MÉDECINE DE DEMAIN Entretiens avec le Professeur Michel Peeters, Président du Comité d’Ethique du Chirec PROF. MICHEL PEETERS, PRÉSIDENT DU COMITÉ D’ETHIQUE DU CHIREC récemment. Une vigilance éthique particulièrement aigüe à ce niveau restera nécessaire pour longtemps encore, dans l’histoire de notre civilisation. Selon vous, quel est le rôle nécessaire de la politique vis-à-vis de la médecine ? La médecine doit rester entre les mains du corps médical. Les progrès extraordinaires des techniques médicales que l’on peut constater aujourd’hui constituent un espoir inouï pour les médecins qui n’auraient jamais pu les imaginer il y a dix ou vingt ans. Le risque reste malgré tout réel de voir ces progrès tomber en de mauvaises mains, ce dont il faut se prémunir à l’avance sans pour autant empêcher ces avancées scientifiques de continuer à évoluer. La politique a très certainement un rôle de prévention à jouer à ce niveau éthique, mais elle ne doit pas pour autant se mêler de la médecine elle-même, ou s’y immiscer. Une mission incontournable de la politique ou de l’État reste son intervention financière, qui doit garantir un équilibre économique d’arbitrage social sans occasionner d’influence négative au niveau de la recherche I N E DE Quelle sera selon vous l’évolution de la médecine en Belgique ? Les médecins de famille se feront de plus en plus rares, et ne seront plus autant disponibles que dans le passé, principalement TEMPO MÉDICAL – AVRIL 2016 – WWW.MEDIPRESS.BE I EM D EC D Le colloque d’éthique 2015 du Chirec avait été organisé en fonction des disponibilités des orateurs qui devaient coordonner leurs présences respectives, ce qui s’est avéré plus compliqué que prévu. Tous étaient effectivement de très haut niveau. Les développements technologiques qui ont été exposés en matière d’imagerie médicale et de recherches génétiques, notamment, sont impressionnants. Le prochain colloque d’éthique 2016 du Chirec portera principalement sur les cellules souches. Un généticien belge de renommée en sera le principal orateur. Ce thème, réellement d’actualité et intéresse depuis un certain temps le Chirec, dont le Dr Dominique Scipioni organise chaque année un colloque sur les cellules souches osseuses, aux Cliniques Édith Cavell. Il est évident que les avancées des recherches sur la génétique nécessiteront un encadrement juridique de plus en plus strict. En matière de manipulations génétiques, on peut imaginer le meilleur comme le pire. Des avancements de recherches en thérapies cellulaires se confirment, par exemple dans le cadre du traitement contre la mucoviscidose, ou dans la perspective très réaliste de pouvoir remplacer prochainement des myocardes détruits, de manière courante. Constater l’infinité des possibilités de développement de la génétique est interpellant. Chaque être humain a sa propre conscience, tout comme le corps médical a la sienne également, par son essence-même. Il faudra être encore davantage vigilant dans le futur pour éviter par exemple que des dictatures militaires s’emparent de progrès scientifiques et utilisent la médecine à des fins criminelles, comme cela avait été le cas notamment durant la dernière guerre mondiale, et encore dans d’autres pays, plus médicale et de ses développements. La recherche a besoin de moyens structurels et financiers, et la politique doit garantir aux chercheurs la liberté du choix de leurs recherches, dont l’émulation explique qu’elles se développent de plus en plus rapidement. Dans le même esprit de liberté, la médecine ne doit jamais être prise en otage par opportunisme électoral, et devra dans tous les cas continuer à maintenir sa totale indépendance vis-à-vis de la politique. Par contre, la politique devra faire en sorte de légiférer plus rapidement en ce qui concerne des sujets urgents tels que la génétique ou l’euthanasie par exemple, pour laquelle la loi est encore incomplète. Il en sera de même pour tous les progrès fulgurants que la médecine de l’avenir rencontrera de plus en plus fréquemment, qu’il faudra protéger par un cadre légal contre toutes fraudes ou corruptions imaginables, et qu’il faudra préserver de toutes discriminations économiques. Il est probable que dans dix ou vingt ans la médecine du futur pourra notamment déceler voire soigner de plus en plus de maladies et de malformations congénitales, et elle devra donc autant que possible