XIV° CONGRES AMIK – BORDEAUX 28 et 29 Septembre 2012 Les conférences Petit Pied deviendra grand Sandrine Gain‐Duval ‐ Jean Riera, Masseurs Kinésithérapeutes Mézièristes, membres de l’équipe pédagogique de l’AMIK‐Formation En position debout, le pied est le premier élément en contact avec le sol. Sa souplesse lui permet de s’y adapter et de gérer les contraintes venues du membre inférieur. Amortisseur et propulseur, il assure la stabilité et les contrôles de trajectoire. En supportant tout le poids du corps, il est l’élément de base de notre équilibre debout. C’est un complexe articulaire où la sensibilité est essentielle et où chaque muscle possède son antagoniste. Françoise Mézières élabore sa méthode en ayant à l’esprit un idéal d’harmonie et de beauté de la forme humaine. Elle compare des modèles architecturaux au corps humain et insiste sur la voûte plantaire, qu’elle considère comme une lordose semblable à une voûte gothique dont la clé est soutenue par la pression ascendante qu’elle reçoit de ses piliers. Ainsi, pour elle, la pesanteur n’écrase pas la voûte plantaire mais, au contraire, la soulève. Si un pied s’affaisse en charge, il faut sans doute aller chercher l’origine de cet affaissement au niveau des membres inférieurs, du bassin, de la colonne vertébrale. Mais que se passe‐t‐il au niveau de ce pied depuis la naissance jusqu’à la station debout et l’acquisition de la marche ? Comment ce petit pied va‐t‐il se construire et évoluer tout au long de sa croissance ? C’est ce que nous vous proposons rappels embryologiques. de partager après quelques er Les bourgeons des membres inférieurs apparaissent au 1 mois de la vie intra‐utérine, la portion distale se précisant avec la formation des orteils ème dès la 6 semaine. Les membres inférieurs s’orientent en rotation externe, laquelle diminue à ème partir de la 8 semaine. Les surfaces plantaires ont, alors, une orientation plus interne et plus crâniale, le degré de flexion du pied, très en équin au départ, tend à diminuer. Le pied garde, néanmoins, un aspect en adduction et en varus. A la 11 ème semaine, celui‐ci retrouve une position pratiquement neutre. Au début de la vie embryonnaire, le pied est une mosaïque de cartilages de croissance. Il obéit ensuite à une ossification de type enchondrale : les 2 premiers mois de la vie apparait une maquette mésenchymateuse qui se transforme progressivement en une maquette cartilagineuse. L’ossification des différents os du pied commence : ème Au cours du 3 mois de la vie intra‐utérine par les métatarsiens, les phalanges. La fissuration entre le talus et le calcaneus apparaît ainsi que la fibula. Au 4 ème mois, se produit l’ossification du calcaneus. ème Au 5 mois, l’ossification du talus débute ainsi que celle des autres os du tarse et de l’os tibial. Au 7 ème mois, l’os talus est ossifié. A la naissance le cuboïde apparaît. L’ossification du naviculaire ne se fait qu’à l’âge de 4 à 5 ans. A 9 ans, la tubérosité postérieure du calcaneus est ossifiée. A la puberté se produit la fusion des phalanges distales. L’ossification du pied débute au cours de la vie intra utérine et se termine vers l’âge de 15/16 ans. Le pied sera donc fragile et vulnérable tout au long de cette période. Petit pied deviendra grand ! A la naissance le petit pied mesure environ 5 cm. Jusqu’à l’âge de 1 an, la croissance du pied est vive puis ralentit jusqu’à l’âge de 5 ans. Elle est identique chez le garçon et la fille, le pied mesurant alors en moyenne 17,2 cm. A cet âge, les contraintes sur le pied sont déjà importantes, l’enfant fait 20.000 pas par jour. A 10 ans, le pied atteint chez la fille 91% de sa taille définitive et chez le garçon 85%. Le pied est le premier organe de l’appareil locomoteur à rentrer en puberté, c’est aussi le premier organe à s’arrêter de grandir (à 12 ans d’âge osseux chez la fille, 14 ans chez le garçon). A la fin de la croissance, le pied représente 15% de la taille debout chez la fille comme chez le garçon et fait en moyenne 25 cm. La croissance du pied et son modelage sont les conséquences simultanées d’interactions musculaires organisées en chaînes et de l’évolution motrice de l’enfant. ‐ l’élaboration du système nerveux central favorisé par la multitude d’informations sensorielles, motrices et psychiques. ‐ le cadre de vie et la qualité des relations avec l’entourage. ‐ le propre rythme de l’enfant. Elle est définie