Journal d`une apparition

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JOURNAL D’UNE APPARITION
D’après Robert Desnos
Mise en scène de Gabriel Dufay
Compagnie Incandescence
Revue de presse
Spectacle créé du 2 au 17 octobre 2015 au Théâtre National de Chaillot
(15 représentations)
JOURNAL D’UNE APPARITION
D’APRÈS L’OEUVRE DE ROBERT DESNOS
ADAPTATION DE GABRIEL DUFAY
MISE EN SCÈNE :
GABRIEL DUFAY
AVEC :
GABRIEL DUFAY
PAULINE MASSON
et au piano :
ANTOINE BATAILLE
MUSIQUE :
ANTOINE BATAILLE
COLLABORATION ARTISTIQUE :
PAULINE MASSON
REGARD CHORÉGRAPHIQUE :
CORINNE BARBARA
SCÉNOGRAPHIE :
SOLINE PORTMANN, JIMME CLOO et MARION FLAMENT
LUMIÈRES :
SÉBASTIEN MARC
COSTUMES :
GABRIEL DUFAY et SOLINE PORTMANN
PRODUCTION:
COMPAGNIE INCANDESCENCE
COPRODUCTION:
THÉÂTRE NATIONAL DE CHAILLOT
SPECTACLE LABELLISÉ SÉLECTION PRINTEMPS DES POÈTES
AVEC LE SOUTIEN DE LA SPEDIDAM
REMERCIEMENTS
AUX AMIS DE ROBERT DESNOS et aussi A LA COMÉDIE POITOU-CHARENTES, MICHEL ARCHIMBAUD, CAROLE AUROUET, JÉRÔME BOCQUET, MARIE-HÉLÈNE et JEAN-PIERRE DUFAY,
MARIE-CLAIRE DUMAS, JACQUES FRAENKEL, MARIE-ROSE GUARNIÉRI, ISABELLE KARSENTI, FRANÇOIS LIONNET, ANNIE LE BRUN, VÉRONIQUE N’GUYEN, DENIS PODALYDÈS,
MATTHIEU SALAS et VLADIMIR VATSEV.
La Terrasse (N° 235)
Vendredi 28 août 2015
http://www.journal-laterrasse.fr/journal-dune-apparition/
Entretien / Gabriel Dufay
Journal d’une apparition
Chaque nuit le fantôme rôde à l’ombre de ses rêves et berce ses maux d’amour. Cette «
mystérieuse » a les traits d’Yvonne George, chanteuse de cabaret que Robert Desnos aime
désespérément et qu’il retrouve en visions. Acteur, metteur en scène, Gabriel Dufay a
puisé dans le Journal d’une apparition et dans les recueils A la Mystérieuse et Les Ténèbres
de Desnos pour dire l’amour fou et révéler les paysages intérieurs du «poète des songes».
« J’ai tant rêvé de toi que tu perds de ta réalité » écrit Desnos à propos d’Yvonne. Comment sa poésie transfigure-t-elle le réel ?
Gabriel Dufay : Adepte des sommeils hypnotiques, Desnos se décrit comme « un dormeur debout, un rêveur éveillé, ligoté par les liens du rêve et qui ne peut plus agir dans la vie qu’au
risque, éveillé lui-même, de n’avoir plus autour de lui que des somnambules, des aveugles, des
muets. » Pour lui, l’écriture est un vecteur de transfiguration du réel, un appel à la joie, au merveilleux. Il éprouve pour Yvonne George un amour sans retour, qui trouve sa réalité par les
mots : il écrit et fait advenir l’invisible. Après la mort d’Yvonne, il tombe amoureux de Youki
Foujita. L’amour idéalisé devient vécu. Le rêve et le réel finissent par se rencontrer. Le théâtre
surgit sur cette crête ténue, fragile, entre songe et réalité. S’y promènent les fantômes des personnages, des acteurs, les ombres cachées entre les mots…
«L’écriture est un vecteur de transfiguration du réel, un appel à la joie, au merveilleux. »
Comment avez-vous conçu l’adaptation ?
