INFECTIONS NOSOCOMIALES ET

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INFECTIONS NOSOCOMIALES ET
EXPERTISES AU TRIBUNAL ADMINISTRATIF
Assemblée Générale des Experts près le Tribunal Administratif de Nice le
29.10.04.
Communication du Dr Ciaudo, 40 boulevard Victor Hugo, 06000 NICE.
Les infections nosocomiales posent des problèmes délicats.
« Un justiciable a-t-il été victime d’une infection nosocomiale ? » est une
question faussement naïve à poser à un expert.
La réponse y est théoriquement facile. Il suffit de considérer le titre IV de la Loi
du 4 mars 2002 relative aux droits du malade et à la qualité du système de santé et
la circulaire DHOS/E2-DGS/SD5C n°2001/383 du 30 juillet 2001 Ces deux
documents précisent les obligations des établissements de santé et des praticiens :
- information obligatoire sur le risque d’infection nosocomiale dans le livret
d’accueil ;
- obligation de mentionner avant l’hospitalisation, dans le dossier
d’hospitalisation, le niveau de risque de toute intervention ou hospitalisation
programmée ;
- déclaration obligatoire par les établissements auprès des DASS de toute
infection nosocomiale avec le germe en cause ;
- information obligatoire du malade en cas d’infection, même bénigne.
Tout établissement public (et aussi privé) se trouve donc devant un dilemme.
S’il respecte la loi et les circulaires réglementaires, il est d’une transparence absolue
au plan des infections nosocomiales, mais il existe pour lui un risque majeur de
poursuites et de condamnations. Le rôle de l’expert ne se bornerait donc qu’à
constater les déclarations médicales. Il peut par ailleurs être tenté « d’oublier » de
déclarer certaines infections ou « d’oublier » de mentionner certaines infections dans
les dossiers mais alors c’est courir le risque d’une plainte pour dissimulation, plainte
qui pourrait être déposée devant un tribunal répressif.
En fait, la survenue d’une infection nosocomiale n’est qu’un aspect particulier
de la responsabilité médicale. La mission d’un expert auprès d’une juridiction
administrative est généralement très large. Pour l’expert et ce sera le plan de
l’exposé, il s’agit dans tous les cas :
- de rechercher une faute au plan de l’hygiène ;
- de rechercher une faute dans l’organisation du service, ce qui est particulier
comme notion à la juridiction administrative ;
- de préciser, en l’absence de faute, si une infection est nosocomiale.
TITRE 1 : Les fautes ou négligences en matière d’hygiène hospitalière.
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L’art de l’hygiène est de faire en sorte que les conditions de l’infection ne soient
jamais réunies. L’expert demandera donc aux représentants de l’hôpital de prouver :
- l’existence de protocoles infirmiers ;
- l’existence de protocoles d’antibio-prophylaxie ;
- l’existence d’évaluation des ces deux types de protocoles ;
- l’existence d’un suivi du taux d’infections nosocomiales ;
- l’existence de protocoles de lavage des mains pour les différents intervenants ;
- l’existence d’évaluation du lavage des mains ;
- l’usage de solutions hydro-alcoholiques ;
- l’absence de rasage des malades devant être opérés
- l’existence d’une formation des personnels ;
- la remise de documents au personnel récemment engagé et aux intérimaires
- l’adéquation du nombre de personnels à la charge de travail.
Bien entendu, l’expert appréciera la qualité des protocoles. Il s’agit là d’une
question de méthodologie. Les protocoles doivent avoir des valeurs différentes
suivant qu’il sont établis à partir de recommandations professionnelles, de l’étude de
séries randomisées, qu’ils s’agissent d’études prospectives ou rétrospectives ou de
simples consensus d’experts. Dans tous les cas, l’expert étudiera le rapport
d’accréditation de l’établissement prouvant que l’établissement satisfait pleinement
ou pas aux exigences du manuel d’accréditation pour les référentiels qualité et
prévention.
Bien sûr, pour ce qui est de l’organisation du service, tout ne s’arrête pas à la
prévention, l’expert devra établir, pour affirmer qu’il n’y a pas eu de faute, qu’après le
début de l’infection, tout a bien été entrepris pour lutter contre elle :
- prouver la réalité de l’isolement septique ;
- prouver la signalisation de la chambre septique ;
- prouver l’existence d’un protocole d’antibiothérapie ;
- prouver la réalité de l’information sur les dossiers médicaux et infirmiers, sur le
compte-rendu de sortie et l’information directe au malade;
- il convient d’établir que les patients porteurs de BMR sont traités en dernier ;
- établir l’individualisation du matériel de soins ;
- établir la réalité du lavage antiseptique des mains entre chaque soins à l’entrée
et à la sortie des chambres septiques ;
- établir l’utilisation de gants à usage unique, non stériles et de surblouse pour
tous les soins et actes contaminants ;
- établir l’évacuation et l’élimination des déchets contaminés selon la procédure
réglementaire.
