Mathématiques et épidémies

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Mathématiques et épidémies
1
1.1
Introduction et cadre d’étude
Préhistoires et naissances de l’épidémiologie et de la vaccination
La variolisation, méthode consistant à injecter une souche peu virulente de la variole à des individus est vraisemblablement apparue en Chine entre le XI ème et le XV I ème siècle, avant de se diffuser progressivement via la route
de la soie pour arriver en europe occidentale au XV III ème siècle.
Cette méthode, étant aléatoire (elle provoquait des décès dans 1 à 2% des cas) et risquant de propager une épidémies,
sera très constestée.
En 1760, Daniel Bernoulli, démontre, en réalisant des modèles sur les tables de mortalité de la ville de Breslau,
que la variolisation, malgré ses risques, fait passer l’esprance de vie de 26 ans et 7 mois à 29 ans et 9 mois. Son modèle
est très bon, ses calculs inattaquables, mais il n’arrive mal à convaincre. C’est cependant un grand pas dans ce qu’on
appelera l’épidémiologie...
Un peu plus tard, Jenner propose d’innoculer la variole des vaches ou "vaccine", moins dangeureuse pour l’homme
et tout aussi efficace. La vaccination est née.
1.2
Un modèle, qu’est-ce que c’est ?
Il ne faut jamais perdre de vue qu’un modèle est une version simplifiée, et donc inexacte, de la réalité. Il
est donc inepte de dire qu’un modèle est vrai ou faux.
Un bon modèle doit être le plus simple possible, tout en permettant au mieux d’expliquer un phénomème.
Lorsqu’on s’aperçoit que certains phénomèmes observés réellement ne sont pas prévus par le modèle, cela ne veut pas
dire qu’on "jette" notre modèle précédent, mais on va le raffiner.
Par exemple, la mécanique relativiste est un raffinement de la mécanique newtonienne, qui est inadaptée aux vitesses
élevées.
1.3
Modéliser une épidémie
En épidémiologie, on cherche à comprendre comment les "parasites" (c’est le terme générique utilisé our désigner
tout organisme à l’origine d’une épidémie) se transmettent d’un individu à l’autre afin de prédire les épidémies,
leur évolution temporelle et spatiale.
Pour résumer, un parasite :
• a. infecte une personne
• b. se multiplie dans l’organisme
• c. se propage à d’autres personnes
Dans le cas des microparasites (prions, virus, bactéries), la phase b. est très rapide, quelque soit l’hôte concerné. Par
conséquent, il n’est pas nécessaire de prendre en compte cette phase lorsqu’on modélise la propagation de la
maladie.
Cela conduit à la famille des modèles compartimentés
1.4
Les modèles compartimentés
Le principe est de diviser la population en plusieurs compartiments (ou catégories) Nous ne regarderons que les deux
plus simples, on peut ensuite raffiner suivant les besoins.
Le modèle SI
λ
S
I
Le modèle SIR
γ
λ
S
• S : suceptible d’infection
I
• I : infectieuse (contagieuse)
R
• R : guérie ou morte ("removed"). On a
donc, selon le modèle, S + I = N ou bien S + I + R = N , où N est la population totale.
Les flèches en pointillées sont optionnelles. On peut par exemple prendre en compte la natalité, la mortalité due à
d’autres facteurs, ...
Comme nous ne les prendrons pas en compte ici, N est une constante.
λ est appelé taux ou force d’infection et γ taux ou force de guérison. Ils ont pour unité l’inverse d’un temps.
Il nous reste donc, et c’est le point crucial, à modéliser ces paramètres afin de faire "tourner" le modèle.
1
On peut démontrer que la durée moyenne d’infection est égale à , ce qui permet facilement de disposer de la
γ
valeur de γ à partir des observations cliniques sur la maladie.
Pour λ, il faut modéliser. On peut d’abord penser que la force d’infection d’une maladie est proportionnelle au nombre
d’infectieux, ce qui donne
λ = βI, où β est une constante qui dépend à la fois des caractéristiques du parasite et de la géométrie de la population
(densité, etc...).
Pour les maladies à réservoir (paludisme...) ou transmises dans le milieu (choléra), ce modèle est bon.
En revanche, pour les maladies à transmission directe (grippe, rougeole,...), c’est moins pertinent. En effet, le nombre
de contacts n’est pas plus élevé à Paris qu’à Montpellier même si la population est 15 fois plus élevée. Il est plus
pertinent de poser
I
(*), c’est à dire proportionnel à la proportion de malades dans la population.
N
Plus tard, nous verrons en quoi ces modèles dits "de Hamer", ont leurs limites et nous les raffinerons lors de l’étude
du modèle déterministe de Reed & Frost.
λ=β
Voyons à présent ce que donnent ces deux modèles sur les maladies à transmission directe (formule (*)).