G. D. : J’ai tricoté des extraits du Journal, chronique du quotidien tout à la fois cocasse et tragique, des poèmes et des correspondances avec Yvonne puis Youki. Voyages oniriques, confidences incantatoires, colères brusques, envolées incandescentes, considérations prosaïques se
répondent. Les textes de Desnos dialoguent les uns avec les autres, d’une époque à l’autre.
Ainsi se tisse un récit où la poésie vient provoquer des courts-circuits dans le réel. La fulgurance
de l’amour laisse aussi affleurer la solitude, poignante.
Comment, par la mise en scène, faire advenir l’invisible ?
G. D. : La mise en scène cherche la diversité des sensations et des points de vue. La comédienne
Pauline Masson évoque plus qu’elle incarne la « mystérieuse ». La musique, jouée en scène
par Antoine Bataille, prolonge l’onde du poème. L’invisible se déploie dans les objets du quotidien : un lit devient bateau, un oreiller un globe, des draps la mer… Le réel se fendille et ces
fissures ouvrent sur des paysages merveilleux : le théâtre fait surgir un monde d’un rien. C’est
là sa magie toute puissante.
Entretien réalisé par Gwénola David
Théâtral Magazine
Septembre 2015
GABRIEL DUFAY
L’amour d’un fantôme
Comédien pour Denis Podalydès dans L’Homme qui se hait, Gabriel Dufay revient à
Chaillot avec un projet très personnel autour de la poésie de Robert Desnos qu’il aime
passionnément. Son spectacle est une reconstitution de l’amour du poète pour un fantôme
à partir du Journal d’une apparition, du recueil de poèmes A la mystérieuse et de lettres.
Théâtral Magazine : Journal d’une apparition, c’est un projet que vous avez complètement conçu vous-même à partir de l’œuvre de Robert Desnos.
Gabriel Dufay : Cela fait des années que je me passionne pour Desnos. C’est un auteur que j’ai
découvert quand j’étais jeune adolescent par le biais du recueil A la mystérieuse dans lequel il
écrit des lettres à une mystérieuse absente qui est en fait Yvonne George une chanteuse de cabaret dont il est amoureux mais sans retour. J’avais l’idée d’en faire un spectacle mais je ne savais pas trop comment prendre la chose. Et puis c’est le Journal d’une apparition, où Desnos
retrace les visites d’un fantôme, qui m’a donné la piste du fantôme.
Desnos a aussi eu une véritable histoire avec la femme du peintre Foujita.
En 1930, Yvonne George meurt et il rencontre Youki, la femme de Foujita, qui va devenir sa
compagne et avec laquelle il va vivre un amour partagé. Il réalise avec Youki quelque chose
qu’il n’a pas vécu avec Yvonne – ou qu’il n’a vécu qu’en rêve.
Parce que Youki lui a permis de vivre véritablement l’histoire dont il a rêvée avec Yvonne.
C’est une interprétation complètement juste d’autant qu’il y a ce combat chez Desnos entre le
rêve et la réalité « tout est rompu entre la réalité et le rêve, quoique celle-là soit pénétrée pourtant par celui-ci. Je suis un dormeur debout, un rêveur éveillé ligoté par tous les liens du rêve
». Une autre interprétation serait de dire qu’il poursuit la même femme. Et d’ailleurs il y a plein
de correspondances entre Yvonne et Youki à commencer par l’initiale de leurs prénoms, Y.
C’est pour ça que j’ai demandé à la même comédienne d’interpréter les deux figures féminines.
Comment avez-vous construit le spectacle ?
Il y a trois parties : L’Etoile autour d’Yvonne et du Journal d’une apparition, La Sirène avec
Youki et la troisième à partir de 1939 sur les années de Guerre et les camps de concentration.
Le Journal a été le point de départ. Je l’ai relié aux poèmes de La mystérieuse et à des billets
inédits que j’ai trouvés dans lesquels Yvonne George souffre du manque de drogue. J’ai découvert aussi des lettres de Robert à Youki où il exprime également comme un manque. Il y a
un dialogue entre la musique, la comédienne et moi dans une chambre en noir et blanc.
Pourquoi une chambre ?
