Francesca Brezzi Frontière de genre, genre de frontière Frontière de genre, genre de frontière • Mon intervention, comme un palimpseste, entremêlera des allusions à mon parcours personnel à l’université et la position de la réflexion féministe dans le monde académique (notamment en Italie) Frontière de genre, genre de frontière WS/GS et l’université • Relation difficile, agitée et fragile entre WS/GS et l’université nous voyons émerger de nombreux points d’interrogation : Frontière de genre, genre de frontière Questions • où nous situons-nous ? • Comment travailler en étant intellectuellement critiques ? Y compris aussi en considérant que l’exclusion des femmes du Monde académique est symptomatique de leur exclusion du pouvoir ? Frontière de genre, genre de frontière : reconnaissance, traduction. • On s’efforcera d’élucider des chiffres valables pour répondre à ces questions et de dessiner un autre genre d’université. • Pour plus de commodité j’anticipe ces chiffres en les résumant : frontière, reconnaissance, traduction. Frontière de genre, genre de frontière: dehors, dedans, contre ? • Un sujet d’une grande ampleur, une question complexe, une problématique qui met en cause beaucoup de sensibilités, • une problématique que je résumerais en dehors, dedans, contre ? • Je répond : les femmes et les WS se trouvent sur les frontières. Frontière de genre, genre de frontière • En particulier pour expliquer le titre de mon intervention je pense que les femmes ont traversé beaucoup de frontières liées à leur genre et elles mêmes sont un genre de frontière. Frontière de genre, genre de frontière • Le féminisme dans l’université : dehors, dedans, contre ? • après plus de soixante ans de l’irruption du féminisme, nous pouvons nous poser la question de savoir : • quelle place occupe aujourd’hui cette réflexion dans le domaine disciplinaire ? • Et encore, presque en conséquence, quelle idée d’université, mais aussi de culture pourrait dériver de dette irruption ? Il s’agit, comme on peut en déduire, de plexus étroitement entremêlés, auxquels nous tenterons de donner des réponses. Frontière de genre, genre de frontière: “la citoyenneté imparfaite” des femmes dans l’université • Des questionnements que je retrouve dans toutes les expériences faites au cours de ces années, et qui montrent combien il est difficile d’introduire dans le milieu universitaire la réflexion féminine et féministe, tout au moins en Italie, où il y a “la citoyenneté imparfaite” des femmes de science dans le monde scientifique Frontière de genre, genre de frontière“la citoyenneté imparfaite” des femmes dans l’université • Je tiens à souligner cette caractéristique qui est typique de la culture italienne. • Cette difficulté qui est la nôtre peut apparaître presque banale pour nos collègues étrangères, pour qui s’occupe de ces thématiques depuis bien des années à l’échelle internationale : à savoir encourager l’étude et la recherche en relation avec la présence de la pensée féminine dans les universités et non seulement dans la culture contemporaine. Frontière de genre, genre de frontièrefrontière“la citoyenneté imparfaite” des femmes dans l’université • La situation universitaire italienne ignore officiellement ce domaine de recherche, si florissant dans le monde anglo-saxon, mais aussi en France et en Allemagne : dans ces pays, comme on le sait, les études sur les femmes ont acquis une dignité scientifique et un statut bien défini, là où en Italie il n’y a pas de chaires reconductibles aux Women's Studies (ou, peut-être, deux ou trois) et ces argument ne sont traités que s’ils sont introduits dans des disciplines traditionnelles, liées à l’intérêt ‘momentané’ d’un professeur, femme ou homme, et fondamentalement marginales ou souterraines. Frontière de genre, genre de frontière: caractéristiques du féminisme italien • Comment expliquer cela ? En nous référant aux caractéristiques du féminisme italien qui, comme on le sait, s’est trouvé dans une situation paradoxale que nous pourrions définir de visibilité externe contra absence Frontière de genre, genre de frontière: visibilité externe contra absence • les élaborations théoriques ont par suite engendré un savoir diffus ailleurs, dans les bibliothèques, les librairies, les centres culturels, les maisons d’édition, atteignant néanmoins un vaste public et prenant surtout une grande importance scientifique,mais