par 3 lois : La loi de différenciation : Au départ, la motricité est globale puis s’affine pour être de plus en plus élaborée et localisée. La motricité d’abord involontaire de type réflexe devient volontaire. La loi de variabilité : Le développement de la motricité se fait toujours dans le sens du perfectionnement. La progression se fait de manière inconstante et discontinue par paliers. La loi de succession : Le contrôle de la musculature se fait d’abord pour les muscles les plus proches de l’axe du corps, du crânial au caudal et pour les membres du proximal vers le distal. Au cours des premiers mois, l’enfant acquiert une succession d’enchainements qui vont l’amener de la position allongée à la station assise, puis de la station debout à la marche, en passant par différentes phases qui jalonnent son développement : la reptation, les retournements, le 4 pattes. L’enfant découvre son corps ………………….. Puis le monde ! Pour ce faire, l’enfant utilise ses chaînes musculaires en fermeture et ouverture, cela se traduit par un travail différent au niveau des muscles du pied qui vont le modeler tout au long de sa croissance. Chaînes en ouverture Chaînes en fermeture Depuis un travail en chaîne cinétique ouverte, les muscles inversent leurs points fixes et travaillent en chaînes cinétiques fermées dès l’instant que l’enfant passe en position debout. Ce qui amène le pied à maturité et crée ainsi un complexe articulaire et musculaire qui répond aux sollicitations dynamiques et statiques. Chez le tout petit de 2‐3 ans le pied est très potelé, bien rebondi, les reliefs sont masqués par les tissus adipeux et l’absence de voûte plantaire jusqu’à l’âge de 5‐6 ans est considérée comme physiologique. Durant les étapes de la croissance, les variations du morphotype vont retentir sur la forme du pied par une contrainte axiale : tel le genu varum ers des 1 pas accompagné d’un valgus calcanéen qui augmente avec le genu valgum physiologique apparaissant à l’âge de 5 ans. La correction de celui‐ci sera progressive et plus rapide chez le garçon que chez la fille. Sans rotation anormale des segments jambiers, l’enfant marche en rotation interne des pieds, le poids du corps étant centré sur les genoux. La stabilité des membres inférieurs est donnée par le valgus sensible des genoux et le pied plat en pronation. A l’âge de 6‐7 ans, la maturation du système nerveux donne un tonus aux différents muscles concernés. Le pied est constitué de 28 os disposés en 3 ensembles : ‐ le tarse (postérieur et antérieur) ‐ le métatarse ‐ les orteils. La disposition des os permet au pied d’assurer sa double mission statique et dynamique : A l’arrière, une structure « empilée » des 2 plus gros os (le talus «chevauchant» le calcaneus) qui assure une assise stable et solide. A l’avant (depuis le tarse antérieur jusqu’aux orteils), une structure «étalée» qui confère au pied sa mobilité. L’ensemble forme une voûte plantaire constituée de 3 arches reposant sur 3 points : La tubérosité postérieure du calcaneus, er La tête du 1 métatarsien, ème La tête du 5 métatarsien. 22 muscles plantaires sont en présence, 1 seul muscle dorsal. L’ARCHE LONGITUDINALE INTERNE C’est la plus longue, la plus haute, la plus importante sur le plan statique et dynamique. Elle est rendue souple par la mobilité du talus. er 5 pièces osseuses en présence : la tête du 1 méta, le cunéiforme médial, le naviculaire, le talus, la tubérosité postérieure du calcaneus. L’os naviculaire représente la clé de voûte. La concavité est donnée, d’une part par les nombreux ligaments qui résistent aux efforts violents mais de courte durée, d’autre part par les muscles Abducteur du 1, long fléchisseur du 1, tibial postérieur, tibial antérieur et long fibulaire qui s’opposent aux déformations prolongées et agissent en véritables tendeurs. L’ARCHE EXTERNE Elle est plus basse que l’arche interne, en contact avec le sol par les parties molles. Elle est constituée de 3 pièces osseuses : la tubérosité postérieure du calcaneus qui constitue le point d’appui postérieur de l’arche, le cuboïde, suspendu au‐dessus, forme la clé de voûte, la tête de M5 qui constitue le point antérieur de l’arche antérieure. Cette arche est plus rigide afin de transmettre l’impulsion motrice du triceps. Elle est aussi maintenue par de puissants ligaments qui empêchent le bâillement inférieur des articulations et par les muscles fibulaires et