Visions du futur et environnement : les grandes familles de

publicité
Visions du futur et environnement
Les grandes familles de scénarios
issues des prospectives environnementales internationales
Les interrogations qui pèsent sur le devenir de notre planète sont aujourd’hui lourdes et nombreux sont les travaux qui interpellent l’avenir de notre environnement. Le prolongement des tendances passées, qu’elles soient
pensées en termes de mécanismes biogéochimiques, de processus de production économique, d’usages des
biens de la Nature, de gouvernance, etc., débouche inévitablement sur une dégradation du climat, de la biodiversité, des écosystèmes, des ressources naturelles renouvelables ou non renouvelables. Les démarches de prospective ont ici une place particulière. Envisageant parfois des ruptures fortes sur certaines des variables clés,
elles proposent des visions du futur contrastées et plurielles. Elles font réfléchir aux façons dont nos sociétés
peuvent (re)définir leur avenir, en combinant sciences de l’environnement et sciences de la société. En vue d’aider à sa réflexion stratégique, l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi) a saisi son Groupe
Transversal (GT) Prospective afin d’identifier les grandes familles de scénarios que mettent en avant les prospectives environnementales. A partir des 11 familles de scénarios synthétisant un corpus de 307 scénarios internationaux, cette analyse fait ressortir la multiplicité des trajectoires sociétales et environnementales possibles
et met en lumière que, même dans les cas où les questions environnementales deviennent prioritaires, l’amélioration attendue de l’état de l’environnement n’est ni certaine, ni rapide, ni généralisée.
Pour mener à bien l’identification des familles de
scénarios contenues dans les prospectives internationales relatives à l’environnement et en analyser
les ressorts et conséquences environnementales,
le GT Prospective de l’Alliance AllEnvi a procédé au
repérage de travaux internationaux de prospective
aux horizons 2030, 2050 ou 2100, pour disposer
d'approches de court, moyen et long terme, et aux
échelles mondiale, européenne ou des autres
grandes régions du monde. Sur les 204 études repérées initialement, 99 ont été considérées
comme pertinentes et robustes. En dépit de leur
diversité, les 307 scénarios qu’elles développent
font apparaitre le plus souvent la gouvernance
(40 %) et l’économie (25 %) comme premier facteur moteur (cf. Encadré). Ils ont pu être regroupés
en 11 familles de scénarios proches quant à leur genèse et aux visions du futur dont ils sont porteurs.
S’y ajoutent 3 scénarios « mutants », considérés
comme inclassables.
11 familles de scénarios traduisant des visions du
futur contrastées
S’appuyant prioritairement sur les formes de gouvernance et leur intensité et assemblant de façon
différenciée les dimensions géopolitiques, économiques, sociales, environnementales et technologiques, ces 11 familles de scénarios peuvent constituer des « visions de référence » aux conséquences environnementales variées.
L’étude ScénEnvi en quelques chiffres
- 204 études repérées dont 99 jugées pertinentes.
- Au moins 7 700 experts ayant produit plus de 12 000
pages.
- 307 scénarios répartis en 11 familles, 22 variantes et 3
scénarios « mutants ».
Méthodologie de l’étude ScénEnvi
Sans prétendre à l’exhaustivité, les 99 prospectives retenues ici constituent un corpus bibliographique représentatif (mais plutôt occidental et de source publique),
récent (moins de 15 ans), impliquant l’environnement
(soit en entrée, soit en sortie), produisant un ou plusieurs scénarios, aux horizons temporels 2030, 2050 ou
2100, et à l’échelle mondiale, européenne ou de
grandes régions du monde.
Elles ont fait l’objet d’une démarche de type « revue systématique » permettant d’élaborer des fiches de lecture
décrivant de façon homogène les caractéristiques de
l’étude, de sa méthodologie et de chacun de ses scénarios. Le dépouillement des scénarios a été standardisé
au moyen d’une grille d’analyse qui classe en 6 grandes
catégories (Démographie, Environnement, Gouvernance, Économie, Société, Technologies) les facteurs
moteurs d’une trajectoire de prospective (E. Cornish,
2006).
En pré-classant les 307 scénarios selon la nature de leurs
2 principaux facteurs moteurs, on a pu procéder, selon
un processus itératif, à leur regroupement en 11 familles de scénarios.
Bien que contrastées, les trajectoires sociétales
décrites par ces familles de scénarios peuvent être
regroupées en trois grands types (Figure 1).
Figure 1 – Positionnement des familles de scénarios
selon l’intensité de leur gouvernance étatique et
l’évolution de la qualité de l’environnement
* Les familles du déclin, qui regroupent 72
scénarios (soit 23 % du total), décrivent un monde
aux futurs très sombres induisant de graves
conséquences sur l’environnement.
