Guides à cristaux photoniques à fente en régime d’ondes lentes pour l’optique non-linéaire Charles CAËR, Xavier LE ROUX, Eric CASSAN Institut d’Electronique Fondamentale (IEF) Département de photonique Université Paris-Sud, CNRS UMR 8622 Bât. 220, Centre scientifique d’Orsay 91405 ORSAY – France Email : [email protected] Résumé Nous présentons un nouveau design de guides à cristaux photoniques à fente large en filière SOI basé sur une structuration de la fente. Ce type de dispositif permet d’atteindre de très faibles vitesses de groupe (inférieures à c/40) sur une bande passante de quelques nanomètres. Cela donne l’opportunité de réaliser des dispositifs ayant une très forte interaction lumière-matière. Par ailleurs, le remplissage de la fente par un matériau fortement non linéaire permet d’obtenir des effets optiques non linéaires très intenses grâce au très fort confinement optique dans la fente. Nous présenterons des résultats d’ingénierie de dispersion par méthodes d’onde plane (PWE) et de différences finies dans le domaine temporel (FDTD, puis des résultats expérimentaux sur la transmission des ces structures. 1. Introduction Les guides d’ondes à cristaux photoniques sont de prometteurs dispositifs pour le traitement tout optique de l’information et l’étude des interactions lumière-matière, grâce au régime d’ondes lentes [1-2]. Cependant, les pertes de propagation en régime d’ondes à faibles vitesses de groupe, principalement dues à la rétrodiffusion de la lumière en raison du désordre inhérent à la fabrication, et à la distorsion brutale du pulse générée par la très forte dispersion d²ω/dk², limitent la généralisation de ces guides, même si le problème a été partiellement résolu par l’ingénierie de dispersion du mode guidé. Cette ingénierie de dispersion consiste à modifier la géométrie du guide (rayons des trous, écartement de rangées de trous, …) afin d’ajuster la pente de la bande guidée. Le renforcement local du champ électrique est particulièrement bénéfique pour les interactions nonlinéaires. Des phénomènes exploitant la susceptibilité non-linéaire d’ordre χ(3) du silicium tels que l’automodulation de phase, la génération de troisième harmonique ou le mélange quatre ondes ont été démontrés [3]. Cependant, les phénomènes non-linéaires sont limités dans le silicium par les phénomènes d’absorption multiphotons ou de porteurs libres. Il est possible de s’affranchir de ces limitations par l’introduction d’une fente de taille sub-longueur d’onde qui permet de fortement confiner la lumière dans le matériau de bas indice, en raison de la très forte discontinuité du champ électrique à l’interface [4]. En remplissant la fente par des polymères fortement nonlinéaires, il est possible d’exacerber les phénomènes nonlinéaires d’ordre 2 et 3 [4]. Le régime d’ondes lentes pour des cristaux photoniques à fente apparaît alors très prometteur pour l’optique non-linéaire, car tirant profit de la très forte intensité résultant à la fois à de la compression spatiale du pulse et du confinement sub-longueur d’onde dans la fente [5]. Ce travail s’inscrit dans ce contexte et propose une méthode pour réaliser l’ingénierie de dispersion des guides à cristaux photoniques à fente. Une nouvelle méthode basée sur la structuration de la fente en peigne (fig. 1) permet d’obtenir un indice de groupe (ng=c/vg) constant sur quelques nanomètres et un très fort confinement dans la fente, là où elle se rétrécit. 2. Calcul de la courbe de dispersion L’ingénierie de dispersion de la structure se fait par la méthode d’onde plane. Il s’agit d’optimiser le diagramme de bande du cristal en modifiant les paramètres géométriques du cristal afin d’obtenir un indice de groupe Figure 1. Image au microscope électronique à balayage d’un guide à cristal photonique et à fente structurée 3. Analyse fréquentielle Figure 2. Schémas représentant la cellule utilisée pour le calcul par méthode d’ondes planes constant sur plusieurs nanomètres. Le diagramme de bande est calculé par le logiciel MPB. La méthode d’optimisation est présentée en détail dans la réf. [6]. La