Bulletin No 29 - Avril 1997 "La recherche interculturelle francophone et le concept de culture". Compte rendu du symposium parrainé par l'ARIC (Marguerite Lavallée et Bernd Krewer) au 26ième Congrès international de psychologie, Montréal, 16 - 21 Août 1996 Quatre collègues ont représenté les travaux de l’ARIC au dernier Congrès international de psychologie. Nous présentons ci-après les compte rendus de leurs trois conférences. Le concept de culture comme ancrage d'identité Marguerite LAVALLÉE, École de psychologie, Université Laval Bernd KREWER, Universität des Saarlandes Zentrum für Unweltforschung Le thème de notre réflexion s'inscrit dans un objectif plus large, celui de cerner l'originalité du concept de culture tel qu'envisagé en psychologie interculturelle francophone, plus spécialement par l’équipe des chercheurs et des intervenants, membres de l’association pour la recherche interculturelle (ARIC). D’emblée, faut-il le préciser, la discussion sur le concept de culture et son importance pour une science de l'homme, pour animée qu’elle soit actuellement, a connu une longue tradition de réflexion méthodologique dans l'histoire des sciences sociales (Jahoda & Krewer, 1997). Au sein de l'IACCP (International Association of Cross-Cultural Psychology), association anglophone “ voisine ” de l'ARIC, cette discussion a fait ressortir deux champs différents, qui cherchent leur complémentarité sous les titres "Cross-Cultural" et "Cultural" Psychology (Berry, Poortinga & Panday, 1997). Le champ le plus traditionnel, qui prédomine encore chez nombre de chercheurs, poursuit la voie d'une psychologie qui s'inscrit dans la tradition d'une science naturelle; quant au deuxième champ, il s’inspire surtout des idées issues des approches psychologiques se définissant plutôt comme science humaine et historique (Krewer, 1993). Pour les représentants de la Cross-Cultural Psychology, dont la méthode comparative constitue la clef de voûte pour expliquer le fonctionnement psychique de l'homme dans sa globalité, le concept de culture est principalement conçu selon deux variantes. Une première regroupe les chercheurs intéressés aux différentes formes à travers lesquelles le comportement et le vécu psychique de l'homme se manifestent; dans cette perspective, la culture est considérée comme un conglomérat de variables indépendantes expliquant la variance des phénomèmes psychiques analysés (Lonner & Adamopoulos, 1997; Segall, 1984). L’autre variante, regroupant les chercheurs plutôt intéressés aux similarités sous-jacentes aux différentes formes apparentes d’actions, de pensées et de sentiments de l'homme, vise à éliminer l'effet perturbateur de la culture pour mieux cerner les lois fondamentales du psychisme humain (Poortinga, 1993). De leur côté, les adhérents de la Cultural Psychology conçoivent le concept de culture comme un système de significations se manifestant dans des structures matérielles, sociales et idéelles, système vu comme indissociable du psychisme de ses groupes-porteurs (Jahoda, 1984, 1993; Miller, 1997; Rohner, 1984). Ces différents courants se retrouvent aussi dans le concept de culture tel qu’utilisé par les chercheurs de l'ARIC. Cependant, la diversité épistémologique en est élargie, et cela, pour deux raisons. Premièrement, dans une perspective interdisciplinaire, la recherche promulguée par l’ARIC s’applique aux divers champs sociaux et psychologiques touchés par l’évolution des socio-cultures et par la généralisation des contacts entre les sociétés humaines, leurs membres et leurs dynamiques interactives. Deuxièmement, soucieux d’établir un dialogue entre la théorie et la pratique, les chercheurs étudient des problématiques qui gravitent surtout autour de trois grands axes: les phénomènes liés aux contacts entre groupes socio-culturels historiquement indifférenciés, les processus d’interactionErreur! Signet non défini. entre individus ou groupes se réclamant de différents enracinements culturels et les conditions d’existence des sociétés multiculturelles. L'accent est ainsi mis sur les problèmes réels qu'occasionne la coexistence et la coopération interculturelles dans diverses situations concrètes. 1 Bulletin No 29 - Avril 1997 Un thème récurrent pour étudier ces problèmes est celui de l'acculturation, c'est-à-dire l'étude des phénomènes résultant de la rencontre entre groupes porteurs de visions différentes du monde et celle des changements qui peuvent se manifester dans l'un ou l'autre des groupes, à l'issue de cette rencontre. Fondamentalement, cette problématique touche, comme le souligne bien la sociologue genevoise Schurmans (1995), "le changement social, la dialectique entre rapports de sens et rapports de force, la genèse des normes et les processus de leur intériorisation, les mouvements sociaux et la dynamique de la construction sociale de l'identité, du Nous et d'Autrui" (p. 250). Dans un tel contexte, le concept de "culture" prend une importance centrale. Sa richesse se révèle à travers les différents usages qui en sont faits pour tâcher de cerner, aux différents niveaux, la dynamique interculturelle elle-même. Par leur orientation interdisciplinaire, leur intérêt pratique dans les contextes quotidiens des rencontres interculturelles et leur préoccupation à l'amélioration concrète de la communication et de la coopération interculturelles, les chercheurs de l'ARIC ont tendance à dynamiser le concept de culture en l'utilisant à la fois comme antécédent, enjeu, revendication et produit des contacts interculturels. Cette dynamisation du concept de culture (comparé à la version statique et figée du culturalisme) se reflète, entre autre, par un changement d'attitude et de vécu vis-à-vis le contact des cultures et la rencontre interculturelle: d’un côté, la culture est comprise comme ressource, comme potentiel, comme création, d’un autre côté, la rencontre interculturelle est vécue moins comme un "choc", une "menace" ou une barrière au développement identitaire, et plus comme une chance, un enrichissement ou une ouverture vers de nouvelles pistes de construction identitaire. Culture et identité Dans notre exposé, c'est à travers les situations de cultures en contact que seront examinés certains des rôles que peut revêtir le concept de culture pour retracer la structure et le processus de construction identitaire qui s'y opère. La relation entre le "soi", le "moi", l'identité, d'une part, et la culture, d'autre part, analysée sous des perspectives différentes et dans des contextes culturels et interculturels multiples (Krewer, 1994) est sans conteste l’une des préoccupations majeures des chercheurs de l'ARIC. En effet, la vie et la coexistence entre personnes de différentes cultures engendrent toujours des réajustements divers tant au niveau des objectifs poursuivis que des efforts d’adaptation consentis pour faire face aux nouveaux enjeux qui s’offrent aux individus en présence. À quelque niveau que se situent ces réajustements, l’identité de l’individu ou du groupe y est toujours sollicitée. Ainsi, que ce soit en situations de contacts interculturels ou dans un processus d’intégration de la modernité dans la tradition (tel qu’il apparaît dans les études réalisées dans les pays en développement), il y aurait de la part de l’individu ou du groupe, la mise en avant de processus de négociations pour trouver des compromis, des ajustements, des synthèses, voire même de nouvelles identités, dynamiques souvent identifiées comme “ stratégies identitaires ” (Camilleri & Cohen-Emerique, 1989; Camilleri, 1990 et al., entre autres), débouchant sur des constructions et reconstructions incessantes. Par quelles voies le concept de culture peut-il contribuer à l'examen de ces processus de construction identitaire? Nous proposons trois voies principales qui sont loin d'être exclusives mais qui, par certaines de leurs spécificités, peuvent enrichir l'analyse: 1) La culture vue comme modèle dans la structuration identitaire; 2) La culture vue comme ressource à la construction identitaire; 3) La culture vue comme produit de la construction identitaire. Schématiquement, quoique la plupart des approches existantes fassent référence aux trois lignes de pensée, nous pensons que les concepts de culture que nous proposons sont étroitement liés aux objectifs d'analyse et aux démarches théoriques des chercheurs. Le tableau suivant résume ces pistes d'analyse. 2 Bulletin No 29 - Avril 1997 Le concept de culture et la construction identitaire Approche culturaliste interactionniste constructiviste concept de culture structure/modèle de base ressource d'identification de la personnalité reven-dication identitaire "mentalité" "identité culturelle / ethnique" produit d'interaction et d'interculturation "culture de contact" concept de l'individu passif, reproductif (inter)actif, créatif (inter)actif, créatif processus enculturation socialisation identification culturelle acculturation intégrati-ve, création synergique orientation temporelle statique, passé dynamique, présent dynamique, avenir représen-tant psychologie des peuples, théories d'ethnicité anthropologie identité sociale psychologique, psychologie culturelle théories d'acculturation théories de métissage Nous allons tâcher de développer brièvement ces trois orientations. Étant donné l’espace qui nous est alloué pour le présent exposé, les exemples choisis pour illustrer l'une ou l'autre fonction ne représentent forcément qu’une très faible proportion de l’ensemble de la production scientifique francophone dans ce domaine. Nous encourageons les lecteurs intéressés de pousser plus loin leur réflexion à ce sujet, de consulter entre autres le numéro spécial publié dans le Bulletin de psychologie, Tome XLVIII, no. 419, 1995. Certains de nos exemples en sont d’ailleurs tirés. 