Dans les scénarios du « Chaos » (33 scénarios), la
défaillance et le manque d’anticipation de la
gouvernance entraînent le monde vers des spirales
de synergies négatives générant des conflits plus ou
moins généralisés qui peuvent amener à l’extrême
à la disparition de l’humanité.
Dans ceux du « Repli » (18 scénarios), la montée
des
nationalismes
face
aux
difficultés
économiques, aux compétitions pour les
ressources et aux migrations, exacerbe les tensions
et engendre de nets replis nationaux dans un
isolationnisme politique et économique.
Les 21 scénarios de la « Fragmentation » traitent
d’un monde multipolaire et inégalitaire, construit
autour des égoïsmes individuels et collectifs et
traversé de lignes de fractures fortes dont les
exemples archétypaux sont les oppositions entre le
Nord et le Sud du monde ou entre pays riches et
pays pauvres.
* Les familles n’affichant pas de priorité pour
l’environnement (98 scénarios, soit 32 % du total)
soit prolongent les tendances sans envisager de
rupture, soit mettent en jeu d’autres priorités que
l’environnement. Ces trajectoires permettent
parfois certaines améliorations ou limitations de la
dégradation de l’environnement lorsque celles-ci
sont compatibles avec les autres objectifs visés.
Dans les scénarios de la « Croissance à tout prix »
(49 scénarios), l’environnement est clairement
sacrifié à la croissance économique qui s'appuie sur
le libéralisme économique grâce à des politiques
actives de dérégulation ou porté par un Etat fort,
ou des politiques d’innovations « rentables ».
Les scénarios de l’« Inertie » (34 scénarios) sont
typiques de la prolongation des tendances sans
rupture et de l’absence d’engagement fort pour
l’environnement, par manque de moyens
financiers ou du fait de blocages politiques et
sociétaux majeurs. Une telle inaction peut conduire
à de graves dégâts environnementaux.
Dans les scénarios donnant « Priorité aux
dimensions sociales » (15 scénarios), la réduction
des inégalités sociales est placée au cœur de la
stratégie et des politiques d’inclusion ou de
redistribution mises en œuvre. Ces trajectoires
peuvent avoir des effets positifs sur
l’environnement sans que celui-ci ne soit
directement visé.
.
* Les 5 familles volontaristes donnant priorité à
l’environnement (134 scénarios, soit 44 % de
l’ensemble) combinent avec plus ou moins
d’intensité un pilotage étatique et une mobilisation
des diverses composantes de la société civile.
Dans les scénarios de la « Réaction » (30
scénarios), ce sont les catastrophes ou les crises
récurrentes qui provoquent la prise de conscience
des gouvernants de l’urgence à agir pour
l’environnement car il n’y a alors plus d’autre choix.
Les scénarios de « Croissance verte » (33 scénarios)
s’appuient sur des politiques publiques fortes
visant d’abord à concilier croissance économique
et préservation de l’environnement, à enclencher
une transition énergétique, ou à mettre en œuvre
une gouvernance mondiale éclairée, favorable à
l’environnement.
Dans les scénarios de la « Proaction » (33
scénarios), les États anticipent, se concertent et
agissent prioritairement pour l’environnement, les
citoyens soutenant le découplage entre la courbe
du bien-être général et celle de la consommation.
Allant plus loin, les scénarios de « Synergies
positives » (17 scénarios) s’appuient sur un
consensus social en faveur de l’environnement et
des enjeux globaux de long terme. Ils conduisent à
un changement assumé de valeurs et à des modes
de vie plus sobres et solidaires.
A l’autre bout du spectre, les scénarios du « Local »
(21 scénarios) se construisent comme une réaction
à la défaillance ou à la défiance vis-à-vis des
niveaux
de
gouvernance
nationaux
ou
supranationaux. Les citoyens s’organisent
localement pour agir à leur niveau pour
l’environnement en s’appuyant sur des
dynamiques locales avec plus ou moins de succès.
La faible place de la recherche et du développement (R&D) dans les familles de scénarios
Bien que présentes en filigrane parmi les moteurs
des trajectoires décrites dans ces 11 familles de
scénarios, la R&D et l’innovation technologique y
sont peu explicitement traitées. Elles ne sont facteur moteur que dans 15 % des scénarios. Quand
elle est prise en compte, la Science est le plus souvent considérée comme vecteur de solutions aux
problèmes rencontrés par les sociétés. Son rôle
dans l’appréhension des phénomènes de dégradation en cours et l’alerte sur les risques qu’encourent les sociétés si elles ne changent pas leurs trajectoires tendancielles, n’est pas évoqué, même
dans les exercices de prospective comme ceux portés par le GIEC dont la fonction d’alerte est la plus
explicite.
