. 1067 W 27)
24
Dans la Nièvre, les
militants du Comité nivernais du
Front national éditent également
un journal, Le Patriote Nivernais,
qui appelle également à se
mobiliser.
Dans le rapport ci-contre,
on apprend que des tracts ont été
collés sur les murs de la
S.N.C.A.C (Société nationale des
constructions aéronautiques du
Centre) à Fourchambault.
(ADN. 1067 W 27).
Des
papillons
ont
également été confectionnés (voir
page suivante).
25
(ADN. 1067 W 27)
Mais, Fourchambault n’est pas la seule ville avec des distributions de papillons.
Dans le rapport ci-dessous de la même date (donc à deux jours de « l’événement »),
Nevers est aussi touché par cette distribution : le papillon ci-joint n’est pas fait de la même
manière que les précédents, tant sur le texte (où il manque d’ailleurs deux lettres pour le verbe
« manifeste ») que sur la forme.
26
D’autres recherches dans un autre fonds d’archives nous a permis de découvrir un
autre journal communiste nivernais : L’Émancipateur. Sur le verso, il appelle lui aussi à
« deux grandes journées de luttes » les 19 et 20 septembre6.
(ADN. 118 J Fonds Roger Beauger)
On constate une nouvelle fois la différence entre L’Humanité et L’Émancipateur où
les fautes de frappes et la mise en page « irrégulière » sautent aux yeux. L’Émancipateur est
un journal réalisé dans la Nièvre en témoigne le compte-rendu des actions des Francs Tireurs
et Partisans (F.T.P.).
6
Ce fonds d’archives Beauger porte le nom d’un résistant nivernais arrêté par la police française. Ce document a
été retrouvé et a fait partie des pièces à charge rassemblées lors de l’instruction judiciaire.
27
Avec tous ses moyens de communication mis en place, quel a donc été le résultat ?
Si l’on en croit le rapport mensuel de la Préfecture en date du 4 octobre 1943, il ne
semble pas que ces appels à manifester les 19 et 20 septembre aient été couronnés de succès
dans la Nièvre (voir flèche noire).
On peut aussi remarquer la mention du journal La Nièvre libre dont on a parlé
précédemment (voir flèche rouge).
(ADN. 137 W 133)
28
- Deuxième partie COMMENT RÉALISER
ET DIFFUSER
DES ÉCRITS CLANDESTINS ?
Robert Doisneau a « immortalisé » ce travail des imprimeurs clandestins en effectuant
un reportage photographique publié en mars-avril 1945 dans le journal Le Point
29
I) L’exemple de Jules Besançon, imprimeur résistant à Clamecy
Dans son livre-témoignage paru en 1975, Un maquis dans la ville, contribution à
l’histoire de l’occupation allemande à Clamecy et dans la région (1940 – 1944), Robert
Bucheton raconte l’Occupation et la Résistance dans l’arrondissement de Clamecy et le sud
du département de l’Yonne7.
Dans l’extrait ci-dessous (p.49 à 51), il fait part de sa rencontre avec Jules Besançon,
imprimeur dans le quartier du Beuvron, à Clamecy, et lui rend un hommage appuyé. Il montre
également que des personnes qui n’avaient pas forcément les mêmes opinions politiques se
sont retrouvées autour de la nécessité de battre les Allemands et les collaborateurs.
« C’est au début de février 1941 que je rencontrai Besançon, imprimeur à Clamecy.
Nous avions des relations car je lui confiais les imprimés de la mairie. Nous étions devenus
des amis. Il détestait l’occupant. Un jour, il me montra un tract humoristique anti-allemand. Il
me dit :
- Je l’ai imprimé chez moi. C’est la reproduction d’un tract tombé entre mes mains par hasard.
Ça vient de Paris !
- C’est bien ! Mais crois-tu que ça sert vraiment ? Je pense qu’il y aurait un travail plus
efficace à faire. On essaie de ridiculiser les Allemands. Ce n’est ni sérieux, ni important à
mon avis.
- Oui, mais quoi ? me répond-il.
Quelques jours après, nous avons à distribuer quelques numéros de l’Humanité
clandestine. Je décide de rencontrer Besançon et voici, à peu de chose près, ce que fut notre
entretien. Je m’étais rendu à son imprimerie pour lui commander quelques imprimés. Je lui
montrai un exemplaire de la feuille clandestine. Il fut surpris car il ne croyait pas que cela
puisse exister.
- Mon cher ami, je sais que tu n’es pas communiste. Tu vois que ce parti lutte pour son pays.
Tu me connais. Tu peux constater que nous sommes, comme tu l’es aussi, de bons patriotes.
Peux-tu nous aider ?
- Comment ? Que faut-il faire ?
- Par exemple, tu peux reproduire ces feuilles que nous diffuserions.
- Il y en a trop long. Un travail comme ça doit être fait rapidement et une fois terminé, doit
quitter l’imprimerie aussitôt. Il faut faire vite et je suis seul. D’ailleurs, si j’avais encore des
ouvriers, mes difficultés seraient d’un autre ordre, car c’est une chose à faire seul, par
prudence.
- Tu pourrais imprimer quelques articles sélectionnés ; ce serait mieux dans tes possibilités
peut-être ?
- C’est à examiner. Je ne dis pas non. Laisse-moi réfléchir.
- C’est normal que tu réfléchisses. Si tu m’avais dit oui de suite, c’est moi qui t’aurais
demandé de réfléchir à toutes les conséquences graves qui peuvent en résulter pour toi. Tu me
feras signe le moment venu.
7
Robert Bucheton, né le 5 juillet 1910 à Saint-Léger-des-Vignes, travaille alors à la mairie de Clamecy au poste
de secrétaire général de la ville. Son ouvrage est coté Niv 2208 aux ADN (un exemplaire est également
disponible à la Bibliothèque de la Société scientifique et artistique de Clamecy). Il est décédé le 10 novembre
1997.
30
Quatre ou cinq jours s’écoulent et Besançon me téléphone de passer prendre des
imprimés « mairie » qui sont prêts. D’habitude, il me les livrait à l’hôtel de ville. C’est donc
qu’il veut m’annoncer sa décision seul, à son bureau. En arrivant, il me dit :
- Tout est bien réfléchi. Je suis marié ; j’ai une fille8. Je mesure tout le risque à courir. Ma
décision est donc prise en toute connaissance. J’accepte.
- Je te remercie. Tu ne dois en parler à personne, pas même à ta famille. Il n’y aura pas que du
travail à faire pour le parti communiste. Nous avons des groupes de résistance où sont des
personnes sans parti.
- Tu sais que je ne suis pas du tout communiste. Mais cela ne me fait rien de m’associer à
votre action. Je t’avoue que j’aurais préféré travailler avec un parti plus proche de moi.
