Rachis, 1992, vol. 4, n° 4, pp. 239-248 FAIT CLINIQUE OSTEOSARCOME RADIO-INDUIT A propos d'un cas, revue de la littérature POSTRADIATION OSTEOSARCOMA OF THE SACRUM A study of one case and Iiterature review J, GODARD*, p, BONTEMPS", R, ANGONIN***, G. JACQUET*, A. CZORNY* * Service de Neurochirurgie (Pr Czomy) Service de Radiothérapie-Oncologie (Pr Schraub) ***Laboratoire d'Anatomie Pathologique (Pr Carbillet) CH U. - Hôpital Jean Minjoz - Bd Fleming - 25030 Besançon Cedex ** RESUME SUMMARY Les sarcomes osseux sont des tumeurs peu fréquentes, ils sont encore plus rares après une irradiation. Les auteurs rapportent un nouveau cas à localisation sacrée qui correspond tout à fait à la définition de Cahan. Il n'existe pas de différence histologique entre un sarcome osseux primitif et un sarcome radio-induit mais le contexte clinique permet de faire la distinction. Si le diagnostic est difficile, le traitement l'est également. Dans quelques cas on peut proposer une exérèse chirurgicale complète, malheureusement celle-ci est rarement possible. Le traitement chirurgical doit permettre de faire le diagnostic de certitude par la biopsie et essayer d'apporter le meilleur confort de vie au patient. Le décès survient habituellement après dissémination locorégionale. Il n'existe pas de thérapeutique qui permette une guérison. Par rapport aux nombres de cancers traités par radiothérapie la survenue d'un sarcome radio-induit apparaît très faible. Postradiation sarcoma is uncommon, about 350 cases published. The most frequent localisations are shoulder and pelvis. The authors present a sacral tumor, eleven years after an irradiation for cervix neoplasm. The diagnosis is difficult, minimum five years after an irradiation in the same site and a histologie diagnosis is necessary for writing radioinduced osteosarcoma. The treatment is difficult because of the chimioresistance and a new irradiation is not possible. Only the surgical treatment is available, the best results with complete removal of the tumor. A partial excision can be enough for a good living without pain. The prognosis is very bad, about one year survival after diagnosis. ln this case the death occurs eighteen months later. The treatment was a partial excision and used an armed acrylic ciment. The most important risk occurs with the irradiation of the begin tumors. Mots clés: Ostéosarcome radio-induit - Chirurgie - Sacrum. Key words: Postradiation osteosarcoma - Surgery - Sacrum. 239 J. GODARD, P. BONTEMPS, R. ANGONIN, G. JACQUET, A. CZORNY La découverte d'une tumeur radio-induite est rare, sa fréquence est estimée à 0,5 - 2 % (5). La première description en a été faite en 1922 par Beck (in 15). Le sarcome radio-induit peut se rencontrer dans deux circonstances: soit sur un os sain au voisinage d'une irradiation, soit après l'irradiation d'une tumeur osseuse bénigne. Le cas présenté correspond à la première circonstance. La survenue de ces lésions secondaires varie en fonction du type de cancer irradié. Pour le cancer du sein, il s'agit le plus souvent d'atteinte costale, du sternum ou de la tête humérale (8). Pour les cancers du col, les localisations sont iliaques, touchant parfois le cotyle et la tête du fémur, l'atteinte sacrée et lombaire est beaucoup plus rare (l, 2, 6, 14, 19). Pour l'ensemble des sarcomes osseux, primitifs (1) ou secondaires (II), la localisation sacrée est inférieure à 3 %. Nous en rapportons un nouveau cas. CAS CLINIQUE Il s'agit d'une patiente âgée de 65 ans souffrant d'une sciatique droite depuis novembre 1989. Cette sciatique a été précédée de lombalgies de plus en plus fréquentes depuis un an. Dans ses antécédents, on retrouve une hystérectomie subtotale pour fibrome utérin en 1976. En Novembre 1978, elle est traitée pour un néoplasme du col restant par radiothérapie externe transcutanée (accélérateur type sagittaire) et curiethérapie endocavitaire. Il s'agissait d'un carcinome malpighien stade lIA. La patiente a reçu en décembre 1978 une irradiation pelvienne de 30 Grays (Gy) suivie d'une curiethérapie et d'un surdosage pa ramé trial de 20 Gy. L'irradiation est terminée en janvier 1979 et la dose reçue par le sacrum est évaluée à 50 Gy. La patiente est suivie régulièrement. En juin 1988, elle est opérée d'une sténose rectosigmioïdienne post-radique (confirmation histologique) avec résection anastomose à la pince automatique; à l'époque la radiographie de bassin est normale. La patiente est vue pour la première fois en