l’adducteur du 5. L’ARCHE ANTERIEURE : er L’arche antérieure est tendue de la tête du 1 métatarsien, reposant ème elle‐même sur les 2 sésamoïdes, à la tête du 5 métatarsien et ème passe par la tête des autres métatarsiens, la 2 tête formant la clé de voûte. Elle est peu concave, repose sur le sol par les parties molles et est maintenue par l’action de l’abducteur transverse du 1, le long fibulaire et le court fléchisseur plantaire. La courbure transversale de la voûte se poursuit d’avant en arrière. Au niveau des cunéiformes, cet arc ne comprend plus que 4 os et repose au niveau du cuboïde ; Le cunéiforme intermédiaire forme la clé ème de voûte et constitue avec le 2 métatarsien l’axe du pied. Cet arc est sous‐tendu par le long fibulaire qui agit puissamment en corde d’arc sur cette voûte. Au niveau du couple naviculaire‐cuboïde, l’appui se fait sur la partie externe du cuboïde, le naviculaire suspendu au‐dessus du sol repose sur le cuboïde par son extrémité externe. Cette courbure est maintenue par le tibial postérieur. La courbure longitudinale est maintenue par l’adducteur du 1 et le fléchisseur propre du 1 en dedans, l’adducteur du 5 en dehors enfin entre ces 2 tendeurs, le long fléchisseur des orteils et le court fléchisseur ème plantaire, maintiennent la courbure des 3 rayons médians ainsi que le 5 rayon. L’architecture idéale d’un pied arrivé à maturité doit présenter un calcaneus stable et équilibré, une arche antérieure harmonieuse ème correctement maintenue avec la tête du 2 métatarsien en sommet d’arc, un appui tripode constitué de la tubérosité postérieure du calcaneus, des têtes de M1 et M5 qui permettent de maintenir les arches internes et externes et une torsion longitudinale structurante physiologique constituée par une supination de l’arrière pied et une pronation de l’avant‐pied. Cette torsion longitudinale est rendue possible par les actions équilibrées des chaînes musculaires extrinsèques venant du segment tibio‐fibulaire qui vont stabiliser l’arrière pied particulièrement le triceps sural en synergie avec les muscles fibulaires court et long et les muscles tibiaux postérieur et antérieur. Ces muscles jouent un rôle majeur et positionnent ainsi le calcaneus. Ils permettent l’équilibration des segments tibio‐fibulaires et fémoraux entre eux et ensuite des masses pelviennes thoraciques et céphaliques. En effet, l’équilibre est le fruit de petits rattrapages de déséquilibres sous forme d’oscillations permanentes, particulièrement dans le plan sagittal. L’avant‐pied adaptatif permet l’ancrage au sol grâce à l’action combinée des interosseux et des lombricaux qui viennent en renforts de l’adducteur transverse du 1, des fléchisseurs et des extenseurs des orteils pour installer une bonne tenue de l’arche antérieure. Nous nous trouvons, ainsi, face à une dynamique de muscles qui s’organisent en chaînes. L’insuffisance ou la contracture d’un seul de ses muscles perturbent l’équilibre de l’architecture du pied. L’exagération ou la diminution des courbures de la voûte plantaire perturbe l’appui au sol et retentit sur la marche, la course, ou même la station debout. Il n’est pas rare que nous soyons sollicités par des parents inquiets d’une démarche atypique, d’un mauvais positionnement de pied, d’une usure excessive de chaussures. Ces pieds extrêmement sollicités en pleine croissance, très malléables peuvent être, en effet, sujets à des malpositions. Comment celles‐ci vont‐elles évoluer ? Le rééquilibrage de ces petits pieds va‐t‐il se faire spontanément ou évoluer vers des dysmorphismes qui pourront entrainer douleurs, compensations, déséquilibres ? Quelles sont les réponses que nous pouvons apporter avec la vision globaliste de la Méthode Mézières ? Autant de questions auxquelles nous vous proposons de répondre au travers du traitement de deux enfants. La maman de Yann vient me consulter sur les conseils de son médecin. En effet, sa maman trouve que son fils marche sur la pointe des pieds. C’est un petit garçon de 5 ans, plein de gaieté, qui s’intéresse à beaucoup de choses et évoluant dans un contexte familial où il est stimulé mais sans rechercher la performance, avec des parents à son écoute. La maman ne connaît pas la méthode Mézières mais est ouverte à toute méthode, tous moyens qui pourront aider son fils à mieux déambuler. Les questions fusent : pourquoi cela s’appelle la méthode Mézières ? En quoi