- Tu n’en trouveras pas. À Clamecy, nous sommes le seul parti organisé. Ton accord a
d’ailleurs bien plus de valeur et je t’en remercie doublement. Nous luttons pour la même
cause et c’est cela qui importe. J’étais sûr que tu accepterais.
Et ainsi débuta un travail qui devait par la suite avoir une importance considérable.
Besançon devint notre fabricant de tracts, imprimés, faux papiers d’identité, fiches de
démobilisation, cartes de travail, cachets de toutes sortes, aussi bien de mairies que de
commissariats de police, préfectures, etc.
C’est inimaginable ce qu’il a pu fabriquer ! Jamais nous n’imprimions de pièces avec
la mention « Clamecy ». Il fallait écarter tout danger et ne pas se jeter dans la gueule du loup.
Besançon prit tant de goût à exécuter ces travaux que parfois il en arrivait à négliger les règles
de prudence les plus élémentaires.
Ainsi, il pouvait commencer un travail le matin, partir à midi et tout laisser sur le
marbre pour terminer à son retour. Il était loin des paroles du début où il disait que de tels
travaux ne pouvaient pas traîner.
Très souvent, j’ai tremblé en constatant ces faits ! Que de fois je lui ai demandé de
prendre plus de précautions, d’agir avec plus de discernement ! Je n’en dormais pas quand je
savais un travail en cours.
Il avait la chance. Il la conserva jusqu’au bout. Ce fut heureux pour nous9.
Je garderai continuellement le meilleur souvenir de ce camarade qui s’était mis à notre
totale disposition. Cela d’ailleurs lui posait fréquemment des problèmes difficiles en raison du
contingentement du papier. Il devait rogner sur sa clientèle ; moi, je rognais sur les quantités
accordées à la mairie dont j’avais fortement majoré les besoins.
Jamais il n’accepta d’argent, ni pour la fourniture, ni pour son temps. Ce fait mérite
d’être signalé. Alors que certains trafiquaient, Besançon faisait un sacrifice personnel.
- C’est ma contribution, mon apport à la résistance, disait-il.
Heureusement, il m’arrivait parfois de l’aider à « récupérer » sur les Allemands.
Quand il faisait des travaux pour ces derniers, les notes réglées par le « service des dépenses
d’occupation » géré par la mairie, étaient majorées ».
En complément de ce témoignage de Robert Bucheton, nous pouvons joindre celui de
l’épouse de Jules, Odette Besançon, qui précise dans quelles conditions travaillait son mari
dans son imprimerie :
8
9
Il s’agit de sa fille, Monique Rouby, qui nous a permis de mieux connaître son père.
Nous verrons dans la troisième partie que Jules Besançon n’a pas toujours eu « la chance ».
31
« Un petit trou dans le mur contigu au couloir d’entrée lui [Jules Besançon] permettait de voir
à qui il avait à faire. En cas d’alerte, il faisait immédiatement disparaître dans le gros
calorifère au centre de l’imprimerie tous les documents compromettants car, ai-je besoin de le
mentionner, il avait fait lui-même les faux tampons lui permettant de fabriquer de faux
papiers : cartes d’identité, tracts, affiches, le tout bénévolement.
Étant de plus en plus surveillé, il cachait ses tampons, documents et autres sous les
lames de parquet décelées ou dans un mur creusé en l’occurrence, même sous le siège en bois
des toilettes ».
Ci-contre, Jules Besançon
(né le 18 février 1907 à Bourges – décédé le 26
janvier 1947 à Varzy).
Ci-dessous, l’imprimerie, à l’angle de la rue
du Président Wilson et de la rue de Druyes à
Clamecy.
Jules Besançon avait son imprimerie au rezde-chaussée. Encore aujourd’hui, après plus de
soixante-dix ans, la façade garde visible l’inscription
« Imprimerie L’Indépendance » [nom du journal
publié avant juin 1940 par Jules Besançon et dont il
avait refusé de poursuivre la publication sous
l’Occupation].
32
Sur cette photographie inédite que nous devons à l’obligeance de Mme Rouby, on peut
voir Jules Besançon et Robert Bucheton réunis côte à côte, souriants après toutes les épreuves
traversées (à gauche, sous les deux flèches).
Cette photographie a été prise sur les marches du château du Parc Vauvert lors des
fêtes de la Libération de Clamecy, le dimanche 18 août 1946.
Au premier rang, on peut reconnaître le préfet de la Nièvre, Henri Pougnet, avec à sa
gauche, André Béranger, député MRP et à sa droite les députés Léon Dagain (socialiste) et
Louis Bertrand (communiste). Derrière le préfet, avec le képi, on reconnaît le colonel Gaston
Roche, chef militaire de la Résistance nivernaise, et le sous-préfet de l’arrondissement Jean
Roy.
Cette photographie a été prise juste avant ou juste après le banquet qui a été servi dans
la salle du château Vauvert : il réunissait les diverses personnalités du département, les
parlementaires, maires et conseillers généraux invitées par le Comité de Libération de
Clamecy. Ceux-ci ont ensuite inauguré le monument aux martyrs et héros de la Résistance de
l’arrondissement de Clamecy10.
Cette photographie est aussi l’une des dernières de Jules Besançon entouré de ses amis
de la Résistance. Le 26 janvier 1947, il décède brutalement à Varzy, à l’âge de 40 ans. Peu de
temps après, il reçoit la Médaille de la Résistance. Lors de la constitution de son dossier en
juillet 1946, les mérites de Jules Besançon sont immédiatement reconnus :
« Entré dans la Résistance en juin 1941 au F.N. (secteur de Clamecy), chef de secteur Robert
Bucheton – Grâce à son imprimerie a confectionné de nombreux faux papiers (cartes
d’identité, travail, fiches de démobilisation, actes d’état-civil, cachets Mairies).
10
ADN. Journal du Centre du lundi 19 août 1946.
33
Agent de liaison ayant accompli de nombreuses missions dangereuses avec intelligence et
rapidité.
Chargé d’établir et de diriger les embuscades autour de Varzy au moment de la Libération.
S’est toujours acquitté avec sang-froid de sa tâche »11.
Et, lorsque Robert Bucheton demande la carte du combattant volontaire de la
Résistance, il fait le recensement de toutes ses actions et précise :
- « avec Besançon, imprimeur à Clamecy, fondation d’une imprimerie clandestine – rédaction
de tracts, journaux – spécialisé faux papiers (état-civil, cartes d’identité, cartes de travail,
fiches démobilisation, cachets, etc.) ». Cette demande est datée du 11 février 1947 : quinze
jours après le décès de Jules Besançon, Bucheton n’oublie pas de le citer.
