Comorbidité Psychiatrique et Addiction Journée de formation des 3 frontières : Maternité et Addictions 30 septembre – 1er octobre 2005 Dr Laurent MICHEL - Centre de Traitement des Addictions – Limeil Brévannes Plan Epidémiologie – En population générale – En populations traitées – En populations spécifiques Limites de l’évaluation des troubles comorbides Interprétation de la comorbidité Comorbidité et évolution des troubles Conséquences thérapeutiques Epidémiologie En population générale – 2 enquêtes nationales majeures Epidemiologic catchement area (1990 - nimh – 20 291 individus) National comorbidity survey (1994 – Kessler – 8 091 individus) – ECA 22.5% des américains victimes de troubles psy « lifetime » – Parmi eux, 15% ont également un problème de drogue – Les diagnostics les plus concernés étant • Schizophrénie • Troubles bipolaires • Personnalité antisociale 6.1% des américains confrontés à un problème de drogues (hors alcool) – Parmi eux, 53% ont aussi des troubles psy En population générale (suite) – NCS Prévalence abus/dépendance de drogues chez des patients présentant des troubles psychiques récents 16 14 12 10 abus dépendance 8 6 4 2 0 troubles de l'humeur syndromes maniaques troubles anxieux troubles panique SPT En population générale (suite) – NCS Prévalence de comorbidités psychiatriques au cours des 12 derniers mois chez des patients abuseurs/dépendants de drogues 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 abus dépendance tous troubles confondus troubles de l'humeur troubles anxieux En population générale (suite) – Conclusions ECA et NCS : La plupart des cas de comorbidité (NCS) sont dus à l’association entre un trouble mental primaire et une dépendance secondaire ( = associée ou produite par le trouble mental) Les personnes atteintes de comorbidités sont plus susceptibles de demander et recevoir un traitement que celles qui ne souffrent que d’un seul problème (NCS : 26% des personnes souffrant de dépendance traitées l’année précédente contre 63 % lorsque troubles mentaux associés) Les personnes souffrant le plus de comorbidités sont celles vivant en institution (prison +++) Les plus hauts taux de comorbidités concernent la dépendance plus que l’abus dans un sens, les syndromes maniaques dans l’autre (NCS) ou la schizophrénie et les troubles bipolaires (ECA). Epidémiologie – En populations traitées Services de soins aux toxicomanes – Au moins 1/3 (jusqu’à ½ selon les études) des patients pris en charge pour un alcoolisme ou une toxicomanie présentent une comorbidité psychiatrique – Comorbidités largement supérieures à la population générale – Et plus fréquentes lors de dépendances aux opiacés et à la cocaïne – Les troubles les plus fréquents sont : • Troubles de l’humeur (dépressions majeures +++) • Troubles anxieux (phobies +++) • Stress post traumatiques • Troubles de la personnalité • Psychoses et troubles bipolaires sont par contre peu représentés Epidémiologie – En populations traitées Population présentant des troubles mentaux – 30 à 50% des patients psychiatriques présenteraient une comorbidité addictive – Au moins la moitié des jeunes à leur premier épisode de schizophrénie ou de trouble bipolaire présentent ou développent un trouble relié à l’usage de substances – Chez les schizophrènes (Mercier et Beaucage, 1997) : • Prévalence sur la vie d’abus d’alcool est de 34%, et de 28% pour les drogues – Chez les bipolaires (Mercier et Beaucage, 1997) : • Prévalence sur la vie d’un trouble lié à l’alcool est de 46%, et la prévalence de la toxicomanie de 41% Epidémiologie – En populations spécifiques SDF – Comorbidité psychiatrique et alcool/drogues = 10 à 20% – La comorbidité augmente le risque de retourner à la rue même si un hébergement est retrouvé Prison – 30 à 60% des détenus entrants présentent un abus ou une dépendance à l’alcool ou aux drogues – 45% présentent un trouble psychiatrique – La co-occurrence des 2 augmente le risque de marginalisation à la sortie Femmes – Des traumatismes infantiles (mauvais traitements – abus sexuels) sont plus fréquents chez les femmes présentant des troubles psychiatriques et des troubles liés à un usage de substances. – La comorbidité augmente également le risque de se retrouver sans abris Epidémiologie – En populations spécifiques Femmes enceintes – La prévalence de troubles psy est comparable à celle en population générale comorbide – Par contre, la comparaison* de femmes enceintes et non enceintes traitées pour leur addiction dans un programme méthadone montre • un niveau global de comorbidité plus faible chez les femmes enceintes et en particulier : • moins de troubles de l’humeur • moins de troubles de la personnalité • mais pas de différence en ce qui concerne la sévérité des troubles addictifs – Par ailleurs, le maintien en traitement pendant la grossesse chez des femmes cocaïnomanes serait conditionné** par • L’importance des mauvais traitements dans l’enfance • L’importance des troubles anxieux et de la personnalité *Crandall, Journal of Substance Abuse Treatment, 2004 ** Killeen, Journal of Addictive Diseases, 1995 Epidémiologie - conclusions La présence d’un trouble psy augmente le risque de présenter un trouble lié à une substance et inversement Ce sont les patients présentant une comorbidité psychiatrique et les tableaux les plus sévères qui sont les plus susceptibles de consulter La comorbidité chez les adolescents a des conséquences à long terme : – Chronicisation des troubles (psy et addictifs) – Taux de guérison plus faibles Limites de l’évaluation des troubles comorbides Littérature psychiatrique : – Sous détection usage de substances dans la population psychiatrique (jusqu’à 90% de non détection des troubles liés à la consommation de drogues aux urgences psy*) Abus de drogues et d’alcool considérés comme troubles de seconde classe ? Problème de formation ? Inadaptation des outils de dépistage (trop longs, trop lourds, inadaptés pour l’aspect social…) Sensibilité