1 La culture vue comme modèle dans la structuration identitaire Une certaine vision de la culture se retrouve forcément dans celle de l’identité. Celle qui voit dans la culture un modèle, tire ses orgines du courant “ culturaliste ” qui prévalait au milieu du siècle dernier. Selon cette conception, la culture est cette part apprise du comportement humain qui particularise les différents groupes culturels. Sa préoccupation touche la question de savoir comment une culture donnée imprègne les individus, est assimilée par eux, développe leur personnalité en leur conférant une “ mentalité ” particulière, reflet de leur groupe d’appartenance. En s’inscrivant dans une logique susceptible d’être retracée dans tous ses sous-systèmes et à travers les éléments ou traits qui la caractérisent, la culture vue comme modèle, comme “ pattern ”, assure une cohérence interne à la diversité externe. Mais ce faisant, elle risque également de déformer la réalité en réduisant tout à cette logique. Cette notion de culture, encore applicable à quelques rares sociétés dites traditionnelles et souvent réduite à leur identification simple, sans considération des conflits ou des changements qui les animent, peut être qualifiée, selon les termes de Camilleri (1989), de “ syncrétique ” par opposition à une culture plus “ synthétique ” qui est à la fois dynamique par la multiplicité des rapports sociaux en jeu, plurielle par les sous-groupes qui la composent, interactive par les nombreux contacts qui s'y réalisent entre individus et groupes et qui permettent d’intégrer des éléments nouveaux et régulatrice par la gestion des différents conflits qui surgissent et doivent être résolus. En s’appuyant sur cette idée de culture-modèle, l'identité culturelle aboutit à la description d'un ensemble de traits, de fonctions, de comportements individuels ou sociaux stables, tous découpés les uns des autres et attribués comme tels à l'individu en tant que caractéristiques de sa culture. Selon cette perspective, la construction identitaire est ramenée à une assimilation pure et simple de traits et de pratiques dès la plus tendre enfance, grâce aux processus primaires de socialisation et d'enculturation; l'identité 3 Bulletin No 29 - Avril 1997 culturelle y est alors vue comme synonyme d'unité culturelle ou groupale, c'est-à-dire d’une homogénéité d'attributs dérivés "naturellement" d'une socialisation commune. Cette vision descriptive et statique de la culture, cherchant à établir des personnalités de base typiques en fonction des cultures respectives, laissent ouvertes d'autres questions, telles justement celle de la genèse de la culture et, par extension, celle du rôle qu'y joue l'individu. Elle rejoint un problème non résolu en sociologie, celui de la relation entre le collectif et l'individuel. À cette vision statique de l’identité, vient s’en opposer une autre, plus dynamique. Dans cette dernière, l’individu est envisagé dans sa globalité, comme centre cognitif et affectif qui fixe ses choix d'appartenance, qui, grâce à ses interactions avec les autres, individus ou groupes, élabore et partage des significations communes et participe ainsi à la construction d'une identité personnelle et culturelle sans cesse renouvelée. C’est sous l’entête d’une psychologie culturelle (Camilleri, 1985; Clanet, 1990; Krewer, 1992, 1993; Vinsonneau & Camilleri, 1987) que semble se dessiner, au sein de l’ARIC, ce nouveau courant théorique et méthodologique alliant psychisme humain et culture. On y envisage que l’individu se développe dans un espace culturellement préstructuré, puis modifié par le jeu incessant des constructions actives et interactives des acteurs. La culture y est vue à la fois comme condition et comme résultat de la compétence humaine. D’emblée appréhendée comme une composante du fonctionnement du psychisme humain, elle perd son statut traditionnel de variable indépendante visant la représentation objective d’une réalité universelle quelque peu immuable au profit de celui de variable dépendante, dont les manifestations témoignent de processus de constructions et de reconstructions continues, issues des interactions entre les personnes impliquées. La construction de l’identité, à travers un tel modèle, consiste en l’élaboration d’un système de sens chez un individu en interaction avec un milieu socioculturel donné, caractérisé par un ensemble d’échanges diversifiés avec les autres. Elle est assurée par un double mouvement, celui de se particulariser et de s’affirmer en tant qu’individu unique, cohérent avec lui-même mais également ouvert aux autres, aux changements qui lui assurent un sentiment de continuité et celui de se conformer, de façon plus ou moins marquée, aux valeurs du ou des groupes avec lesquels il vit et auxquels il désire appartenir (Lavallée, 1991). À travers ce modèle interactionniste, l'individu prend le statut de sujet et joue un rôle actif dans l'élaboration de sa culture et de son identité. Ainsi que l'écrit Camilleri (1990): "ce sont les individus eux-mêmes qui élaborent les formations collectives par lesquelles ils se font dépasser, et qu'ils perçoivent comme les transcendant" (p. 9). En d'autres termes, au sein de chaque culture, ce sont les individus qui créent et dissolvent les groupes, les institutions, en fonction des situations, elles-mêmes variables. C'est également dans ces groupes, ces institutions que les individus viennent puiser ce qu'ils jugent significatifs pour eux, pour leur identité. La culture ne peut donc pas être vue comme indépendante des individus; elle n'a pas non plus ce caractère immanent, immuable qu'on lui a pendant longtemps attribué. Au contraire, elle est à la fois produit et productrice de sens, grâce aux interactions constantes entre elle et chacun de ses membres et entre elle et d'autres cultures. Pour bien saisir la dynamique qui unit l'individu à sa culture et qui contribue à la formation de son identité, il est nécessaire de tenir compte des contextes où elle se réalise. Une contribution dans ce sens est fournie par les études comparatives menées dans différents pays. En étudiant les effets des contextes différents sur les comportements des individus, ces études permettent de mieux déterminer la relation culture-individu et de relativiser la part respective de l'une et de l'autre dans les comportements observés. Les mêmes effets peuvent aussi être notés, de façon moins systématique, lors de rencontres interculturelles. Les déterminations culturelles qui se manifestent dans les comportements des personnes en contact, en se révélant porteuses de sens différents, font prendre conscience du caractère particulier et relatif de réalités jugées jusque là 4 Bulletin No 29 - Avril 1997 "naturelles", voire même universelles, ou qui étaient tout simplement devenues inconscientes (Boucher, Doutreloux, Guilbert & Lavallée, 1994). Cette relativisation remet également en question la vision du caractère définitif et stable de l'identité de l'individu. Mais le contexte dans lequel évoluent les personnes est loin d'être homogène. Ceci est surtout mis en évidence dans les sociétés dites modernes. En effet, nombreux sont les travaux qui montrent à quel point les sociétés industrialisées sont formées de structures complexes où règnent, au-delà d'un dénominateur culturel commun, des sous-groupes, des sous-cultures indépendantes, voire même parfois conflictuelles. Cela est important à tenir en compte quand on étudie le processus de construction identitaire. À quels référents l'individu fait-il appel? Au système global? À des sous-systèmes? Les travaux de Taboada Leonetti (1990, 1995) sont instructifs à cet égard. Plus particulièrement, son examen du processus d'intégration/exclusion des immigrants en France montre à quel point certaines situations auxquelles est confronté l'immigrant, par exemple le chômage, ne sont pas forcément vécues de la même manière que chez le Français. Si ce dernier perd son emploi, très vite il va vivre une forme d'exclusion symbolique; par le fait qu'il ne participe plus à la production des biens, et, par extension, à la production sociale, il n'a plus d'utilité sociale. "...Perdre son statut de travailleur, c'est aussi perdre ses forces, sa confiance en soi, ses moyens, son identité" (T. Dethyre & M. ZediriCorniou, 1992, cité dans Taboada-Leonetti, !995). La même expérience est symboliquement très différente pour l'immigrant. Ayant quitté son pays par manque d'emploi, le chômage lui apparaît un phénomène "normal", récurrent et il a moins tendance à s'en attribuer la responsabilité; du coup, son identité s'en trouve moins ébranlée que celle du Français et lui permet d'adopter, contrairement au Français qui se replie sur lui-même, des stratégies pro-actives, telles celle de faire appel à son réseau de relations pour trouver un autre emploi, ou celle de chercher appui auprès de son réseau familial ou communautaire en qui il a confiance en attendant sa réinsertion au travail. Ainsi, devant une même situation, Français et immigrants réagissent différemment selon les cadres de référence adoptés. Alors que le Français est centré sur les valeurs de la société française, voire même occidentale, l'immigrant s'appuie plutôt sur des référents culturels d'origine et sur les valeurs des sous-systèmes culturels qui peuplent son univers immédiat. Ainsi, chaque contexte culturel, de par la complexité de son organisation en systèmes et sous-systèmes, offre à ses membres un ensemble de valeurs et de normes qui orientent ses choix, qui guident ses conduites. Une analyse qui tient compte de ces aspects permet une appréhension plus sûre et plus globale de la relation entre culture et identité. 2 La culture: une ressource à la construction identitaire En tant qu'être social, l'individu ne peut construire son identité sans tenir compte de l'univers social et culturel qui l'entoure. Mais, nous l'avons vu, l'identité n'est pas un simple produit de la culture. Il y a, de la part de l'individu, recherche active de ce qu'il juge cohérent et significatif pour lui dans son univers quotidien en même temps que recherche de reconnaissance de la part des groupes auxquels il appartient. En ce sens, la culture est appréhendée comme ressource symbolique fondamentale, apte à satisfaire ce double besoin: lieu de significations élaborées et partagées par des groupes d'individus portés par des projets communs, elle offre à la personne la possibilité d'adhérer à ces groupes et de partager leurs valeurs en les faisant siennes, ce qu'Oriol (1995) appelle les appartenances assumées (les memberships). Ce sont ces appartenances multiples qui confèrent à l'individu une signification, une identité propre. En retour, pour permettre à l'individu de marquer son appartenance à ces groupes et ainsi en recevoir la reconnaissance, la culture lui fournit un ensemble de codes et de règles auxquels il doit se conformer. Foyer symbolique par excellence, la culture contribue au développement ontogénétique de l'identité ethnique et des attitudes ethniques par l’appréhension progressive de soi et des autres, à l’intérieur de contextes culturels spécifiques (Aboud & Sherry, 1984; Coslin & Winnykamen, 1994; Laperrière, 1990, 1994; Phinney, 1990), à l'élaboration de stratégies 5 Bulletin No 29 - Avril 1997 et à la recherche de solutions face à des conflits d’identité culturelle qui érigent des barrières entre Nous et les Autres (Camilleri et al., 1990) et finalement au changement d’identification culturelle chez les immigrés de deuxième, troisième ou de plusieurs générations qui revendiquent alors une identité adaptée aux modalités de vie