Cette amitié née dans les épreuves sera indéfectible en témoigne cette très belle lettre
écrite en décembre 1988 par Robert Bucheton à Mme Rouby :
« Votre papa, dans son action clandestine d’imprimeur, accomplissait un travail périlleux qui
était puni de mort par les Allemands et le gouvernement français de l’époque ; il risquait les
pires tortures. Bien peu d’imprimeurs en France s’aventurèrent ainsi. Dans la Nièvre, il fut
bien le seul à s’engager aussi totalement, sur une échelle aussi vaste.
Combien de faux-papiers de toutes sortes, plus vrais que les officiels furent établis (cartes
d’identité assorties des livrets de famille, livrets militaires, fiches de démobilisation, permis
de conduire, de circuler et même diplômes à l’occasion etc.).
Également quelques familles juives arrivant de la région parisienne furent nanties de
nouveaux papiers avant de passer en zone libre.
On ne saurait suffisamment exprimer toute l’importance d’une telle entreprise, toujours
gratuite, où il pouvait à tout moment être surpris et sans aucun moyen de se défendre, à
l’inverse des maquisards. Avec le recul du temps, on évalue encore mieux l’importance des
dangers qui le menaçaient en permanence.
C’est pourquoi j’ai toujours apprécié au plus haut point les services qu’il rendait, ce qui fait
que, aujourd’hui encore, ma reconnaissance est aussi vive et son souvenir éternel ».
11
Nous devons ce document à Mme Rouby (nous remercions également le major Duplan). Le « Mémoire de
proposition pour la médaille de la Résistance » de Jules Besançon est disponible au Service historique de la
Défense – Bureau de la Résistance au château de Vincennes (cote 16 P 55 702).
34
Ci-dessus, une fausse carte d’identité de Robert Bucheton,
réalisée par l’imprimeur Jules Besançon
(extrait de l’ouvrage de Jean-Claude Martinet, La Résistance en Nivernais-Morvan).
35
II) La diffusion des écrits et les risques encourus
A) Diffuser des tracts : l’exemple de Chamoux (1943 – 1944)
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Lucien
Gabereau, jeune homme âgé de 16 ans, réside à Chamoux, petite
commune du département de l’Yonne, limitrophe de la Nièvre.
Après la diffusion de tracts dont l’extrait ci-dessous fait
mention, Lucien Gabereau entre au maquis du Loup dans la région
de Clamecy et participe aux combats de la Libération durant l’été
1944. Il a écrit « Souvenirs d’un louveteau (avril 1942 – septembre
1944) ».
Ci-contre, Lucien Gabereau en 1945 portant son uniforme
de l’armée de l’air (il vient alors de s’engager)12.
« L’inaction m’a paru parfois fort longue, puis au cours de l’été 43, je fus chargé de
distribuer des tracs parachutés venant de Londres, puis également en automne, ainsi qu’au
printemps 44. Pour la première fois, je faisais connaissance avec le Général de Gaulle,
photographié en compagnie d’une autre personnalité. J’en étais ravi. La distribution faite,
nous devions impérativement détruire les tracts qui nous restaient. Aujourd’hui, je m’en veux
d’avoir été sur le point aussi obéissant. C’est au cours de l’année 43 que j’appris également
que notre mouvement était rattaché à « Libération Nord » ou « Libé Nord ».
C’est vers minuit que je commençais mes distributions. Vu la rareté des boîtes aux
lettres à l’époque, c’est sous les portes ou derrière les volets que mes papiers disparaissaient.
Lorsque ceci s’avérait impossible, je les déposais sous les hangars, les granges, voire
même dans les écuries, tout ceci bien entendu de la manière la plus discrète qui soit. Il n’était
pas question que l’ennemi, en cas d’irruption aussi inopinée que matinale s’aperçoive de quoi
que ce soit.
Si j’avais l’avantage de connaître l’emplacement de chaque chien, ma tâche n’en était
pas facilitée pour autant ! Bien qu’opérant avec un minimum de bruit, certains d’entre eux me
détectaient bien avant que je les approche. Je m’arrêtais aussitôt : un léger coup de sifflet les
faisait taire sur le champ. Certains même m’accompagnaient, tout heureux de se distraire.
J’ignore si dans ces années-là leur divagation était interdite ?… si oui, elle n’était guère
respectée ! au hameau de Cray13, la distribution était plus difficile : les chiens me
connaissaient peu, et ma seule présence déclenchait leurs abois dans la totalité du village ».
Ce témoignage montre la difficulté et la ruse nécessaire pour accomplir cette mission.
12
13
Nous remercions Mme Gabereau et sa fille, Mme Montagner, de nous avoir communiqué cette photographie.
Le hameau de Cray est situé à quelques centaines de mètres du village de Chamoux.
36
B) Les risques encourus
(ADN. 1067 W 34)
Dans le document ci-contre daté de décembre 1940, les mesures contre les diffuseurs
de tracts communistes sont encore renforcées sans doute pour tenter d’enrayer le phénomène.
Pourtant, ces émissions de tracts se poursuivent comme la presse collaborationniste le
concède dans plusieurs articles.
Dans son édition du mercredi 26 février 1941, le journal Paris-Centre sous le titre
« Fourchambault. Poseurs de tracts arrêtés » mentionne ce fait de résistance :
« Dans la nuit de samedi à dimanche [soit le 23 février], les gendarmes de ronde
tombèrent en arrêt sur des afficheurs de tracts qui se livraient à leur besogne. Après une
course mouvementée, l’un deux, qui s’était jeté dans un fossé plein d’eau, le jeune René
37
Pouessel, 17 ans, fut appréhendé. Ses complices, Étienne Maillet, 17 ans, et Louis Bernard14,
26 ans, lequel leur avait procuré les tracts, furent appréhendés à leur domicile ».
Nous avons choisi un de ces hommes, René Pouessel, né le 25 décembre 1923 à
Fourchambault, pour tenter de connaître son histoire après son arrestation. Parmi les
documents archivés, nous reproduisons son acte administratif d’entrée à la prison de Nevers.
(ADN. 2 Y 206/3)
Le 4 mars 1941, le Tribunal correctionnel de Nevers le condamne à 3 mois de prison
pour « menées communistes ». Libéré le 24 mai, il est surveillé par les autorités : dès le 28
juillet 1941, il est « astreint à résider au centre de séjour surveillé provisoire de Cosne-surLoire (dans l’ancienne prison) ». Puis, du 5 décembre 1941 au 14 février 1944, le jeune
homme est interné au camp de séjour surveillé de Rouillé (Vienne) avant d’être dirigé sur le
camp de La Guiche (en Saône-et-Loire, au sud de Montceau-les-Mines). Il parvient à s’en
évader le 24 mars 1944 et rejoint les FFI du maquis de Collonge-en-Charollais jusqu’en
septembre 1944.
