Guy Lanoue, Université de Montréal, 2011-2017 Frugalitas* Modern Times (1936) de Charlot (Charlie Chaplin), devenu un symbole par excellence de l’aliénation due à l’asservissement de l’individu aux rythmes de la chaine de montage industrielle. Cette critique se précise avec les œuvres de Karl Marx, et se vulgarise avec les dystopies populaires de H.G. Wells (Men Like Gods, 1923), Aldous Huxley (Brave New World, 1932), George Orwell (1984, 1949), parmi d’autres. http://www.doctormacro.com/Images/Chaplin ,%20Charlie/Annex/Annex%20-%20Chaplin,% 20Charlie%20(Modern%20Times)_04.jpg * Ni les Romains ni les Grecs n’avaient de mot pour l’«économie» dans notre sens. À l’époque médiévale, œconomia signifiait uniquement «économe», frugal. C’est à la Renaissance qu’il acquiert son sens de «gestion de la maisonnée», qui deviendrait par la suite «gestion de ressources» à fur et à mesure que la production domine les autres dimensions, tel que la distribution et la consommation. Cette vision de l’économie contemporaine comme une entité oppressive est troublante. Censée incarner la satisfaction de besoins, l’économie devrait être une dimension positive de la vie. Elle consiste de l’exploiter et de gérer les ressources qui assurent la survie biologique de l’individu et la «survie» d’une armature sociale et d’un style de vie d’une société tout entière, inclues toutes ses contradictions. C’est dans cette 2e dimension où surgissent les traits négatifs de l’économie et qui explique pourquoi les anthropologues se penchent sur un domaine technique. Les ethnologues constatent que d’autres sociétés ne suivent pas les mêmes principes «rationnels» et «économiques» qui sont censés être primordiaux et universels, selon l’idéologie individualiste et humaniste (John Locke, David Riccardo [Principles of Political Economy and Taxation, 1817], Adam Smith [The Wealth of Nations, 1776], et, à sa façon anticartésienne, David Hume [A Treatise of Human Nature, 1739], parmi d’autres) du capitalisme anglais et donc «occidental». http://www.ecobook.com/images/porta das/9780865976085.jpg Le mercantilisme est une philosophie (pour ainsi dire) «rationnelle» qui dominaient les discours économiques du 16e au 18e siècles, qui suggère que la richesse d’un pays (ses ressources) impose des limites au stock de bienêtre total de la planète et des citoyens. On ne peut dépasser ces limites, sauf par l’échange «rationnel», qui permet à chacun de réaliser ses avantages relatifs («comparatifs») en exploitant les ressources qui lui sont «naturellement» propres. Donc, l’Espagne du 18 e siècle échange du sucre (qu’elle obtient de ses colonies au rabais, grâce à l’esclavage) contre le coton français (qui vient lui-aussi des colonies, à bas prix; il est tissé et teinté à Nîmes, dont le denim). Tout le monde est plus riche, tout le monde est heureux, sauf, évidemment, les esclaves, qui, comme dans la cité de Platon, ne figurent pas dans les calculs «économiques», qui cache, au fond, un arrangement politique basé sur la force cachée. Plus tard, Marx va réaliser que le capitalisme luiaussi cache des rapports de force sous une idéologie rationnelle de production et de consommation. http://mrthompson.org/text/21%20Spain%20Claims%20an%2 0Empire_files/image008.jpg L’économie est la «science lugubre» (dismal science) , selon l’écrivain anglo-écossais Thomas Carlyle (c.1850), qui ironisait sur l’expression plus tard rendue immortelle par Frederik Nietzsche, «La science gaie» (c.1880), qui se réfère aux éléments typiques de la haute culture de l’époque: versification, poésie, littérature – le jeu de mots «joyeux» (pour ainsi dire), ou, voulant, qui se réfère à la maitrise de la rhétorique, de la philosophie et de l’idéologie. L’économie, en contraste, serait le secteur banal, du «bas», car on fait des choses surtout avec les mains (voir le PPT Visage) et non avec le cerveau ou l’«esprit». Il y a donc un contraste implicite avec le monde des grandes idées, le domaine retenu comme plus valorisant. Souvent, on conserve ce vieux préjugé en limitant l’enquête quand, derrière la production et la production, il y a un système de pouvoir qu’il faudrait découper pour comprendre l’économie. En fait, l’«économie anthropologique», domaine traditionnel d’enquête, devrait aujourd’hui être rebaptisée «anthropologie financière». Il faut comprendre que le choix de métaphore est aussi conditionné par un système d’exploitation caché. http://newsimg.bbc.co.uk/media/images/4442 9000/gif/_44429717_pakistan_economy3_416gr.gif Une vision traditionnelle de l’économie L’image de la