consiste‐t-elle ? Est‐ce que cela va lui faire mal ? Au lieu de lui proposer de faire un débat sans fin sur le : qu’est‐ce‐ que? Pourquoi ? Comment ? Combien ? Et que je lui réponde : il y a, parce que, néanmoins, de plus et qu’à nouveau elle me dise : oui mais, vous pouvez développer. Je lui suggère que son fils vive cette première séance. Elle aura, ainsi, une bonne partie de ses réponses et surtout on se sera occupé de son fils. J’observe Yann qui entre dans mon cabinet, pas du tout timide, s’installant confortablement sur un des fauteuils, il n’a pas d’appréhension par rapport à ma personne et au travail que je lui propose. L’interrogatoire de la maman nous apprend que la grossesse et l’accouchement se sont bien déroulés, toutes pathologies congénitales ont été éliminées par le diagnostic médical, il n’y a pas d’antécédent traumatique, le développement psychomoteur de l’enfant est dans les normes, excepté cette démarche dès que l’enfant s’est mis debout. Dans un premier temps cela n’a pas alerté les parents qui mettaient cela sur l’apprentissage de la marche. Je demande à Yann de se dévêtir et de déambuler dans le cabinet pour observer sa marche. J’observe également la position de ses pieds, ses genoux, son bassin, son tronc ainsi que sa tête et ses membres supérieurs. Comment gère‐t‐il cette succession de déséquilibres ? Il faut plusieurs essais a v a n t que Yann marche naturellement car il veut faire plaisir à sa mère en essayant de dérouler ses pieds, mais quand le naturel revient, il marche sur la pointe des pieds avec parfois des rattrapages avec les membres supérieurs. Cet examen dynamique n’est pas objectif mais il permet de se faire une première idée sur la façon dont on va aborder la séance. Ensuite, classiquement, j’observe sa position spontanée de face, de profil, de dos. L’appui préférentiel se fait sur le pied gauche et les bords externes des pieds. Les orteils sont en flexion, le verrouillage de la tibio‐tarsienne entraîne les genoux en extension, le bassin reste en arrière et le tronc est propulsé en avant, ce qui se traduit par une lordose à grand rayon au niveau dorsolombaire. La ligne du bassin est oblique, le bassin est globalement en torsion. Des interrogations me viennent. Cet appui préférentiel sur le pied gauche n’est‐il pas le fait d’un iliaque gauche qui bascule en rotation antérieure ou au contraire d’un iliaque droit en rotation postérieure ? Le verrouillage de la tibio‐tarsienne n’est‐elle pas la résultante d’un muscle soléaire trop court ? Cette lordose à grand rayon est‐elle la conséquence d’une compensation de sa tibio‐tarsienne ou d’une tension dans la chaîne antérieure profonde (diaphragme‐psoas) ? En joignant les pieds, Yann est dans l’obligation de fléchir légèrement les genoux pour retrouver son équilibre. La propulsion en avant, déjà observée, s’accentue, ses orteils se mettent en griffe, les tibias sont projetés en arrière et pour éviter de chuter en avant, Yann compense en torsion. Pieds écartés Pieds joints Cette mise en tension oblige Yann à trouver des subterfuges pour garder son équilibre, les chaînes musculaires en tension se révèlent, une chaîne postérieure très marquée aux membres inférieurs, une chaîne antérieure profonde également très réactive. Je commence à me dire que pour aider Yann, il va falloir libérer cette chaîne antérieure profonde car vouloir étirer le soléaire uniquement n’aboutira pas à grand‐chose. Les tests de mise en tension en penché avant et en décubitus dorsal font apparaître d’autres tensions. Ils mettent en évidence une très forte tension de la chaîne postérieure au niveau des membres inférieurs mais également de la chaîne antérieure profonde au niveau du tronc. Le thorax est en position inspiratoire. Je décide, à la suite de ce bilan, d’effectuer un travail sur la chaîne antérieure profonde : libérer le diaphragme en essayant de fluidifier la respiration, redonner de la souplesse aux psoas par différentes techniques. J’interviens également sur les muscles profonds de la sphère antérieure du cou. On intègrera ce travail dans des postures plus globales comme, par exemple, la posture de la grenouille. er Ce soléaire, qui semble bien court, va être étiré dans un 1 temps de façon analytique. J’entends des oreilles qui sifflent : comment peut‐on parler de travail analytique quand on pense chaînes musculaires à longueur de journée ? C’est évidemment pour