Le cas de René Pouessel n’est pas isolé : fréquemment, après avoir purgé leur peine,
ces hommes faisaient l’objet de mesure d’internement ou de déplacement forcé dans d’autres
régions. Dans son cas, le fait d’être le fils de Jean-Marie Pouessel, communiste actif à
Fourchambault et dans l’arrondissement de Nevers avant la guerre (il a été notamment
conseiller municipal à Fourchambault de 1919 à 1929), n’a pas dû plaidé en sa faveur.
D’ailleurs, Jean-Marie Pouessel sera à son tour arrêté par la Gestapo en septembre 1942,
interné à Nevers puis au camp de Pithiviers (Loiret). Il décèdera en avril 1945 des suites des
mauvais traitements et de maladie contractée dans ce camp15.
14
Louis Bernard (né en juin 1914 à Urzy) sera condamné à 8 mois de prison puis interné jusqu’à son évasion en
août 1943. Il sera un résistant actif notamment dans le Cher. Élu député communiste en octobre 1945 et réélu en
juin 1946, il meurt le 2 septembre 1946 à Nevers des suites d’un accident de voiture.
15
ADN. 1067 W 118 : dossier René Pouessel ; 1629 W 148 : dossier ONAC de Jean-Marie et René Pouessel
n°18408.
38
III) Communiquer pour résister en étant interné dans un camp de prisonniers
Marcel Nivot, instituteur avant la guerre, est appelé sous les drapeaux en septembre
1939. Fait prisonnier durant la campagne de France, il est emprisonné dans un camp (stalag)
en Allemagne. Il raconte dans son ouvrage « De l’école au stalag … et retour(s) » comment
des prisonniers et lui-même ont créé un journal puis mis en place une écoute clandestine d’un
poste de radio16. Nous avons sélectionné des passages ci-dessous révélateurs de cette
résistance active (en italiques, nous avons résumé certains passages).
« Des moyens importants étaient mis en œuvre pour diffuser parmi les prisonniers de
guerre (P.G.) la propagande allemande et celle de Vichy. Toutes les chambres recevaient les
journaux de la collaboration : L’Oeuvre, Le Matin, La Gerbe, Je suis partout … Ces journaux,
véritables organes de la propagande hitlérienne, exaltaient les succès de la Wehrmacht et
affichaient leur certitude de la victoire du Reich.
Dès le début, les Allemands pensèrent qu’une presse confectionnée par des prisonniers
serait mieux acceptée. Au Stalag XI B, sous le titre « Unir », paraissait un journal mensuel
ronéotypé, où s’exprimaient les responsables des organismes officiellement reconnus :
homme de confiance, aumônier, pasteur … Assez bien fait, ce journal était lu par tous, au
camp comme dans les Kommandos […].
Mais, comment informer les gars, leur donner les moyens de réfléchir par euxmêmes ? Comment combattre cette propagande défaitiste et les dogmes réactionnaires qu’elle
s’efforçait d’inculquer à la masse des P.G. ?
Un jour, profitant que nous étions seuls, Pierre Le Moign’ me montra, dissimulées
dans une quelconque revue, 3 ou 4 feuilles blanches, où étaient collées des coupures de
journaux, avec des commentaires écrits à la main. À ma connaissance, il s’agissait là de la
première expression écrite d’une résistance dans le stalag.
Pierre me regardait lire, en souriant. Il s’amusait de mon étonnement. Puis,
brusquement, il me dit : « regarde bien. Le prochain, c’est toi qui le feras ».
Interloqué, me jugeant tout à fait incapable d’un tel travail, je commençai par refuser
énergiquement. Mais il insista : « on te donnera des journaux. Essaie de t’en procurer de ton
côté. Pour le reste, tu vas bien te débrouiller. On te fera confiance ». Il n’y avait rien à
répliquer.
Mais qui ce « on » pouvait-il bien désigner ? Probablement un groupe, peut-être un
comité clandestin dont je soupçonnais à vrai dire l’existence depuis mes contacts avec les
« Tordus »17.
Il me fut facile de soustraire à la Lazarettverwaltung18 du papier, un flacon de colle et
des ciseaux. Mais comment trouver un endroit sûr pour y travailler ? Dans une baraque de
l’hôpital, je repérai une chambre, utilisée comme bureau dans la journée, et qui restait ensuite
inoccupée. Je passai des heures à limer une clé pour parvenir enfin à ouvrir la porte. Mais là,
j’étais tranquille.
En lisant attentivement les journaux collaborationnistes, on pouvait relever des
contradictions, notamment à propos de la situation militaire, et des mensonges flagrants.
16
Ouvrage aux ADN, Niv 1136.
Le « club des Tordus » se réunissait le dimanche matin et était constitué de 20 à 25 prisonniers de guerre. Ils
assistaient à des exposés suivis de discussions animées qui souvent prenaient le contre-pied de la propagande
pétainiste.
18
Lazarettverwaltung : administration de l’hôpital militaire.
17
39
Sous la forme « revue de presse », je m’efforçai de les mettre en évidence, avec un
commentaire approprié. Cela devait impérativement être écrit en lettres capitales pour ne pas
risquer d’être trahi par mon écriture.
J’arrivai à sortir tous les 8 ou 10 jours une « édition » : trois ou quatre exemplaires que
je portais aussitôt à des gars que Le Moign’ m’avait fait connaître.
Chacun d’eux avait pour mission de faire circuler discrètement le journal, suivant un
circuit strictement contrôlé, de le récupérer en fin de parcours et de le détruire aussitôt.
Cette propagande ne touchait probablement que quelques dizaines de P.G. Mais ceuxci, sans même en avoir conscience, constituaient d’ores et déjà une filière, embryon d’une
possible organisation clandestine.
Oubliant mes réticences du début, je me sentais bien dans ma peau de pouvoir
participer à quelque chose de concret contre les idées répandues par les nazis et Vichy. Même
enfermés dans un camp, on pouvait donc agir […] ».
À la fin de l’année 1942 et au début 1943, Marcel Nivot participe à la création d’une
organisation clandestine au sein du camp, appelé comité de résistance, et rejoint les
communistes.
« Un grand problème se posait pour nous à cette époque, celui de l’information. Nous
ne disposions toujours que de quelques feuilles mi-manuscrites, mi-coupures de journaux dont
il a déjà été question.
Comment arriver à savoir ce qui se passait en France et sur les différents fronts à l’Est,
en Asie, en Afrique ? On s’efforçait de glaner de-ci, de-là quelques nouvelles, pour les
diffuser de bouche à oreille dans les baraques ».
Le Comité de résistance apprend au début 1943 la nouvelle de la défaite allemande de
Stalingrad. Il va diffuser cette information.