dans lesquelles ils se retrouvent (Camilleri & Vinsonneau, 1996; Clanet, 1990). Les travaux de Laperrière à Montréal sur les frontières externes de l'identité culturelle, déterminées par le regard de l'autre et la place de la communauté culturelle dans les rapports sociaux" (1995, p. 195), illustrent bien cette dynamique entre soi et autrui et le rôle de ressource qu'y joue la culture. Les propos recueillis auprès d'adolescents de quatre ethnies différentes sur leur définition et évaluation des groupes ethniques de leur quartier révèlent des dynamiques constrastantes en fonction des diverses situations rencontrées. Lorsque le poids démographique des minorités est élevé et leurs conditions socioéconomiques jugées supérieures, les individus de ces groupes ont tendance à négliger de se décrire comme minoritaires pour s'identifier à des valeurs et à une identité plus large, nord-américaine ou universelle; il y a par ailleurs compétition et accentuation des différenciations ethniques chaque fois qu'il s'agit de se promouvoir socialement ou politiquement. Au contraire, lorsque le poids démographique des minorités est faible, l'identité ethnique est rarement invoquée; elle est plutôt neutralisée sinon quand elle fournit un appui aux aspects jugés favorables à l'ouverture interculturelle et à l'harmonie sociale. Cette identité qui assure la cohérence au niveau individuel et la cohésion au niveau du groupe, n'est pas acquise une fois pour toutes. Elle dépend des enjeux du moment et des situations, elles-mêmes très variables. La dynamique du maintien ou du changement qui permet de construire l’histoire des groupes et les histoires personnelles à partir des événements du passé, et des projets, actualisés dans les confrontations quotidiennes, trouve souvent appui dans l’ethnicisation des uns et des autres. Au niveau des groupes, l’ethnicisation construit et reconstruit des appartenances culturelles riches de socialités mais aussi porteuses d’exclusions et de rejet (Fourier & Vermès, 1994). Au niveau de l'individu, il y a négociation constante des appartenances en termes de rapports de rapprochement fondées sur des similitudes, ou d'éloignement suscités par des différences ou les deux à la fois. Ces mouvements de rapprochement ou d'éloignement, appelés stratégies identitaires, visent en général à éliminer ou à mieux gérer toute difficulté ou menace à l'identité. Les situations interculturelles sont un terrain très propice à 'létude de ces stratégies. Connaissant que les traits et codes culturels sont symboliquement imbriqués dans l'identité de la personne, on peut anticiper que tout contact avec d'autres codes culturels, d'autres valeurs, est une occasion d'éveil, sinon de menace à l'identité et, par extension, aux significations culturelles qui la sous-tendent. Cette menace sera ressentie plus ou moins fortement selon le degré de divergence des cultures en présence. Le phénomène est fréquemment mis en évidence durant le processus d'acculturation. Dû justement aux décalages entre codes symboliques, modèles identificatoires ou encore normes de rôles (Malewska-Peyre, 1984), les immigrants, surtout en provenance de pays plus traditionnels, sont souvent confrontés à des situations conflictuelles. Alors que dans leur pays d'origine, certains comportements et attitudes les gratifient d'une image positive d'eux-mêmes, dans la culture d'accueil, ces mêmes comportements peuvent être mal interprétés et donner lieu à une image négative. Quelles issues prévoir à de telles confrontations? Les travaux de Camilleri et de Lipianski, entre autres, ont permis d'identifier diverses stratégies identitaires élaborées par les sujets pour faire face à ces conflits. Certaines sont simples et peu différenciées, allant d'un conservatisme culturel pur à un opportunisme total, d'autres sont plus complexes et nuancées, allant d'une recherche à maximiser les avantages à tirer des deux cultures à des tentatives variées et plus ou moins étendues d'intégrer ce que chacune offre de plus significatif à l'individu. Dans tous les cas, la dimension culturelle est présente, soit pour engendrer le conflit, soit pour servir d'intermédiaire à sa résolution. Il faut noter cependant que les stratégies ne se sont pas toutes efficaces. Certains aménagements peuvent être infructueux et aboutir à des dysfonctionnements plus ou moins sévères; parfois aussi le conflit peut déboucher sur l'exclusion pure et simple. 6 Bulletin No 29 - Avril 1997 L'étude des stratégies identitaires en situations interculturelles permet aussi la mise en évidence du caractère interactif et continu du processus identitaire. Nous l'avons dit, l'identité n'est jamais acquise de façon définitive; l'individu est toujours en processus de redéfinition face à une réalité également changeante. Ce rôle actif de sujet qu'il détient face à un milieu tout aussi actif est la condition fondamentale qui permet de parler d'interaction véritable dont le processus de négociation et les stratégies identitaires sont l'expression. Toute rupture de cette interaction, par non-reconnaissance de l'individu en tant que sujet, entraîne forcément de nouveaux conflits, de nouvelles confrontations. Une étude de Govindama (1995) est instructive à cet égard. En analysant les effets de deux types de médecine pratiquées à l'Ile de Réunion, une traditionnelle, l'autre moderne, l'auteur montre le conflit qui résulte de la confrontation de ces deux modèles et ses conséquences sur l'identité. Par exemple, pour expliquer la résistance qu'affichent les Réunionnais à l'égard de la médecine moderne, même dans les cas où elle pourrait apporter des solutions bénéfiques à leur santé, l'auteur invoque le passé d'esclavage qu'ont connu les Réunionnais. Mis à la disposition des anciens colons pour satisfaire les plaisirs de ces derniers, ils s'étaient vus alors réduits au simple rôle d'objet, privés de toute relation d'altérité. L'imposition récente d'un système médical et de méthodes venues d'ailleurs qui font fi de la médecine traditionnelle et des diverses significations culturelles qui y sont rattachées, a été à nouveau vécue par les Réunionnais comme un rapport de domination de l'Occident. Pour se garder contre cette influence dominatrice, plusieurs autochtones se sont tournés vers les sorciers et les guérisseurs qui, parce qu'ils puisent dans la culture populaire, semblent faire contrepoids à la médecine moderne qui la rejette. Cette réaction de protection identitaire, bien que pas nécessairement la meilleure, est une façon symbolique de refuser une nouvelle fois le statut d'objet en faveur de celui de sujet, porteur de significations et de valeurs propres. Ainsi, lorsque l'individu s'érige en acteur dans l'élaboration de son identité, il cesse de se voir comme simple produit de sa culture. Cette dernière peut alors être envisagée comme un instrument, une ressource mise à la disposition de l'individu pour donner un sens à sa vie et pour l'aider à s'adapter au mieux dans son environnement physique et social. 3 La culture: élément dynamique dans la construction de l'identité Pour analyser ce dernier point, les situations interculturelles nous apparaissent tout indiquées par les nouveaux dynamismes d'adaptation qui y sont sollicités. Nous retiendrons pour ce faire la conception interactionniste déjà évoquée pour rendre compte de la construction identitaire. Cette prise de position implique, nous l'avons vu, que les acteurs en présence collaborent, en tant qu'agents, aux transformations du milieu. Tout comme les normes culturelles qui prévalent dans une société donnée servent de base à sa cohésion et à son fonctionnement, en situation interculturelle, de nouvelles formes et règles de vie, de même que de nouveaux systèmes de significations peuvent être élaborés, suite aux métissages dynamiques entre systèmes et personnes en contact. Ces nouvelles règles et normes pourront s'élaborer au cours du processus de négociation identitaire, lors des contacts entre personnes ou groupes culturels différents; par là, elles contribueront également et activement au processus d'interculturation, c'est-à-dire au processus d'élaboration progressive de systèmes de règles et de significations partagés qui assureront la gestion efficace et adaptée des échanges entre individus et groupes culturels différents (Clanet, 1990; Denoux, 1995). En effet, de même qu'une véritable saisie du phénomène identitaire en tant que construction interactive nécessite que l'individu endosse le rôle de sujet agissant, il semble qu'il faille, aux yeux de l'évolution de nos sociétés actuelles, ne plus envisager la rencontre des cultures en termes d'acculturation mais bien plutôt en termes d'interculturation. Dans le premier cas, l'enjeu se situe entre une culture dominante qui s'offre comme modèle à adopter et une culture dominée qui accepte ou non de s'y conformer. Dans le deuxième cas, il s'agit de concevoir une originalité propre à chaque culture impliquée et d'envisager, de ce fait, une contribution réciproque de l'une et de l'autre à l'aménagement de nouvelles 7 Bulletin No 29 - Avril 1997 réalités englobant l'une et l'autre. La notion de cultures de contact mise de l’avant par Tabouret-Keller (1994) va dans ce sens en ce qu’elle préconise que toute situation de contact entre porteurs de cultures différentes porte en elle les possibilités créatives d’une nouvelle culture qui est celle de ce contact même. Au-delà du taux démographique atteint par les minorités, c'est la valeur inhérente à chaque culture, en tant que production humaine originale qui doit être considérée. Jusqu'à maintenant, dans les recherches qui étudient l'acculturation, on observe deux courants parallèles: un premier, centré sur le processus à travers lequel l'immigrant passe, pour tenter de s'adapter à son nouvel environnement; un second, plus centré sur la société d'accueil qui étudie les attitudes et les stéréotypes de ses membres face aux communautés culturelles qui peuplent son univers. Quelques tentatives récentes cherchent à examiner la contribution qu'ont apportée les communautés culturelles dans leur nouveau milieu. Très peu d'études se sont concentrées à examiner la dynamique même des groupes ou des individus en présence et les transformations qui en ont résulté tant au niveau de la constitution de groupes nouveaux qu'au niveau de l'identité des individus impliqués. Cette démarche, qui relève d'un processus d'interculturation, conçoit tous les partenaires comme des sujets actifs dans l'élaboration de leur identité. Certains auteurs (Becvort et Winnykamen, 1995; Laperrière, 1994) ont tenté d'étudier ce phénomène. Ils ont suggéré que les contacts entre cultures différentes peuvent favoriser