consultation fin décembre 1988 pour des douleurs sciatiques invalidantes. A l'examen elle présente une paralysie incom--plète des releveurs du pied droit, un Lasègue droit à 70° et un réflexe achilléen droit aboli, L'amaigrissement est de six kilos en un an, Sur les radiographies simples du rachis lombaire, il existe un tassement des vertèbres L4 et L5, et surtout une irrégularité du plateau de SI, avec destruction partielle de la partie supérieure de SI (fig. 1). Sur le scanner, des signes de fracture du plateau sacré sont visibles avec présence d'un fragment intra-canalaire en LS-Sl et un aspect irrégulier de l'os (fig. 2). A l'électromyogramme il y a une souffrance de SI bilatérale modérée. Figure 1: Radiographie de profil. Pseudo-fracture sation irrégulière de SI. Figure 2: Scanner. Fragment antérieur de SI. 240 du plateau de SI. Ostéoconden- osseux intra-canalaire et pseudo-fracture du bord J. GODARD, P. BONTEMPS, R. ANGONIN, G. JACQUET, A. CZORNY Une intervention a lieu le 8 janvier 1990, elle permet de découvrir un envahissement tumoral important avec destruction osseuse en 81-82; le diagnostic anatomopathologique extemporané est celui d'ostéosarcome radio-induit en fonction du contexte clinique. Après un curetage osseux le plus large possible, on utilise du ciment acrylique armé sur des tiges de Kirschner afin de combler la cavité créée. L'évolution clinique est tout à fait favorable, avec disparition des douleurs invalidantes et la récupération de la paralysie des releveurs du pied droit. Le scanner pelvien de contrôle montre l'absence de masse abdominale et la scintigraphie osseuse met en évidence une fixation hétérogène du squelette, peut-être en faveur d'une dissémination métastatique. En juin 1990, la patiente est réhospitalisée à la suite d'un tableau occlusif. La laparotomie retrouve une entérite nécrosante du 1/3 distal nécessitant une résectionanastomose du grêle. A cette époque la patiente se plaint de quelques douleurs sciatiques mais cette fois à gauche alors qu'il n'existe aucune modification radiologique (fig. 3). Dix huit mois après la découverte de sa lésion radioinduite la patiente décède suite à une altération importante de l'état général et avec des douleurs diffuses. Figure 3: Radiographie de contrôle en Août 1990, avec ostéosynthèse, ciment + broches en place. Aucun changement par rapport au contrôle postopératoire immédiat. Parmi les cancers rencontrés après radiothérapie, on trouve différents types dans la série d'Huvos et Coll. (9): fibrosarcome (7,5 %) à rapprocher des fibrohistiosarcomes (38,5 %) l'ensemble correspondant à 46 %; ostéosarcome (9 %) mais également chondrosarcome 12 %, sarcome mixte 12 % et des types plus rares peu différenciés (6 %) ou bien différenciés (1,5 %). Dans une série de sarcomes osseux 1 et II de la Mayo Clinic (1) c'est l'ostéosarcome qui prédomine avec 55 %, 23 % de fibrosarcomes et 22 % de chondrosarcomes. Le DISCUSSION Les effets secondaires des radiations ionisantes ont surtout bien été étudiés depuis l'explosion de la première bombe atomique à Hiroshima en 1945 (13). Plus récemment, l'accident de Tchernobyl en 1985 a fait, et fait encore, de nombreuses victimes. Ce risque carcinogénique en général est faible pour les sujets exposés professionnellement (5), leucémies au début des radiations, tumeurs bronchiques chez les sujets exposés au radon, radiodermites chez les anciens radiologistes. Il est beaucoup plus ~élevé, mais ponctuel après explosions nucléaires accidentelles ou destructrices. Enfin, le risque actuel le plus important est donc surtout en rapport avec les irradiations thérapeutiques, cancer du col, cancer du sein, Hodgkin pour les mieux étudiés. type fibrosarcome radio-induits. serait plus fréquent dans les sarcomes Cette tumeur touche la clavicule après irradiation pour cancer du sein, le fémur et l'os iliaque après traitement pour les cancers génitaux et l'humérus après traitement pour Hodgkin. La dose moyenne d'irradiation pour la survenue de telles tumeurs est de 60 Gy avec des extrêmes de 30 Gy à 80 Gy (la, Il, 18). Parmi ces tumeurs, le cancer du sein et celui du col utérin sont les plus rencontrés. Le diagnostic clinique est difficile; en effet l'apparition des douleurs se manifeste non pas quelques mois mais plusieurs années après la radiothérapie (l, 2, 6, 12,18), en moyenne cinq ans. La moyenne d'âge des patients est de 42 ans (9, 13). La durée moyenne d'apparition est de Il ans comme chez notre patiente mais elle peut être plus longue, 20 ans voire plus (25). La survie prolongée d'un cancer après radiothérapie permet de voir apparaître une tumeur secondaire radioinduite. Les premières victimes des radiations ionisantes ont été les physiciens et les médecins qui les ont manipulées, avec des lésions osseuses distales (17, 25). Dans la statistique de la Mayo Clinic, le sarcome radioinduit représente 1,5 % de l'ensemble des tumeurs osseuses, myélome compris. 