nouvelle économie mondiale http://warc.jalb.de/warcajsp/news_image/599_org.jpg Ces deux images sont le visage populaire du capitalisme, mais le slogan qui encourage la consommation n’est pas une description exacte du processus qui crée la richesse et confirme le pouvoir. Consommer définit le capitalisme mercantile mais a une autre signification dans le capitalisme industriel. Ces images en fait signalent pas le mécanisme de production, mais les politiques du système de distribution, qui s’érige sur des arrangements politiques. http://2.bp.blogspot.com/_T5 Vfpw3BK_E/S6zEFwiAyTI/ AAAAAAAANA/LGCXIT-B2 zk/s1600/socialism_vs_capitalism.jpg http://bennygunns.com/wp-content/ uploads/2009/06/the-faces-of-capitalism1.jpg C’est un paradoxe: des marchands existent depuis qu’existent les villes et donc depuis qu’existe la nécessité de transférer un surplus agricole de la campagne à la ville, et les produits artisanaux d’une ville à une autre pour obtenir des matériaux premières. Le mercantilisme crée la capitalisme, mais le vrai capitalisme dépend d’une culture légale qui cache le profit sous la loi du contrat. http://breakfastwithspanky.files.word press.com/2008/09/yam.jpg Les ignames maori http://envirohistorynz.files.wordpress.com/2010/06 /young-maori-girl-at-te-ariki-pa-shows-her-standing -alongside-a-vegetable-garden-and-a-whare-photographtaken-in-the-1880s-by-the-burton-brothers.jpg?w=367&h=269 Un jardin maori, années 1880 Marcel Mauss, neveu et étudiant d’Émile Durkheim, est un des premiers à se pencher sur la question de l’échange (Notez: pas sur la production, que Marx avait identifié comme le foyer où se reproduit l’inégalité innée au capitalisme; la distribution [l’échange] et ses rhétoriques, pour lui, n’est qu’une manifestation de la loi du contrat qui cache les rapports déséquilibrés dans la production). Dans L’Essai sur le don (1923-24), Mauss utilise comme exemple les Maori de la Nouvelle-Zélande, où le hau de l’objet, «l’esprit du don», est censé pousser les personnes à offrir de contre dons. Autrement dit, Mauss tente d’identifier la force motrice pour cette dimension importante de l’activité économique dans des sociétés sans appareil juridique du contrat. Autrement dit, il est possible faire des calculs stratégiques (et donc « rationnels ») sans l’esprit du capitalisme. Le texte anthropologique le plus canonique sur l’économie est, ironiquement, Argonauts of the Western Pacific, de Bronislaw Malinowski (1922; ed. fr. 1963). Ironique, parce que Malinowski décrit un système économique, le Kula des Îles Trobriandais de la zone mélanésienne, où certains biens sont échangés, mais jamais consommés. Les objets acquièrent leur valeur grâce aux nombre d’échanges dans lequel ils ont participé. Les bracelets blancs (mwali) sont échangées contre de colliers rouges (soulava). En fait, Malinowski parle d’un «ring», un cercle, parce que les mwali circulent dans le sens inverse aux aiguilles d’une montre, tandis que les soulava circulent dans l’autre direction. L’échange est entre partenaires fixes qui sont dans un rapport compétitif et non amical. Ces objets ne doivent pas rester dans la possession d’une seule personne. On les accumule uniquement pour les échanger et accroitre son statut. Plus on échange, plus on est respecté. Ce n’est pas uniquement la culture trobriandais qui est importante ici: ces objets ont une valeur mais ne sont pas consommés, comme l’argent. Mais ils ne sont de l’argent parce qu’ils ne peuvent pas représenter la plus-valeur des autres objets (on ne peut pas échanger un bracelet contre des ignames, par exemple). L’échange de ces «jetons» facilite le troc (gimwali); dans ce sens, il y a un calcul stratégique au niveau de la sélection de partenaires pour l’échange kula, mais ces calculs ne sont pas attachés à l’objet, comme est le cas de l’argent. http://www.art-pacific. com/images/massimap.gif http://pmimages.worthpoint.com /thumbnails2/1/0708/13/1_580b1c 2ed05d781bb6a5fce4591d82d1.jpg Un collier soulava http://tribalartbrokers.net/im ages/groups/1/AHR001c.jpg Un bracelet mwali On voit qu’au cœur de la question économique est la rationalité. À différence de la rationalité occidentale apparemment centrée sur les intérêts stratégiques et égocentriques de l’individu, les économies «primitives» (p.e., voir Raymond Firth, Primitive Polynesian Economy, 1939) semblent tenir compte des dimensions sociales de l’individu, de ses devoirs et de ses obligations comme membre d’une communauté. Si les obligations sociales empêchent une personne de réaliser son potentiel économique, pouvons-nous