l'émergence d'une culture nouvelle. Empruntant d'une part aux valeurs communes aux deux cultures en contact et d'autre part à des valeurs plus spécifiques de l'une et de l'autre, les individus issus de ces cultures tentent d'en construire une synthèse originale, tout en assurant une certaine continuité. D'autres auteurs insistent plutôt sur les processus identitaires sollicités lors de ces rencontres. Un cas intéressant dans ce sens est fourni par les expériences de rencontres de jeunes de pays différents à l'occasion de stages en formation interculturelle. Les travaux de Lipianski (1992) en sont un bon exemple. Ayant organisé des stages franco-allemands de formation à la communication interculturelle, cet auteur a examiné la dynamique évolutive de l'identité des participants. Ses observations montrent que dans les premiers temps de la rencontre, bien que tous les efforts soient mis pour rechercher les similitudes entre les partenaires, ce sont les différences qui prennent le dessus et sont vécues comme agressantes. Pour s'en protéger, les individus ont alors tendance à exagérer tout mécanisme différenciateur (stéréotypisation, catégorisation, clivages, etc.), ce qui entraîne une impossibilité à apprécier correctement les différences. Pour arriver à surmonter cet obstacle, une phase de décentration de soi est nécessaire. Elle permet de relativiser sa propre identité face à celle de l'autre et de faire accepter et comprendre les différences. Comme le souligne Lipianski (1986), la voie de l'acceptation de l'autre dans sa différence est sans doute celle de le reconnaître d'abord comme semblable à soi. Le cas des couples mixtes est un autre exemple pour étudier cette dynamique, dans un contexte de vie particulier où, à la dimension culturelle, vient s'ajouter celle des genres. Certains résultats de recherche menée par Philippe et Varro (1995) laissent déjà voir l'intérêt du problème. Par exemple, on observe que les enfants servent souvent d'enjeu pour déterminer dans quel sens s'oriente l'identité familiale; le statut de partenaire étranger peut également servir d'atout compensatoire social dans le couple. On observe aussi que la relation de couple se traduit souvent en rapport d'inégalité entre partenaires, selon leur statut social ou juridique, ou selon le statut social des pays d'origine et des langues dans le contexte actuel de vie. Enfin, on observe qu'en situation inégalitaire, il y a recherche de compromis, surtout autour de l'éducation des enfants. Mais une analyse plus fine des solutions adoptées montre que la relation asymétrique de départ n'est pas vraiment remplacée par une relation plus égalitaire. Malgré ces résultats encore partiels, il semble que les différents espaces où il y a interaction interculturelle plus ou moins durable sont des champs d'investigation intéressants pour aider à comprendre comment les relations entre individus se nouent et se dénouent, en fonction de contextes et d'enjeux sans cesse mouvants. Par cette voie, il est également possible de montrer le caractère dynamique que peut prendre la culture pour confirmer une identité ébranlée ou pour favoriser l'évolution d'une autre. 8 Bulletin No 29 - Avril 1997 Conclusions À l'issue de ce bref survol sur un des domaines les plus explorés en psychologie interculturelle francophone, l'identité culturelle, nous espérons avoir démontré la richesse des problématiques possibles qu'offre ce champ d'étude. Les diverses facettes que peut prendre la culture tant pour le chercheur qui explore cette réalité complexe que pour l'individu de la rue aux prises avec des problèmes identitaires liés à ses acquis culturels, il faut retenir la nécessité de comprendre cette réalité à travers un modèle interactif où se retrouvent des partenaires actifs, qui, malgré les différences qui les opposent ou les séparent, peuvent trouver des solutions de compromis qui seront en même temps une occasion pour eux de pousser plus loin leur quête identitaire. On est encore loin de la manifestation d’un véritable processus d’interculturation. Cela est un peu inévitable dans nos sociétés qui ont construit, au cours de leur histoire, une réalité à la fois matérielle, institutionnelle, symbolique sur laquelle elles ont fondé de plus en plus leurs assises. Pourtant, face au flux migratoire constant qu’on observe actuellement, il n’est pas faux de supposer que ces sociétés, dotées de caractéristiques déjà bien installées et instituées, subiront les transformations inévitables que vont entraîner les échanges de plus en plus variés entre individus et groupes issus d’univers différents. C’est un peu dans cette perspective que nous avons osé proposer une vision quelque peu utopique de la réalité interculturelle. Nous croyons que ce rôle incombe parfois aux chercheurs qui veulent contribuer ainsi à faire rejaillir l'espoir, à surmonter les difficultés, à croire encore que demain sera meilleur. Bibliographie Aboud, F. & Sherry, S.A. (1984). 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Perspective de l'Association pour la recherche interculturelle Colette SABATIER Université Paris X- Nanterre L'Aric est une association internationale francophone multidisciplinaire dont un des objectifs est de rassembler des intervenants et des chercheurs et ainsi offrir un forum de discussion où chacun peut profiter de l'expérience des autres. Dans le domaine de l'enfance et de la représentation de l'enfance, plusieurs intérêts et orientations ainsi se côtoient. Les intervenants sont plus concernés par les applications immédiates et par l'analyse minutieuse des situations d'inadaptation. Les chercheurs plus orientés vers une analyse méthodique des variants et des universaux et par l'étude des facteurs qui induisent et maintiennent les spécificités de chaque groupe. Mais au delà de cette divergence entre praticiens et chercheurs, les champs disciplinaires sont variés: anthropologues, psychologues culturels, historiens, chacun soumettant à la recherche ses propres questions. Les champs d'analyse sont vastes. Les uns sont plus concernés par le développement de l'enfant dans des contextes non-occidentaux: principalement l'Afrique mais aussi l'Afrique du Nord, le Maghreb. Les autres sont plus orientés vers l'étude des enfants en situation d'immigration et quelques uns par la comparaison des représentations de l'enfance et des pratiques éducatives parmi les différentes sociétés modernes industrialisées. La différence entre les groupes culturels, qu'ils vivent au sein d'un même société ou qu'ils vivent dans des contextes écologiques et culturels très différents, a fait l'objet de nombreux exposés. Les praticiens s'attardant à montrer en quoi les groupes sont différents et comment la méconnaissance de ces différences peut induire des situations d'incompréhension mutuelles menant parfois au drame. Ces informations ont le mérite de mettre à jour des aspects parfois ignorés de la vie humaine, mais la méthode centrée sur l'analyse du problème et la généralisation à partir de quelques cas peut parfois aussi induire des fausses représentations sur ces groupes. Les chercheurs se sont plus intéressés à travailler dans des contextes de normalité hors situation de détresse. La méthode comparative de deux ou plusieurs groupes sans autre objectif que celui de situer clairement les différences pressenties par les cliniciens a fait l'objet de nombreuses recherches qui maintenant tentent de déboucher sur une autre génération de recherche, celle qui s'interroge sur la nature profonde des différences observées en terme de signification propre à chaque culture, sur leurs déterminants, leurs effets et leurs fonctions. Les apports de l'approche culturelle de la psychologie, les psychologues sociaux, les anthropologues ainsi que les historiens sont de ce point de vue très utiles. La confrontation des points de vue avec les praticiens et chercheurs originaires des pays de l'Afrique noire et de l'Afrique du Nord est également un atout. Je tenterais au cours de cette présentation de souligner quelques uns des problèmes qui sont traités au sein de l'ARIC en m'appuyant notamment sur le groupe thématique qui a été animé par Blandine Bril lors du congrès tenu à Saarbrücken en 1994, qui fera l'objet prochainement d'un volume publié chez L'Harmattan. Les études comparatives de plusieurs groupes culturels simultanément, en dehors de toute problématique d'inadaptation, comme nous avons pu le faire à Montréal avec des mères québécoises haïtiennes et vietnamiennes ayant un premier né de 9 mois ont permis de montrer que ces variations ne relèvent pas seulement de la pathologie, de l'inadaptation et qu'elle n'en produisent pas forcément au contraire (1994; Sabatier, Pomerleau, Malcuit, Saint-Laurent, & Allard, 1990) La répétition de ce type de recherche avec d'autres groupes et dans d'autres pays avec des méthodologies semblables a permis de montrer d'abord un premier grand axe qui opposerait les parents provenants des classes moyennes des pays occidentaux avec les autres pays du monde. Globalement les mères des classes moyennes des pays occidentaux situent le développement pour ce qui concerne les aspects cognitifs et socio-cognitifs à un âge plus précoce que les mères des pays traditionnels. Pour ce qui concerne les aspects moteurs, ce serait l'inverse. Quand aux aspects perceptifs, par exemple voir et entendre, les résultats ne sont pas aussi tranchés. Nous avons pu aussi montrer que les mères occidentales étaient très éveillées au fait de la précocité du développement et qu'avec leur premier né elles étaient sensibles à toute prémisse du développement confondant premiers signes de l'acquisition avec l'acquisition elle -même. 11 Bulletin No 29 - Avril 1997 De ce type de recherche, on peut apprendre que les représentations du développement de l'enfant varient à travers le monde, mais les données recueillies à elles-seules ne permettent pas d'identifier l'origine de ces différences ni de comprendre leur fonction. On est tenté d'opposer modernité des savoirs qui s'appuierait sur la diffusion des connaissances scientifiques et savoirs traditionnels qui s'appuieraient sur une tradition orale. On oppose aussi pays du Tiers-Monde où la survie de l'enfant est une priorité absolue à ceux qui parce qu'il bénéficie d'un système de soin et d'hygiène qui fait baissé la mortalité et morbidité infantile peuvent se préoccuper du développement cognitif de l'enfant. On réagit aussi comme si les pays industrialisés offraient un point de vue uniforme. Cependant la comparaison des différents pays modernes industrialisés France-Japon menées sous la direction de Blandine Bril par Norimatsu (1993) et France-Allemagne menées à Toulouse par