rester accessible à l’ensemble de la population tout en respectant intégralement les droits de propriété intellectuelle des innovations technologiques dont elle bénéficiera, ce qui constituera un défi bioéthique et économique d’une envergure encore inconnue à ce jour. MÉ Quels sont les principaux points que l’on peut retenir du colloque d’éthique et d’économie 2015 du Chirec ? AIN O FOCUS MP TE 25 MÉDECINE DE DEMAIN le soir et les week-ends. La mixité des docteurs en médecine s’accentuera, de même que l’incidence des obligations familiales des femmes médecins, dans leur travail. Les patients recourront de plus en plus aux postes de garde, polycliniques ou hôpitaux, où ils seront de plus en plus rapidement orientés vers les spécialisations qui leur seront nécessaires. Tout cela engendrera progressivement un développement adapté des centres médicaux, et un changement d’appréhension et de démarche médicale des patients. Les obligations budgétaires imposées par le gouvernement continueront à compliquer sérieusement la gestion financière des hôpitaux soucieux de se doter de produits et d’équipements de qualité. La Loi 2015, par exemple, impose actuellement aux hôpitaux un appel d’offres obligatoire avec cahier des charges pour toute commande excédant 10.000 €, sous peine de les priver des subsides qui y sont liés, en occasionnant le risque de voir des produits et équipements de moindre qualité prendre progressivement une part spéculative du marché. Certains continueront vraisemblablement à se plaindre du prix des médicaments. Cependant, lorsqu’une nouvelle molécule est mise sur le marché, son brevet devient public vingt ans après son dépôt, ce qui correspond globalement à une période de commercialisation d’une dizaine d’années seulement, durant laquelle les investissements qui ont été consacrés par les firmes pharmaceutiques pour développer cette nouvelle molécule doivent être recouvrés, et si possible rentabilisés. Après cette période, pour rester compétitives, les firmes pharmaceutiques ayant mis cette nouvelle molécule sur le marché devraient la vendre à un prix comparable à celui des médicaments eurogénériques pour garder leur part de marché, et un médecin a l’obligation de prescrire au minimum 30 % de médicaments eurogénériques à ses patients. Dans un tel contexte 26 I TEMPO MÉDICAL – AVRIL 2016 – WWW.MEDIPRESS.BE de contraintes économiques, le risque existe que de nouvelles molécules de qualité, correspondant aux besoins réels des patients, ne pourront pas être mises sur le marché par manque de rentabilité suffisante. On peut craindre également que la liberté d’exercer librement pour les médecins devienne de plus en plus limitée par des contraintes qui ne font qu’augmenter, avec le risque que la médecine belge devienne de plus en plus nationalisée, la crise économique qui perdure s’exerçant sur la majorité des patients. Ces patients risquent dès lors de disposer d’un budget de plus en plus limité pour leurs soins de santé. Il y a suffisamment de médecins généralistes en Belgique, et le nombre d’étudiants en médecine y a doublé en quinze ans. On remarque également une nette tendance à la féminisation de la médecine dans notre pays. Il faudra forcément éviter qu’à l’avenir une certaine recrudescence religieuse telle qu’on l’observe actuellement puisse s’opposer à la totale mixité qui est une des règles incontournables de la profession médicale. Les religions et leurs coutumes, quelles qu’elles soient, n’ont strictement rien à voir avec la science et la médecine. En ayant prononcé le serment d’Hippocrate, chaque médecin sait pertinemment bien que lorsqu’une vie est en danger, les convictions philosophiques ou religieuses d’un patient ou de ses proches importent en finalité nettement moins que la mission de sauver la vie qui est en jeu. Il en est de même dans le cas d’une opération chirurgicale vitale, où peu importe de savoir ce qu’un patient ou ses proches pourraient penser, alors qu’il s’agit prioritairement de sauver une existence. Médecine, passion et liberté vont bien ensemble. Un métier passionnant impose par son serment d’Hippocrate à chaque médecin qui l’a prononcé de soigner tout être humain dans la dignité et dans son intérêt vital, sans distinction ou limitation religieuse. La médecine doit garder son droit de pouvoir s’exercer librement, indépendamment de toutes notions primitives. ■