le réintégrer dans un travail plus global. Dans le prolongement, je m’occupe du court fléchisseur plantaire et des interosseux. Au fur et à mesure des séances, nous rajouterons des exercices en appui pour augmenter l’intensité des étirements et permettre ainsi un meilleur fluage de ses muscles rétractés. A la fin de cette séance, le résultat chez Yann est encourageant. Lui‐même me dit qu’il a l’impression de se sentir plus droit. Immédiatement après la séance, sa démarche est plus fluide, mais nous savons tous que ce qui sera gagné pendant la séance sera perdu en partie avant le début de la seconde. Ce qui est intéressant pour Yann et sa mère, c’est d’entrevoir une possibilité d’amélioration de sa statique et de sa déambulation. Début de séance Fin de séance Yann est le plus jeune de mes patients à être traité en thérapie Mézières. J’avoue que lorsque mon collègue médecin me l’a adressé, j’étais assez dubitatif sur la possibilité de travailler avec cette méthode qui fait appel à l’écoute, la volonté et l’effort. J’ai été agréablement surpris, Yann s’est pris au jeu, je me suis moi‐même adapté en diminuant les temps de posture et en espaçant les séances pour éviter l’effet de lassitude. Les résultats sont encourageants, sa maman le reprend régulièrement dès qu’il se met à marcher sur la pointe des pieds, les habitus sont tenaces. Comme le disait Mademoiselle Mézières, l’hypertonicité de la chaîne postérieure et de ses alliés, diaphragme et psoas, aboutit à rétracter et à fibroser les fibres musculaires et entraîne une perte d’élasticité. Ce phénomène a pour conséquence de limiter les mouvements et de perturber la statique du corps dans son ensemble. Yann en est l’exemple patent. Paul est un enfant de 11 ans, vif, sportif, toujours en mouvement. Tonique, il est aussi très agile. Ses parents trouvent qu’il marche en rotation interne excessive avec une forte tendance à l’effondrement de ses voûtes plantaires en charge. Ses chaussures sont d’ailleurs très rapidement usées sur le bord interne. Paul n’a aucun antécédent traumatique, pas de douleur au niveau des pieds, parfois des douleurs au niveau des segments jambiers a priori liées à la croissance. Paul est en bonne santé malgré un asthme d’effort bien contrôlé. Son papa qui présente une typologie très semblable et des douleurs de genoux invalidantes nous demande notre avis. Paul a‐t‐il besoin de porter des semelles pour équilibrer la position de ses pieds, améliorer sa marche et protéger à plus long terme ses genoux ? Pouvons‐nous apporter des réponses grâce à l’examen de sa typologie et de ses chaînes musculaires ? Faut‐il effectuer un travail corporel dès maintenant ou attendre la fin de la croissance ? Pouvons‐nous nous positionner sur un travail préventif qui pourrait aider Paul à corriger ses appuis, et construire ses pieds dans de meilleures conditions ? A l’examen, Paul présente une attitude érigée avec une lordose lombaire à grand rayon, un méplat inter scapulaire, un bassin globalement anté‐basculé. Les membres inférieurs sont en rotation interne, les pieds, par ailleurs, très fins sont complètement couchés en valgus, donnant l’impression qu’ils sont plats. Les épaules sont légèrement en élévation et en rotation interne. A la marche, l’affaissement du pied droit est plus marqué. Paul le sent nettement et dit ne pas pouvoir le corriger. Lors du penché avant, les angles tibio‐tarsiens s’ouvrent par manque de souplesse des triceps suraux, le bassin recule, les iliaques retenus par des ischio‐jambiers trop toniques empêchant le fléchissement coxo‐fémoral et l’enroulement complet du rachis. Paul est obligé de solliciter exagérément les muscles de la chaîne antéro‐interne pour poursuivre cet enroulement et aller chercher le sol avec les mains. Les torsions dans les membres inférieurs s’aggravent avec une rotation plus importante des genoux. Une compétition antéropostérieure s’installe. En décharge, allongé sur le dos, ses pieds sont souples et ne sont pas plats, les courbures de la voûte plantaire sont respectées. Le bassin reste anté‐basculé. La raideur des ischio‐jambiers ainsi que des chaînes antéro‐internes se confirme par les tests d’élévation des membres inférieurs. Les tests, plus spécifiques au niveau des segments jambiers, nous révèlent une forte tension des muscles tibiaux, en particulier le tibial postérieur douloureux à son insertion basse. Notre analyse