« Un gars nous procura un peu d’encre spéciale et un morceau de pâte à polycopier,
faite de gélatine, qu’il avait réussi à subtiliser dans un bureau. Ah ! ces premiers
« communiqués » reproduits à 10 ou 20 exemplaires ! Elles représentaient quelque chose
d’infiniment précieux, ces petites feuilles imprimées en violet, que nos copains se passaient
dans les baraques, en secret. Ils s’en trouvèrent mieux armés pour combattre, dans leur
entourage, la résignation et la soumission ».
Après le retour en France d’un prisonnier, ce dernier envoie dans un colis un petit
récepteur « Ducretet », muni d’une paire d’écouteurs19.
« Le poste une fois branché, un morceau de fil de fer faisant office d’antenne, les
écouteurs sur les oreilles, je tournai le bouton… Le cadran s’éclaira. Au bout d’un moment, le
gong – une série de 4 coups qui se répétait – de la BBC. Et puis, dominant le brouillage, une
voix française venue de Londres, qui allait apporter des nouvelles, de l’espoir… […].
Deux fois par jour, le matin très tôt et tard le soir, je prenais l’écoute, recroquevillé
sous le plancher. Mirko et Duruy veillaient, prêts à m’avertir à la moindre alerte, par un signal
convenu.
Maintenant, nous pouvions diffuser chaque jour, régulièrement, des informations
sûres. Nous décidâmes bientôt, en plus des communiqués de guerre, de composer et de
19
Eugène Ducretet (1844-1915) est le pionnier français de la radio.
40
polycopier une espèce de journal que nous intitulâmes, sans beaucoup d’imagination,
« Résistance ». Chaque numéro comportait un éditorial « politique » qui s’efforçait de donner
confiance et de démolir la propagande ennemie.
Un jour, nous nous trouvâmes en possession d’une machine à écrire, d’un modèle
archaïque, mais en état de fonctionner. D’où venait-elle ? Sans doute avait-elle été subtilisée
dans quelque débarras du Vorlager. On la rangea à côté du poste, en attendant.
Une chance : Louis Kleinhentz savait s’en servir. Mais toujours le même problème :
où « travailler » sans éveiller l’attention ?
Nous nous enfermâmes dans une chambre, momentanément inoccupée, de la baraque
22, celle des dentistes. Louis tapait le texte que je lui dictais, tandis que quelqu’un, bien
entendu, surveillait le couloir. Dans la chambre voisine, un phono marchait très fort, sans
discontinuer, pour couvrir le bruit de la frappe.
Bien sûr, les copains furent contents. Le Journal avait une tout autre allure qu’écrit à la
main. Mais cette façon de travailler présentait vraiment encore trop de risques. Justement, peu
de temps après, nous allions être amenés, par la force, à trouver coûte que coûte d’autres
solutions ».
Peu de temps plus tard, l’équipe échappe de peu à la découverte de leur matériel lors
d’une fouille du camp. La décision est alors prise : créer un poste d’écoute souterrain.
« Étant plus spécialement chargé de l’écoute, j’allais passer là-dedans, assez souvent
seul, des heures assez extraordinaires. Attendre qu’il n’y ait plus personne dans le couloir,
ouvrir la porte et entrer vite dans la chambre, me glisser sous le lit, enlever la première trappe,
la remettre en place après être descendu sous le plancher, gagner l’emplacement du trou,
soulever l’autre trappe avec la couche de terre qu’elle portait, me laisser descendre dans la
fosse, replacer le couvercle, ces manœuvres me furent vite habituelles, presque machinales.
Bien installé, - les copains avaient fabriqué un siège et une tablette pour écrire -, les
écouteurs sur les oreilles, je me sentais au bout d’un moment bien loin du Stalag, des
barbelés, des miradors. Les voix venues de Londres, d’Alger, et même Brazzaville, malgré le
« fading »20, me paraissaient toutes proches. Elles me devinrent familières.
Un soir, par hasard, je tombai sur un indicatif qui m’était encore inconnu. Un carillon
égrenait plusieurs fois, sur le rythme martial d’une marche, quelques notes. Puis, une voix de
basse, solennelle, dit en allemand : « Hier, der moskaue Rundfunk in deutscher Sprache. Tod
den deutschen Okkupanten! » [lorsque l’émission était en français, cela donnait : « ici RadioMoscou en langue française. Mort aux envahisseurs allemands!].
Radio-Moscou ! Comment dire l’émotion que je ressentais à cet instant ? J’imaginais
la Place Rouge, le Kremlin d’où, je ne croyais pas qu’il pût en être autrement, quelqu’un nous
parlait en ce moment même sur les ondes, par delà la distance et les steppes enneigées où se
déroulaient précisément des combats gigantesques […].
En général, je « descendais » une première fois le matin, vers 6 heures. Deux ou trois
cigarettes me tenaient lieu de petit-déjeuner. Je notais les nouvelles, que nous diffusions
certains jours sous la forme d’un communiqué polycopié.
Notre souci maintenant : arriver à diffuser beaucoup plus largement toute cette
richesse d’information, et aussi notre propagande. Mais comment augmenter nos tirages, fort
limités ?
20
Interruption de la propagation des ondes hertziennes.
41
Cette fois encore, c’est au sein du groupe « Michelin » qu’allait se trouver l’homme de
la situation : Robert Chanrion. Chargé de l’entretien du « théâtre », il détenait les clés de la
chaufferie et pouvait s’y rendre, seul, à tout moment. Inventif, adroit, il semblait que rien ne
lui fût impossible. Ainsi, il avait confectionné un petit alambic au moyen duquel il fabriquait
de l’eau-de-vie à partir de résidus (fruits secs, etc.) préalablement fermentés. On l’avait
surnommé « Synthétique ».
Je lui exposai notre problème. Nous disposions, on le sait, d’une machine à écrire.
Plusieurs camarades étaient en mesure de subtiliser assez facilement quelques stencils, de
l’encre, des feuilles de papier. Il nous manquait … la ronéo. Autant dire le principal. Chanrion
allait s’acharner, multiplier les essais. Il n’apparaissait plus guère qu’à l’heure de la soupe,
pensif, les doigts maculés d’encre noire. Un jour, d’un clin d’œil, il me fit comprendre qu’il y
avait du nouveau.
- Peux-tu faire taper un « sten » ? Essaie de me le donner ce soir. Ca devrait marcher.
Nous autres, au Comité, nous n’attendions que cela.
Le lendemain matin, - un dimanche -, notre cher « Synthétique », triomphant, me sortit
de son blouson une liasse de feuilles. Imprimées de façon à peu près parfaite, elles portaient
en grandes lettres capitales le titre « RÉSISTANCE ».
J’en restai sidéré. Quelle espèce de machine avait-il réussi à mettre au point ? Je ne
saurai le dire avec précision. Le dispositif comportait un rouleau, un cadre de bois, et un
système de plaques pour y adapter le stencil. L’encre était répartie et filtrée à travers un tissu
de soie, la seule chose qu’il nous avait demandé de lui procurer. Tout cela était démontable en
un instant, bien entendu.