conclure qu’il a agit de façon rationnelle? Sommes-nous moins rationnels quand on donne un cadeau à notre enfant? La pensée darwinienne des 19e et 20e siècles semble cimenter pour toujours les définitions du «rationnel» et donc de l’«économique» dans les pratiques capitalistes de l’époque. Un potlatch contemporain http://www.shirleycollingridge .com/potlatch.jpg Ironiquement, certaines activités sont vues comme purement «sociales» ou «traditionnelles» (la poubelle des ethnologues), car on ne reconnait pas leurs dimensions économiques. Des activités telles que le potlatch des peuples de la Côte Ouest du Canada sont saisies par les ethnologues comme un exemple d’une pensée économique rationnelle, car ce rituel de redistribution semble conjuguer parfaitement les intérêts stratégiques de la communauté avec ceux de l’avancement du statut individuel. D’autres sociétés, comme les Athapascans septentrionaux, présentent certaines difficultés interprétatives, car plusieurs préfèrent s’aveugler aux dynamiques politiques complexes qui animent leurs activités économiques. Donc, ils ne sont pas «rationnels», parce que l’économique dans son sens occidental n’est pas primordial dans le sens de créer une Préparant une peau d’orignal, matrice pour la Territoires du Nord-Ouest, 1975 pensée. Pour simplifier, il y a trois points de vu sur l’«économique» : 1) le formalisme, où l’activité est décrite avec le langage des sciences économiques de l’Occident; ont étudie l’utilité marginale d’un bien (ou d’une activité); les analyses reposent sur le postulat que les ressources soient rares et ne sont pas distribuées de façon homogène (mais on ne distingue pas une distribution aléatoire naturelle et une distribution inégale soutenue par une dynamique culturelle) ; c’est la position classique de l’Homo œconomicus. 2) Le substantivisme, proposé par Karl Polanyi (The Great Transformation, 1944), une forme de sociologie historique qui met la’accent sur la façon dont les humains exploitent leur environnement; autrement dit, ils examinent la substance de l’économie et non ses manifestations idéologiques. 3) Le culturalisme prétend que « substantivistes » privilégient une vision occidentale de l’économie. Il faut rejeter le sous-texte de l’ethnocentrisme inné des théories occidentales pour privilégier les modèles autochtones. Quel modèle « autochtone » peut comptabiliser les vrais couts d’un atelier de misère, quand celuici existe grâce aux dynamiques financières propres au système mondial? http://static.flickr.com/4045/4545408197_6f0d055454.jpg Si Malinowski sépare « bien » et « valeur », Marshall Sahlins divorce « économie » et « rationnel ». Avec la publication de Stone Age Economics (1974), il démontre que la rationalité «primitive» est plus sensible aux dimensions sociales: les obligations, les devoirs et les droits en tant que membre de la communauté. Il propose deux arguments révolutionnaires: 1) l’absence de biens n’est pas, pour la majorité des peuples tribalisés, signe de la pauvreté, car ils ont opté de maximiser le temps dévoué à d’autres activités, plutôt que de s’enrichir en se concentrant sur la production de choses matérielles; 2) la rationalité qui encadre l’échange n’est pas calculée au moment de l’échange, et elle n’implique pas seulement les personnes qui échangent. Par exemple, la générosité « pure » peut être une forme de réciprocité généralisée, où l’individu donne à un réseau et non à une personne, en attente de recevoir un contre-don de quelqu’un dans le réseau (donc, pas nécessairement de la même personne qui à reçu le don original). La « générosité » peut également être un geste calculé, car la personne sait qu’il recevra un contre-don dans un deuxième temps (il est « rationnel » quand on considère la longue durée). http://anthro.palomar.edu/economy /images/birthday_gifts.jpg Pourquoi limiter l’idée du rationnel aux évènements qui entourent le moment précis de l’échange? À droit, une banque alimentaire de Vancouver assure la redistribution de dons à la communauté, où le donateur ne connait aucunement le destinataire. http://bp2.blogger.com/_NY9D7hrqEA0/R1DJNUf7nzI/ AAAAAAAAACM/ClwEVRVFnJ8/s1600-R/Vancouver+Food+Bank.jpg Je veux souligner que les analyses occidentales de l’économie est souvent qu’un prétexte pour conclure que l’Autre n’est pas rationnel «comme nous»; on peut donc l’étiqueter comme «primitif», car « nous » avons une « vraie » économie, qui serait donc décapée de toutes ses dimensions sociales. L’économie rationnelle, selon ce point de vu, se base sur la valeur des