2
2.1
Evolution temporelle d’une épidémie via le modèle SI
Cadre
Le cadre d’application de ces maladies, au vu de l’abscence de catégorie R, est le suivant :
• maladies incurables et longues (SIDA)
• maladies sans immunités acquises (grippe, gastroentérite)
Son intérêt majeur est que ce modèle, dans sa version continue, permet d’expliciter les solutions, contrairement
aux modèles plus complexes (comme le SIR).
2.2
Mise en équations
S et I sont ici des fonctions du temps t uniquement, c’est à dire qu’on s’intéresse uniquement à l’aspect temporel
de l’épidémie. On note S au lieu de S(t), pour simplifier.
N est l’effectif de la population totale, supposé constant ici.
Comme S ′ (t) est, concrètement, la variation instantanée de S, ce qu’on a dit précédemment conduit, pour la version
continue, à l’équation différentielle :
β
(1), avec, pour une maladie à transmission directe, λ = I.
N
β
′
La version discrète s’écrit : In+1 − In = λSn (1 ), où λ = In et n représente la nième étape de temps.
N
L’avantage de la version discrète est la possibilité de visualisation des solutions sur tableur sans outil mathématique.
I ′ = λS
2.3
Résolution, version continue
exercice 1.
1. Exprimer I ′ en fonction de β, N et I.
1
1
− , où I vérifie, l’équation précédente.
2. On pose f =
N
I
(a) En dérivant f en fonction de I, démontrer que f ′ = −βf
(2).
(b) Donner la forme des solutions de (2) (d’après vos connaissances récemment acquises...)
(c) Donner l’expression de I(t) si on suppose que I(0) = 1. En déduire l’expression de S(t).
3. Représenter ces deux courbes sur un même graphique, sur géogébra, avec N = 1000 et β pris comme un
paramètre variable entre 0.01 et 0.5, avec un pas de 0.01. On supposera le temps compté en jours sur l’axe des
abscisses.
4. Que peut-on dire de l’évolution de l’épidémie :
• au départ ?
• lorsque la moitié de la population est infectée
infecté ?
5. Pour β = 0.2, à partir de combien de jours a-t-on :
• 50% d’infectés ?
• 90% d’infectés ?
• lorsque presque tout le monde est
• 99.9% d’infectés ?
6. On dit que la durée de l’épidémie est la durée nécessaire pour infecter 90% des individus.
Pour quelles valeurs de β la durée de l’épidémie est-elle : • inférieure à 100 jours ? • supérieure à 800 jours ?
2.4
Version discrète sur tableur (open office.calc conseillé)
exercice 2.
1. Exprimer In+1 en fonction de In , N et β.
2. A l’aide d’un tableur, remplir la colonne A avec les étape de temps (de 0 à 1000), la colonne B avec les nombres
In et la colonne C avec les nombres Sn .
On prendra N = 1000 et β variable entre 0 et 4 avec un pas de 0.01 en créant un curseur qui varie entre
0 et 400 avec un pas de 1, lié à la cellule G3, et on écrira = G3/100 dans la cellule F 3 (Affichage→Barres
d’outils→Contrôle de formulaire→Activer le mode ébauche (éventuellement)→Barre de défilement→la dimensionner à l’aide de la souris→ Clic droit sur Contrôle→ Changer la valeur de défilement max→Données : indiquer
la cellule liée→Désactiver le mode ébauche)
3. Représenter graphiquement In et Sn en fonction de n et comparer vos résultats à ceux de la version continue.
3
Evolution temporelle d’une épidémie via le modèle SIR
3.1
Cadre
Ce modèle est celui de Kermack et Mc Kendrick, inventé en 1927. On tient compte de l’immunité acquise après avoir
contracté une maladie (la rougeole, par exemple) en ajoutant le compartiment R.
On retrouve le modèle SI en prenant γ = 0, ce qui fait de ce modèle un raffinement du prédédent.
Il reste encore un modèle de référence pour comprendre de nombreuses phénomèmes épidémiologiques aujourd’hui.
Cette fois, la version continue, ne permet pas d’expliciter les solutions.
3.2
Mise en équations
On a
S
+ I′
 S
I′
 ′
R
le système de trois équations différentielles suivants, la troisième se déduisant des deux premières car N =
+ R est l’effectif de la population totale, supposé constant ici.
=
−λS
β
= λS − γI , avec,de nouveau, λ = I.
N
=
γI
Comme précédemment, la version discrète s’obtient en remplaçant les dérivées par la différence entre la quantité au
temps n + 1 et celle au temps n.
La mise en oeuvre sous tableur, quoique un peu plus compliquée, sera cette fois le seul moyen d’avoir l’allure de
solutions.