non reconnues dans l’université Fro:ntière de genre, genre de frontière: infiltrations dans les universités • Au cours de ces mêmes années, ou tout de suite après, on assiste cependant à des infiltrations dans les universités, à des ‘déguisements’ pour faire aller de l’avant ces thématiques, des infiltrations et des déguisements pas toujours appréciés par certaines féministes qui, en quelque sorte, démontraient d’être complices de l’exclusion. Frontière de genre, genre de frontière: infiltrations dans les universités • Dans les années quatre-vingt-dix la situation a changé, parce qu’ont vu le jour de nouveaux groupes de femmes, comme la Société des Historiennes (1989) et la Société des Femmes de Lettres (1996), des groupes de femmes sociologues et de femmes de science, des centres universitaires. Pour la philosophie Diotima(comunité philosophique de Verona) Minerves pourvues d’une lance pointue et d’un rameau d’olivier • Aujourd’hui la situation italienne présente un cadre très bariolé, comme l’affirme Di Cori, habité par des Minerves pourvues d’une lance pointue et d’un rameau d’olivier, en d’autres mots nous avons assisté à leur entrée de l’extérieur à l’intérieur des murs de la citadelle universitaire. Frontière de genre, genre de frontière • Je retourne à mon titre et je pense que les frontières du genre représentent l’un des filons les plus intéressants de la réflexion féministe (et pas seulement) de ces dernières décennies, une réflexion qui tourne autour du thème de l’identité et nous amènera à franchir plusieurs frontières, à traverser divers espaces géographiques, à aborder différentes cultures, pour tenter de définir les « états de l’esprit », comme le dit Etienne Balibar dans les pages de son précieux ouvrage (Très loin, tout près, Bayard , Paris 2007 ). Fatema Mernissi :Rêves de Femmes, Une enfance au harem • Ma réflexion est née de la lecture du roman d’une auteure marocaine, Fatema Mernissi, « Rêves de Femmes, Une enfance au harem », qui raconte comment l’on vivait dans un harem, vers le milieu du XXème siècle, et met en lumière les différentes formes de rébellion adoptées par les femmes, aujourd’hui encore, lorsqu’elles se retrouvent confinées dans des limites trop étroites. L’auteure suggère que « dire ses rêves à haute voix, donner corps à ses propres fantaisies » est le véritable premier pas vers la liberté. Lorsque la première des règles imposées aux femmes du harem est de ne pas franchir les « limites sacrées » des murs domestiques, c’est la plus haute terrasse de la maison, là où les regards et les voix féminins peuvent prendre le large, qui devient ce lieu protégé où rêver d’évasion, pratiquer les rituels secrets, s’organiser pour transgresser les règles imposées par la famille et la société. Frontière de genre, genre de frontière • Pour reprendre l’idée de Mernissi, nous dirons que, d’une part, les femmes se sont trouvées dans l’obligation de transgresser les frontières imposées à leur genre et, d’autre part, elles se posent elles-mêmes comme un « genre » de frontière. Philosophie de la différence • Je souhaite préciser, de façon brève et forcément généralisatrice, le cadre philosophique de ma réflexion. La spéculation occidentale contemporaine traverse une période de crise et de privation, où l’on a vu l’effondrement des philosophies systématiques, la chute des "visions du monde", le refus des savoirs universels, et le rejet de la raison elle-même dont elle était pourtant l’instrument. Dans ce contexte, diverses théories sont nées, manifestations de cette crise, expressions de l’éloignement de ces modèles de rationalité. Nous pensons à Heidegger, Levinas, Ricœur , mais aussi à Deleuze et Derrida, et surtout aux études qui se penchent sur la différence sexuelle (dites women’s studies), qui toutes rejettent le logos totalitaire et unificateur, c'est-à-dire la philosophie de l’unité, et parlent de la chute du sujet monolithique et cartésien et de l’irruption de l'altérité, de l’autre au cœur de soi. Philosophie féministe de la différence • Il me semble que la pensée féministe, féminine ou de la différence, représente l’un des parcours possibles pour le pluralisme philosophique et culturel actuel, ou mieux encore, qu’il est en mesure d’exprimer une parole nouvelle que je crois significative. Philosophie féministe de la différence • Les courants du féminisme sont beaucoup, mais - plutôt que d’adhérer