choses et même sur la valeur des personnes. On produit un surplus pour faire un cadeau à quelqu’un. C’est rationnel, car le plaisir a une valeur. On travaille 8 heures sur une chaine de montage ennuyeuse ou dangereuse puisqu’on n’a pas de choix: c’est rationnel. Un Dènè ne retourne pas à la même zone de chasse chaque année, où sa connaissance intime du lieu le rendrait plus efficace, parce qu’il doit montrer aux voisins que les zones moins productives leur appartiennent autant que les zones plus riches. C’est rationnel. On peut « valoriser » tout. Qui contrôle l’accès aux ressources? Dans les sociétés industrialisées, on peut préciser une réponse : la bourgeoisie contrôle les ressources, et le prolétariat, non. Ceci ne dit rien de la condition économique de personnes qui assument tel statut: il y a de prolétaires riches, comme certains membres de la bourgeoisie sont relativement pauvres: ils sont propriétaires, oui, mais de ressources non stratégiques: un magasin dépanneur, un kiosque de journaux. Il faut penser «ressources» en termes d’un système de pouvoir stratégique: la ressource principale dans une société industrialisée (capitaliste ou communiste; indépendamment de l’idéologie) est le capital. L’argent n’est pas du capital parce qu’il est incapable de générer du revenu sans qu’il y ait un système politique qui protège les investissements et les bourses. Une personne avec des millions d’économies n’est pas nécessairement un capitaliste, s’il ne participe pas à un régime d’investissement dont les lignes de force sont plus ou moins garanties par le pouvoir gouvernemental et par l’hégémonie culturelle. Un fermier est un capitaliste; un paysan, non http://polizeros.com/wp-content/uploads/2009/07/capitalism.gif Il y a beaucoup de confusion autour de la question de classe et l’économie, surtout que les marqueurs de classe ne sont plus limités à des objets (voir, p.e. Pierre Bourdieu, Distinctions, 1973). Les micro-distinctions (p.e., «la haute classe moyenne», «la classe moyenne professionnelle», «la classe moyenne de banlieue», etc.) créent des microstatuts basés sur la consommation de produits culturels et pas de la marchandise. Ceci devient important pour les personnes de statut haut mais sans capital. Autrement dit, on devient hyper-sensible aux questions de consommation quand on ne peut agir dans le monde de la production. Les structures «parallèles» de l’imaginaire permettent aux personnes de définir leur statut selon leur capacité de participer dans le monde des symboles: le sémiopouvoir. http://www.urbi-orbi.net/wp-content/dog-07.jpg Comment analyser des sociétés où l’accès aux ressources est souvent comparé à un système capitaliste? P.e., en certaines parties de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le réseau de contacts entre Big Men constitue une ressource économique, car ceux-ci permettent l’expansion du village (une dynamique primordiale dans un régime agricole sur brûlis). Certes, tels rapports sont alimentés et cimentés par des échanges, souvent de cochons, dont le nombre et la valeur sont comptabilisables; donc, plus facilement conçus comme «économiques». De plus, tels rapports sont en principe à la portée de la majorité des hommes. Les lignes de force définissent un ensemble de rapports, une structure, mais pas une catégorie sociale comparable à une classe d’un régime capitaliste. Un Big Man local, Southern Highlands Province, PNG, 2004 http://www.lukimpng.com/SHP%20Images/P1200282.JPG Et comment analyser un système de castes? Est-ce une économie ou un régime sacré? Typiquement, dans un tel système, la pureté émanant du sommet de la pyramide sociale est «échangée» contre des biens et des services provenant de couches sociales inférieures. Les castes sont endogames pour garantir que l’échange du visible – les biens et les services – contre la pureté «invisible» ne soit pas contaminé, car les personnes sont formées des composants visibles – le corps – et invisibles – l’âme. En Occident, on insiste que ceci n’est pas un système «économique» parce que l’idéologie «religieuse» limite et canalise les activités qui entourent la vie et la survie, quand le concept de l’Homo œconomicus insiste que chaque personne cherche à maximiser l’utilité marginale. Alors, existait-il une «économie» à l’époque médiévale européenne où l’Église catholique limitait les jours de travail et les taux d’intérêts sur les emprunts? Voir L. Dumont, Homo Hierarchicus: Essai sur le système des castes, 1966. http://cruelty-free.org/environment/wp-content/ uploads/2010/08/caste-system.jpg