Prêteur (1991; Prêteur & Louvet-Schmauss, 1992) montrent qu'à niveau de développement économique et de modernité égal, les pays produisent des contextes éducatifs différents. tant dans les représentations que dans les pratiques Par exemple, les travaux de recherche de Prêteur et Louvet-Schmauss (1991, 1992) ont montré qu'en Allemagne et en France la représentation de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture des parents comme celle du système scolaire est différent. En France on est sensible à la nécessité de montrer des savoirs faire et de produire des modèles. En Allemagne on aime mieux fournir à l'enfant un contexte d'apprentissage qu'il s'appropriera. On attend volontiers que l'enfant découvre par lui-même les systèmes symboliques de l'écrit sans lui donner des modèles précis et exiger de lui des productions écrites normées. Les parents allemands sont peu interventionnistes tant que l'enfant est au niveau du préscolaire, alors que les parents français le sont dès le début de la maternelle c'est à dire trois ans. Il existe donc bien au niveau de ces deux pays des conceptions de l'enfant et de sa socialisation qui sont spécifiques à chaque pays. Ces observations soulignent alors la nécessité d'étudier comment ces représentations se construisent selon les différents contextes. Quelques travaux ont porté sur la construction sociale et culturelle de l'intelligence. Ils me semblent être des modèles que l'on pourrait suivre pour d'autres secteurs du développement. En dehors des chercheurs de l'ARIC, mais en milieu francophone, Mugny et ses collaborateurs se sont intéressés à la représentation de l'intelligence par les parents et les instituteurs en Suisse et en Italie en se servant de la méthode des questionnaires (Mugny & Carugati, 1989). De la même façon, Pierre Dasen a initié un courant de recherche sur la représentation des parents africains en servant de la méthode de l'entretien et en s'appuyant sur des analyses qualitatives (Dasen, Barthélémy, Kan, Kuamé, Daouda, Ajdéi, et al., 1985). L'objectif de cette recherche est de comprendre autour de quelles unités de sens, les Africains construisent l'idée de l'intelligence et par conséquent, quelles sont les qualités recherchées et appréciées chez les enfants. On a pu ainsi décrire la pluralité des sens recouverte par le terme intelligence que cela soit par les parents européens que par les adultes africains. On peut ainsi distinguer l'intelligence technologique c'est à dire orientée vers un savoir rationnel et scientifique de l'intelligence sociale et affective c'est à dire plus orientée vers les situations d'interactions sociales. Ces travaux ont été étendus à d'autres groupes sociaux vivant au sein des sociétés occidentales à savoir des paysans suisses vivant dans des régions isolées donc plus soumis aux contraintes la vie rurale et montagnarde qu'aux stimulations de la vie moderne. Pels (1994) s'est servie également de cette façon d'appréhender les représentations de l'enfant chez les mères marocaines vivant aux Pays-Bas. Constatant des difficultés d'insertion et de performance scolaire chez les enfants marocains vivant aux Pays-Bas, elle s'est intéressée à comprendre comment les mères concevaient le développement de l'enfant, comment elles découpaient spontanément les stades du développement autrement des différentes étapes-clé jugées par elles essentielles à acquérir, à quel âge et par quels procédés. En faisant ce travail par la méthode de l'observation participante et des entretiens, l'auteur en est venu à comprendre que la définition de l'intelligence chez les mères marocaines ne repose pas sur les mêmes critères que la définition proposée par les mères néerlandaises 12 Bulletin No 29 - Avril 1997 et par le système scolaire des Pays-Bas. Ce travail fait alors apparaître la maladresse des recherches comparatives qui s'inspirent des calendriers de développement établi à partir d'échantillons occidentaux selon notre propre découpage. Ainsi se dessine une autre voie de recherche, celle d'identifier pour chaque culture les unités de sens au niveau des acquis du développement et des traits de la personnalité, l'âge auquel il est attendu et la façon dont il va s'acquérir. Ce travail ne peut se faire que si on allie les deux méthodes, celle de la psychologie culturelle ou de l'anthropologie qui excelle dans leur capacité d'observer les unités de sens, et celles de la psychologie développementale interculturelle qui sait mieux situer les différentes étapes du développement et d'établir des comparaisons. Le lien entre les représentations et les pratiques a fait aussi l'objet de discussion au sein de notre groupe. Les psychologues ont tendance à penser que les représentations guident nos comportements à l'égard de l'enfant, elles jouent un rôle important dans la relation parent-enfant. Les représentations devant à coup sûr guider nos comportements ou du moins lui indiquer l'objectif final. Ainsi nous nous attendons naturellement à trouver un lien corrélationnel entre les représentations des parents et leurs pratiques éducatives. Les recherches comparatives Japon-USA rapportées par Bril dans un livre de l'Aric qui doit sortir prochainement chez l'Harmattan montre que ce type d'analyse est de pouvoir être établi. On a constaté que les enfants japonais avait un niveau élevé en mathématiques très précocement comparativement aux petits américains. On s'attendait donc naturellement à observer chez les mères japonaises des représentations et des pratiques allant dans le sens d'une stimulation précoce dans ce domaine. Les études montrent l'inverse. Les mères japonaises ne seraient pas du tout orientées vers la stimulation précoce de cette habileté, alors que les mères américaines le sont. Les travaux en France des psychologues sociaux ont montré à l'instar de Moscovi que les liens entre comportements et représentations ne pouvaient s'étudier correctement que si on prenait le soin de distinguer les différentes formes de représentations. Certaines représentations sont en quelque sorte des guides directes et explicites de l'action. Dans ce cas l'action est clairement indiquée et les liens entre comportement et représentations sont plus faciles à identifier. Dans d'autres cas la représentation est plus générale, dans ce cas il bien difficile de pouvoir identifier des liens directs. Les anthropologues ou les ethnopsychologues proposent une autre façon d'envisager les rapports entre représentation et comportement. L'ethnologue français Devereux (1949; 1968) s'est opposé à l'idée de Kardiner que les comportements des parents formaient la personnalité de l'enfant. Pour lui le regard que les parents portent sur l'enfant influence son caractère et sa personnalité. Mais ni les comportements ni les représentations ne peuvent à eux seuls expliquer le développement affectif de l'enfant. Il a montré que les Sedang et les Mohaves ont des pratiques de sevrage identique, mais du fait de conceptions différentes de l'enfant et du lien mère-enfant les effet sur l'enfant et sa personnalité sont différents. Pour cet auteur, il ne lui semble pas intéressant d'étudier les liens entre les représentations et les pratiques et comment l'un détermine l'autre, mais ce qui est intéressant c'est de comprendre l'action combinée de ces deux aspects sur le développement de l'enfant. Ravaosolo (1995) a mené sous la direction de Blandine Bril, une recherche sur la transmission des savoirs reliés à l'acquisition d'un rituel à Madagascar. On a pu ainsi montrer un écart important entre les dires des différentes impliquées dans ce processus: les maîtres de cérémonie et les parents, mais aussi un écart important entre les dires et les actes de comportement à l'égard de l'enfant. Les différentes observations ont ainsi montrer que c'est plutôt l'analyse conjointe des dires et des comportements qui est intéressante pour expliquer ce qui se passe que l'analyse des liens entre les dires et les comportements. L'évolution des idées et les liens entre les connaissances populaires et les connaissances scientifiques Une façon de comprendre le rôle de la culture sur les conceptions du développement est de pouvoir situer clairement l'évolution de nos idées et d'étudier les liens entre le savoir scientifique et le savoir populaire 13 Bulletin No 29 - Avril 1997 Les travaux sociologiques et historiques permettent de situer de façon diachronique l'évolution des idées sur le développement et l'éducation et de mieux comprendre les procédés utilisés par les spécialistes et les gouvernements pour modifier les représentations des parents. Les travaux historiques tant en France qu'au Japon montrent que le souci de modifier les pratiques des mères en vue de les amener à se conformer à des conduites considérées par les spécialistes comme nécessaires et utiles existe depuis plusieurs siècles (Kojima, 1986a, 1986b, 1996; Parrat-Dayan, 1994). Ce qui est nécessaire et utile dépend du contexte technologique, économique et social des différentes époques: par exemple Parat-Dayan (1994) montre l'évolution des rapports des médecins avec la population en fonction des grandes modifications sociales. Ainsi par exemple l'avènement des villes et la révolution pasteurienne chacun en leur temps est venu introduire des modifications importantes. La ville est venue extraire l'individu de son groupe social, ce faisant, elle l'a renvoyé à sa propre individualité donc éventuellement à sa propre souffrance, d'où une demande accrue aux médecins pour soulager la souffrance de adultes mais aussi des enfants et des petits enfants. On a pu montrer que même à des époques antérieures les idées sur le développement de l'enfant et sur l'éducation étaient variées. Il n'existe pas de culture uniforme. Chacun peut puiser dans un bassin d'idées, ce qui lui convient le mieux. Et que parmi ce bassin d'idées se retrouve des idées nouvelles qui émergeront à la période suivante. Les liens entre les représentations populaires et les représentations scientifiques ne sont pas clairs. Différents auteurs ont pris différentes options. Pour certains il existe une continuité entre ces deux formes de savoirs. Selon Vandenplas-Holper (1987) les connaissances populaires portent en leur sein les germes des connaissances et théories scientifiques. Pour d'autre au contraire, les connaissances populaires relèvent d'un tout autre ordre. Elles se conserve même si les connaissances scientifiques sont connues Massé (1991). Pour Boltanski (1969) les liens sont évidents mais complexes. La communication expert- non expert n'étant jamais complète et rationnelle, les personnes des couches populaires réinterprètent les informations en leur donnant un autre sens. Les individus