à tel ou à tel courant – il pourrait être intéressant de voir comment ces différentes conceptions se sont affirmées dans le temps, car la pensée féminine a entrepris un important travail d’élaboration théorique et critique. Philosophie féministe de la différence • Elaboration qui met en évidence les diverses frontières traversées, tout au long d’un effort qui a eu pour origine la revendication de l’égalité des droits des femmes. • Première frontière: mouvement d’émancipation des femmes né dans les années 50, qui a culminé en 1968. Frontière de genre, genre de frontière • Ce premier point évoque un parcours difficile, parfois douloureux, qui suppose plusieurs étapes, le voyage est toujours une expérience tout à la fois dérangeante et transgressive Deuxième frontière • Deuxième frontière : en passant par la prise de conscience de la parité, les femmes ont abouti, dans les années 70, à la reconnaissance de la différence ou deuxième féminisme . Le « genre » de frontière: de l’identité individuelle à l’identité collective • En ce qui concerne le second point, la réflexion sur l’identité féminine ainsi définie va au-delà des difficultés qui se posent encore au cours du processus d’intégration des femmes (p.e.immigrées), et permet de connoter de façon positive le terme de « frontière », non pas en tant que mur, ou fermeture, mais au sens où l’entendait Kant: c’est la différence entre la barrière qui ferme, (schranke) et la frontière qui ouvre (grenze). Genre de frontière • On rappellera à ce sujet l’importance des résultats des études postcoloniales (en tant que réflexion sur les frontières que l’on atteint puis que l’on dépasse: d’abord l’émancipation, mais aussi les critiques sur celle-ci en tant que produit de la culture occidentale, ensuite l’affirmation de la différence et des différences, enfin l’acquisition des droits échange de savoirs • La frontière s’entend alors comme échange de savoirs et d’expériences, comme élément de communication, du moment que l’on se situe entre l’Occident et l’Orient, tout en s’interrogeant sur ces concepts à partir de divers points de vue (géographique, historique, social et culturel). Croisement de l’Orient et de l’Occident • Il est nécessaire de nous placer au croisement de l’Orient et de l’Occident, pour nous interroger sur ces concepts tant du point de vue géographique que socioculturel et religieux, tant les stéréotypes et le manque de connaissance de l’autre sont ancrés dans nos cultures. Négocier ses propres limites • Si le concept d’identité est difficile à construire, nous pensons aussi aux conflits de nature ethnique, religieuse, politique, qui marquent notre époque de façon dramatique et paraissent tous relever de la revendication d’une identité, au besoin par la violence; le but de nos actions non doit affirmer violemment l’identité, mais d’apprendre à négocier ses propres limites, ou frontières. Reconnaissance de l’autre • Dire un « genre » de frontière ,alors, suppose, d’abord, l’exigence de la reconnaissance de l’autre, mais aussi – ce qui me mène aux derniers points de ma réflexion – l’usage de la notion de traduction . Traduction • « Genre » de frontière et frontières du genre signifie également que, tous, nous devons œuvrer en tant que traducteurs au sens profond du terme; mais que signifie vraiment « traduire » ? Selon le sens latin, nous tentons de tra-ducere, c'est-à-dire de porter vers, de transporter notre réalité, nos problèmes, nos concepts, nos carences, et de les mettre en communication. Traduction • « Traducere » veut dire éliminer les nombreuses idées préconçues de l’Occident sur la culture islamique(p.e) et, réciproquement, les préjugés des pays arabes à l’encontre de l’Occident. Pluralisme linguistique • Je souhaite proposer ainsi un modèle de traduction d’une langue à l’autre, ce pluralisme linguistique dans l’espace méditerranéen qui permettra d’éviter les écueils de l’incommunicabilité. Ethique de la traduction • La Méditerranée doit être une région polyglotte et ceci est un engagement qui relève de choix éthiques. Les traducteurs, en tant que médiateurs, doivent être les invités qui habitent dans l’autre pays, pour s’approcher au plus près des ressources de l’une et de l’autre langue. Hospitalité linguistique • C’est là l’hospitalité linguistique dont parle Paul Ricœur, hospitalité qui exprime pleinement la richesse du phénomène migratoire. Merci