Transcription : 14-18 : les Chinois en renfort Voix off Niché au cœur de la campagne picarde, comme un rappel de cette histoire méconnue, se tient le cimetière chinois de Noyelles-sur-Mer. 843 tombes à l'endroit même où près de 10 000 travailleurs chinois sont venus participer à l'effort de guerre. Michel Galiani, maire adjoint de Noyelles-sur-Mer (Somme) Le camp, il partait disons de là, comme ça. Il faisait tout le tour, là, ici. 40 hectares. Voix off Pourquoi ces Chinois ont-ils traversé les océans pour venir en France à l’heure de la Première Guerre mondiale ? Année 1916, la main-d’œuvre manque cruellement sur tout le territoire français. Les femmes et les travailleurs coloniaux ne suffisent plus. 140 000 Chinois débarquent alors à Marseille, après trois mois de voyage par bateau. Certains recrutés par l'armée française, d'autres par les Alliés*, non pas pour combattre mais pour travailler, partout où les besoins se font sentir. Dès leur arrivée, on leur attribue un matricule. Marie-Claude Albert, Centre châtelleraudais d’histoire et d’archives Les Chinois ont une réputation d’être… la réputation d'être travailleurs, d'avoir déjà réalisé des voies ferrées partout dans le monde, au Canada, en Australie. Donc, il y a une réputation de travail des Chinois, et notamment des Chinois du nord, particulièrement des Mandchous. Et puis il y a une autre raison : c’est que la France a des liens économiques très précis avec la Chine et que ces liens économiques vont évidemment être exploités pendant la Première Guerre mondiale. Voix off Comme ici à Châtellerault, les travailleurs sous contrat français sont surtout affectés dans les usines d’armement. Mais on les retrouve aussi dans les ateliers de bois, sur les chantiers ferroviaires ou sur les chantiers navals. L’hébergement est sommaire : ils logent parfois à 70 ou 100 dans des baraquements, et la discipline y est très stricte. Encadrés en permanence par des officiers et des interprètes, ils ne doivent avoir aucun contact avec la population française. Marie-Claude Albert, Centre châtelleraudais d’histoire et d’archives On craignait des altercations entre les ouvriers français et les ouvriers chinois, et il y en a eu ; il y a eu quelques rixes. Ces ouvriers sont, évidemment, dès le départ mal vus puisqu’ils viennent prendre des postes qui ne leur reviennent pas. Voix off Ces images témoignent d’un rare moment de partage avec la population : les célébrations du Nouvel an chinois, au cœur d’un village français. Tchang Chang-Song était l’un de ces travailleurs chinois. Resté vivre en France après la guerre, il n’a jamais parlé de cette période à ses enfants. Ce n’est qu’après sa disparition que son fils a tenté de retracer son parcours. Gérard Tchang On voit « chinois Tchang Cha T, matricule 16 719 », c’est bien son matricule. Voix off En 1917, Tchang Chang-Song a 20 ans lorsqu’il embarque volontairement pour la France. Gérard Tchang Il y avait beaucoup de misère dans le peuple, dans la paysannerie. Donc, il y a beaucoup de Chinois qui ont voulu améliorer leur quotidien. « Le salaire du travailleur est fixé à 5 francs par journée de travail. » Voix off Une partie de ce salaire devait obligatoirement être envoyée aux familles en Chine ; c’était écrit dans le contrat de travail. Mais cet argent est rarement arrivé jusque là-bas. Gérard Tchang Ici, voilà, c’est une lettre. La seule lettre qu’on ait de ma grand-mère, où elle dit qu’elle est malheureuse. Elle demande à son fils de lui envoyer de l’argent pour subvenir aux besoins de la famille. Voix off À la fin du conflit, ces travailleurs chinois nettoient les tranchées, exhument les corps des Poilus*. Certains en deviendront fous. À Noyelles-sur-Mer, les 843 hommes enterrés ici ont succombé à ces mauvaises conditions de travail et à la grippe espagnole aussi. Les travailleurs chinois de la Grande guerre sont rentrés chez eux dans la plus grande indifférence. 2 000 à 10 000 d’entre eux seraient restés vivre en France. *Les Alliés : désigne au début de la guerre principalement la France, l’Empire russe et l’Empire britannique. * Les Poilus : surnom donné aux soldats français de la Première Guerre mondiale.