complète nous permet de penser qu’il s’agit donc plutôt d’un problème postural que d’une pathologie du pied proprement dite. En charge, sous l’impulsion de la rotation interne coxo‐fémorale qui se répercute dans le segment jambier obligeant le tibial antérieur à confirmer la rotation interne du tibia, le pied se couche en valgus inévitablement, les muscles tibiaux prenant leurs points fixes en bas, en particulier le tibial postérieur qui couche le naviculaire. Le couple naviculaire‐cuboïde est alors déstabilisé. Les triceps suraux en excès viennent confirmer le valgus calcanéen. Nous proposons alors à Paul un travail en position debout de conscientisation des appuis par l’intermédiaire d’exercices proprioceptifs. er Dans un 1 temps, nous insistons sur l’arrière pied pour repositionner le calcaneus dans une position plus neutre permettant ainsi au tendon du triceps sural d’être aligné. Nous demandons à Paul de basculer l’appui du calcaneus du bord interne vers le bord externe ce qui permet de recréer le cavus de l’arrière pied, tout en demandant une rotation externe des fémurs. Dans un deuxième temps, nous favorisons la pronation de l’avant–pied par l’ancrage de la tête du premier métatarsien. Et, ensuite, de la tête du cinquième métatarsien. Ce travail est fait, par exemple, au cours de la posture en fente avant qui permet l’étirement en particulier du mollet, ou d’autres postures globales, telle que dos au mur, qui permettent de réaliser une correction posturale de l’ensemble en particulier au niveau du bassin. Ensuite, nous proposons un travail en décharge spécifique sur le segment jambier par des techniques de mobilisations et de normalisations des tensions des muscles de la jambe, en particulier, les muscles tibiaux et fibulaires. ème Nous solliciterons le travail de L’abducteur du 5 par l’écartement du 5 er orteil, l’adducteur du 1 par l’écartement du 1 orteil, la détente des interosseux plantaires et la stimulation des interosseux dorsaux en demandant un écartement de tous les orteils puis enfin une stimulation des muscles lombricaux qui participent au maintien de l’arche antérieure. A l’issue de ce bilan et d’une première séance, Paul nous dit ressentir de très fortes tensions dans ses jambes et être stupéfait de sentir une modification positive de ses appuis ainsi qu’un soulèvement de ses arches internes. Nous pouvons lui proposer un travail préventif de quelques séances et lui donnons quelques petits exercices à réaliser seul tous les jours pour intégrer cette nouvelle posture. En tant que thérapeute de la globalité, nous pensons donc que dans le cas de Paul, il est intéressant de se positionner sur le volet de la prévention et la surveillance afin que Paul puisse prendre conscience de ses déséquilibres pour pouvoir ensuite les corriger et les automatiser. Françoise Mézières disait « le pied est l’article le plus intelligent : il est coincé entre l’arbre et l’écorce, c’est pourquoi je traite toujours les pieds». En effet, Françoise Mézières est la première à considérer et à travailler cet édifice qu’est le pied. Elle attache beaucoup d’importance à retrouver la torsion physiologique au sein de ce pied. Il est essentiel de le travailler en charge en proposant d’orienter le talon pour une prise d’appui légèrement sur le bord externe qui permet d’équilibrer l’axe du calcaneus et de mettre en place le pilier postérieur du pied qui attaque le sol par le bord externe. Le pilier antéro‐interne est assuré par l’ancrage du gros orteil dans le sol. Le pied se tord alors en son milieu. Le troisième pilier antéro‐externe est enfin mis en place par le travail d’appui de la base du cinquième orteil. Les répercutions de la construction de cet édifice sont ascensionnelles et se répercutent alors sur l’ensemble de la statique. C’est ainsi l’héritage et l’originalité de notre pratique Mézières. Nous ne pouvons pas envisager un travail postural sans avoir observé, assoupli, corrigé la position des pieds. Nous nous attachons à réaliser un travail préventif et éducatif auprès des jeunes sujets que nous rencontrons pour qu’ils n’arrivent pas à l’âge adulte avec des pieds en trop grande souffrance ou trop déformés. Malgré tout, comme le reste du corps, nos pieds ont leur histoire naturelle empreints d’hérédité, de marques de famille et de vie…. L’essentiel étant bien qu’ils restent souples … … pour être à l’aise dans leurs baskets !