des outils mal ajustée (un usage « banal » en population standard pourrait avoir des conséquences plus sévères en population psychiatrique – exacerbation symptômes, autonomie, compliance au traitement…) – Confrontation d’autoquestionnaires (ASI,…) + comptes rendus « collatéraux » + tests urinaires ? *Ananth, Hospital and Community Psychiatry, 1989 Limites de l’évaluation des troubles comorbides (2) Littérature spécialisée – Légitimité même de l’évaluation mise en question par de nombreux services spécialisés : différences philosophiques sous-tendant les diverses cultures médicales en présence (centres méthadone, programmes hospitaliers, structures bas-seuil, groupes d’auto-support, communautés thérapeutiques…) => peu d’outils partagés – Proximité phénoménologique entre symptômes des troubles mentaux et ceux de la consommation de substances avec complexité des liens qui les unissent => difficultés dans l’établissement de dg et de dg différentiels Interprétation de la comorbidité Des intrications cliniques complexes et des enjeux thérapeutiques – les symptômes psychotiques, troubles de l’humeur, états anxieux peuvent résulter de l’intoxication, du manque, d’un trouble psychiatrique indépendant, ou d’une combinaison de ces facteurs – Des symptômes apparemment identiques répondent différemment au traitement selon leur étiologie (enjeux du traitement d’états psychotiques lors du manque : risque de traiter au long cours comme une psychose fonctionnelle, mais aussi de ne pas traiter le manque) – L’évaluation dg peut être altérée par les troubles de l’humeur ou les troubles cognitifs induits par un état de manque Interprétation de la comorbidité (2) Modélisation : – Lehman (1989) : 4 types de liens une maladie mentale primaire dont l’abus de substances est la séquelle (automédication) un trouble lié à la consommation de substances avec des séquelles psychiatriques – Étude de Verheul et al. (Journal of studies on alcohol, 2000) : lors de troubles de l’humeur ou d’anxiété, ceux qui a 12 mois étaient en rémission de leurs troubles liés à l’alcool avaient 16.7 fois plus de chances d’être en rémission pour troubles de l’humeur et troubles anxieux que ceux continuant l’alcool – ce taux est de 4.3 pour ceux présentant des troubles liés aux opiacés 2 troubles primaires et indépendants 2 troubles résultant d’une même cause sous-jacente – Par exemple, négligence parentale, agressions graves dans l’enfance Interprétation de la comorbidité (3) Modélisation (suite) : – Grella (1996) : 2 cas de figure supplémentaires le trouble psychiatrique modifie l’évolution de celui résultant de la consommation – Les résultats de l’étude de Verheul peuvent être interprétés en ce sens : une proportion importante de troubles de l’humeur et de troubles anxieux atteignent un seuil clinique significatif lorsque le patient présente des troubles liés aux substances le trouble psychiatrique et celui produit par les substances se lient de façon significative au fil du temps Interprétation de la comorbidité (4) Implications cliniques – L’étiologie des symptômes aigus devient plus claire après une période d’abstinence Les critères du DSM-IV exigent 4 semaines d’abstinence avant de qualifier un état psychotique persistant comme psychose fonctionnelle => le traitement doit cependant être débuté, privilégiant les nouveaux antipsychotiques ayant démonté leur efficacité dans ce type de tableau L’imputabilité d’une substance ne peut être retenue dans la survenue d’un trouble psychotique (dg de trouble psychotique induit par une substance) que si le sevrage ou la dernière consommation ne remontent pas à plus de 4 semaines Il est globalement recommandé d’attendre 2 à 4 semaines d’abstinence afin d’établir un diagnostic psychiatrique (cas des troubles de l’humeur lors de l’intoxication OH puis dans le sevrage alcoolique ++) Comorbidité et évolution des troubles Conséquences de la comorbidité sur l’évolution de l’un ou l’autre trouble – Peu de travaux – Pas d’enquêtes sur l’influence des troubles psy sur l’évolution de la consommation de drogues – Quelques travaux sur l’influence de l’abus ou de la dépendance sur l’évolution des troubles psychiatriques Conséquences recensées de l’abus/dépendance sur l’évolution des troubles psy (Cuffel, 1996) – l’usage de toxiques (alcool++) chez des patients schizophrènes entraîne à 6 mois des résultats plus mauvais en terme de : fonctionnement dans la vie quotidienne, symptômes psychiatriques (BPRS) – Chez des patients présentant des troubles mentaux graves, l’existence d’une dépendance réduit les chances de rémission – Les patients présentant sur 1 an de suivi une accentuation de l’abus de substance présentent : des taux d’hospitalisation plus élevés une fréquence accrue de symptômes dépressifs un fonctionnement général plus faible Conséquences pour la prise en charge Cuffel (1996) conclut que : – Sans des interventions ciblées, pratiquées dans le cadre d’un traitement intensif : les consommations de toxiques persistent durablement qu’elles ont des conséquences négatives sur – les résultats des traitements – le fonctionnement général – la qualité de vie des patients Implications pour la prise en charge (conclusion) – Adaptation des techniques de dépistage : le seuil définissant un usage problématique lors de maladies mentales correspond sans doute à de faibles consommations en population générale – Importance d’études sur les pratiques de consommation et les situations dans lesquelles sont véritablement utilisées les drogues diverses études semblent prouver que la disponibilité de telle ou telle drogue dans un milieu donné pourrait avoir plus d’influence sur sa consommation que les seuls effets de la drogue sur le système nerveux central – Nécessité de traitements intégrés gestion du problème de drogue et du trouble mental par le même clinicien ou la même équipe, dans un même programme – Mais manque d’études comparatives des différentes modalités de traitement