En tout cas, le résultat, probant, était là. Dorénavant, l’Organisation disposait d’un vrai
journal. On augmenta progressivement le tirage. Celui-ci finit par approcher les 200
exemplaires, dont une bonne partie fut acheminée vers les Kommandos ».
Ci-dessous, Marcel Nivot décrit le « processus de diffusion » dans une baraque.
« Un gars tend un numéro de l’Illustration à un copain. Celui-ci va tranquillement
s’allonger sur sa couchette. Il lit, pendant quelques minutes. Puis, il passe à un autre ladite
revue, dont le grand format permet qu’on y dissimule facilement le journal RÉSISTANCE.
Cela passait avec tellement de naturel que même le voisin de lit, s’il n’était pas luimême initié, ne pouvait rien remarquer. On élargissait le cercle qu’avec prudence. Personne
n’y était admis avant qu’on soit absolument sûr de lui, et même de ses relations. Alors, fier
d’avoir mérité cette confiance, le « nouveau » mettait un point d’honneur à respecter à son
tour la loi du silence. C’est sur cette discipline que reposait en dernier ressort notre propre
sécurité et celle de toute l’organisation ».
Après avoir relaté différents « moments délicats » où l’organisation faillit être
découverte par les Allemands, Marcel Nivot conclue par cette phrase que beaucoup de
résistants ont pu prononcer après coup :
« En plus, cela est évident, et je le mesure encore mieux aujourd’hui, il nous a fallu
pas mal de chance… ».
42
Marcel Nivot au camp de prisonniers en Allemagne
(photographie extraite de son ouvrage)
43
- Troisième partie -
LA
« GUERRE DES ONDES »
Photographie du général de Gaulle prise dans les studios de la BBC à Londres
44
I) L’écoute et la transmission avec la France Libre et les Alliés
Très rapidement, les autorités d’occupation perçoivent les dangers de l’écoute de
radios étrangères (la B.B.C est forcément visée par cet arrêté même si elle n’est pas nommée).
Le document ci-dessous, franco-allemand, est daté du début août 1940 ; il est destiné à tous
les maires de l’arrondissement de Clamecy, pour affichage.
(ADN. 1067 W 34)
Les rapports mensuels transmis par les sous-préfets des arrondissements de la Nièvre
au Préfet permettent également d’avoir une idée de l’impact de la radio.
Ainsi, dans un rapport du mois d’octobre 1941, le sous-préfet de Clamecy note dans le
chapitre Information et propagande :
« a) Propagande française ; Presse, radio : efficacité certaine ;
b) Étrangère : influence non douteuse de la radio anglaise »21.
Les Archives conservent également la quasi-totalité des rapports du premier semestre
1942 rédigés par le commissaire de police de Clamecy pour le sous-préfet. Cette question de
l’information et de la propagande est toujours traitée par la même appréciation :
« a) Française : efficacité de propagande par voie de presse de plus en plus restreinte
en raison de la raréfaction du papier. Efficacité de la propagande par la radio.
b) Étrangère : allemande : peu active.
Anglaise : toujours efficace par sa radio qui reste toujours très écoutée.
Demeure très difficile à combattre ».
Comment ce commissaire parvient-il à établir ce diagnostic de la radio anglaise « très
écoutée » ? En tous les cas, il ne cache pas les faits à son autorité supérieure et montre une
certaine faiblesse lorsqu’il avoue que l’écoute de la radio anglaise est « très difficile à
combattre »22.
21
22
ADN. 2 Z 1208 : rapports mensuels du sous-préfet au préfet (1941 – 1945).
ADN. 2 Z 1209 : rapports mensuels du commissaire de police au sous-préfet (1941 – 1943).
45
Ce tract (recto-verso ci-dessous) fait référence à une radio destinée plus
particulièrement aux chrétiens : il a été ramassé en janvier 1942 à Imphy (ADN. 1067 W 34).
Un autre rapport, plus tardif, daté du 15 septembre 1943, mentionne la
« récupération » de 108 tracts (voir ci-dessous et page suivante) qui ont été lancés par avion
sur la commune de Saint-Éloi. La qualité de ce tract par rapport à celui qui précède témoigne
de sa conception à l’étranger (utilisation de la couleur, mise en page soignée). Tout en alertant
les Français sur l’utilisation des postes de radio, il donne également les longueurs d’ondes et
les heures d’écoute des émissions.
46
Les journaux dont on a déjà parlé ont aussi pu laisser des encarts pour signaler les
fréquences des radios des forces alliées.
Ci-dessous, dans L’Humanité d’août-septembre 1942 (en page 3), trois radios sont
recensées :
47
Ci-contre, cet encart dorénavant intitulé « La
radio » est publié dans L’Humanité du mois d’août
1943.
Une nouvelle radio est notée : Radio-Alger. Le
Comité français de Libération nationale avec les
généraux De Gaulle et Giraud comme coprésident est
installé à Alger depuis deux mois d’où l’ouverture de
cette radio.
La radio anglaise a non seulement diffusé des émissions mais aussi les fameux
messages qui annonçaient les parachutages d’armes aux résistants. Ces parachutages ont été
nombreux dans la Nièvre et ont nécessité une coordination importante.
Le journal Nevers-Dimanche de mars 1945 rappelle un épisode de cette guerre :
« Auditeurs de la B.B.C., vous rappelez-vous, le 5 juin 1943, notamment, avoir
entendu ce message : « D’Auguste à César. Levée de bon matin, Gertrude s’en alla au
marché acheter des carpes, des anguilles, des dorades, des tanches, des brochets ». Oui, peutêtre… Mais combien d’entre vous savaient que, par cette phrase, M. G., capitaine de réserve,
maire de Toury-sur-Jour, ainsi que ses amis, étaient prévenus que, d’un jour à l’autre, ils
recevraient un parachutage sur le terrain de « la tanche » ? »
Après des recherches aux Archives départementales, nous avons découvert que M. G.
est en réalité René Gozard, ancien combattant de la Première Guerre mondiale. Comme chef
du terrain La Tanche, il a reçu trois parachutages les 9 et 16 juin puis le 15 juillet 1943.
Pourchassé par la Gestapo, il dut s’enfuir pour éviter l’arrestation et revint participer aux
combats de la Libération.
II) La communication entre les résistants
A) Jules Besançon, agent de liaison
Jules Besançon, dont on a parlé dans la deuxième partie, n’a pas été seulement un
imprimeur résistant. Il a aussi été un agent de liaison entre la France Libre et les résistants
nivernais. En effet, ayant fait ses études à l’École des Arts et Métiers de Paris, Jules Besançon
était non seulement typographe imprimeur mais aussi diplômé radio électricien. La radio était
donc une passion pour lui : cela lui sera très utile durant la guerre.
