ARTICLE ORIGINAL
Lhypersensibilité non IgE-dépendante aux protéines
du lait de vache serait-elle une des causes
de lhyperactivité chez lenfant ?
Is non IgE-dependent hypersensitivity to milk cow
proteins responsible for hyperactivity in child?
T. Aboudiab
a,b,*
, L. Léké
c
, K. Zahreddine
d
, J. Darras
b
, S. Al Hawari
b
,
J.-P. Chouraki
b
a
Cabinet de pédiatrie libérale, 80200 Péronne, France
b
Service de néonatologie, centre hospitalier, 02100 Saint-Quentin, France
c
Département de pédiatrie, unité de néonatologie, CHU, 80000 Amiens, France
d
Laboratoire de biologie médicale, centre hospitalier, 02100 Saint-Quentin, France
MOTS CLÉS
Protéine du lait
(hypersensibilité) ;
Inflammation ;
Hyperactivité ;
Enfant
Résumé
Introduction. Lhypersensibilité alimentaire non IgE-dépendante telle quelle a été décrite
par Gell et Coombs garde son intérêt sur le plan immunologique. Les études que les auteurs
mènent depuis plusieurs années ont permis dévoquer un lien entre lhypersensibilité non IgE-
dépendante aux protéines du lait de vache et une certaine symptomatologie digestive et
extradigestive chez lenfant tels les coliques, le reflux gastro-œsophagien, lanorexie du nour-
risson, lotite séreuse, la fatigue chronique, lasthme, la constipation ou la vulvite chez la fil-
lette. Les auteurs ont voulu savoir si lhyperactivité chez lenfant pourrait être due à cette
même étiologie.
Observation. Quinze enfants, huit filles et sept garçons âgés de 18 mois à six ans, ont
consulté pour une hyperactivité diurne permanente associée à dautres symptômes ou signes
non spécifiques tels leczéma, les troubles du sommeil, le somnambulisme, le bégaiement, la
constipation ou les douleurs abdominales. Dans les antécédents de leur première année de
vie, on relevait des symptômes tels des coliques, un reflux gastro-œsophagien, des bronchites
à répétition, de leczéma ou des troubles du sommeil. La suppression du lait de leur alimenta-
tion avec le maintien dune faible quantité des produits laitiers fermentés a permis une dimi-
nution de leur hyperactivité en 48 heures dans 13 cas, la suppression de tous les produits lai-
tiers chez les non-répondeurs (2/15 cas) avait atténué leur symptomatologie. La
réintroduction du lait dans lalimentation des 15 enfants a reproduit les mêmes symptômes
dans un délai de 48 heures. Les tests immunologiques ont été en faveur dune hypersensibilité
non IgE-dépendante aux protéines du lait de vache.
Journal de pédiatrie et de puériculture 20 (2007) 111113
*
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (T. Aboudiab).
0987-7983/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.jpp.2007.05.004
available at www.sciencedirect.com
journal homepage: http://france.elsevier.com/direct/PEDPUE/
Discussion. La diversité des réponses de lorganisme face à un antigène, quil soit alimen-
taire ou pas, mène les auteurs à suggérer un lien entre lhypersensibilité non IgE-dépendante
aux protéines du lait de vache et lhyperactivité chez les enfants ayant eu une symptomatolo-
gie digestive et extradigestive non spécifique durant la première année de vie, la symptoma-
tologie pouvant être induite par un mécanisme immunologique, quil soit par le dépôt de com-
plexes immuns, une médiation cellulaire ou par dautres mécanismes qui demeurent inconnus.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
KEYWORDS
Milk proteins
(hypersensitivity);
Inflammation;
Hyperactivity;
Child
Abstract
Introduction. The non-dependant food hypersensitivity as described by Gell and Coombs has
its interest on the immunological plan. The studies that the authors have lead since many
years permitted to evoke a link between the non IgE-dependent hypersensitivity to milk cow
proteins and a certain digestive and non digestive symptomatology in children as colic,
gastro-oesophageal reflux, constipation, eczema, sleep disorders, vulvitis in young girls,
chronic fatigue, or serous otitis. The authors wanted to study if there is a link between this
etiology and the hyperactivity in children.
Observation. Fifteen infants, eight girls and seven boys aged between 18 month and 6 years
old, had consulted for permanent diurnal hyperactivity associated to other non specific symp-
toms or signs as eczema, sleep disorders, somnambulism, stammer, constipation or abdominal
pain. The history of first year of life reveal symptoms as colic, gastro-œsophageal reflux,
recurrent bronchitis, eczema and sleep disorders. The suppression of milk and the preserva-
tion of a small quantity of fermented milk products lead to a decrease of hyperactivity within
48 hours in 13 cases. The suppression of all milk products in the non-responders (2/15 cases)
attenuated their symptoms. The reintroduction of milk in their alimentation reproduced the
same previous symptoms within 48 hours. The immunological tests showed positive results for
non IgE-dependent hypersensitivity to milk cow proteins.