3.3
Un résultat fondamental : le théorème du seuil
Même si on ne peut pas résoudre le système d’équations différentielles, on peut tirer plusieurs renseignements qualitatifs, en faisant le raisonnement simple suivant :
il y a épidémie lorsque I augmente.
exercice 3.
1. Expliquer pourquoi, lorsque λS > γI, l’épidémie s’amplifie alors que si λS < γI, l’épidémie s’atténue.
2. Montrer que cela revient à comparer la proportion d’individus S dans la population à R10 , où R0 est une
constante qu’on exprimera en fonction de β et de γ et qu’on appelle le taux de reproduction de base.
R0 représente le nombre moyen d’infections secondaires dues à l’introduction d’un individu I
dans une population entièrement S.
3. Montrer qu’une maladie pour laquelle R0 < 1 ne déclenchera pas d’épidémie. Que penser de telles maladies ?
4. Dans le cas d’une maladie pour laquelle R0 > 1, décrire qualitativement le déroulement d’une épidémie. Tout
le monde aura-t-il été infecté à la fin de l’épidémie ?
5. Calculer le nombre de personnes S lors du pic d’épidémie, c’est à dire juste avant que l’épidémie ne devienne
moins virulente.
3.4
Version discrète sur tableur
exercice 4.
1. Adapter le fichier du modèle SI au modèle SIR. On créera un second curseur pour le coefficient γ, afin de le
faire varier entre 0 et 1. On sauvegardera le fichier sous un autre nom. On écrira au préalable les formules
permettant d’avoir les différentes populations au temps n+ en fonctions de celles au temps n. Commenter.
2. Inclure un processus de natalité/mortalité dans le modèle à l’aide d’un taux µ (troisième curseur) variant entre
0 et 0.05. On supposera que :
(a) La population reste constante (natalité=mortalité)
(b) Chaque catégorie de population est touchée à l’identique par la mortalité.
(c) Tous les natifs sont S.
Commenter les résultats dans le cas où β = 1, γ = 0.2 et µ = 0.02. Puis lorsque β = 4, γ = 0.9 et µ variant
entre 0.02 et 0.06. Commenter.
3.5
3.5.1
Commentaires sur les modèles avec démographie et sur les limites du modèle
Persistance de la maladie et âge moyen à l’infection
On peut montrer les résultats suivants :
• L’espérance de vie est égale à
1
µ.
• Dans ce cas de figure, on a R0 =
• A la fin de l’épidémie, on a
S
N
=
β
γ+µ ,
1
R0 .
ce qui généralise le cas sans démographie.
exercice 5.
1. Démontrer les deux derniers résultats.
2. Proposer une méthode d’estimation de β, sachant que γ et µ sont faciles à estimer et q’il est possible d’estimer
une proportion de suceptible par analyse sérologique.
3. Si on appelle A l’âge moyen à l’infection et qu’on suppose , pour simplifier, que tous les individus d’âge inférieur
à A sont suceptibles et les autres infectés ou guéris, en déduire une approximation de A en fonction de R0 et
de L.
4. On estime le R0 de la coqueluche à 17. Calculer l’âge moyen à l’infection dans un pays ou l’espérance de vie
est 72 ans.
3.5.2
Limites du modèle
Par rapport à ce qu’on observe sur tableur, les épidémies successives ne dvraient pas toujours diminuer en intensité.
C’est là une limite du modèle SIR.
Pour le complexifier, afin de mieux coller à la réalité, on choisit un taux de contact β = β0 (1 + β1 cos(2πt)) qui possède
une composante variant faiblement périodiquement avec le temps (ce qui modélise l’alternance école/vacances). On
observe des successions plus conformes à la réalité.
4
La vaccination
4.1
Principe
On suppose qu’on vaccine les personnes S avec une couverture vaccinale au taux v compris entre 0 et 1.
Le nombre de suceptibles devient donc S(1 − v).
exercice 6.
1. Comme l’épidémie se déclare lorsque
de R0 .
S
N
>
1
R0 ,
estimer le taux v nécessaire pour enrayer une épidémie en fonction
2. Faire l’application numérique dans le cas de la coqueluche.
3. Commenter en terme de politique de santé mondiale.
4.2
Vaccination par pulsation
Comme la politique de vaccination de masse est très coûteuse, pour les maladies recquérant une forte couverture
vaccinale, on puet procéder à la vaccination par pulsation, qui consiste à vacciner toutes les T années un taux v de
la population qui se renouvelle avec un taux de natalité de µ.
Cette politique vaccinale est, selon les modèles théoriques, plus économe et au moins aussi efficace que la vaccination
de masse.
exercice 7.
4.3
4.3.1
Déterminer une relation entre T , µ et v (faire un dessin).
Conséquences de la vaccination
Bénéfiques
• Eradication de la maladie (variole).