ayant le besoin de donner du sens à une pratique il existe un travail de réinterprétation. Le temps de réellement ingérer les nouvelles connaissances et les nouvelles pratiques est fonction de la distance sociale des individus avec la personne qui inculque les nouvelles pratiques. Par la voie de l'appropriation et de la réinterprétation, les mères se soumettent aux prescriptions en se les faisant leur mais elles s'en distancient en y glissant des ingrédients ou des modalités qui parfois modifient substantiellement les buts visés par les médecins et divers "conseillers". Dans le cadre de l'immigration, ce phénomène a été illustré par Rabain-Jamin et Worhman (1990).avec des mères africaines vivant à Paris en ce qui concerne les pratiques d'allaitement A la toute fin on peut s'interroger sur le sens à donner aux différences interculturelles observées au niveau des ethnothéories parentales. L'étude des différents groupes culturels et l'étude historique a montré la diversité des représentations aussi bien au niveau diachronique qu'au niveau synchronique. Elles ont souligné le rôle des contextes économiques et sociaux sur les différentes représentations du développement. Mais au doit aussi s'interroger sur le rôle des différents systèmes symboliques comme les systèmes religieux et les philosophies politiques qui contiennent la notion de l'individu et de ces rapports avec les groupes sociaux notamment l'État: la liberté de l'individu est-elle un droit individuel que chacun doit individuellement défendre ou une garantie offerte à tous par l'intermédiaire de l'État qui veille au droit de chacun en imposant à tous des lois? Ces débats philosophiques conditionnent chez les adultes une certaines philosophie de l'homme et par ricochet une certaine philosophie de l'éducation. Peu de chercheurs en psychologie du développement se sont intéressés à étudier l'influence de ces systèmes symboliques sur les représentations du développement de l'enfant. Stork (1980),en France s'est attardée à retracer dans les livres sacrés aux Indes, les principes de puériculture. Ruspoli (1996) a tenté de retracer dans les dires des mères tunisiennes y compris celles qui ont bénéficié d'un bon niveau de scolarité et de formation professionnelle et celles qui vivent en France du fait de l'immigration, les principes énoncés dans le Coran. 14 Bulletin No 29 - Avril 1997 La culture structurant les modes perceptuels et relationnels des individus on peut se demander si les modes de traitement de l'information perceptuels et les valeurs collectivistes ou individualistes repérées chez les adultes ne viennent pas structurer non seulement les pratiques éducatives mais aussi modifier les représentations du développement en dessinant des objectifs de l'éducation. En France, dans le cadre d'une recherche intraculturelle franco-française, Tourette (Tourette, 1991; Tourette & Sabatier, 1992) s'est demandée si les orientations dépendance-indépendance du champ de la mère telles qu'identifiées par Witkin ne venant pas offrir un contexte particulier pour le modelage des conduites notamment du développement perceptivo-moteur et langagier. On peut se demander si les dimensions identifiées par Hofstede (1994) dans le cadre de la psychologie organisationnelle notamment la dimension individualiste et collectiviste ne serait pas aussi un support pour comprendre l'influence de la culture sur le développement de l'enfant. Plusieurs travaux de recherche faits en France sur les pratiques éducatives des mères immigrantes notamment des mères maghrébines (Balleyguier, Majunow, Godeau-Rebière, & Mertan, 1994; Macary, 1995) indiquent des modes de structuration du lien mère-enfant et des interactions enfant-enfant qui ne peuvent se comprendre que si on tient compte des fortes valeurs collectivistes de ce groupe social opposé aux pratiques de socialisation plus centrées sur l'autonomie de l'individu des familles françaises . Conclusion En somme, l'Association pour la recherche interculturel offre une plate-forme de réflexion dans de nombreux domaines dont celui de l'étude des représentations de l'enfant. Ce thème d'études a été animé de façon dynamique par Blandine Bril qui a su rassembler et faire discuter des chercheurs et des praticiens d'horizons théoriques et méthodologiques différents. La confrontation des points de vue permet quelque peu de faire avancer le domaine et se poser des questions plus pointues. On est ainsi passé peu à peu de la description simple des différences à un questionnement sur le lien des pratiques et des représentations et sur le rôle du contexte et de la culture avec ses aspects philosophiques et symboliques ainsi que sur la construction et le maintien avec les époques et l'acculturation des représentations de l'enfant. On peut se l'imaginer ce travail n'en est encore qu'à ses balbutiements et de nouvelles pistes doivent encore se dessiner Références Balleyguier, G., Majunow, B., Godeau-Rebière, H., & Mertan, B. (1994). Types d'attachement et étroitesse du lien mère-enfant : comparaison de trois milieux sociaux et culturels. In M. Deleau & A. Weil-Barais (Eds.), Le développement de l'enfant. Approches comparatives. (pp. 223-232). Paris: Presses universitaires de France. Boltanski, L. (1969). Prime éducation et morale de classe. 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Le concept de culture en éducation interculturelle reflète clairement comment la recherche en éducation interculturelle a abordé ce nouveau mandat confié à l'éducation. Il est nécessaire de subdiviser en trois le concept de culture pour rendre compte de la conception de la culture en éducation interculturelle. Il faut d'abord expliciter la conception que l'on s'y fait de la culture ethnique. Car le pluralisme reconnaît à chacun le droit de vivre l'identité ethno-culturelle de son choix, ce qui implique la conservation d'une culture ethnique distinctive. Toutefois, une identité ethno-culturelle distinctive n'entrave pas la participation à la vie de la société ambiante, ce qui implique pour tous l'identification à la culture sociétale de la société d'accueil qui est soutenue par ses traditions, ses institutions ainsi que par le poids démographique de ceux qui constituent la majorité dans cette société. En éducation, la culture scolaire est porteuse de la culture sociétale et elle constitue le second volet du concept de culture. L'appropriation de la culture sociétale est désirée par les nouveaux arrivants, car c'est la clé de leur intégration. Mais dans un contexte pluraliste, cette appropriation ne signifie pas la renonciation à une identité distincte. C'est ce que montrent les recherches psychologiques qui décrivent par des modèles orthogonaux l'harmonisation que les gens font de leur culture ethnique et de la culture de la société ambiante. Ces modèles permettent de montrer qu'une proportion importante des personnes parviennent à maintenir à des degrés élevés leur attachement à leur identité ethnique tout en participant aussi à des degrés élevés à l'identité de la société ambiante. Mais alors, comment assurer que les jeunes acquièrent les compétences qu'il faut pour s'intégrer socialement et économiquement, sans pour autant renoncer à leur référence identitaire distinctive? Cela n'est possible que dans la mesure où la culture scolaire et les culture ethniques peuvent coexister, c'est-à-dire que l'école peut "respecter" les identités particulières conservées par les membres des groupes ethniques tout en les éduquant à vivre dans la société. La réflexion et la recherche portant sur la culture du pluralisme cherche à concevoir comment ce mandat est réalisable. La culture du pluralisme est inhérente à l'éducation des jeunes à vivre dans une société où une culture sociétale et des cultures ethniques minoritaires sont en interaction. La culture du pluralisme qui doit rendre possible cette interaction constitue le troisième volet du concept de culture en éducation interculturelle. Cette communication présente donc un essai d'expliciter la conception de la culture ethnique, de la culture scolaire et de la culture du pluralisme dans le courant de la recherche en éducation interculturelle. 1 La culture ethnique. L'expression culture ethnique s'applique à des pratiques et à des croyances distinctes que des gens originant d'un pays autre que celui où ils vivent présentement conservent en guise d'attachement à ces origines. C'est une expression qui s'applique, par exemple, aux Portugais immigrés en France, aux Grecs immigrés au Canada, aux Mexicains immigrés aux USA. Est-il possible de dégager, dans la pensée francophone en éducation interculturelle, une conception dominante de ce qu'est la culture ethnique et, conséquemment, de l'espace à accorder aux cultures ethniques dans l'école publique? Il n'y a certainement pas unanimité de pensée à ce sujet, pas plus en éducation interculturelle francophone qu'en philosophie ou dans les sciences sociales. Les conceptions du rapport de l'individu à sa culture ethnique s'étalent sur un continuum. A une extrême de ce continuum se trouvent ceux qui se considèrent obligés de vivre le plus intégralement possible suivant leur culture ethnique, 17 Bulletin No 29 - Avril 1997 par fidélité à la tradition ancestrale, et qui se considèrent obligés de la transmettre inchangée à leurs descendants. Cette conception n'est partagée que par des communautés petites qui choisissent de vivre isolées de la société ambiante, comme les Juifs Hassidiques, les Amish, les Islamistes intégristes et certains groupes autochtones nord-américains. À l'autre extrême du continuum se trouvent les individus qui choisissent de ne pas se distinguer socialement par la fidélité affichée à une culture ancestrale. Leur culture ne les identifie en exclusivité à aucun groupe en particulier, elle ne doit pas entraver leur mobilité sociale et leur participation économique. Ils se réservent la liberté de composer librement leur formule culturelle. C'est le modèle libéral qui est fort bien illustré par le livre à succès récent de Neil Bissoondath (1994). La majorité des gens se situent quelque part entre les deux extrêmes du continuum: ni la fidélité intégrale à la culture ethnique ni la libération totale de toute identité ethno-culturelle distincte. Pour des raisons plus pratiques ou "stratégiques" qu'idéologiques, la conception de la culture ethnique qui prédomine en éducation intercultuelle se situe dans la portion plus libérale du continuum. Bien qu'il n'y ait pas unanimité sur ce point, l'éducation interculturelle est un courant de pensée dans lequel l'idée qu'un degré élevé de conservation d'une culture ethnique est la marque nécessaire d'une identité sociale distincte est