Son épouse évoque ainsi ses actions : « chaque jour, la famille écoutait la B.B.C.
Après quoi il [son mari] se rendait à son poste émetteur au premier étage du logement ; mais
un soir, les patrouilles allemandes détectèrent une anomalie et il s’en fallut de peu qu’il ne
soit pris. Après cette chaude alerte, il transporta son poste dans une cave voûtée et redoubla
de précautions ».
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Le poste émetteur dont Jules Besançon se servait pour échanger avec Londres était un
cadeau de François Prestat, vétérinaire et conseiller général radical-socialiste de Varzy de
1922 à la guerre.
Une fois les renseignements recueillis, il fallait les transmettre le plus vite possible. La
voiture de la famille Besançon-Savard ayant été prise au début de la guerre et jamais rendue,
Jules Besançon se déplaçait sur une moto (voir ci-dessous, une Terrot type M) pour porter les
plis au maquis du Loup aux environs de Clamecy. Il les cachait dans le tube qui servait de
support à la selle de la moto (la photographie date de juillet 1945).
Tout le travail de Jules Besançon avait fini par mettre en danger sa sécurité et celle de
sa famille. Une première fois, il est arrêté le 27 mai 1944 puis emmené dans le camp de
Cravant-Bazarnes (Yonne). Il parvient à s’en évader avec un ami et peut rejoindre Clamecy
puis Varzy. Dans le mois d’août, les accrochages entre les résistants et les forces allemandes
étant de plus en plus fréquents et meurtriers dans le Haut-Nivernais, la tension monte.
Après des combats dans la région de Varzy entre les 19 et 21 août, de nouvelles
arrestations ont lieu. Jules Besançon est arrêté par des Allemands (sans doute sur
dénonciation) sous les yeux de son épouse et de sa fille, Monique, âgée de 10 ans.
Monique Besançon (mariée à M. Rouby) garde encore aujourd’hui un souvenir intact
de cet événement. Elle raconte la peur et l’angoisse terrible qui l’ont assailli. Son père a été
violenté pour qu’il avoue son engagement dans la Résistance. Mais, il tient le coup et nie
toute participation. L’action décisive d’un interprète, Benjamin Chamot, en sa faveur permet à
Jules Besançon de s’en sortir. Pourtant, tout n’est pas encore complètement terminé. Nous
laissons Mme Besançon-Rouby finir ce récit [Jules Besançon a donc été raccompagné chez
lui par un Allemand] :
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« Après une rapide conversation avec Maman, il m’appelle doucement. Je me précipite
dans ses bras joyeusement croyant que tout est terminé. Il me prend par la main me serrant
tendrement contre lui et me dit :
- Tu sais ma chérie un soldat vient de me ramener
devant le garage. Tu dois m’accompagner dans la rue du
Gué car j’ai dit que j’avais une petite fille et il veut te voir.
Inutile de narrer la panique qui s’empare de nous
tous. Je n’ai pas du tout envie d’y aller, je suis traumatisée
par l’arrestation. Mais papa m’explique que « nous devons
obéir ».
Maman nous regarde partir les larmes aux yeux
sans mot dire. Pauvre Maman ! que peut-elle bien penser ?
Moi, je sers très fort la main de mon résistant de père,
transie de peur.
Comment se fait-il que ce soldat ait formulé cette
demande ? Nous ne le saurons jamais. M’avait-il vue le
matin lors de l’arrestation ? Désirait-il vérifier la véracité
des propos de Papa ou de l’interprète, ayant assisté à ses
interrogatoires. Nous n’aurons jamais de réponse.
Papa me tenant toujours la main s’arrêta devant lui.
L’homme me dit bonjour en me regardant intensément. Je
répondis avec timidité quelque peu angoissée. Son regard
me scrutait, mais sans la moindre trace de méchanceté.
J’avais 10 ans, j’étais une petite blonde aux yeux bleus.
J’aurais pu être de sa famille. La guerre durait depuis tant
d’années, cet homme avait peut-être des enfants de mon
âge ? Son silence était impressionnant !
Enfin, il monta dans sa voiture et, avant de
disparaître, me tendit par la fenêtre une petite barre de
chocolat. Il salua très rigide puis quitta la rue. Le
cauchemar prenait fin une fois encore. Nous courrions à la
maison annoncer à Maman et Mamie en larmes que nous
étions libres et vivants !
En ces sinistres jours de panique et de répression,
le mot « Liberté » avait une saveur inoubliable !!! »
Ci-contre, Jules Besançon et sa petite fille Monique.
Ce témoignage montre que l’engagement personnel dans la Résistance avait
fréquemment des incidences pour la famille toute entière. Heureusement, dans ce cas,
l’histoire s’est bien terminée même si ces événements marquent pour la vie ceux et celles qui
les ont vécus.
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B) L’exemple du maquis Bernard
Dans son ouvrage, Compagnie André (5 juillet – 28 septembre 1944), Hubert Cloix,
jeune homme qui vient de rejoindre le maquis Bernard dans le Morvan dans l’été 1944,
raconte sa vie de résistant. Relatant les événements au jour le jour, il montre à la date du
dimanche 9 juillet 1944 que les communications internes aux résistants n’étaient pas
forcément simples23.
« On continue l’installation du camp Bernard. Souvent, un groupe de la compagnie
André (dépendant de ce camp) prend la garde au poste de la gare de Cœuson24. Les deux
sentinelles sont remplacées toutes les deux heures, une garde de nuit et une garde de jour. Un
des membres de l’équipe doit tenir le téléphone. Il est relevé toutes les quatre heures. Ce
téléphone est camouflé dans un buisson. Il est relié directement au P.C. départemental du
colonel Roche situé à coté du camp Bernard. Le téléphoniste transmet les informations
concernant l’arrivée des visiteurs, des autorités, des nouveaux engagés. C’est par téléphone
qu’on signale les mouvements de personnes douteuses qui s’approchent du camp sans raison
valables. Sont-ils là pour repérer les approches et les défenses du camp ? Le téléphone permet
d’informer rapidement les chefs militaires du maquis en cas d’attaque.
Dans les faits, nos téléphonistes occasionnels de la compagnie André n’ont que
rarement obtenu la communication avec le standard du P.C. situé au centre du maquis. Cette
carence s’est manifestée plus d’une fois à des moments où la communication aurait été
indispensable.
Pourquoi ces pannes ? Il s’agit de postes de campagne utilisés dans l’armée française
fournis clandestinement par les P.T.T. L’administration a caché aux Allemands ces appareils.
À cette époque, les liaisons radio n’existent pas encore entre les différents points du maquis.
