Bulletin No 29 - Avril 1997
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"naturelles", voire même universelles, ou qui étaient tout simplement devenues
inconscientes (Boucher, Doutreloux, Guilbert & Lavallée, 1994). Cette relativisation remet
également en question la vision du caractère définitif et stable de l'identité de l'individu.
Mais le contexte dans lequel évoluent les personnes est loin d'être homogène. Ceci est
surtout mis en évidence dans les sociétés dites modernes. En effet, nombreux sont les
travaux qui montrent à quel point les sociétés industrialisées sont formées de structures
complexes où règnent, au-delà d'un dénominateur culturel commun, des sous-groupes,
des sous-cultures indépendantes, voire même parfois conflictuelles. Cela est important à
tenir en compte quand on étudie le processus de construction identitaire. À quels référents
l'individu fait-il appel? Au système global? À des sous-systèmes?
Les travaux de Taboada Leonetti (1990, 1995) sont instructifs à cet égard. Plus
particulièrement, son examen du processus d'intégration/exclusion des immigrants en
France montre à quel point certaines situations auxquelles est confronté l'immigrant, par
exemple le chômage, ne sont pas forcément vécues de la même manière que chez le
Français. Si ce dernier perd son emploi, très vite il va vivre une forme d'exclusion
symbolique; par le fait qu'il ne participe plus à la production des biens, et, par extension, à la
production sociale, il n'a plus d'utilité sociale. "...Perdre son statut de travailleur, c'est aussi
perdre ses forces, sa confiance en soi, ses moyens, son identité" (T. Dethyre & M. Zediri-
Corniou, 1992, cité dans Taboada-Leonetti, !995).
La même expérience est symboliquement très différente pour l'immigrant. Ayant quitté son
pays par manque d'emploi, le chômage lui apparaît un phénomène "normal", récurrent et il
a moins tendance à s'en attribuer la responsabilité; du coup, son identité s'en trouve moins
ébranlée que celle du Français et lui permet d'adopter, contrairement au Français qui se
replie sur lui-même, des stratégies pro-actives, telles celle de faire appel à son réseau de
relations pour trouver un autre emploi, ou celle de chercher appui auprès de son réseau
familial ou communautaire en qui il a confiance en attendant sa réinsertion au travail. Ainsi,
devant une même situation, Français et immigrants réagissent différemment selon les
cadres de référence adoptés. Alors que le Français est centré sur les valeurs de la société
française, voire même occidentale, l'immigrant s'appuie plutôt sur des référents culturels
d'origine et sur les valeurs des sous-systèmes culturels qui peuplent son univers immédiat.
Ainsi, chaque contexte culturel, de par la complexité de son organisation en systèmes et
sous-systèmes, offre à ses membres un ensemble de valeurs et de normes qui orientent
ses choix, qui guident ses conduites. Une analyse qui tient compte de ces aspects permet
une appréhension plus sûre et plus globale de la relation entre culture et identité.
2 La culture: une ressource à la construction identitaire
En tant qu'être social, l'individu ne peut construire son identité sans tenir compte de
l'univers social et culturel qui l'entoure. Mais, nous l'avons vu, l'identité n'est pas un simple
produit de la culture. Il y a, de la part de l'individu, recherche active de ce qu'il juge cohérent
et significatif pour lui dans son univers quotidien en même temps que recherche de
reconnaissance de la part des groupes auxquels il appartient. En ce sens, la culture est
appréhendée comme ressource symbolique fondamentale, apte à satisfaire ce double
besoin: lieu de significations élaborées et partagées par des groupes d'individus portés par
des projets communs, elle offre à la personne la possibilité d'adhérer à ces groupes et de
partager leurs valeurs en les faisant siennes, ce qu'Oriol (1995) appelle les appartenances
assumées (les memberships). Ce sont ces appartenances multiples qui confèrent à
l'individu une signification, une identité propre. En retour, pour permettre à l'individu de
marquer son appartenance à ces groupes et ainsi en recevoir la reconnaissance, la culture
lui fournit un ensemble de codes et de règles auxquels il doit se conformer.
Foyer symbolique par excellence, la culture contribue au développement ontogénétique de
l'identité ethnique et des attitudes ethniques par l’appréhension progressive de soi et des
autres, à l’intérieur de contextes culturels spécifiques (Aboud & Sherry, 1984; Coslin &
Winnykamen, 1994; Laperrière, 1990, 1994; Phinney, 1990), à l'élaboration de stratégies