http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons /thumb/e/ef/Homo_Hierarchicus_caste_zh.svg/50 7px-Homo_Hierarchicus_caste_zh.svg.png À chaque partie du corps social correspond un degré de pureté spirituelle et ethnique, qui se chevauche avec les idées mythiques de la pureté de certaines parties du corps biologique et de ses produits (p.e., dans le mythe de Purusha le géant primordial dont le corps sacrifié fournit la matrice pour les castes et pour l’environnement naturel et cosmique). Ceci n’est pas une représentation de Purusha (qui était censé avoir mille têtes), mais illustre néanmoins le principe de correspondance de façon simplifiée. La république de Platon reprend une forme de ces idées protoindo-européennes; voir G. Dumézil, Mythe et Épopée, 1968-73. Bref, des étiquettes formelles ne semblent pas avancer l’analyse de l’économie. Quand un État contemporain occidental, par exemple, se lance dans un programme de redistribution de ressources (le bien-être social, l’assurance emplois), des programmes qui sont rendus possibles grâce au système d’impôt progressif, ou quand un individu fait une contribution charitable à une fondation, comment centrer l’Homo œconomicus? Pourtant, tels gestes, parfois vus comme l’«altruisme» par les éthologues et les sociobiologues (voir E.O. Wilson, Sociobiology: The new Synthesis, 1975; ed. fr. 1987), qui doivent s’efforcer pour «expliquer» ce comportement antiéconomique, sont assez fréquents et sont à la base des systèmes économiques contemporains dans les pays industriels, comme l’a réalisé l’économiste J.M. Keynes dans les années 1930. Le gouvernement canadien considère que 51% de son budget, soit autour de 94 milliards (2003-4), consiste de paiements de transfert. (http://www.google.ca/imgres?imgurl=http://www.fin.gc.ca/taxdollar05/ima ges/english/transfer%2520payments.jpg&imgrefurl=http://www.fin.gc.ca/ta xdollar05/where_eng.asp&usg=__eg6Lt9_M_Hp1jbmWyy2BlZlm5rk=&h=265&w=320&sz= 29&hl=en&start=1&zoom=1&um=1&itbs=1&tbnid=62izbPt23qB80M:&tb nh=98&tbnw=118&prev=/images%3Fq%3Dtransfer%2Bpayments%26um %3D1%26hl%3Den%26sa%3DN%26rls%3Dcom.microsoft:enUS%26tbs%3Disch:1, 4-11-2010) http://www.theage.com.au/ffximage/ 2007/06/15/wbCHARITY2_narrowweb __300x387,0.jpg http://www.fin.gc.ca/taxdollar05/ images/english/transfer%20payments.jpg La nouvelle gouvernance et la pression sur la classe moyenne La Dépression de 1929 et la culture Elle a beaucoup de causes: la bourse gonflée; capitale trop fluide (ayant prêté trop d’argent pour fonder des entreprises, les banques n’ont plus de liquides pour financer les opérations quotidiennes); et le Président Herbert Hoover est stupide. Il suffit qu’une étincelle de panique pour que les marchés financiers craquent quand les actions vendues ne trouvent plus d’acheteurs. Le chômage atteint 25%; des bidonvilles (des Hoovervilles, justement) apparaissent partout; les tensions sociales augmentent. Comme remède, Hoover rapatrie les emprunts que l’Amérique avait offert aux Allemands pour financer la reconstruction du pays après la 1re Guerre mondiale. L’Allemagne précipite en crise financière; les banques ferment, les personnes ne peuvent plus financer ni l’industrie ni les achats qui alimentent la demande industrielle, laissant la porte ouverte pour Hitler, qui joue sur la peur et la pauvreté des gens. Mais à différence de l’Allemagne où les conditions sont aussi pires que celles des É-U, les protestations populaires américaines, qui suivent les mêmes lignes, sont rapidement assimilées par la culture populaire : on chante, on danse, on va au cinéma (qui développent de grands spectacles musicales à la Busby Berkeley: sexe et collectivisme chorégraphié). Bref, on renforce les traits de cette culture en signe (utopique) que cette classe n’est pas « vraiment » touchée par la chute. Par contre, sans cette notion que le petit peuple ait sa propre culture, les protestations allemandes deviennent rapidement un mouvement idéologique qui mènent au fascisme. Footlight Parade, 1933, Busby Berkeley. En bas, un marathon de danse, 1930s; inspiration pour le film They Shoot Horses, Don’t They?, 1969 (Sidney Pollack, Jane Fonda). Grâce à l’industrie filmique d’Hollywood, on est retourné à la Belle Époque du colonialisme, où les surplus créés outre-mer sont transférés au pays-mère. Où le colonialisme était accompagné par l’émigration européenne (Canada, États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud), les accumulations locales de richesse étaient partagées, et la partie locale était réinvestie localement. Peu importe, le