La liaison téléphonique entre correspondants du maquis Bernard nécessite une ligne
téléphonique longue de trois kilomètres environ. Cette ligne circule à travers bois et prés,
passe au travers des haies, franchit les ruisseaux. Il suffit d’une coupure sur un fil, d’un peu
d’humidité, pour que les communications soient interrompues ou impossibles.
Au poste de garde de Cœuson, l’opérateur tourne et tourne avec ardeur la manivelle
d’appel, pourtant ses efforts désespérés ne permettent pas la communication avec le
correspondant souhaité, généralement le P.C. du colonel Roche ».
Sur la page suivante, à gauche, nous avons choisi une photographie extraite de
l’ouvrage Résistances en Morvan montrant l’installation du poste de téléphonie. Au dessus de
leur tête, la tente a été confectionnée avec une toile de parachute.
À droite, la photographie de ce poste radio a été prise au Musée de la Résistance en
Morvan de Saint-Brisson.
23
Le récit d’Hubert Cloix est disponible sur le site Mémoire Vive de la Résistance : mvr.asso.fr
Coeuson : Lieu-dit situé sur la commune d’Ouroux-en-Morvan. Cette petite gare n’était plus en service depuis
1939.
24
51
Poste radio fonctionnant sur accus utilisé en
Morvan pendant la guerre
52
C) L’exemple d’une installation téléphonique clandestine
Au début du conflit, Janette Colas travaille aux
PTT (Poste, télégraphe et téléphone) de Clamecy et entre
très rapidement dans la Résistance.
Elle profite de sa situation professionnelle pour
écouter les conversations téléphoniques et pour égarer
les lettres de dénonciation.
Au début du mois d’août 1944, Janette Colas
installe une ligne téléphonique entre son appartement et
le maquis Le Loup dirigé par Georges Moreau.
Voici le récit extrait de l’ouvrage de Christophe
THIERRY, Janette Colas : une employée des postes
résistante à Clamecy :
« Face au bois de Creux, une déviation fut faite : la ligne passait sous les voies de
chemin de fer, et enterrée, atteignait le bois. Cachée par le feuillu des arbres, elle aboutissait
en aérien sous la tente du Loup.
Là, un standard assez perfectionné fut installé, dont une direction aboutissait chez
Janette Colas, et quatre autres furent connectées en direction des postes de garde (…). Tous
ces travaux s’effectuèrent en plein jour, comme un travail classique d’employées des lignes
P.T.T. Mais ils représentaient tout de même un certain danger ; car, dans une maison juste en
face de celle de Janette, de l’autre côté de la rue, habitaient les téléphonistes allemands qui
travaillaient eux aussi au bureau des PTT.
Et cette situation d’extrême proximité, provoqua une mésaventure cocasse le jour de
l’installation. En effet, ce jour-là, un Allemand est très intrigué par ces hommes qui traficotent
des lignes justes sous la fenêtre de Janette. C’est alors qu’il interpelle Janette qui supervisait
les opérations pour lui demander ce qui se passait. Et elle lui répondit sans se démonter :
« Oh, rien du tout, on installe juste le téléphone ».
Il ne l’a pas crue ; car, à l’époque, on n’installait pas le téléphone. C’est donc pour cela
qu’il dit en s’esclaffant « Quelle Française, toujours le mot pour rire ! ».
Toujours est-il que Janette aura désormais la tâche grandement facilitée, puisque grâce
à cette ligne clandestine, ses déplacements au maquis seront moins fréquents, donc ses prises
de risques moins importantes ».
53
Conclusion
Notre participation au Concours national de la Résistance et de la Déportation nous a
permis de travailler sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en vue de notre examen mais
aussi d’enrichir nos connaissances personnelles sur cette période.
De plus, nous avons pu découvrir pour la première fois les Archives départementales
de la Nièvre, lieu de conservation de la grande majorité des documents que nous avons
présenté dans ce dossier. À ce titre, nous remercions le directeur des Archives, M. Roche et
l’ensemble du personnel ainsi que notre professeur d’histoire-géographie du lycée
professionnel Pierre Bérégovoy.
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Bibliographie et sources
I) Bibliographie
- Amicale des anciens du maquis Bernard, Résistances en Morvan, 2008, 250 p.
- Bucheton Robert, Un maquis dans la ville, contribution à l’histoire de l’occupation
allemande à Clamecy et dans la région (1940 – 1944), 1975.
- Cloix Hubert, Compagnie André (5 juillet – 28 septembre 1944), mémoire inédit.
- Dictionnaire historique de la Résistance, Résistance intérieure et France Libre, Bouquins,
Robert Laffont, 2006.
- Gabereau Lucien, « Souvenirs d’un louveteau (avril 1942 – septembre 1944) », 1993.
- Lettre de la Fondation de la Résistance, n°70, septembre 2012.
- Martinet Jean-Claude, Histoire de l’Occupation et de la Résistance dans la Nièvre
(1940 – 1944), 1987.
- Martinet Jean-Claude, La Résistance en Nivernais-Morvan, 1983.
- Thierry Christophe, Janette Colas : une employée des postes résistante à Clamecy, Mémoire
de maîtrise, Université de Bourgogne, Dijon, 1996.
II) Sources aux Archives départementales de la Nièvre
Série J :
- 118 J : Fonds Roger Beauger
Série W :
- 137 W 88 : Dossiers Légion d’honneur.
- 137 W 133 : Rapports de la préfecture.
- 137 W 150 : Diffusion de tracts : rapports, affichettes, imprimés (1942 – 1944).
- 1067 W 27 : Tracts saisis (1940 – 1944).
- 1067 W 29 : Gaullistes. Perquisitions (1940 – 1944).
- 1067 W 34 : Mesures de police.
- 1067 W 118 : Dossiers personnels. Communistes.
- 1629 W 148 : Dossier Pouessel n°18408.
- 1629 W 346 : Dossier Millot n°26056.
- 1629 W 460 : Dossier Bucheton n°29820.
Série Y :
- 2 Y 206/3 : Registre d’écrou (1938 – 1942). Prison de Nevers.
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Série Z :
- 2 Z 1208 : Rapports mensuels du sous-préfet de Clamecy au préfet (1941 – 1945).
- 2 Z 1209 : Rapports mensuels du commissaire de police de Clamecy au sous-préfet de
l’arrondissement (1941 – 1943).
Périodiques :
- 1 Per 134 : La Nièvre Libre puis le Journal du Centre.
- 1 Per 193 : Paris-Centre.
III) Autres sources
Mme Monique Rouby, fille de Jules Besançon, nous a permis d’accéder à ses archives
personnelles (écrits, photographies) et ainsi de mieux connaître son père et son action durant
la guerre. Nous l’en remercions infiniment. Mme Rouby a raconté une partie de ses souvenirs
de la guerre dans le bulletin annuel des Amis du Vieux Varzy.
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