Discussion. The different responses of the organism facing an antigen that it is alimentary
or not suggest a link between non IgE-dependent hypersensitivity to milk cow proteins and
hyperactivity in infants having a digestive or non digestive symptomatology during the first
year of life. The symptomatology might be induced by immunological mechanism that it is
due the immune complexes depot effect, a cellular mediation or by other unknown mechan-
isms.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Introduction
Lhyperactivité de lenfant est un motif de consultation fré-
quent en pédiatrie générale. Elle est attribuée en général à
des troubles relationnels et affectifs mineurs. Un soutien
psychologique est souvent proposé.
Lhypersensibilité telle quelle a été décrite par Gell et
Coombs en 1945 na pas perdu de son intérêt sur le plan
immunologique. Les quatre types de la classification per-
mettent den décrire les mécanismes. Ce sont des mécanis-
mes généraux délimination des antigènes dans des condi-
tions physiologiques, mais qui déclenchent des phénomènes
pathologiques dans le cadre de ces hypersensibilités [1].
En ce qui concerne lhypersensibilité aux protéines du
lait de vache (PLV), seule la symptomatologie provoquée
par lhypersensibilité IgE-médiée était auparavant prise en
considération. Or, sur lensemble de la symptomatologie
attribuée à cette protéine, la moitié est déclenchée par
un mécanisme non IgE-médié (complexes immuns ou méca-
nisme cellulaire) [1].
Les recherches que nous menons chez lenfant depuis
plusieurs années ont permis dévoquer un lien entre
lhypersensibilité non IgE-dépendante aux PLV et certains
symptômes et signes digestifs, comme lanorexie du nour-
risson [2], les coliques, le reflux gastro-œsophagien et la
constipation [3], mais également extradigestifs, comme la
fatigue chronique [4],leczéma, lotite séreuse [5],
lasthme et la toux chronique [6] ou la vulvite chez la fil-
lette [7] ; le mécanisme de toute cette symptomatologie
pouvant être un dépôt au niveau des tissus et des organes
de lorganisme, de complexes immuns circulants contenant
lantigène en cause (hypersensibilité type III), soit par un
mécanisme à médiation cellulaire en réponse à la présence
de cet antigène (hypersensibilité type IV). Partant de ce
constat, nous avons voulu savoir si lhyperactivité chez
lenfant pourrait être également due à cette étiologie.
Observation
Quinze enfants, dont huit filles et sept garçons âgés de
18 mois à six ans avec une moyenne dâge de trois ans,
ont consulté pour une hyperactivité diurne permanente.
Les enfants sont décrits comme coléreux, touchant à tout,
ne sappliquant pas longtemps sur une tâche, impulsifs,
etc. En plus de leur hyperactivité, ils présentaient au
T. Aboudiab et al.112
moment de leur prise en charge dautres symptômes et
signes cliniques :
quatre enfants sur 15 avaient une peau eczématiforme ;
11 enfants présentaient des troubles du sommeil ;
deux enfants souffraient de somnambulisme ;
un enfant avait des difficultés dans lacquisition du lan-
gage, un autre souffrait de bégaiement ;
quatre enfants étaient constipés ;
un enfant avait une toux chronique ;
trois enfants souffraient de douleurs abdominales récur-
rentes.
Dans les antécédents de ces enfants, on relevait des
symptômes non spécifiques dans la première année de vie
tels des coliques, un reflux gastro-œsophagien, des bron-
chites à répétition, un eczéma ou des troubles du sommeil.
Lhypothèse dune hypersensibilité non IgE-dépendante
aux protéines du lait de vache étant évoquée, la protéine
native du lait a été ôtée de leur alimentation en mainte-
nant un faible apport journalier en produits laitiers fermen-
tés, associé à un supplément calcique adapté à chaque âge.
Treize enfants sur 15 avaient répondu positivement au
régime instauré entraînant une amélioration nette de
lhyperactivité dans les 48 heures qui ont suivi linstaura-
tion du régime ; seuls 2 sur 15 navaient pas ressenti
damélioration et ont nécessité une suppression totale du
lait et de ses dérivés afin dobtenir une réponse positive.
Lamélioration des symptômes associés était constatée
dans un délai assez court. La réintroduction du lait chez
ces enfants a entraîné une récidive de lhyperactivité dans
les 48 heures tandis que la récidive des symptômes associés
était variable entre deux et dix jours après la réintroduc-
tion.
La recherche dune hypersensibilité immédiate au lait
par la méthode des RAST ou par le Trophatop
®
était néga-
tive chez tous les enfants ; la recherche dune hypersensi-
bilité retardée aux PLV par les patch-tests (Diallertest
®
)
était positive chez 5/15 enfants ; un test dactivation lym-
phocytaire en présence du lait était positif chez un sixième.
