Mesurer l’utilité sociale, mesurer le travail d’utilité sociale Matthieu Hély, maître de conférences en sociologie, Université Paris Ouest-Nanterre La Défense http://matthieu.hely.perso.neuf.fr Graphique 1 : Évolution comparée de l’emploi salarié dans le secteur associatif sur la période 1993-2005 (base 100 en 1993) Données INSEE (Connaissance locale de l'appareil productif) 106% 105% 104% Emplois salariés secteur associatif 103% Emplois salariés secteur marchand 102% 101% 100% 2005 2006 2007 Des associations labellisées « d’utilité sociale » ? • L’institution de cette catégorie permettrait ainsi selon ce dernier « d’éviter que la transposition de la directive “services” ne porte atteinte à l’action associative ». • Proposition du député UMP, Pierre Morange dans son rapport parlementaire de 2008. UN CONSTAT & UN CONTEXTE Constat Associations privilégiées en matière de délégation de services et missions à caractère d’intérêt général Quelle est la légitimité de cette délégation ? Question : Place des associations dans la mise en œuvre de l’intérêt général à travers la notion d’utilité sociale Contexte Changement progressif dans les modes de gouvernance publique : la Loi Organique des Finances Locales (LOLF) Valorisation d’une éthique des affaires dans le secteur marchand lucratif : la Responsabilité sociale des Entreprises (RSE) 5 PERFORMANCES ET INTERÊT GÉNÉRAL : la LOLF Accélération du processus de décentralisation : des procédures évaluatives plus systématiques des politiques publiques en particulier territoriales La LOLF en est une illustration : le Parlement vote des moyens budgétaires en contrepartie d’un engagement sur des objectifs de performance «Elle met en place une gestion plus démocratique et plus performante, au bénéfice de tous : citoyens, usagers du service public, contribuables et agents de l'État » (Ministère de l’ Économie des Finances et de l’Emploi) 6 RESPONSABILITÉ SOCIALE DES ENTREPRISES (RSE) • Définition : intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes • L’entreprise socialement responsable : • • • • • est économiquement rentable ; respecte l’environnement naturel ; est un acteur de la société civile ; innove pour la qualité de ses produits et satisfaire ses clients ; met en œuvre une gestion des ressources humaines de long terme 7 Le clivage public/privé à l’épreuve de l’utilité sociale • 1973 : arrêt Saint-Luc • 1982 : Projet de loi Henry instituant un label de reconnaissance des associations dites « d’utilité sociale » • 1984: Travaux d’Utilité Collective subornnés à l’utilité sociale • 1993 : Rapport Chéroutre au Conseil économique et social en faveur de l’exonération des associations à l’égard des impôts commerciaux au nom de leur utilité sociale • 1994: Proposition de labelliser les associations en fonction de leur contribution à l’utilité sociale (La Fonda) • 1995: Proposition de critères de définition du principe de l’utilité sociale par le CNVA • 1997: Les contrats emplois jeunes sont subordonnés à la création d’une activité d’utilité sociale • 1998: Instruction fiscale qui soumet les associations ayant des activités économiques aux impôts commerciaux selon certaines modalités. Les associations dont l’utilité sociale est reconnue peuvent en être exonérées. • 2002: Rapport du MEDEF qui réfute la légitimité des « privilèges » octroyés aux associations au nom de la concurrence loyale + Article d’A.Euillet (Juriste) qui infère une filiation juridique entre les notions d’« intérêt général » et d’« utilité sociale » • 2007: publication du guide l’AVISE LA RÈGLE DES « 4 P » L’instruction fiscale de 1998 : procédure séquentielle pour savoir si l’activité est exercée dans des conditions similaires à celles d’une entreprise lucrative - Utilisation de la règle des « 4 P » : Produit, Public visé, Prix pratiqué et la Publicité réalisée 1) 2) 3) Gestion désintéressée → Examen d’éventuelles situations de concurrence à l’offre des entreprises privées lucratives → S’il y a concurrence : savoir si l’activité est exercée dans des conditions similaires à celles d’une entreprise lucrative = Examen des 4 P : Produit, Public visé, Prix pratiqué et la Publicité réalisée. 9 UN CONSTRUIT SOCIAL… Tout comme l’intérêt général, l’utilité sociale est « une convention sociopolitique en devenir (incertain) »: « Si la notion d’utilité sociale finit par s’imposer pour réguler une partie de la vie associative, elle sera elle aussi, flexible et floue, ce qui ne l’empêchera pas, si elle se consolide dans les esprits et dans les textes, d’être un point d’appui bien « réel » pour de multiples décisions publiques ou fiscales, voire même un repère général pour la gestion de certaines associations » (Jean Gadrey 2003) 10 Comment mesurer l’utilité sociale du travail associatif ? Ce qui suppose de ne plus penser le monde associatif comme un monde du travail (et plus seulement comme un monde de l’engagement). Les différentes dimensions de l’utilité sociale selon l’AVISE Dynamique locale Coûts évités à la société Sociale Création de services Economique Emplois salariés Lien social Egalité des chances Développement des capabilités L’utilité sociale Sociétale Equité entre les territoires Diversité culturelle Environnement Actions spécifiques Citoyenneté et démocratie locale Politique Pratiques transversales Innovation Aiguillon Renforcement esprit critique Epanouissement Expression libre Cadre et conditions de vie Introduction générale CM APAS "Travail associatif et gestion du personnel" Capacités et capabilités Dimension économique • Développement de l’emploi : Cette contribution peut-être directe (les associations représentent environ 1 500 000 emplois soit 7,4% de l’emploi salarié (hors fonction publique d’état)). Mais également indirecte : la création d’une crèche peut avoir pour conséquence de libérer du temps pour l’activité professionnelle d’un conjoint. • La création de richesses et de services : prise en charge d’un besoin peu ou mal satisfait (aide à domicile, soutien scolaire…) • Dynamique territoriale : renforce l’attractivité d’un territoire (garde d’enfants, entretien du cadre de vie…etc) • Les coûts évités à la société : les associations contribuant à l’insertion professionnelle des chômeurs minimisent les dépenses publiques (rôle accru avec la fin du monopole de l’ANPE comme intermédiaire de l’emploi). Idem protection de l’environnement. Introduction générale CM APAS "Travail associatif et gestion du personnel" Dimension sociale • Egalité des chances : actions en faveur de groupes discriminés ou souffrant d’une inégalité de traitement : accompagnement scolaire, aide aux personnes séropositives, aux personnes handicapées…etc. • Le développement des « capabilités » : atteindre l’égalité des libertés, c’est-à-dire élargir le « champ des possibles » (ou la capacité à faire des projets professionnels, culturels, personnels, familiaux etc…) pour la majorité des citoyens. • L’Atténuation des disparités entre territoires : idée au cœur du développement local et de la politique de la ville. Introduction générale CM APAS "Travail associatif et gestion du personnel" Dimension sociétale • Le lien social : créer des réseaux de relations • La citoyenneté et démocratie locale : renforce la participation des membres, usagers, bénéficiaires… • La diversité culturelle : respect d’autrui et des différences de pratiques, de croyances et de valeurs Dimension politique • L’innovation : expérimentation de nouvelles pratiques (Systèmes d’échanges locaux) • Aiguillon : action critique dans l’espace public (Sida, OGM, Logement) • Renforcement de l’esprit critique : prise de conscience collective • Promotion de l’intérêt général : accès au droit et aux services publics Introduction générale CM APAS "Travail associatif et gestion du personnel" Dimension environnementale • Actions en direction de l’environnement : sensibilisation auprès des enfants, des citoyens des enjeux de l’environnement • Pratiques transversales respectueuses de l’environnement : promotion de pratiques écologiques (tri sélectif, recyclage etc…) Dimension d’épanouissement • Cadre et conditions de vie : qualité de vie et rythme de vie (promotion de modes de transports urbains alternatifs) • Capacités et capabilités : accès à la culture (université populaire), apprentissage de savoirs et de pratiques (bourses d’échange de compétences) Introduction générale CM APAS "Travail associatif et gestion du personnel" Qui est légitime pour évaluer « l’utilité sociale » du travail associatif ? Alinéa 62 : “Est d’utilité sociale l’activité qui tend à satisfaire un besoin qui n’est pas pris en compte par le marché ou qui l’est de façon peu satisfaisante.” Instruction fiscale de 2006, DGI. L’instruction fiscale de 1998 •1ère étape : l’association fait-elle l’objet d’une gestion désintéressée ? Si non : l’association est soumise aux impôts commerciaux. •2ème étape : l’association concurrence t’elle une entreprise ? Si oui il faut alors déterminer si les modalités de gestion sont similaires ou non à celle d’une entreprise à but lucratif. •3ème étape : les modalités de gestion sont-elles similaires ? Application de la règles dites « des 4 P » : Produit, Public, Prix, Publicité. Séance 1 CM APAS "Travail associatif et gestion du personnel" La règle dite « des 4 P » Produits : les produits (biens ou services) ne sont pas disponibles auprès d'entreprises lucratives ou le sont de façon non satisfaisante; Public : les services ou les biens vendus doivent toucher un public qui ne peut normalement pas obtenir le même service ou bien, par exemple des personnes indigentes, chômeurs, familles monoparentales ou personnes dépendantes ; Prix : les prix sont inférieurs à ceux du marché (mais on peut toujours invoquer un motif de différenciation — réelle ou fictive — de la prestation) ; Publicité : l'association n'a pas recours à la publicité (la distinction entre publicité et information du public — expression en principe synonyme ! — est pour le moins floue, cela dit...) Séance 1 CM APAS "Travail associatif et gestion du personnel" Les limites de la rhétorique de l’économie sociale et solidaire: l’utilité sociale “par nature” n’existe pas. Les Disney Voluntears : le partenariat Secours Populaire /EuroDisney Que faire ? • Refuser le monopole de la définition légitime de l’utilité sociale par l’administration fiscale. Enjeu pour le monde associatif : s’accorder sur une défintion communément partagée de l’utilité sociale. Pas facile ! « alors que la notion d’ « utilité sociale » est au cœur des débats portant sur la porosité des frontières entre sphère publique et sphère privée, monde politique et monde économique, elle demeure un concept polysémique répondant à des mobilisations diverses et contingentes », H.Trouvé, L'utilité sociale : des pratiques aux représentations une étude de cas dans le champ de l'insertion par l'activité économique, Thèse pour le doctorat en sciences économiques, Paris 1-La Sorbonne, 2007, p.284. • Prendre acte de la mise en équivalence monétaire de l’utilité sociale. Faut-il ou non monétariser ? Arguments pour : -L’utilité sociale a de fait une valeur monétaire implicite. -Le salarié doit-il accepter seul de supporter cette non valorisation monétaire ? -Quid des activités dont l’utilité sociale n’est pas questionnée (et pourrait l’être !) et qui sont très (trop ?) valorisées. http://www.ies-salariat.org/