Enfin, l’expert évalue le respect des obligations déontologiques des personnels
médicaux, cela serait trop facile pour ces personnels de rejeter toute responsabilité
sur l’administration d’un établissement. L’expertise pourra d’ailleurs servir de base à
des mesures disciplinaires dans le cadre du service public.
L’article 49 du Code de Déontologie établit : « le médecin appelé à donner des
soins dans une famille ou une collectivité doit tout mettre en œuvre pour obtenir le
respect des règles d’hygiène et de prophylaxie ».
L’article 71 du Code de Santé Publique établit : « le médecin doit notamment
veiller à la stérilisation et à la décontamination des dispositifs médicaux qu’il utilise et
à l’élimination des déchets médicaux selon les procédures réglementaires. Il ne doit
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pas exercer sa profession dans des conditions qui puissent compromettre la qualité
des soins et des actes médicaux, ou la sécurité des personnes examinées. Il doit
veiller à la compétence des personnes qui lui apportent leur concours ».
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Si l’expert retient une faute (humaine ou dans l’organisation du service) :
il l’établit formellement ;
il apprécie le préjudice ;
il apprécie leur relation ;
il peut évoquer une perte de chance qui permettrait une indemnisation à dûe
proportion par les magistrats.
TITRE 2 : La survenue d’une infection en l’absence de faute ou de négligence.
La responsabilité sans faute de l’établissement public hospitalier porte
généralement le titre d’obligation de sécurité de résultat.
Cela a toujours choqué le personnel médical mais le raisonnement juridique est
assez simple :
- Le contrat hospitalier est global ;
- L’obligation médicale est principale mais elle explique l’existence d’obligations
secondaires, telles :
• l’obligation hôtelière
• l’obligation de sécurité en matière d’infection nosocomiale.
On peut raisonner par analogie avec la technique du « forçage » d’un contrat
telle qu’établie déjà en 1911 par la Cour de Cassation civile.
Tout est maintenant codifié de façon solennelle par la Loi du 4 mars 2002. Il
s’agit de l’article L.1142-1-1 CSP « les établissements, services et organismes sus
mentionnés, sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales,
sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère ».
L’article L.1142-1-1 CSP ne fait que reprendre en la généralisant à toutes les
juridictions l’article 1147 du Code Civil sur le moyen pour un établissement de
s’exonérer de sa responsabilité médicale... établir une origine extérieure à ses locaux
de l’infection.
La loi reprend ainsi solennellement la notion de sécurité de résultat créée par la
jurisprudence.
Ainsi, pour l’établissement, établir l’absence de faute ou de négligence est
nécessaire mais ne suffit pas à le libérer de son obligation contractuelle avec le
patient.
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La loi du 4 mars 2002 :
affirme le droit à l’information ;
impose le consentement éclairé ;
confirme le caractère fautif de l’infection nosocomiale ;
pose le principe d’une responsabilité sans faute des établissements ;
surtout, elle dissocie l’indemnisation des dommages non fautifs par la solidarité
nationale de ceux fautifs.
Ainsi, une infection nosocomiale est fautive par nature et ne peut être
indemnisée par la solidarité nationale. Elle n’est pas un aléa thérapeutique, sauf à
faire la preuve d’une cause étrangère, elle sera indemnisée par l’établissement.
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Une infection non nosocomiale survenant sans faute peut être un aléa
thérapeutique. Elle peut être indemnisée par la solidarité nationale. La CRCI peut
être saisie mais nous y reviendrons, ceci peut poser des problèmes de compétence
juridictionnelle.
TITRE 3 : L’infection est-elle nosocomiale ?
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Il s’agit là d’un problème de définition. Ces définitions sont multiples :
celle du comité des ministres du Conseil de l’Europe du 25.10.84
la circulaire du ministère de la santé n°263 du 13.10.88
la circulaire du ministère de la santé du 29.12.00 et celle du 30.07.01, toutes
deux circulaires interprétatives non réglementaires et donc non opposables
la définition inscrite dans « les 100 recommandations sur la surveillance et la
prévention des infections nosocomiales ».
Au cours de son expérience, l’expert rencontre le plus souvent, comme
définition de l’infection nosocomiale celle prise dans les 100 recommandations de la
Direction Générale de la Santé. A savoir :
- est une infection nosocomiale toute maladie provoquée par des microorganismes
- contractée dans un établissement de soins par tout patient 48 heures après son
admission
- que les symptômes apparaissent lors du séjour à l’hôpital ou après
- que l’infection soit reconnaissable au plan clinique ou micro-biologique
- l’infection doit se déclarer dans les 30 jours suivant une intervention pour les
infections de plaie opératoire, et dans l’année pour les interventions de mise
en place de prothèses ou d’implants.