colonialisme a favorisé l’Europe. “Maddison's estimates of GDP per capita at purchasing power parity in 1990 international dollars for selected European and Asian nations between 1500 and 1950, showing the explosive growth of some European nations after 1800”. (https://en.wikipedia.org/wiki/Great_Divergence; 12-27-2015) Le loisir est une affaire. Titre du Hollywood Reporter, 3-22-2012. On est loin des commérages sur la vie secrète de Taylor Swift: While the domestic box office was down a sobering 4 percent, the foreign take grew by 7 percent to $22.4 billion; China now second-biggest international market after Japan. The foreign box office rescued Hollywood in 2011, with international ticket sales reaching $22.4 billion, a healthy 7 percent increase over 2010, according to the MPAA's annual Theatrical Market Statistics report. http://www.hollywoodreporter.com/news/global-box-office-china-internationalgrowth-326-303324 La nouvelle gouvernance et l’accumulation du capital • (April 29, 2008): NEW YORK (AP) - Canadian firm Rogers Communications Inc. said Tuesday it doubled its first-quarter net income on strength in its wireless postpaid business. • There are four major wireless carriers in the U.S., and all but Verizon Wireless have a default mobile search provider. Both AT&T and T-Mobile USA use Yahoo! and Sprint Nextel uses Google. • « Almost 40 percent of all workers in the U.S. can be considered mobile, which translates into nearly 50 million employees. » (2005) • (April 28, 2008): Verizon has reported Q1 revenue of $23.8 billion, up 5.5 percent. Net income increased to $1.64 billion from $1.5 billion. Revenues at the company’s wireless business rose to $11.7 billion, up 13.2 percent year over year. Revenue at Verizon’s wireline business fell 1.4 percent. Wireline data revenues which now make up 40 percent of total wireline revenues were $4.9 billion, an increase of 14.8 percent compared with the first quarter 2007. [23.8g = 95.2g/y; 1.64g profit (net income) = 6.56g/y; 1.64g profit sur un revenue de 23.8g = retour de 5%] Profit annuel de Verizon: 6.56g La gouvernance traditionnelle et l’accumulation, même avant la crise de 2008-09 • • • • • • General Motors Corp. (NYSE: GM) today posted net income for 2006, excluding special items, of $2.2 billion, or $3.88 per share fully diluted, compared with a net loss of $3.2 billion, or $5.67 per share, in 2005, marking a $5.4 billion improvement. Including special items, GM had a net loss of $2.0 billion, or $3.50 per share for 2006, compared with a net loss of $10.4 billion, or $18.42 per share in the year-ago period. General Motors earned record revenue of $207 billion in 2006, compared with $195 billion in 2005. -- 2006 adjusted net income of $2.2 billion - improvement of $5.4 billion -- 2006 reported net loss of $2.0 billion - improvement of $8.4 billion -- Positive fourth quarter net income and operating cash flow -- Year-end cash balance of $26.4 billion •[net income (« profit ») de 2.2g sur un revenue de 207g = taux de profit de 1%, comparé au profit de Verizon, approx. 5%, qui génère ainsi 3g de profit de plus sur un investissement d’un tiers du montant investi par GM. Cela veut dire que l’investissement dans ce secteur télécommunications peut générer 5 fois (approx.) de profit par dollar investi]. Point final: GM a des usines: ses investissements sont plus ou moins conditionnés par ses infrastructures énormes. Verizon n’a pas d’usines ni d’infrastructures en tant que telles. Son capital peut «voyager» partout. Le 9 février 2011 la bourse de Londres et TMX (Canada) annonce une fusion: (FT) -- Shares in London Stock Exchange surged almost 8 per cent on Wednesday after it agreed an all-share merger with TMX Group, operator of Canada's largest stock exchange, creating a platform with the world's largest number of mining company listings at a time of surging commodity prices. Borse Dubai, LSE's largest investor, Italian bank shareholders UniCredit and Intesa Sanpaolo, as well as Qatar Investment Authority, which owns 15 percent of the LSE, favor the deal. The deal is the latest in the sector which faces the growing threat of competition from alternative trading platforms such as Chi-X Europe and Bats Europe. SGX, Singapore's exchange, agreed a $7.8bn bid to takeover Australia's ASX in January, to form Asia's fourthbiggest bourse. The deal valued ASX at 25 times its 2009 earnings. LSE trades at about 10 times earnings. TMX shares have risen strongly on the back of consolidation hopes. The group's subsidiaries include the Toronto Stock