structure simulée représentée sur la figure 2 consiste en un cristal photonique en technologie SOI (silicium sur isolant). Le film de silicium a une épaisseur de 260nm et un indice de réfraction de 3,48. Il repose sur 2µm de silice enterrée d’un indice de 1,44 et est recouvert d’une couche de polymère d’un indice de 1,6 qui remplit à la fois les trous et la fente. Le paramètre de maille a vaut 400nm et le rayons des trous r vaut 120nm afin d’assurer une large bande interdite pour une polarisation TE. En travaillant à une largeur de fente donnée, les trois paramètres décrivant le peigne dy, dx et l offrent trois degrés de liberté pour obtenir l’indice de groupe désiré. Faire varier la position des trous adjacents à la fente ainsi que leurs rayons permet d’ajuster plus précisément la pente de la bande exploitée. Avec le jeu de paramètres suivants exprimés en fonction du paramètre de maille a: W1,25, W2=0,65√3a, W3=0,45√3a, Wslot=0,35a, dx=0,5a, dy=0,4a, l=0,75, r1=0,28a, r2=0,38a, on obtient un indice de groupe moyen de 45 sur une bande passante de 4,5nm [7]. Par ailleurs, il apparaît qu’à l’endroit où la fente se rétrécit, le confinement du champ est très fortement accru, comme l’on peut le voir sur la figure 4 d). L’analyse fréquentielle du cristal photonique optimisée se fait au moyen par la méthode des différences finies dans le domaine temporel (FDTD) au moyen du logiciel MEEP. Cette analyse est nécessaire afin d’étudier le couplage entre un guide réfractif d’accès et le cristal. Le calcul peut se faire en deux dimensions car seuls les modes situés sous la ligne de lumière sont exploités. L’indice du silicium est alors approximé par son indice effectif (neff~2,83). Le calcul en 2D représente un gain de temps très appréciable et permet de simuler le comportement d’un dispositif complet, la FDTD étant extrêmement consommatrice en ressources de calcul. Le dispositif est constitué de deux guides réfractifs monomodes d’entrée/sortie de 400nm de largeur, auxquels sont couplés des guides à fente servant d’accès au cristal photonique. La conversion de mode grâce à des tapers assurant une adaptation adiabatique entre le guide réfractif et le guide à fente. L’entrée dans le cristal photonique se fait grâce à deux régions de transitions qui servent d’interfaces entre les modes lents et modes rapides, afin de minimiser les pertes par réflexion. Ces transitions sont faites en étirant légèrement dans l’axe de propagation le paramètre de maille du cristal [8]. La longueur totale de la cellule est 177,5µm, le cristal photonique étant long de 88,7µm. La structure est excitée par une source gaussienne d’une largeur spectrale de 500nm centrée à 1550nm. Deux capteurs sont placés en entrée et en sortie du dispositif et possèdent tous deux une résolution spectrale de 50pm. La fenêtre temporelle est de 70ps, temps suffisamment long pour les composantes d’indice de groupe élevé aient le temps d’atteindre le capteur de sortie. Figure 4. Haut: indices de groupe calculés par méthode d’onde plane (rouge) et FDTD (bleu). Bas : spectre de transmission correspondant. Figure 3. a) Diagramme de bande du cristal photonique optimisé (courbe verte). b) Indice de groupe correspondant. c) Vue en coupe de l’intensité du champ électrique ε|E|² au point k=0.45. d) Carte d’intensité dans le plan z=0. Les paramètres du cristal photonique simulé donnent un indice de groupe de 45 sur une bande passante de 5nm calculé par méthode d’onde plane. Le calcul de l’indice de groupe en FDTD se fait par extraction des franges de Fabry-Perot en bord de bande (fig. 4). Cela permet de remonter à un indice de groupe de 35 sur une bande passante de 6nm [7]. La transmission en bord de bande à -12dB montre un assez faible niveau de pertes dans le cristal. La méthode FDTD permet donc de donner une bonne estimation qualitative du spectre de transmission et de manipuler les ondes lentes. 