Le mot chambre revient souvent dans l’adaptation que j’ai faite et puis il y a cette idée que
Desnos rêve de voyager et pourtant il reste dans sa chambre durant les 25 années de son parcours artistique. Et puis la chambre, c’est aussi le lieu des apparitions, des disparitions, des
ombres.
Propos recueillis par Hélène Chevrier
Les Inrocks
Mercredi 30 septembre 2015
http://www.lesinrocks.com/2015/09/30/scenes/reservez-spectacles-a-ne-pas-manquer-17-11778086/
Rubrique hebdomadaire des spectacles à ne pas manquer du 30 septembre au 6 octobre
Acteur et metteur en scène, Gabriel Dufay plonge dans l’œuvre de Robert Desnos avec Journal
d’une apparition (du 2 au 17 octobre au théâtre de Chaillot). Accompagné de la comédienne
Pauline Masson et du pianiste Antoine Bataille, Gabriel Dufay nous fait partager ce Journal
où Desnos relate les visites régulières de ce fantôme qui lui apparaît chaque nuit : “Fantôme
qui revient nous hanter par sa poésie, ses envolées lyriques, sa voix au ton familier et oratoire,
riche en résonances multiples… ”
Hottello - Théâtre du blog
Dimanche 4 octobre 2015
https://hottellotheatre.wordpress.com
Journal d’une apparition, d’après Robert Desnos,
adaptation et mise en scène de Gabriel Dufay
La nuit enveloppante, les insomnies agacées, l’impossibilité de trouver le repos ou le sommeil,
la fameuse et redoutable angoisse existentielle, tels sont les chemins préparatoires à la réception
de visions, de fantômes et de « surprises » pour le veilleur Robert Desnos, rédacteur du Journal
d’une apparition, en 1926 et 1927. L’œuvre entre en résonance avec deux recueils contemporains de poèmes, À la mystérieuse et Les Ténèbres, une époque où le poète découvre Méliès,
Louis Feuillade, Musidora, Nosferatu, Fantômas et les fantômes de l’orée du cinéma.
La mise en scène de Gabriel Dufay du spectacle inspiré par Desnos en 2015, qui multiplie, en
jouant du théâtre d’ombres, les allusions aux spectres, aux « rêves de la nuit transposés sur
l’écran », à la figure populaire et enfantine avant l’heure de Fantômette, correspond au soixantedixième anniversaire de la mort du poète dans les camps de Terezin. Yvonne George est l’inaccessible sur laquelle le poète a jeté son dévolu, l’aimant sans retour des années durant jusqu’à
la mort de la chanteuse de cabaret, en 1930. La disparue est remplacée plus tard par Youki Foujita, reine du Montparnasse des années 30, qui devient sa compagne. L’amour semble payé de
retour, enfin.
Pour l’acteur et metteur en scène Gabriel Dufay, admirateur du poète et veilleur auquel il s’identifie sur le plateau, « Yvonne et Youki sont les deux branches d’une même étoile ou les deux
bras d’une même sirène, entre amour idéalisé et amour accompli. » Du Journal d’une apparition en passant par À la mystérieuse et Les Ténèbres, se poursuit de Yvonne à Youki la même
correspondance à l’aimée. Les ombres, les réminiscences de ces deux belles mystérieuses filent
la matière poétique des déclarations, envolées lyriques et incantations oratoires de l’amoureux.
La belle désigne aussi la figure emblématique de l’amour, celui de la révolte contre les haines
et la tyrannie, de l’engagement pour « la vérité » et la passion d’écrire.
Le public est invité à pénétrer dans la chambre de l’insomniaque où celui-ci repose sur un lit
de fer que recouvrent des draps blancs tandis que d’autres draps blancs dessinent les murs sur
l’un desquels une fenêtre autorise la contemplation lunaire. Derrière les tentures immaculées
– le jeu de l’ombre et la lumière-, une silhouette féminine dessine sa présence sur les parois de
l’imaginaire – une même apparition mouvante en combinaison tandis que le faux dormeur
enfile le masque de Fantômas. La balance penche franchement du côté de l’onirisme, du rêve
enchanteur et du songe charmant plutôt que du réalisme, du raisonnement et du contrôle de
soi. Gabriel Dufay est Robert Desnos, dégaine et bagout d’une époque, panache et esbroufe
désuets, interprétant la folie créatrice d’images fidèles au mythe de l’amour.