Il s’agit là d’une reprise des définitions américaines des centers for disease
control and prevention. Il faut cependant savoir que ces définitions ont été élaborées
à des fins épidémiologiques américaines et en aucun cas judiciaires. Ce sont des
définitions larges, peu spécifiques…et totalement arbitraires.
Il est capital d’accepter l’idée qu’il n’y aucune définition juridique de ce qu’est
une infection nosocomiale. De ce fait, ni le juge, ni l’expert ne sont tenus par les
définitions précédemment évoquées. Pour preuve, même si ces définition sont
précises, les magistrats ont tendance à des interprétations extensibles. En fait, ce
sont les juridictions qui disent ce qu’est une infection nosocomiale.
Ainsi, l’expert a un rôle capital mais celui-ci se limite à une présentation
scientifique des faits. Le juge n’est pas tenu par l’expertise et c’est lui qui dira le droit
selon son intime conviction. Il créé le droit par ces jurisprudences qui peuvent
évoluer.
Au plan scientifique, pour l’éclairer, il est essentiel de pouvoir demander un avis
sapiteur sur le caractère nosocomial d’une infection à un biologiste.
Pour donner un avis judicieux, il est indispensable de disposer chez tout patient
à risques de multiples prélèvements bactériologiques réalisés avant ou lors de
l’hospitalisation et des actes invasifs. Il faut que l’expert puisse être formel sur le
germe en cause. Et tout particulièrement :
- sur un germe dit hospitalier
- sur un BMR
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- sur un germe saprophyte cutané
- sur un germe rare
- pouvoir préciser l’existence ou l’inexistence d’autres malades infectés avec le
même germe dans le même établissement au cours de la même
hospitalisation.
Il convient de connaître les antécédents infectieux du patient, ce qui peut
permettre d’identifier un germe mutant à partir d’une souche présente chez le malade
antérieurement.
Il est nécessaire de pouvoir établir de façon formelle la distinction entre une
infection d’origine endogène et exogène.
Cette distinction est illusoire pour les germes cutanés.
Elle doit être appréciée en fonction de l’état immunitaire, de la virulence du
germe, de la pathologie en cause. A partir de tous ces faits établis par l’expert, le
juge dira le droit et créera des jurisprudences.
Il faut à ce sujet accorder toute son importance à une jurisprudence récente.
Pour la première fois, la plus haute juridiction administrative a en effet adopté la
définition de l’Académie de Médecine pour l’infection nosocomiale : « une infection
est nosocomiale lorsqu’elle est contractée du fait de l’activité de soins ». Ceci exclue
les infections endogènes qui sont inhérentes aux risques de la thérapeutique. La
référence de l’Académie de Médecine est celle de la séance du 19.06.01 de
l’académie de médecine. Lors de cette séance, l’académie établit :
- la différence entre les origines endogènes et exogènes des infections
- le rôle du terrain et des traitements en cours
- le problème des âges extrêmes
- l’importance des secteurs d’hospitalisation.
L’absence de faute et de caractère nosocomial, fautif par lui-même, en
autorisant l’indemnisation par la solidarité nationale dans les cas graves, permet au
juge administratif d’apporter plus d’attention au fait scientifique en le libérant de la
préoccupation sociale.
Il existe cependant un risque d’interférences entre la procédure amiable et la
procédure administrative. Les deux instances peuvent être saisies pour la même
cause et le même objet. La seule obligation étant de prévenir les deux juridictions. Il
faut noter que la procédure auprès de la CRCI est gratuite et que celle-ci a 6 mois
pour donner un avis de recevabilité, 4 mois pour faire une proposition, un mois pour
indemniser soit un total de 11 mois qui semble beaucoup plus court que les délais
les plus fréquemment observés dans les juridictions administratives.
Cependant, une expertise réalisée dans le cadre de la CRCI ne s’impose pas
au juge administratif, ni à son expert et vice-versa.
Il existe des sujets de divergences possibles :
- la notion de faute qui conditionne la recevabilité pour la CRCI
- le caractère nosocomial ou non d’une infection
- le seuil de gravité du dommage qui conditionne aussi la recevabilité pour la
CRCI.
Dans tous les cas, la victime ne sera indemnisée qu’une fois, mais il est
certain :
- qu’avec deux recours, elle double ses chances
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- qu’il y a des conséquences importantes au niveau des actions récursoires :
ONIAM, assureur, caisse de sécurité sociale
Dans tous les cas, l’acceptation d’une offre par la victime vaut transaction au
sens de l’article 2044 du Code Civil et selon l’article 2052 de ce code, les
transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort.
Quelle pitié pour l’expert, à la fin de son expertise, de voir ses conclusions
n’aboutir à aucun bénéfice matériel tangible pour la victime, mais profiter seulement
à un organisme assureur… Pourquoi les avocats n’ont-ils pas des correspondants
médicaux qu’ils consulteraient sur l’opportunité d’engager une procédure et sur la
solidité des arguments scientifiques avant de déclencher une procédure lourde avec
une expertise complexe ?
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