242 OSTEOSARCOME RADIO-INDUIT anatomo-pathologique. La dose de radiothérapie est variable. Le minimum observé est de 3 000 rads, mais il semble exister une sensibilité propre à chaque individu L'emploi d'accélérateur linéaire tend encore à diminuer le risque, mais celui-ci n'est pas encore nul. Pour parler de sarcome radio-induit, les critères de Cahan (in 1) sont reconnus; il faut attendre au minimum cinq ans après une irradiation, que le champ d'irradiation corresponde à la transformation osseuse secondaire et enfin une certitude diagnostique par un examen (19) Sur 600 cas de sarcomes osseux en 1967, Dahlin (1) rapporte 16 cas de sarcomes radio-induits dont deux cas après cancer du col et un cas après cancer de Tableau 1: Série des différents auteurs dans la littérature Auteurs 2 cancers du col Robinson Tanaka Sim Weatherby 'S.R.!.: cancers du sein 45Cancer 32 cancers du sein 613col fémurs, 5 humérus 78 34 Humérus, 27 clavicule sur 627 patientes traitées Nombre épaules, 16 fémurs 16cas 413 / /de de 9ans àlittérature 23 ans Cancers primitifs %) cas 655sacrums ans hodgkin du sein (30,8 de col l'utérus cancers du 9S.R.I.*/ tumeurs crânienes 27Os fémorales 2Cancer tumeurs sacrées du sein cancers du sein Revue la 64435Crâniopharyngiome 1Cancer cancer du de col l'utérus col 263l'utérus sacrums, omoplates, 1 aile 2thoracique humérus iliaque ailes iliaques ailes sacrum lésions cage 344 cas / têtes 47 ans du plus col (22 5l4Epaule aile omoplates, iliaque 5 crânes %) 72 tumeurs les fréquents sphénoïde temporal Adénome hypophysaire 35/Localisations 6Hodgkin osseuses 1iliaques, 4% sacrums Sein 1leslésions tumeur du testicule cancer de Col et corps de l'utérus 37 cas /927 20 ans 71l17cas 815 Omoplate, humérus cas de 7 à 40 ans ans plus fréquentes ans Sarcome Radio-induit. 243 J. GODARD, P. BONTEMPS, R. ANGONIN, G. JACQUET, A. CZORNY l'endomètre. Dans sa série, il y a quatre localisations sacrées. Plus récemment, la Mayo Clinic fait état de 78 cas de sarcomes radio-induits sur une période de 55 ans (26): 9 localisations sacrées dont 2 irradiations pour chordome sont dénombrées. Il est bien évident que dans les différentes séries avec sarcome de la ceinture pelvienne, il s'agit le plus souvent de femmes traitées pour cancer du col ou de l'utérus (tableau I). La durée moyenne de la symptomatologie clinique est de l'ordre de dix mois avant le diagnostic. Il n'existe pas de véritable signe spécifique radiologique permettant de d'un sarcome osseux II, distinguer un sarcome osseux tout au plus il faut parfois noter une sclérose des bords osseux plus marqués dans les secondaires. Au niveau du rachis et du sacrum, il s'agit le plus souvent de zones de lyses anarchiques et d'ostéocondensations avoisinantes, atteignant le mur postérieur et les pédicules vertébraux, et souvent la première hypothèse est celle d'une métastase osseuse, comme ce fut le cas de notre patiente. En raison de la faible fréquence des sarcomes radioinduits (sur 1 200 cas d'ostéosarcome, 5,5 % sont des sarcomes radio-induits(l5), on ne peut pas encore décrire l Figure 4: x 100. Prolifération travées ostéoïdes. cellulaire dense fasciculée, et réseau anarchique de (3) et dans ce cas la biopsie du corps vertébral confirmera l'absence de cellules néoplasiques. Faut-il faire une radiographie de bassin au cours de la surveillance d'un cancer du col utérin ou du corps de l'utérus après radiothérapie pour déceler une atteinte osseuse précoce? Nous pensons que cela n'est pas utile. En effet, notre patiente avait eu une radiographie du bassin dix mois auparavant qui était tout à fait normale; il semble donc que la survenue de sarcome induit soit relativement rapide. Les sarcomes radio-induits du sacrum sont exceptionnels (cf tableau I): environ 20 cas sont rapportés dans la littérature, mais aucune description spécifique n'en est faite; leur seul caractéà ristique commune est leur pronostic défavorable 12 mois. des signes particlfliers de ces lésions au scanner ou en IRM; cependan~! ces examens permettent d'apprécier