Le comédien habité parle la poésie, comme il irait acheter le journal ; le spectateur le suit et
l’entend, attiré par cet idéalisme naïf et heureux accordé au pouvoir du verbe. La parole poétique décline sur la scène ses merveilles, au gré de l’espoir et du désir, sous les notes de piano
du musicien Antoine Bataille et à travers la danse de la comédienne Pauline Masson.
Véronique Hotte
FINANCIAL TIMES
Mardi 6 octobre 2015
http://www.ft.com/intl/cms/s/0/69d8e9f8-6c23-11e5-8171-ba1968cf791a.html#axzz3pIjNZB4C
Journal d’une apparition, Théâtre National de Chaillot,
Paris - review
In the cold light of day, there is something a little sentimental about Robert Desnos’ À la mystérieuse, a collection of love poems dedicated to an indifferent woman. “I have dreamt of you
so much that you’re losing your reality,” the French surrealist poet writes. “Is there still time .
. . to kiss on that mouth the birth of the voice that’s dear to me?”
At the Théâtre de Chaillot, however, actor-director Gabriel Dufay allows these lines to soar
with sonorous beauty. His new adaptation of Desnos’ work for the stage, Journal d’une apparition (Diary of an Apparition), is a deft tribute, one that bridges the gap between Desnos’ life
and his achievements, between poetry and reality.
Literary craft clearly went into this 90-minute production. It seamlessly weaves the eponymous
account of a ghost’s visits to the writer with poems and letters to and from the two loves of
Desnos’ life, cabaret singer Yvonne George and Youki Foujita. White sheets serve as curtains
around a spare room and a bed, and the first half of the performance has the texture of dreams:
as Desnos chases after a ghostlike visitor, George, the mystérieuse, appears as an elusive silhouette behind the curtains.
Dufay plays Desnos in what is at times a one-man show, and his voice is a marvel. The performance hinges entirely on it: rich and deep, with a throaty undertone reminiscent of mid-20thcentury actors, it lends sincerity and gravitas to Desnos’ declarations of love. With the help of
pianist Antoine Bataille, Dufay also uncovers the discreet musicality of the poet’s free verse.
The arrival of Youki (played, like George, by Pauline Masson) heralds a period of happiness,
but Desnos’ last letters to her, written from the Nazi concentration camp where he died in 1945,
change the tone and at first seem almost incongruous. However, Desnos’ final words are also
an act of love, heartbreaking in their lack of self-pity: we see his attempts to comfort Youki by
keeping up the pretence of normality.
Poetry plays a much lesser role in French cultural life today than it has historically, including
in Desnos’ time. Journal d’une apparition is a convincing reminder that performance has the
tools to help revitalise it, and Dufay will be a voice to watch on the French stage.
Laura Cappelle
JOURNAL DE BORD D’UNE ACCRO
Jeudi 8 octobre 2015
https://journaldebordduneaccro.wordpress.com/page/2/
Journal d’une apparition - Théâtre National de Chaillot
2015 marque le 70e anniversaire de la libération du camp de Terezin où Robert Desnos a vécu
ses derniers jours. Quelques bribes lointaines des poèmes de Desnos subsistent dans notre mémoire : « J’ai tant rêvé de toi (…) tant couché avec ton fantôme (…) que je ne sais plus tant je
t’aime (…) lequel de nous deux est absent ! ». Une émotion me saisit d’emblée en descendant
les marches accédant à la petite salle Maurice Béjart. Gabriel Dufay en pyjama incarne le poète,
il se couche dans un lit d’hôpital et dialogue avec Yvonne qu’il aimera sans retour jusqu’à sa
mort en 1930. Elle est incarnée muette en surplomb derrière des transparents au dessus de son
lit, la musique lui donne une présence irréelle.