• Baisse drastique du nombre de cas (coqueluche). Attention, un arrêt de la politique de vaccination provoque
presque immédiatement une épidémie dans ce cas (Angleterre, fin des années 70).
4.3.2
Négatives
• Effets secondaires.
Il faut bien comprendre que la vaccination protège une population et non un individu. L’idéal (égoîste)
est d’être le seul non vacciné. Il y a toujours quelques effets secondaires, même très faibles.
• Augmentation de l’âge moyen à l’infection.
On démontre, expérimentalement et théoriquement sur nos modèles, que l’âge moyen à l’infection augmente
lorsque la couverture vaccinale augmente. Comme la sévérité de certaine maladie augmente avec l’âge, il est
possible que le nombre de cas diminue mais que le nombre de cas grave augmente. On montre que ce n’est pas le
cas si la couverture vaccinale est suffisamment forte (encore faut-il pouvoir atteindre ce taux). En conséquence,
pour certaines maladies, on préconise de ne pas vacciner et de favoriser la propagation de la maladie très tôt
(varicelle, par exemple).
• Emergence de souches virulantes.
Comme le vaccin cible souvent une souche dominante, celle-ci peut diminuer ou disparaître au profit de souches
plus virulentes, car les différentes souches sont toujours en compétition.
Il existe bien sûr d’autres formes de protections que le vaccin : quarantaine (peste, SRAS), destruction des individus
malades (vache folle), information pour modifier son comportement (SIDA, gastroentérite)
5
Modèles de Reed & Frost
C’est un modèle à temps discret, qui peut être déterministe, mécanique, ou probabiliste.
La différence fondamentale avec les modèles précédents est que l’on n’utilise plus la formule de transmission
β
β
de Hamer ( N
IS, où N
est la probabilité d’être contaminé lors d’un contact), qui surestime le nombre
de nouveaux cas, notamment lorsque le nombre d’infectieux I est grand par rapport au nombre de
suceptibles S.
5.1
Calcul de probabilités
exercice 8.
β
= 0.02, I = 100 et S = 1, calculer le nombre de nouveaux cas à l’aide de la formule de Hamer. Commenter.
1. Si N
2. On considère que les contacts et les éventuelles contaminations sont indépendants les uns des autres.
Pour un suceptible, calculer la probabilité d’avoir au moins un contact infectant.
3. Si on suppose que la contamination est indépendant pour chaque suceptible, calculer le nombre de nouveaux
cas selon la formule que vous venez d’établir, dites de Reed & Frost.
4. Faire l’appication numérique sur les données de la première question et commenter.
β
5. Comparer les deux formules pour N
= 0.02, S = 61 et I = 15.
5.2
Simluation sur tableur
exercice 9. Simuler un modèle de type SIR où la formule de transmission de Hamer est remplacée par celle de Reed
β
variant entre 0.005 et 0.05 et γ entre 0.1 et 1. Commenter
& Frost. On choisira N = 100, avec I = 1 au départ, N
par rapport au modèle SIR "Hamer" sans démographie.
5.3
Modèle mécanique
Le matériel est le suivant :
•
•
•
•
•
1.
les billes d’une couleur 1 sont les personnes S
les billes d’une couleur 2 sont les personnes I
les billes d’une couleur 3 sont les personnes R
les billes d’une couleur 4 représentent les blocs, qui vont simuler la probabilité de contact.
Une gouttière pour verser toutes les billes
•] Un sac pour mélanger les billes.
La règle du jeu est la suivante (pour γ = 1) :
•
•
•
•
On mélange toutes les billes et on les dispose sur la gouttière.
Au sein d’une même zone entre deux blocs contenant au moins une bille I, les billes S sont transformées en I.
Les billes I sont changées en billes R
S’il n’y a plus de bille I, c’est terminé, sinon, on recommence à l’étape 1.
exercice 10.
1. Tester le modèle avec N = 100, I = 1 au départ et 98 blocs. Comparer vos résultats avec ceux des autres
groupes.
2. Faire varier le nombre de bloc blanc et essayer de faire des paris sur l’issue de l’expérience, en vous servant de
ce qui a été vu.
3. Expliquer comment faire varier la règle pour γ = 0.25 (il faut se référer au 1.4 de ce polycopié) et tester le
modèle suivant ce protocole.
4. Proposer un raffinement de ce modèle pour prendre en compte le fait que les infectieux deviennent R ou bien
morts, avec un certain taux et au bout d’un certain nombre de jours. Faire un test de modèle dans ce cas.
6
Conclusion
Nous n’avons rien vu des modèles probabilistes, plus récents et plus performants (mais beaucoup plus compliqués).
Ce n’est qu’une initiation, en espérant qu’elle ait été intéressante.
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