l'extension tumorale aux tissus mous avoisinants. Cette extension aux parties molles n'est pas systématique à tous les sarcomes osseux II, elle a été rarement notée (1,6, 9, 23). Le diagnostic radiologique différentiel avec une ostéoradio-nécrose n'est pas toujours facile mais il doit se faire à partir d'un faisceau d'éléments radiologiques: lors d'ostéo-radio-nécrose, on observe habituellement un tassement vertébral avec respect des disques, une intégrité de l'arc postérieur, l'absence de lésion pédiculaire et enfin la stabilité des images à deux examens successifs. Il n'existe aucune relation particulière entre l'aspect radiologique et le type histologique. C'est seulement la biopsie et l'analyse histologique qui permettent de faire la preuve d'un ostéosarcome radioinduit. L'examen microscopique montre une prolifération de cellules de type ostéoblastique, plus ou moins atypiques, groupées par endroits autour d'amas de substance ostéoïde ou formant des travées osseuses anarchiques (fig. 4 et 5), comme dans notre cas d'ostéosarcome. Selon Mirra et Coll. (15)ces ostéosarcomes radio-induits ne semblent pas présenter de particularité par rapport aux autres ostéosarcomes sur le plan histologique. Il est vraisemblable que le chiffre d'ostéosarcomes radioinduits est peut-être sous-estimé chez les malades cancéreux dont le taux de survie est peu élevé. Tout tassement vertébral chez une patiente ayant subi une radiothérapie pour cancer du col utérin n'est pas obligatoirement une lésion secondaire. En effet, on peut se trouver en face d'une ostéo-radio-nécrose vertébrale Figure 5: x 210. Présence de plages de cellules présentant des atypies cytonudéaires plus marquées (et d'assez nombreuses mitoses). -+ 244 J. GODARD, P. BONTEMPS, R. ANGONIN, G. JACQUET, A. CZORNY Après un traitement par radiations ionisantes, un suivi clinique et radiologique très long doit être instauré bien au-delà des cinq ans, ce qui était admis comme guérison autrefois, mais pouvant aller jusqu'à trente ans pour voir survenir des transformations osseuses malignes (1,2,4,21, Il faut signaler la présence chez notre patiente, en plus de ces lésions osseuses, des complications classiques après radiothérapie précédée d'une chirurgie (12), à savoir une sténose de la jonction recto-sigmoïdienne et une entérite nécrosante; ces complications sont survenues beaucoup plus tardivement qu'à l'accoutumée. 23, 24) Nous ne ferons que citer le syndrome de Li Fraumeyni, cancers familiaux par translocation chromosomique qui ont un risque plus élevé que la population normale pour le développement de sarcomes après radiothérapie (5). De même on pourrait y rattacher le rétinoblastome, anomalie génétique héréditaire transmissible, qui peut être suivi d'un ostéosarcome après radiothérapie. Des localisations encore plus exceptionnelles que le sacrum ont été décrites, l'atteinte du sphénoïde, les os de la voûte du crâne après une irradiation intra-cérébrale (14, 17, 24). Il souvent pour des tumeurs bénignes semblerait que la radiothérapie avec accélérateur linéaire présenterait moins de risques de survenue de sarcome radio-induit (26) mais le recul avec cette Le traitement de ces sarcomes radio-induits est difficile car ils sont radio-résistants et chimio-résistants. Seule une chirurgie de confort peut être proposée au patient; elle peut permettre de diminuer les douleurs mais elle n'est jamais curative. Chez notre malade, la chirurgie a permis une certaine autonomie, et d'éviter la prise d'antalgiques majeurs pendant une année. Malheureusement la durée de survie est courte, en moyenne d'un an dans la plupart des cas de la littérature, rarement au-delà de dix-huit mois sauf si l'exérèse osseuse a pu être complète, comme pour une côte, le sternum ou une omoplate. Par contre, pour le sacrum l'exérèse ne peut jamais être parfaite et notre patiente est décédée après dix-huit mois de survie. technique n'est peut-être pas encore suffisant. CONCLUSION L'ostéosarcome radio-induit bien que rare, apparaît comme une conséquence malheureuse de la radiothérapie. Cependant le risque est faible mais il serait plus important après irradiation de tumeurs osseuses bénignes. BIBLIOGRAPHIE _ 7 - GULA TI A.K. I-DAHLIN D.C., COVENTRY M.B. Osteogenic sarcoma. A study of six hundred cases. J Bone Joint Surg (Am), 49, 101-110, 1967. The effect of X-irradiation adult rat. J Neurol 2-DELOUCHE G., BRUNET M., GUERIN P., GEST J. 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