Dans la deuxième partie, Desnos revient à la vie avec Youki Foujita. Il quitte son fantôme bien
aimé. Les rideaux sont tombés et c’est une femme bien réelle aux côtés du poète qui partage
son pic créatif en 1930. On savoure le fantôme de ce poète disparu, entouré de ses deux Muses,
nimbé de la passion de Gabriel Dufay, qui a longtemps mûri ce spectacle à ne manquer sous
aucun prétexte. Plus que huit représentations jusqu’au 17 octobre, attention aux horaires variables.
Edith Rappoport
THEATOILE
Jeudi 8 octobre 2015
https://theatoile.wordpress.com/2015/10/08/journal-dune-apparition-les-mots-de-desnos-sublimes-par-gabriel-dufay/
Journal d’une apparition: les mots de Desnos sublimés
par Gabriel Dufay
A l’occasion de l’année célébrant les soixante-dix ans de la disparition du poète surréaliste
Robert Desnos, Gabriel Dufay nous livre un émouvant hommage, créé à Chaillot, dans lequel
il révèle, avec une pureté grandiose, la délicatesse de l’auteur torturé.
Une ombre vient troubler le sommeil de Robert Desnos qui s’éveille et commence à nous narrer
ses impressions. Il sait qu’il a rêvé mais ne peut donner de précision. Au fur et à mesure de son
récit, la présence se fait plus réelle. L’ombre danse derrière un drap blanc comme elle danse
dans son esprit et dans ses rêves. Debout, en pyjama, dans un décor épuré, il évoque son attente
de voir revenir chaque nuit les apparitions. Il en a besoin mais la folie le guette et le voilà qu’il
divague sur la mort de son fantôme qu’il sublime. Perception et habitudes se confondent et révèle toute l’écriture poétique et troublante de Robert Desnos.
Prenant appui sur différents textes de l’auteur surréaliste, Gabriel Dufay nous expose avec
beaucoup de finesse et de délicatesse ses rencontres avec un fantôme, figure féminine mais
mystérieuse, fortement inspiré par son amour à sens unique pour Yvonne George, une chanteuse
de cabaret puis par sa relation amoureuse partagée avec Youki Foujita, figure montante du
Montparnasse des années 30. C’est un véritable voyage poétique au cœur des rêves et de son
esprit qu’une quasi angoisse existentielle empêche de trouver le repos dans une chambre impersonnelle où les spectateurs pénètrent telle une ombre tapie dans un coin. La confusion entre
le rêve et la réalité est parfaitement maîtrisée. La scénographie, magnifique, rend compte de la
pureté des mots de Robert Desnos. Gabriel Dufay nous livre une prestation magistrale et est
habité de façon grandiose par la présence de ses songes. Petit à petit, il glisse vers une douce
folie. L’éloignement d’Yvonne le détruit à petit feu et quand elle meurt, le 22 avril 1930 à l’âge
du Christ, sans vraiment savoir pourquoi, un autre amour puissant a pris la place : après Yvonne
« l’étoile », place à « la sirène » Youki qui laisse éclater tout le romantisme du poète. Les mots
se font moins sombres, moins mélancoliques. Quand elle part, la solitude revient et il perd à
nouveau confiance en l’amour qui l’obsède. Les années passent, il devient « le mieux aimé »
et elle est « la seule aimée » et achève son introspection par le refuge trouvé dans la Poésie
après la Seconde Guerre mondiale.
Sur scène, Gabriel Dufay, bouleversant de sincérité, s’accompagne de la gracieuse Pauline
Masson qui renforce l’oscillation entre onirisme et réalisme, et par les notes mélodieuses qui
s’élèvent du piano Bataille. C’est beau, fort, pur et passionné. Un vibrant hommage au poète
français mal-aimé, littéralement transcendé dans cette formidable proposition scénique qui,
telle l’apparition qui le torture, nous hantera pour longtemps.