contestée. L'appartenance à un groupe ethnique particulier dans une société est une propriété très forte de l'identité sociale mais cette appartenance n'est pas indissociablement liée à un degré élevé de conservation d'une culture ethnique particulière propre à ce groupe. Dans le contexte des sociétés nord-américaines de tradition libérale, notamment, la conservation des cultures patrimoniales est rarement une obligation imposée par quelque autorité. Cette conservation est un choix que les individus exercent seuls ou en groupe. Dans un tel contexte, l'identification à un groupe particulier dans la société, groupe qui peut être plus ou moins compact, cela s'entend, est relativement indépendante de la conservation de la culture originelle. Citons sur ce point les travaux influents de Camilleri (1992, 1996) qui montrent qu'il y a de nombreuses façons de vivre sa culture originelle dans un contexte d'immigration et que plusieurs des "stratégies identitaires" observées par Camilleri comportent une bonne marge de liberté par rapport à la culture originelle, sans pour autant affecter l'attachement au groupe. Les recherches sociologiques sur la conservation des cultures ethniques au Canada montrent aussi une grande variation dans la rétention de la culture ethnique selon les groupes et chez les individus à l'intérieur des groupes (Breton et al., 1990). La référence à l'origine ethnique dans l'identité sociale est évidemment plus forte chez ceux qui appartiennent à des groupes plus communautarisés et qui conservent une forte tradition religieuse, comme chez les gens de tradition juive, par exemple. Mais ce n'est pas la règle générale et l'identité sociale peut comporter l'appartenance à un groupe ethnique particulier sans que les individus cherchent à afficher cette identité par des pratiques culturelles distinctes. On observe des groupes ethniques à forte cohésion qui ne font peu usage de leur langue patrimoniale, par exemple. Dans les sociétés démocratiques modernes, la liberté des individus dans la pratique d'une culture ethnique distincte est chèrement préservée. La conservation de la culture patrimoniale n'est pas une obligation morale. C'est plutôt une affaire de conformisme social et l'individu doit négocier avec son environnement familial et social proche la nature de son rapport à la culture ancestrale du groupe. L'influence de la modernité et dulibéralisme se fait donc prépondérante dans la conception du rapport de l'individu à la culture du groupe auquel il s'identifie. La théorie de la distinctivité optimale de Marilyn Brewer (1993) rend bien compte de ce processus en montrant que ce rapport se vit comme une tension jamais résolue provoquée par deux propensions contradictoire, le besoin d'identification à un groupe et le désir constant de se démarquer de ce groupe pour affirmer son individualité. La pensée communautarienne qui considère très étroit le lien qui unit l'individu à la culture de son groupe n'est pas ignorée dans le tableau que nous brossons ici. Le débat entre 18 Bulletin No 29 - Avril 1997 libéraux et communautariens domine toujours la scène, comme l'attestent chaque année depuis 10 ans des publications nombreuses (Kautz, 1995). Ce débat a ses répercussions en éducation. Sauf que, comme les tendances libérales et communautariennes sont toutes deux présentes dans la population et qu'aucune des deux ne peut légitimement être ignorée, l'école publique serait mal avisée d'opter trop exclusivement pour l'une ou l'autre. La conception que nous avons explicitée s'avère être la plus commode pour l'école publique, car elle consiste à ne pas forcer la conservation des cultures ethniques ni à les affronter. Ne pas les affronter signifie ne pas "soulever" les jeunes contre la culture de leurs parents lorsqu'ils proviennent de groupes communautariens et soutenir les jeunes dans l'exercice de leur indépendance morale seulement dans les cas plus sévères de violation des libertés individuelles. L'école serait mal avisée, en effet, de se donner le mandat de garantir la conservation des identités culturelles propres à chaque groupe d'élèves. Elle peut y contribuer partiellement, par les programmes d'enseignement des langues patrimoniales, par exemple. C'est un mandat que l'Etat a bien voulu confier à l'école dans le contexte d'une politique de soutien de la diversité culturelle au Canada. On le fait dans d'autres pays pour d'autres raisons: par exemple, pour faciliter le retour au pays d'origine dans les pays qui accueillent temporairement des travailleurs migrants ou pour favoriser les échanges dans les zones frontalières où se côtoient des populations d'ascendance nationales distinctes. Mais l'éducation interculturelle n'a jamais considéré légitime d'imposer aux élèves de diverses origines ethniques la conservation de leur culture ancestrale. Si les parents choisissent de le faire, ils le font en dehors de l'école ou ils peuvent se prévaloir de leur droit de créer leur propres écoles ethniques. Un tel mandat serait d'ailleurs impossible à réaliser pour toutes sortes de raisons. D'abord, l'école publique n'en a pas les moyens. Ensuite, même si l'école en avait les moyens, l'accomplissement d'un tel mandat forcerait les élèves à se conformer à un patron fixe d'identité culturelle, qui risque d'être une violation de leurs propres choix par imposition d'un modèle culturel parmi d'autres. Un tel mandat aboutirait nécessairement à un fixisme qui est la négation de la grande diversité des formules de conservation des cultures ethniques dans un contexte d'immigration. Car, en effet, les études sociologiques montrent abondamment que les cultures ethniques, lorsqu'elles sont conservées en situation d'immigration, sont des assemblages hybrides, dûs au changement qu'elles subissent par contact avec la culture nationale de la société hôte, avec d'autres cultures ethniques et aussi à cause de l'éloignement physique et temporel de leur source. Toute volonté de fixer les cultures ethniques dans des programmes d'enseignement n'aboutirait qu'à leur fixation à une formule parmi d'autres. On peut dire que la méfiance à l'endroit d'entreprises de ce genre est constante dans la pensée interculturelle depuis ses débuts. 2 La culture scolaire. L'initiation de tous les élèves, indistinctement de leur origine, aux contenus de connaissance et aux habiletés qui doivent être apprises pour s'intégrer à la société continue d'être le mandat prioritaire de l'école dans le courant de l'éducation interculturelle. La culture scolaire est une initiation progressive à la culture sociétale qui est constituée d'une langue commune, de manières de vivre adaptées à une conjoncture historique et géographique particulière et de l'ensemble des institutions sociales, politiques et économiques propres à un pays (Kymlicka, 1995). L'initiation à la culture sociétale passe par deux voies: la première est l'enseignement de contenus de connaissance et l'entrainement d'habiletés, conformément aux prescriptions de programmes d'Etat; la seconde voie est l'organisation et le fonctionnement de l'école, ses normes et règlements, ce qu'on appelle parfois le "curriculum caché". Il s'agit ici de tous les patrons de comportement qui sont exigés des élèves en guise d'initiation aux comportements attendus dans la société. Quelle conception se fait-on de la culture sociétale enseignée par l'école dans le contexte de l'éducation interculturelle? 19 Bulletin No 29 - Avril 1997 Le premier élément de réponse à cette question est que l'enseignement de la culture sociétale est pertinent pour tous les élèves, qu'ils soient membres ou non de minorités ethniques, car tous les parents veulent bien que leurs enfants apprennent ce qu'il faut savoir pour réussir leur intégration dans cette société. Le second élément est que cette culture enseignée par l'école est remplie de contenus universels qui sont des connaissances accumulées dans l'histoire de l'humanité. Même si l'enseignement de ces contenus est farci de références aux particularismes de la société ambiante, à ses traditions, à sa géographie, à ses institutions particulières, ce ne sont pas moins des contenus universels qui sont enseignés. D'ailleurs, les références aux particularismes locaux ne se font plus discrètes et nous sommes heureusement loin de ces temps déjà lointains où même l'enseignement des mathématiques empruntait, dans la formulation des problèmes, des éléments empruntés à l'imagerie religieuse ou folklorique. C'était l'époque où, comme le raconte le sociologue J.J. Simard, le temps que prenait la Sainte Vierge pour dire un chapelet était proposé comme étalon pour mesurer la durée de l'écoulement de l'eau d'un robinet et conséquemment la quantité d'eau accumulée dans un bain. Sous l'influence de l'éducation interculturelle moderne, les références à la société ambiante dépassent les clivages religieux ou ethniques trop particularistes. Le troisième élément de la conception de la culture scolaire telle que vue par la recherche en éducation interculturelle est que la culture sociétale transmise par l'école est marquée encore souvent par l'ethnocentrisme de la majorité et elle peut même porter encore les traces d'un racialisme plus ou moins conscient qui était courant dans la première moitié du siècle. Le courant de l'éducation interculturelle a largement contribué à ce que ces déformations soient repérées et éliminées. Mais les traces de la supériorité que les sociétés ont tendance à attacher à leur propre culture, tendances que l'on appelle eurocentrisme ou américanisme, sont encore présentes et si elles sont pourchassées avec lucidité par plusieurs, on ne peut parler de leur complète atténuation (Blondin, 1991). Cette dernière caractéristique se manifeste tout particulièrement dans l'enseignement de la religion. La place faite aux religions dans la culture sociétale transmise par l'école est une source de différences importantes entre les sociétés et elle est matière à controverse dans plusieurs sociétés. Les situations nationales sont fort différentes à cet égard. Dans de nombreux pays, les écoles publiques sont confessionnelles. La laïcité du système français n'est pas une norme universelle, bien que ce soit une bonne solution aux guerres de religions dans un contexte historique particulier. Si la laïcité ne s'impose pas d'emblée dans un contexte interculturel, l'absence de prosélytisme s'impose, ainsi que la tolérance, même dans les milieux qui demeurent très attachés à la confessionnalité des écoles. Non prosélytisme et tolérance ne satisfont pourtant pas entièrement ceux qui voudraient plutôt que le phénomène religieux soit étudié dans toute sa diversité à l'intérieur de la culture de l'école (Milot