Trois enfants avaient bénéficié dune recherche dIgG/IgA/
complexes immuns circulants anti-PLV ; tous ont été trouvés
positifs malgré des patch-tests négatifs.
Discussion
Loriginalité de ce travail réside dans le fait que nous évo-
quons pour la première fois en France le lien entre lhyper-
activité chez lenfant et lhypersensibilité alimentaire. La
diversité des réponses de lorganisme face à un antigène,
quil soit alimentaire ou pas, nous mène à suggérer un lien
entre lhypersensibilité non IgE-dépendante aux protéines
du lait de vache et cette hyperactivité.
Ces liens ont déjà été décrits dans la littérature dans le
cadre de lhyperactivité avec des troubles de lattention [8]
et lors des convulsions cryptogénétiques partielles chez des
enfants présentant une hyperactivité, des troubles du som-
meil et des difficultés à lapprentissage de lécriture [9].
La tolérance aux produits laitiers fermentés par rapport
à la protéine native du lait chez la plupart de ces enfants
pourra sexpliquer par lhydrolyse partielle de la protéine
du lait par les enzymes de la fermentation ; la positivité des
patch-tests en présence du lait et leur négativité en pré-
sence du yaourt chez le même patient autorisent cette
hypothèse [6]. Seule une faible proportion de ces enfants
nécessite une éviction totale des produits laitiers. Une sup-
plémentation calcique et vitaminique est alors indispen-
sable.
En ce qui concerne les liens entre lhyperactivité et la
protéine du lait, on peut évoquer lhypothèse dune inflam-
mation chronique généralisée responsable à la fois de
lhyperactivité et de la symptomatologie associée. Une vas-
cularite a minima engendrée par les complexes immuns cir-
culants contenant des IgG et/ou des IgA antiprotéines du
lait de vache et combinés à dautres protéines inflammatoi-
res provoquées par lhypersensibilité aux PLV peut être
avancée. La présence de ces complexes chez un patient
ne suffit pas à elle seule pour confirmer un diagnostic
dhypersensibilité alimentaire mais peut être un élément
dapproche supplémentaire au diagnostic et à la
physiopathologie ; seul un test déviction/réintroduction
de laliment en cause pourra le confirmer.
Le lien entre lhypersensibilité aux PLV et lhyperactivité
paraît en étroite corrélation chez les enfants ayant eu des
troubles digestifs et extradigestifs non spécifiques déjà pré-
cités étant survenus pendant la première année de leur vie
et qui ont gardé une symptomatologie résiduelle les années
ultérieures.
Références
[1] Kolopp-Sarda MN, Faure GC, Koher C. Exploration des hyper-
sensibilités de type II et III. In: Allergie aux médicaments.
Paris: John Libbey; 2006. p. 13745.
[2] Aboudiab T, Jarosson L, Chouraki JP, Dalleac A, Kohler C,
Béné MC, et al. Anorexie révélatrice dune intolérance aux
protéines du lait de vache. Arch Pediatr 2003;10:64950.
[3] Aboudiab T, Chouraki JP, Léké L, Béné MC, Kolopp-Sarda MN,
Prin-Mathieu C. Hypersensibilité non IgE-dépendante aux pro-
téines du lait de vache et constipation fonctionnelle
chronique : ya-t-il un lien ? Arch Pediatr 2004;11:13745.
[4] Aboudiab T, Léké L, Skonieczny M, Chouraki JP. Hypersensibilité
alimentaire non IgE-dépendante et syndrome de fatigue
chronique : ya-t-il un lien ? (Lettre). Arch Pediatr 2004;11:
9757.
[5] Aboudiab T. Otite séromuqueuse entretenue par un reflux
gastro-œsophagien ou par une intolérance aux protéines du
lait de vache. Arch Pediatr 2001;8:10212.
[6] Aboudiab T, Léké L, Pautard JC, Béné MC, Prin-Mathieu C,
Kolopp-Sarda MN. Lhypersensibilité non IgE-dépendante aux
protéines du lait de vache influence-t-elle la toux chronique
et lasthme chez lenfant ? Arch Pediatr 2003;10:9112.
[7] Aboudiab T, Léké L, Al Hawari S, Zahreddine K, Kolopp-Sarda
MN, Prin-Mathieu C. Lhypersensibilité non IgE-dépendante
aux protéines du lait de vache peut-elle être responsable de
la vulvite idiopathique rebelle chez la fillette ? Arch Pediatr
2005;12:15267.
[8] Ferguson A. Definitions and diagnosis of food intolerance and
food allergy: consensus and controversy. J Pediatr 1992;121:
S7S11.
[9] Pellicia A, Lucarelli S, Frediani T, DAmbrini G, Germinara C,
Barbato M, et al. Partial cryptogenetic epilepsy and food
allergy/intolerance. A causal or a chance relationship? Reflec-
tions on three clinical cases. Minerva Pediatr 1999;51:1537.
Hypersensibilité au lait de vache et hyperactivité 113
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