THEATRORAMA.COM
Lundi 12 octobre 2015
http://www.theatrorama.com/2015/10/lespace-du-sommeil-de-desnos/
L’espace du sommeil de Desnos
« Journal d’une apparition », sous-titre idéal que bien des commentateurs de la prose et des
vers de Robert Desnos auraient vu scellé sous son œuvre tout entière, s’est écrit au privilège
de nuits. Il est le sujet et l’objet du chant ininterrompu d’un poète, lancé à une « visiteuse » au
visage de femme et aux contours d’astre. Un dialogue dense et obscur entre l’artiste et son art,
que Gabriel Dufay fait résonner depuis la crypte du Théâtre national de Chaillot.
Le lieu est ombre et sommeil ; il a l’effigie d’une attente inquiète et sans patience. Il pourrait
ressembler aux photographies du début d’un autre siècle, avec leurs dégradés de niveaux de
gris, ou bien à des images sur l’écran d’un cinéma encore muet. La scène se remplit tout d’abord
par un souffle, dévoilant quelques meubles de confort – un lit, un fauteuil – et d’autres d’écriture, murant les rayons d’un jour qui aurait pu filtrer à travers une fenêtre à un coin, à travers
une porte à un autre coin. C’est l’espace en rêve et en réalité de Robert Desnos : l’éternité «
d’un jour qu’il faisait nuit » comme il l’écrira dans l’un de ses premiers poèmes.
Son antre se charge bientôt d’un corps-fantôme, dans son tissu collé noir de Belphégor glissant
sur chacune des parois et des reliefs de la pièce, « voleuse » fuyante qui fait naître la nuit et
l’œuvre, les premières lignes du « Journal d’une apparition ». Avec elle engorgeant les distances,
il y a l’étranglement d’un amant et la voix d’un poète. 1926 : Desnos entame la rédaction de
son « Journal » qui s’étalera sur quelques mois. Il en est aussi à la jeunesse de ses vers, desquels
remonte bientôt une unique adresse, « À la mystérieuse ».
Ici s’entend l’une des plus grandes énigmes de la poésie de Desnos, cette « fâcheuse aventure
» qu’est l’amour qu’il ne pourra longtemps que frôler sans jamais toucher ni embrasser pleinement. Ici Gabriel Dufay fait commencer son « enquête » et le chant d’une étreinte impossible,
par les célèbres strophes d’un poète s’effaçant face à l’invisible même : « J’ai tant rêvé de toi
que tu perds ta réalité. (…) J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme
qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre
cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta
vie. »
Le heurt et le double
Desnos en est persuadé : le temps s’est arrêté pour que puissent vivre les fantômes. Le premier
d’entre eux pourrait être lui seul, dormeur éveillé par un « silence qui siffle », rêveur intranquille
plongé en plein « sommeil surréaliste », dont l’insomnie se tient entre les cloisons d’un espace
heurté, faisant répéter les mots, les claquements de porte et de tiroirs, les songes, les hallucinations. Sa ligne sera donc de préférence anaphorique, presque le refrain d’une chanson. L’habit
de l’être aimé sera blanc puis noir, ici et ailleurs, d’un côté et de l’autre des murs, légère et impalpable. Elle lui répondra puis se taira, transformera les draps en partage en pages à écrire. Ce
sera tout d’abord Yvonne George, chanteuse, puis Youki Foujita, nouvelle muse – puis leurs figures se confondront et elles ne seront plus qu’une unique voyelle à l’initiale, présence et souvenir d’une présence.
Gabriel Dufay fait entendre la « Voix de Robert Desnos », ce poème qui appelle et appelle sans
cesse pour conjurer l’absence en renaissance. Le décor qu’il déploie est ébène et « ténèbres »
à découvert, cycle et métamorphoses, « creux » entre les lignes du poète. Sur la scène, il fait
de cette apparition une épouse de la nuit, dans la robe blanche de Pauline Masson. À la fois
loin et proche, la jeune comédienne est « l’étoile » et « la sirène », perce le décor à l’heure
d’un « minuit triomphant » qui deviendra très vite « fou », ne possédant aucun sol concret.
Sauf sans doute celui de la création. Car l’ombre qui apparaît, miroir et réflexion, est multiple.
Elle est à la fois chimère, extase, doute et absence ; et dans toutes ses formes, elle représente à
la fois la femme, l’amour et la poésie. Elle accompagne la permanence d’un écho, la forme
que Desnos donnait à ses propres délires, naissant ou s’immisçant dans ses rêves, rêveries et
hypnoses.