Exchange and the Montreal derivatives exchange. TMX also has a 19.9 percent stake in EDX London, a small derivatives exchange run by the LSE. TMX markets itself as the world's leading resources market, but the LSE has also capitalized on the commodities boom. Mining and energy companies account for 34 percent of the companies on LSE's benchmark FTSE 100 index, up from 29 percent three years ago. TMX's main board and TSX Ventures exchange, which specializes in small-cap listings, have a combined 3,900 listings between them. http://edition.cnn.com/2011/BUSINESS/02/09/lse.tmx.merger.ft/index.html?hpt=T2# http://www.bi-me.com/myPicture s/London_Stock_Exchange_180.jpg http://ffog.net/wp-content/uploads/20 10/12/Increase-in-the-Toronto-Stock-Exchange.jpg Depuis une vingtaine d’années, de nouvelles théories tentent d’expliquer certains aspects de ces nouvelles tendances émergentes du régime mondial. Paul Krugman (Prix Nobel, 2008), en particulier, dans un poigné de livres, a développé un nouveau modèle de l’économie mondiale qui contourne les limitations des paradigmes antérieurs qui se basaient sur la théorie de l’avantage comparatif. Cette dernière proposait que chaque économie se spécialise dans la production de biens pour lesquels elle est mieux adaptée, tels que le blé au Canada et le café en Colombie. Les économistes classiques ont passé de décennies à se féliciter pour avoir découvert que le café ne pousse pas au Canada, que les tentatives politiques qui visent l’autonomie économique de chaque pays constituent une perte de ressources. http://www.economistsdoitwithmodels.com/wpcontent/uploads/2010/03/shirts-tires-2.jpg Malheureusement, ceci contredit les faits. Brésil, par exemple, n’est pas devenu «naturellement» le premier fabricant de pneus grâce à son abondance de caoutchouc au 19e siècle: on a importé les plantes parce que le marché dictait que le main-d’œuvre coutait rien. La théorie de l’avantage comparatif ignore les rapports de force derrière les structures économiques, comme celles qui imposent un régime colonial sur certains pays pour en tirer de bénéfices importants, p.e., le coton indien forcément exporté pour alimenter l’industrie anglaise de textile aux 18e et 19e siècles; cette pratique a déformé la structure économique de l’Inde, «démontrant» que la théorie est vraie, quand, deux siècles plus tard, les entreprises occidentales décident d’externaliser la fabrication vers l’Inde parce que celle-ci est en pays «en voie de développement» avec une main-d'œuvre à bas cout. On oublie que ce retard économique visà-vis de l’Occident est dû au colonialisme. http://www.gigathoughts.com/wp-content/u ploads/2009/04/outsourcing_to_india_recession.jpg Les modèles suggèrent que l’externalisation soit une chose positive. La réalité est bien différente. http://farm4.static.flickr.com/3281/2961581487_204fccb8d9_m.jpg Justement, Krugman s’adresse à la question empirique: pourquoi est-il qu’au 20e siècle, les pays plus avancés sur le plan industriel (et donc plus riche) se ressemblent? Pourquoi disparaissent-elles les différences censées se concrétiser, selon la théorie de l’avantage comparatif? Pourquoi s’installe-t-elle une autre différence, l’écart entre riche et pauvre? Les théories classiques prétendent que l’échange international, surtout s’il est encouragé par un régime douanier qui n’impose aucun tarif (ou, au moins, de tarifs bas) augmente la richesse de la planète. Cette hypothèse s’est révélée vraie, mais cela ne signifie pas que la pauvreté est due aux conditions locales qui ralentissent l’échange; p.e., pendant de décennies, on disait que la pauvreté indienne était due à sa surpopulation, à son système de caste restrictif, ou même à une religion trop omniprésente. Pourtant, les faits des dernières deux décennies ont démenti ces modèles: en fait, la pauvreté du passé a attiré des investissements qui on enrichit le pays. http://therealbarackobama.files.wordpre ss.com/2009/07/co2.jpg?w=300&h=299 Ironiquement, la pollution industrielle a été exemptée des soidisant règles de la nouvelle économie, car on peut «exporter» les émissions en achetant les quote-parts inutilisées par les pays sous-développés, créant ainsi une motivation pour s’assurer que ses pays «importateurs» restent désindustrialisés. Krugman répond que les consommateurs préfèrent avoir de choix diversifiés, mais que les économies d’échelle (quand le cout d’une unité produit baisse grâce à l’augmentation du volume de production) concentrent la production de marchandises plus complexes dans certains pays: les pays avec une