4. Fabrication et caractérisation L’échantillon a été fabriqué dans la centrale technologique de l’IEF (CTU-Minerve). Des wafers de SOITEC avec 260nm d’épaisseur de silicium et 2µm de silice enterrée ont été masqués par de la résine électrosensible ZEP-250. Les motifs ont été transférés par lithographie électronique 80kV puis gravés par ICP (Inductively Coupling Plasma) en utilisant du gaz SF6. Les faces latérales de la puce ont été clivées après nettoyage de la résine. Les dispositifs ont été caractérisés par un laser accordable à large spectre allant de 1390 à 1640nm. La lumière est ensuite filtrée par un contrôleur de polarisation afin d’obtenir des modes TE, avant d’être injecté dans la puce via une fibre monomode micro-lentillée à maintien de polarisation. Les entrées-sorties de l’échantillon sont des guides totalement gravés de 3µm convertis en guides de 400nm de large par des tapers de 0,8mm de long. Puis d’autres tapers assurent la transition vers les guides à fente avant de pénétrer dans les cristaux photoniques. En sortie, la lumière est collectée par un objectif de microscope puis envoyée à un analyseur de spectre. Toutes les mesures sont faites après dépôt d’une goutte de liquide d’indice de réfraction 1,46 afin de symétriser la structure. Le spectre de transmission représenté sur la figure 5 montre un bord de bande à 1488,5nm. L’extraction de l’indice de groupe donne un indice de groupe moyen d’environ 40 sur une bande passante de 3nm [7], ce qui démontre la possibilité de réaliser de l’ingénierie de dispersion des cristaux photoniques à fente structurée en peigne. Figure 5. a) Diagramme de bande du cristal photonique optimisé (courbe verte). b) Indice de groupe correspondant. c) Vue en coupe de l’intensité du champ électrique ε|E|² au point k=0.45. d) Carte d’intensité dans le plan z=0. 5. Conclusion Nous avons montré une méthode permettant de réaliser de l’ingénierie de dispersion des guides à cristaux photoniques à fente en structurant celle-ci sous forme de peigne. L’optimisation géométrique par méthode d’onde plane a permis d’obtenir un indice de groupe de 45 sur une bande passante de 4,5nm. La méthode FDTD nous a ensuite permis de valider l’ingénierie de dispersion, d’étudier le couplage avec des guides réfractifs et de comprendre la propagation de la lumière grâce au spectre de transmission. Figure 6. Représentation du montage expérimental Enfin, nous avons fabriqué et caractérisé des dispositifs qui nous ont permis d’obtenir expérimentalement un indice de groupe de 40 sur une bande passante de 3nm, ce qui constitue la première démonstration expérimentale d’ingénierie de dispersion d’un guide à cristal photonique et à fente. Ce type de dispositif ouvre des perspectives prometteuses en optique non-linéaire intégrée. Références [1] T. Baba, "Slow light in photonic crystals", Nature Photonics 12 (2008) pp 125-128. [2] T. F. Krauss, “Slow light in photonic crystal waveguides”, Journal of Phyics D: Applied Physics 40 (2007) pp 26662670. [3] C. Monat, B. Corcoran, D. Pudo, M. Ebnali-Heidari, C. Grillet, M. D. Pelusi, D. J. Moss, B. J. Eggleton, T. P. White, L. O’Faolain, T. F. Krauss, “Slow Light Enhanced Nonlinear Optics in Silicon Photonic Crystal Waveguides”, IEEE Journal of Selected Topics in Quantum Electronics 16 (2010) pp 344-356. [4] J. Leuthold, W. Freude, J.-M. Brosi, R. Baets, P. Dumon, I. Biaggio, M. L. Scimeca, F. Diederich, B. Frank, C. Koos, “Silicon Organic Hybrid Technology - A Platform for Practical Nonlinear Optics”, Proceedings of the IEEE 97 (2009) pp 1304-1316. [5] A. Di Falco, L. O’Faolain, T. F. Krauss, “Dispersion control and slow light in slotted photonic crystal waveguides”, Applied Physics Letters 92 (2008) pp 083501-1-3. [6] C. Caer, X. Le Roux, V. K. Do, D. Marris-Morini, N. Izard, L. Vivien, D. Gao, E. Cassan, “Dispersion Engineering of Wide Slot Photonic Crystal Waveguides by Bragg-like Corrugation of the Slot”, IEEE Photonics Technology Letters 23 (2011) pp 1298-1300. [7] C. Caer, X. Le Roux and E. Cassan, "Enhanced Localization of Light in Slow Light Slot Photonic Crystal Waveguides", à paraître. [8] J.-P. Hugonin, P. Lalanne, T. P. White, T. F. Krauss, “Coupling into slow-mode photonic crystal Waveguides”, Optics Letters 32 (2007) pp 2638-2640.