Cathia Engelbach
THEATRAL MAGAZINE
Lundi 12 octobre 2015
Journal d’une apparition
L’enchantement de la poésie
C’est une plongée au cœur de la poésie et de la vie de Robert Desnos que propose Gabriel
Dufay. Autant passionné par le poète surréaliste que par l’amoureux rêveur, l’acteur-metteur
en scène a tissé une sorte de journal intime à partir des poésies et du journal de Robert Desnos
dans lequel il confesse sa passion pour une certaine Yvonne George qui vient hanter ses nuits
mais jamais sa vraie vie. Mais qu’importe pour Desnos : le rêve compte autant que la réalité.
D’ailleurs, les premières images de la pièce sont assez spectaculaires : une ombre noire et gracile escalade le lit du rêveur et tente de le poignarder… Ce fantôme d’Yvonne hantera Desnos
jusqu’à ce qu’elle meure d’une overdose quelques années après. Et sans doute encore au-delà
puisqu’il vivra ensuite une véritable histoire d’amour avec le sosie d’Yvonne, Youki, la femme
du peintre Foujita.
Dans une scénographie très simple, une chambre tapissée de grandes tentures blanches derrière
lesquelles on aperçoit l’objet des amours de Desnos, sous l’aspect d’une danseuse, Gabriel
Dufay nous distille de sa voix grave goutte à goutte cette poésie qu’il connaît comme une langue
maternelle, réhabilitant le monde des rêves, de l’espoir et de l’amour véritable. C’est un enchantement, un spectacle qui bouleverse autant qu’il rend heureux. Servi en plus par un acteur
extrêmement doué, sensible et beau.
Hélène Chevrier
CHANTIERS DE CULTURE
Vendredi 16 octobre 2015
https://chantiersdeculture.wordpress.com/2015/10/16/de-koltes-a-desnos-un-theatre-riche-demotions/
De Koltès à Desnos, un théâtre riche d’émotions
La scène hexagonale explose de spectacles de grande qualité. Des planches du Français à
celles de la Comédie de Saint Étienne, de Chaillot à L’épée de bois, de l’Odéon au Dejazet, de
la Comédie des Champs-Élysées à L’Atelier… A l’affiche, Strindberg et Koltès, Desnos et Vinaver, Miller et Molière, Morel et Michalik : que du beau monde au balcon !
(...) Et un autre couple, Pauline Masson-Gabriel Dufay, embrase les planches de Chaillot avec
leur « Journal d’une apparition » : c’est beau, c’est fort, l’amour proclamé de Desnos à sa dulcinée ! Un spectacle ciselé à la perfection, un duo d’acteurs qui irradie de présence par la seule
force poétique du verbe. Sensualité des corps, ivresse des mots, là aussi l’amour semble
folie quand la passion est à ce point débordante et dévorante. Robert et Yvonne, Robert et
Youki, le « Journal d’une apparition » et « J’ai tant rêvé de toi » : deux figures de femme déterminantes dans la vie de Robert Desnos, deux recueils-poèmes qui proclament à tout va combien seul l’amour, conjugal-fraternel-filial, est moteur de vie. Amour réel, amour rêvé, chair
ou fantôme ? Peu importe au final, dans un pas de deux enivrant, et d’une beauté presque indécente face à la laideur de nos faubourgs, Masson-Dufay nous emportent dans une cascade
de délires et d’émotions. A y noyer toutes nos illusions, à irriguer nos plus intimes passions.
Yonnel Liégeois
LE MOT D’ODILE QUIROT
(Revue Ubu)
Octobre 2015
Dans la chambre d’imagination de Robert Desnos rêvée par Gabriel Dufay, il y a un lit, cage
et bateau, veillé par de hauts draps blancs comme autant de voiles où se jouer du théâtre d’ombres, donc des apparitions.