et Ouellet, 1997). Le traitement du phénomène religieux est encore matière à controverse. L'accord se fait uniquement sur l'abstention de tout enseignement qui violerait la liberté de choix religieux autant pour les minorités que pour la majorité elle-même. La régulation des rapports sociaux dans l'école est inspirée des normes universelles d'égalité d'accès, de justice sociale et d'harmonie qui se sont développées dans les dernières décennies. Plus que d'autres institutions, l'école est sans cesse incitée à se conformer à ces normes. Aménager les rapports entre les cultures minoritaires et les traditions des institutions est donc devenu une préoccupation de premier plan. L'acceptation de la diversité culturelle et religieuse ne se limite pas à barrer la voie à un certain prosélytisme de la majorité envers les minorités. Il faut pouvoir aller jusqu'à l'acceptation de mesures d'exception qui permettent aux élèves issus de minorités religieuses de pratiquer leur religion dans la mesure du possible, c'est-à-dire sans compromettre leur éducation ni le fonctionnement de l'école (Bourgeault et al., 1995). La culture scolaire dans l'école interculturelle cherche la possibilité d'ajuster le cadre de vie de façon à permettre aux élèves qui le désirent de se conformer aux pratiques religieuses de leur famille et de leur communauté. L'école ne doit jamais imposer un cadre de vie qui contraint l'enfant à rompre avec son milieu. Mais les débats récents sur le port du hijab en 20 Bulletin No 29 - Avril 1997 France et au Québec montrent que les mesures d'exception accordées dans les limites du raisonnable ne font pas l'unanimité dans la population. Au Canada, les pouvoirs publics et les tribunaux se font les défenseurs de telles mesures. Même en France, où le pouvoir public a voulu mettre fin à la tolérance à l'endroit du port du hijab, le ministre doit se conformer aux principes de respect de la diversité religieuse proclamés par le Conseil d'Etat. L'intervention des pouvoirs publics dans de tels débats ne balaie toutefois pas d'un coup toutes les résistances ancrées dans la population qui sont encore fortes (Hohl, 1996). 3 La culture du pluralisme. La recherche d'harmonie dans les rapports sociaux entre personnes appartenant à des groupes distincts dans une même société et qui se reconnaissent comme tels interpelle fortement l'éducation. Toute la problématique des rapports inter-groupes étudiée en psychologie sociale pourrait être évoquée à ce propos (Brewer et Miller, 1996). La recherche en éducation interculturelle montre à plusieurs signes qu'elle se soucie maintenant de développer la valeur du pluralisme pour que les jeunes qui se réfèrent à des appartenances distinctes soient encore capables non seulement de coexister en paix mais aussi de coopérer dans une société d'interdépendance. Il devient de plus en plus évident que la célébration des beautés respectives des cultures ethniques dans les semaines interculturelles et dans les fêtes ethniques ne se transforme pas d'elle-même en une volonté de coopérer dans les affaires courantes de la vie, surtout celles où s'affrontent des intérêts concurrents. Bien qu'on ne songe pas à délaisser ces célébrations, qui occupent en fait un espace restreint, l'idée s'impose progressivement que ce n'est pas dans la contemplation mutuelle des cultures que se trouve la meilleure ressource pour assurer l'interdépendance dans la vie commune. D'où la recherche d'appuis plus solides que l'on pense trouver dans la culture du pluralisme. Sa première composante est l'éducation aux droits humains: connaissance des Chartes, apprentissage de comportements conformes aux principes d'égalité qu'elles énoncent, habileté à déceler toutes les formes que prend le racisme et la discrimination. Il n'est pas question de mettre en doute l'importance de cette forme d'éducation, mais il faut souligner que l'éducation aux sroits ne vise que la protection des minorités et la lutte contre la discrimination dont elles peuvent être victimes. Elle n'est qu'une partie de la culture du pluralisme. Il lui manque le volet des devoirs de l'individu envers la société. L'éducation à la citoyenneté est la composante la plus importante de la culture du pluralisme. La citoyenneté est un statut auquel sont rattachés des droits, mais en pensant citoyenneté, on pense aussi aux responsabilités et aux devoirs des individus envers leur société. Dans le chemin tracé par le courant interculturel des deux dernières décennies, la culture de la citoyenneté ne s'érige pas contre la diversité; elle cherche, au contraire, à concilier les valeurs de la citoyenneté avec la diversité. S'il n'est pas encore possible, bien entendu, de prédire ce qui va résulter de cette recherche, on peut au moins clarifier les enjeux d'une conception de la citoyenneté qui serait ajustée aux exigences du pluralisme. Ces enjeux se situent dans l'ordre identitaire et dans l'ordre de la participation à la vie publique (Pagé, 1996). Dans l'ordre identitaire, l'enjeu premier est celui de la signification que les gens doivent donner à leur appartenance ethnique distincte dans leur identité de citoyen. Même en contexte pluriethnique, l'identité de citoyen et de citoyenne réfère à des attributs communs, partagés par tous, et non pas uniquement à des attributs distinctifs. D'où l'importance de définir clairement comment vivre son identité distincte dans le domaine public, car il n'est pas question d'occulter les identités. Mais comment la vivre de façon à ne pas rompre avec ces attributs communs? La modération dans l'affirmation de son identité, valeur chère de la pensée libérale, a un apport certain en ce sens (Spinner, 1995). Car la modération identitaire n'est pas la renonciation à une identité sociale distincte; c'est 21 Bulletin No 29 - Avril 1997 l'abstention d'établir un rapport aux autres de nature discriminatoire, en favorisant les membres du groupe propre contre tous les autres à chaque fois que l'occasion s'en présente. Toujours dans l'ordre identitaire, un autre enjeu que la culture du pluralisme pose à la citoyenneté est celui de la définition de l'identité collective nationale. Comment définir la substance de l'identité collective nationale sans nier les appartenances distinctes et les allégeances diverses dans la société? En d'autres termes, comment l'identité collective nationale peut-elle inclure la diversité tout en étant encore un pôle d'identité substantiel et rassembleur? C'est en ces termes que se définit l'enjeu à ce niveau. Les enjeux relatifs aux devoirs de participation des citoyens aux affaires publiques sont tout aussi complexes dans une démocratie moderne, car les gens ont des façons aussi différentes que légitimes de concevoir leur participation politique. Il est des gens pour qui la participation politique est un devoir parce qu'ils aiment leur pays, sont fiers de ses réalisations et parce que leur vote et, mieux encore, l'accomplissement d'une fonction politique est le meilleur moyen de manifester ce lien affectif qu'ils éprouvent. Ces gens aiment leur pays non pas pour ce qu'il leur rapporte mais pour lui-même et ce sont ceux-là qui sont les plus disposés à travailler pour des intérêts collectifs avant de satisfaire leurs intérêts individuels. Ce sont les dépositaires de la vertu républicaine, espèce qui malgré les apparences n'est pas en voie de disparition. Il est d'autres gens pour qui la participation politique n'est pas un devoir contraignant. Ils votent lorsque les enjeux des débats touchent leurs intérêts propres. Ils ne recherchent pas les charges politiques par devoir et ils vont accepter d'en accomplir dans la mesure où elles leur permettent de satisfaire leurs intérêts individuels, ceux de leur famille et de leur localité. En cas contraire, ils vont se tenir loin des arènes politiques. Pour eux, le premier devoir est leur accomplissement personnel et celui de leurs enfants, à qui ils cherchent à procurer les meilleures chances possibles de réussir leur vie. Il ne faut pas voir ces gens uniquement comme les prédateurs des fonds publics. En s'occupant de leurs intérêts individuels, les personnes de ce type ont souvent un apport appréciable au progrès de leur collectivité, ce qui arrive à chaque fois que leurs intérêts individuels coincident avec les intérêts collectifs. N'est-ce pas ce qui arrive lorsque des individus contribuent par leur action politique à la paix sociale qui, en retour, produit un climat général dans lequel il est possible pour eux de poursuivre la recherche de leur bonheur individuel. D'autres, enfin, voient la participation politique comme un moyen parmi d'autres d'accomplir leur premier devoir qu'est la lutte contre les injustices et les inégalités dont sont victimes des groupes défavorisés. Lorsqu'ils ne parviennent pas à se faire entendre dans les appareils de partis, ces gens vont privilégier d'autres formes de participation qui s'inscrivent davantage dans l'ordre de la société civile, en s'impliquant dans l'organisation communautaire, les associations, les mouvements de contestation, etc. Cet exemple sert à montrer que, pour définir la citoyenneté en contexte démocratique moderne, il est nécessaire de prêter attention à la diversité des conceptions que les gens se font de leurs devoirs et leurs responsabilités. Dans le contexte de la démocratie pluraliste, la délibération entre partenaires sociaux est essentielle, parce que, malgré leurs conceptions différentes des choses, ils doivent pourtant parvenir à s'entendre sur le fonctionnement cohérent des institutions. La délibération ne se passe pas seulement dans les institutions politiques. Elle se passe surtout entre citoyens à tous les paliers de l'organisation de la vie sociale. Car fondamentalement, la culture du pluralisme est ce qui peut permettre à des individus libres, égaux et raisonnables autant que possible, de parvenir en dépit de toutes leur diversité à donner forme à leur vie commune par la délibération et l'action (Walzer, 1980). Les habiletés requises à cette fin ne sont pas innées, elles ne peuvent être acquises que dans un cheminement éducatif qui en montre la nécessité autant qu'il enseigne la manière de les exercer. 22 Bulletin No 29 - Avril 1997 Références Bissoondath, N. (1994). Le marché aux illusions. Montréal: Boréal/Liber. Blondin, D. (1991). Les deux espèces humaines ou l'impossibilité de la communication interculturelle entre les <<races>>, dans Ouellet, F. et Pagé, M. (Dir.), Pluriethnicité, éducation et société. Construire un espace commun. Québec: Institut Québécois de Recherche sur la Culture, 485-510. Bourgeault, G., Gagnon, F., McAndrew, M. et Pagé, M. (1995). 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