Ce sont bien sûr les technologies de la durabilité
(énergie, biomasse, etc.) qui sont le plus souvent
mises en avant parmi les moteurs des trajectoires
concernées par la R&D. Sont ensuite prises en
compte les « Dépenses et dynamiques de R&D » et
la « Place des sciences et technologies dans la société ».
L’état de l’environnement, un facteur moteur peu
souvent pris en compte
Dans un tiers des scénarios analysés, l’état actuel
de l’environnement ou l’appréciation de son devenir interviennent comme facteur moteur des trajectoires à venir. Les perspectives de changement
climatique interviennent comme l’un des moteurs
de 50 scénarios, alors que l’état général de l’environnement en concerne 46 autres. Les perspectives de crises récurrentes ou généralisées, l’anticipation de la dégradation de l’environnement ou les
conséquences potentielles du changement climatique impulsent alors des trajectoires à priorités
environnementales fortes, principalement de nature réactive. Bien que le rôle de la science dans
l’initialisation de ces trajectoires soit peu explicite,
il faut voir ici les effets des efforts déployés par les
scientifiques, notamment ceux du climat, pour
alerter l’opinion et les décideurs sur les conséquences des changements globaux en cours.
Dans plusieurs scénarios, la dégradation actuelle
ou attendue de l’environnement et/ou du climat
n’induit cependant pas de prise en compte de priorités environnementales mais, au contraire, elle se
traduit par des trajectoires relevant du « Chaos »,
de la « Fragmentation », de l’« Inertie » ou de la
« Croissance à tout prix ». On peut penser que,
pour les analystes qui les proposent, ces scénarios
servent à mettre en exergue les importantes difficultés auxquelles les sociétés devront faire face si
elles laissaient « filer » de telles dégradations environnementales.
Hormis le climat ou l’état général de l’environnement, les autres préoccupations environnementales, comme la biodiversité, les divers types de
pollutions (hors GES), la dégradation des sols, des
ressources en eau, etc. n’interviennent que dans
un nombre très faible de scénarios. Quant à l’état
des mers et de l’océan, il n’est jamais mentionné
comme moteur, même pour une seule trajectoire.
Même si les connaissances scientifiques disponibles sur ces sujets sont déjà alarmantes, l’ampleur des conséquences de ces dégradations reste,
aux yeux des prospectivistes, ignorée des décideurs et des parties prenantes. Tout se passe
comme si, contrairement au GIEC, l’absence d’orchestration sociétale de ces préoccupations environnementales se traduit, pour ces compartiments, par leur absence de rôle dans la détermination des trajectoires à envisager.
Une amélioration de l’environnement pas toujours au rendez-vous
La dispersion des 11 familles de scénarios met en
lumière qu’il n’y a pas une trajectoire unique tant
vers l’amélioration que vers la dégradation de
l’environnement, mais que plusieurs voies existent,
y compris pour relever les défis que posent les
enjeux liés à l’environnement.
Tableau 1 - Répartition des scénarios par famille et selon la tendance (positive, négative ou contrastée) de
leurs conséquences environnementales
Nbre de scénarios ayant
au moins un trait de
sortie environnementale
Familles de scénarios
+
+/Chaos
2
4
18
Repli
1
3
5
Fragmentation
2
4
9
Familles du repli
5
11
32
Inertie
3
24
Croissance à tout prix
7
5
31
Priorité au social
4
5
Fam. sans prior. env.
11
8
60
Réaction
7
10
7
Local
5
5
2
Croissance verte
15
9
2
Proaction
13
7
Synergies positives
7
3
Fam. à priorité env.
47
34
11
Total
63
53
103
Total
24
9
15
48
27
43
9
79
24
12
26
20
10
92
219
Ces scénarios donnent une vision globalement
pessimiste du devenir de notre environnement.
Moins de 30 % des scénarios déclinant de façon
détaillée leurs conséquences environnementales
concluent à une amélioration de l’environnement
(Tableau 1), alors que près de 50 % concluent à une
dégradation de l’environnement, les 20 % restants
envisagent une combinaison de dégradations et
d’améliorations
selon
les
compartiments
environnementaux envisagés.
Comme attendu, les scénarios à conséquences
négatives dominent largement parmi les familles
de scénarios du déclin ou sans priorité
environnementale. A l’inverse, les scénarios à
conséquences positives concernent pour beaucoup
les familles à priorité environnementale mais ils ne
correspondent qu’à la moitié des scénarios de ces
familles. L’autre moitié des scénarios à priorité
environnementale
soit
combinent
effets
environnementaux positifs et négatifs et se
traduisent alors par des conséquences
environnementales mitigées, soit engendrent des
conséquences négatives. Les experts impliqués
dans ces études restent donc prudents quant aux
améliorations à attendre des trajectoires à priorité
environnementale, les ruptures envisagées étant
trop peu radicales pour générer de véritables
inversions des tendances en cours.