demande locale très élevée pour ce bien auront tendance à dominer la production à l’échelle mondiale, parce que les couts de transport par unité (et donc le prix de détail) seront naturellement plus bas si le bien est consommé où il est fabriqué. L’effet est de baisser le cout de la production et de favoriser les pays avec l’infrastructure industrielle mieux développée: ceux que sont riches s’enrichesent d’avantage. http://i168.photobucket.com/albums/u177/pro fanuscaalamus/2009/DoNotDelete/ceteris-paribus.jpg http://www.columbia.ed u/~ram15/ie/IEE05-11.jpg Ceteris paribus n’est pas le nom du protagoniste du dernier Astérix, mais le postulat irréel invoqué par les économistes quand ils proposent leurs théories, même celles qui «expliquent» le nouveau régime mondial. Cela signifie, «toutes choses étant égales par ailleurs». Je ne connais pas la littérature spécialisée du domaine, mais une autre critique contre la position de Krugman (qui sans doute a été déjà soulevée par des professionnels du secteur) est la trappe à liquidité, quand les politiques keynésiennes ne stimulent plus l’économie. Normalement, la banque nationale augmente ou diminue la quantité de liquide en manipulant le taux d’intérêt, pour augmenter ou baisser le taux d’emprunt et donc encourager ou non les investissements. Dans la nouvelle réalité mondiale, les pays les plus efficaces sur le plan technologique vont concentrer le capital, comme le suggère Krugman. Cependant, les pays qui veulent conserver leur avantage compétitif en continuellement réinvestissant dans l’infrastructure, ont de difficultés à générer du capital «frais», car ils sont trop efficaces. Ils doivent donc gruger les salaires et baisser le taux de profit. Face à ce paradoxe structurel du capitalisme contemporain, les entreprises et les agents financiers préfèrent envoyer leurs profits (le capital potentiel) dans les zones où le cout de la main-d'œuvre est moindre, ce qui mène à une crise locale de capitalisation dans les pays «avancés», baissant ainsi le taux d’investissement et, donc, les affaiblissant face à des économies où le cout de réinvestissement est relativement moindre (p.e., le cas de la Chine). Souvent, comme dans le cas du Japon ou, bientôt, des États-Unis, le taux d’investissement n’est plus stimulé par une baisse du taux d’intérêt, car le capital s’est «enfui» à l’étranger « pauvre ». Les pays «avancés» donc ont une tendance naturelle à se «désindustrialiser», obligeant les gouvernements d’intervenir pour soutenir les industries clés (Airbus, Bombardier, etc.). D’autre part, ceci pousse les entreprises à investir d’avantage dans la machinerie au dépens du main-d’œuvre, avec le résultats que les conditions pour les ouvriers deviennent toujours plus difficiles en dépit de la richesse du ‘pays’, voulant dire, ses banques et ses élites. http://pinknpurplelizard.com/blog/wp -content/uploads/2009/11/mouth-toilet.jpg Justement, en novembre 2010 s’effectue une intervention massive pour «sauver» la République d’Irlande. Pourquoi parler de ce pays relativement petit, quand le gros de la crise de 2008 (qui a commencé quand quand l’ex-Président Bush a permis au FNMA («Fannie Mae») d’offrir des hypothèques «risquées») s’est déroulé aux États-Unis et en les pays piliers de l’Europe? Parce que l’Irlande est un exemple parfait. Ce pays était sous-développé et relativement pauvre jusqu’aux années 1980, quand IBM a été persuadé par le climat favorable (population stable et bien instruite, bonne infrastructure, et surtout salaires bas; voir F. Barry, C. van Egeraat, «The Eastward Shift of Computer Hardware Production: How Ireland Adjusted », NIRSA [cliquez], 2009) d’y situer quelques fabriques, se qui a stimulé le secteur de construction et l’ultérieure libéralisation des taux d’intérêt. Le plan actuel, mis au point par la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international, et le EFSF (European Financial Stability Facility), prévoit injecter 100b. d’Euros (€100,000,000,000) pour combler un endettement d’au-delà de demi-million de dollars par personne (pour une population de 4,7 m), ce qui représente approximativement 1100-1200% du PIL (approx. 51,000$ par personne). Le paradoxe: le problème actuel est causé par la richesse, non par la pauvreté. http://media.vam.ac.uk/media/thira/colle ction_images/2009BX/2009BX8549.jpg http://www.blogcdn.com/www. housingwatch.com/media/2010/0 8/fanniemae-293mz081810.jpg Un iMac G3, 1999, Made in Ireland La nouvelle gouvernance et la pression fiscale Taxes et impôts par maisonnée, une croissance continuelle