Gabriel Dufay est l’habitant et l’hôte de cette vaste chambre, tout à la fois intime et de plein
vent, où il met en scène et joue « Le Journal d’une apparition » de Robert Desnos. Il a puisé
aussi dans d’autres textes du poète, « A la mystérieuse », « les Ténèbres ». Il leur donne corps
et voix, et ce avec une fraicheur enfantine et une gravité bien tempérée. Il se promène parmi
les fantômes de Desnos, y compris avec la cape de Fantômas, il swingue au micro, il allie le
chaud et le froid, la joie et le désarroi. Il est l’homme de l’amour fou célébrant l’étoile inaccessible – la chanteuse Yvonne George – qui peu à peu se mue en sirène au miroir de Youki Foujita,
la femme aimée à laquelle Robert Desnos, poète résistant - mort en 1945 dans le camp de Terezin, à l’âge de 44 ans- adressa des lettres qui sont des hymnes à la vie, à hauteur d’homme
toujours.
Gabriel Dufay a fait sien le destin de ce rêveur éveillé que fut Robert Desnos. Avec le pianiste
Antoine Bataille, il entame parfois un dialogue subtil, où note et mot s’épousent. Gabriel Dufay
ne dit pas, il parle le Desnos. Cet acteur trop rare sur nos scènes sait donner au monde intérieur
du poète les couleurs de la vie, et le clair-obscur des songes.
Odile Quirot
LE MOT DE JEAN-PIERRE LEONARDINI
(L’Humanité)
Novembre 2015
Le monde réenchanté de Robert Desnos
Soixante-dix ans après sa mort dans le camp de Terezin, la figure de Robert Desnos revient
nous hanter grâce à Gabriel Dufay. Sous le titre Journal d’une apparition, qui recouvre les
notes consignées par le poète sur quelques mois des années 1926 et 1927, qu’il a adaptées, met
en scène et incarne, Gabriel Dufay se livre, avec éclat, à une opération de magie théâtrale qui
ressortit à ce qu’Aragon, jadis partenaire d’écriture automatique de Desnos, nommait, dans la
Défense de l’Infini - roman jeté au feu comme par miracle retrouvé - « l’entrée des succubes ».
Les succubes, démons féminins qui viennent la nuit s’unir à un homme, Desnos en l’occurrence,
seraient ici la chanteuse de cabaret Yvonne George et Youki Foujita, toutes deux follement aimées par « l’homme le plus passionné que j’aie jamais rencontré », ainsi que disait Philippe
Soupault, autre compagnon des années fastes du surréalisme. Yvonne George, précocement
disparue, ne répondit pas à l’attente éperdue de Desnos. Youki Foujita, rencontrée en 1928,
partagea sa flamme jusqu’à la fin.
La partition verbale, d’un lyrisme bouleversant dont le secret semble perdu (on pense à du Nerval chauffé à blanc), permet à Gabriel Dufay de ressusciter l’atmosphère d’une érotique de la
passion bel et bien disparue; celle des années trente infiniment libres, quand quelques-uns justement inventèrent l’amour fou. Le texte de Desnos, où s’imbriquent en toute violente innocence l’emportement du désir, l’élan poétique et l’envol de l’imaginaire, permet à Gabriel
Dufay d’endosser avec superbe la figure du rêveur désirant en costume d’époque, tandis que
Pauline Masson assume de toute son élégante vénusté le pouvoir de charme, au sens fort, des
femmes adorées jusque dans l’absence, comme immergées dans une vague de rêves, car c’est
bien d’un rêveur éveillé qu’il s’agit avec Desnos. Ses séquelles oniriques n’étaient-elles pas
réputées, auprès des siens, dans l’écriture d’après coup les yeux ouverts ?
Spectacle rare en un temps délétère d’obsessions triviales, Journal d’une apparition, où le
spectre amical de Desnos revient embraser l’amour dans toutes ses composantes charnelles et
spirituelles, mérite une longue vie, dans la juste mesure où il participe avec cœur à l’indispensable réenchantement du monde.
Jean-Pierre Léonardini
Photos pages 1, 3, 6, 8, 10, 16:
© Vladimir Vatsev
Photos pages 11, 14, 15 et 20:
© Louis Réguron
Photo page 18:
© Agathe Poupeney
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