Certains
compartiments
environnementaux
apparaissent particulièrement menacés, et ce quel
que soit le type de trajectoire envisagée. Il s’agit
surtout du sol et de l’eau, deux ressources
fondamentales pour lesquelles la dégradation est
plus souvent envisagée que leur amélioration,
même lorsque priorité est donnée à
l’environnement. De même, quelle que soit la
trajectoire envisagée, l’occurrence des risques
environnementaux est, dans 85 % des scénarios qui
s’en préoccupent, considérée comme s’accroissant
dans les décennies à venir.
Enfin, de façon surprenante, les conséquences sur
les ressources forestières ou sur l’océan et le
littoral sont rarement envisagées. Et, lorsqu’elles le
sont, la tendance est plutôt celle de leur
dégradation.
Conclusion
Ces travaux de prospective environnementale proposent une multiplicité de trajectoires conduisant
tant à la dégradation qu’à l’amélioration de l’environnement. Ces trajectoires se distinguent entre
elles par leur forme de gouvernance et par la nature des priorités que la société ou ses décideurs se
donnent. En privilégiant les échelles mondiale et
supranationales, ces prospectives excluent probablement d’autres trajectoires s’appuyant plus spécifiquement sur des modes de gouvernance locaux
ou régionaux. Cette analyse pourrait donc être utilement complétée par une réflexion sur les éventuels scénarios manquants en explorant un autre
ensemble de prospectives plus spécifiquement
prospectives régionales ou locales. De même, le
mode de représentation retenu sous forme de familles de scénarios fige quelque peu les perceptions du futur autour de mécanismes spécifiques à
chaque trajectoire. Or, dans nombre de cas, les enjeux résident aussi dans les possibilités de passer
d’une trajectoire à une autre. Ce sont alors les conditions qui rendraient possibles ces changements
de trajectoires qu’il faudrait explorer en complément.
Même dans les cas où l’environnement est placé au
cœur des objectifs sociétaux, son état actuel et les
dynamiques en cours ne laissent pas toujours présager une amélioration simultanée de tous les
compartiments environnementaux. Les ressources
en eau et en sol sont les plus lourdement menacées
de dégradation alors que les risques environnementaux de toute nature déjà très prégnants ne
peuvent que s’intensifier. L’absence de travaux
s’intéressant aux conséquences de ces diverses trajectoires sur les mers, l’océan, le littoral ou les forêts invite à combler ce manque évident en matière de prospective environnementale.
Organisation de l’étude ScénEnvi
L’étude ScénEnvi, réalisée à la demande du Conseil et du Comité de Pilotage Scientifique (CPS) de l’Alliance nationale de
recherche pour l’environnement (AllEnvi), a été coordonnée par les animateurs du Groupe transversal Prospective de
l’Alliance : Nicolas de Menthière (Irstea), Denis Lacroix (Ifremer) et Bertrand Schmitt (Inra) auxquels s’est adjoint Audrey
Béthinger (Inra) en tant que chef de projet.
Elle a été réalisée par un groupe d’experts du GT Prospective de l’AllEnvi : Bernard David (CEA), Christophe Didier (Ineris),
Louis Laurent (Anses), Jacques Parent du Châtelet (Météo-France) et Flora Pélegrin (FRB), auxquels se sont associées des
spécialistes de l’Information scientifique et technique (IST) : Pascale Hénaut (Irstea), Morgane Le Gall (Ifremer), MarieHélène Pépin (Météo-France) et Isabelle Pradaud (Ineris).
Ont également contribué à ce travail : Hervé Hanin (SupAgro), Marie de Lattre-Gasquet (Cirad), Marco Barzman (Inra),
Robin Bourgeois (Cirad), Florence Carré (Ineris), Philippe Chemineau (Inra), Moussa Hoummady (BRGM), Hélène Le-Du
(Ifsttar), Olivier Mora (Inra), Gilles Ragain (Cnes), ainsi que Virginie Piguet (Inra) qui a assuré les traitements statistiques.
Pour en savoir plus :
de Menthière N. (coord.), Lacroix D. (coord.), Schmitt B. (coord.), Béthinger A., David B., Didier C., Laurent L., Parent du
Châtelet J., Pélegrin F., Hénaut P., Le Gall M., Pépin M.-H., Pradaud I. (2016). Visions du futur et environnement : Les grandes
familles de scénarios issues d’une analyse de prospectives internationales relatives à l’environnement. Rapport du GT Prospective au Conseil d’AllEnvi, volume 1 : rapport final de l’étude ScénEnvi, 73 p. ; volume 2 : recueil des fiches prospectives,
279 p. disponible sur le site de l’Alliance AllEnvi : http://www.allenvi.fr/
Téléchargement