Bases neurophysiologiques de
l'électroencéphalographie clinique et
principales indications
[17-031-A-10]
Edouard Hirsch : Praticien hospitalier
Fédération de neurologie, Inserm U 398, Strasbourg. France
Bruno Maton : Chef de clinique-assistant
Clinique neurologique, hôpital cantonal universitaire, Genève. France
Daniel Kurtz : Professeur des Universités, praticien hospitalier, service d'exploitation
fonctionnelle du système nerveux et de la pathologie du sommeil
CHRU de Strasbourg, hôpital civil, 1, place de l'Hôpital, 67091 Strasbourg cedex France
Mécanismes cellulaires sous-tendant l'activité EEG
L'EEG est surtout le reflet des potentiels synaptiques des cellules pyramidales corticales.
Données morphologiques et fonctionnelles concernant les générateurs
corticaux
Le cortex cérébral chez l'homme est une couche de matière grise d'environ 3 mm d'épaisseur
constituée selon la nomenclature de Brodman de six couches numérotées de 1 à 6 de la
superficie vers la profondeur [101]. Le cortex est constitué de deux grandes catégories de
neurones : les neurones épineux (cellules pyramidales, cellules étoilées) sont excitateurs, leur
neurotransmetteur est le glutamate ; les neurones non épineux, morphologiquement très
hétérogènes, sont inhibiteurs, leur neurotransmetteur est l'acide gamma aminobutyrique
(GABA).
Neurones épineux
Ces cellules sont les seules à être orientées de façon uniforme, parallèlement les unes aux
autres. Leurs dendrites sont perpendiculaires à la surface du cortex et sont suffisamment
importantes pour constituer un dipôle. Cette disposition explique leur part primordiale dans la
genèse de l'activité EEG. Les neurones épineux constituent l'essentiel du système de
projection du cortex vers d'autres régions corticales et la moelle. Ils sont munis de collatérales
récurrentes qui se projettent localement et jouent un rôle important dans les phénomènes de
synchronisation de l'activité électrique corticale. Parmi les neurones épineux on distingue :
Les cellules pyramidales (fig. 1) sont présentes dans toutes les couches du cortex,
excepté la couche 1 et la partie profonde de la couche 6. Elles tirent leur nom de leur
morphologie en cône dont le sommet est pointé vers la surface corticale. Au niveau du
cortex moteur primaire, se localisent les cellules pyramidales géantes décrites par
Betz. Les cellules pyramidales quelle que soit leur taille présentent une distribution
caractéristique de leurs branches dendritiques, une dendrite apicale naissant de leur
sommet et arborisant le plus souvent dans la couche 1.
Les cellules étoilées épineuses sont particulièrement abondantes dans la couche 4 des
cortex sensoriels et reçoivent des afférences thalamiques spécifiques.
Neurones non épineux (fig. 1)
Ils sont de plusieurs types morphologiques ; ils partagent les caractéristiques suivantes : ce
sont des cellules de petite taille, souvent multipolaires, leurs dendrites n'ont pas ou peu
d'épines, leurs axones arborisent le plus souvent localement, formant des plexus péri- ou
juxtasomatiques. Les deux groupes les plus répandus sont d'une part les cellules à double
arborisation et leurs variantes (cellules bipolaires, cellules " double bouquet ", cellules " en
chandelier ", cellules " en panier ") et d'autre part les cellules neurogliaformes (ou cellules "
en toile d'araignée "), beaucoup moins nombreuses. Chacun de ces sous-types
morphologiques a des projections à prédominance locale plus ou moins spécifiques.
Du point de vue fonctionnel les grandes cellules pyramidales de la couche 5 se projettent vers
la moelle épinière et le tronc cérébral alors que les cellules plus petites des couches 2 et 3 se
projettent vers les autres régions corticales. Elles reçoivent des terminaisons inhibitrices à
raison d'environ 50 à 100 contacts par corps cellulaire en provenance des cellules non
épineuses. Les influx majeurs arrivant au cortex sensitif primaire viennent, soit par des
afférences spécifiques en provenance des noyaux spécifiques du thalamus et distribuées de
façon prédominante au niveau de la couche 4, soit par des afférences non spécifiques prenant
leur origine au niveau de la formation réticulaire du tronc cérébral et des noyaux thalamiques
non spécifiques.
Au total, le néocortex est organisé en un grand nombre de colonnes radiaires allant de la
superficie vers la substance blanche et permettant d'intégrer les informations par étapes
successives [46]. Les phénomènes d'excitation sont prédominants au niveau des dendrites,
près de la surface corticale alors qu'une inhibition prédomine au niveau des corps cellulaires à
un niveau plus profond [69].
Parmi les différentes activités bioélectriques, les potentiels postsynaptiques
sont responsables de l'essentiel de l'activité EEG
L'activité EEG correspond essentiellement à l'activité postsynaptique des neurones corticaux
[31, 80].
Données des enregistrements intracellulaires
Enregistrements intracellulaires au niveau neuronal
Quand une microélectrode traverse la membrane d'un neurone, un potentiel de membrane
(PM) d'environ 70 m V négatif sur le versant intracellulaire, est enregistré. Ce potentiel de
repos membranaire, présent au niveau du soma et de tous les prolongements, est
essentiellement basé sur un courant de sortie potassique à travers un canal perméable. Une
diminution du potentiel de repos membranaire au-delà d'un seuil déclenche un potentiel
d'action résultant d'un courant d'entrée sodique et de sortie potassique à travers des canaux
voltage-dépendants. Les potentiels d'action sont conduits le long des axones jusqu'à leurs
terminaisons où ils entraînent la libération d'un neurotransmetteur assurant l'ouverture d'une
autre classe de canaux au niveau de la membrane postsynaptique [69].
En fonction de la composition ionique du courant traversant le canal transmetteur, deux types
de modifications du PM appelés communément potentiels postsynaptiques sont induits au
niveau du neurone postsynaptique. Un courant d'entrée sodique prévalant génère une
dépolarisation du neurone postsynaptique appelée potentiel postsynaptique excitateur (PPSE)
car elle augmente la probabilité qu'un potentiel d'action soit déclenché. En revanche un
courant de sortie potassique ou un courant d'entrée chlore induit une hyperpolarisation du
neurone postsynaptique qui élève le seuil de déclenchement du potentiel d'action d'où la
dénomination potentiel postsynaptique inhibiteur (PPSI).
Au niveau glial
Les cellules gliales constituent avec les neurones un réseau fonctionnel. Elles possèdent un
potentiel de membrane mais contrairement aux neurones elles ne génèrent pas de potentiel
d'action ni de potentiel postsynaptique. Leur potentiel de membrane au repos est uniquement
basé sur un courant potassique [57]. Quand sous l'effet de l'activité des neurones le potassium
extracellulaire augmente ou diminue de façon significative, les cellules gliales vont
respectivement se dépolariser ou se repolariser. De ce fait par l'intermédiaire des
concentrations de potassium extracellulaire cellules gliales et neurones sont liés
fonctionnellement [90]. Ainsi les cellules gliales joueraient un rôle d'amplificateur dans la
genèse des potentiels de champ [91].
Données des enregistrements extracellulaires
Le fonctionnement des cellules nerveuses a pour conséquence l'apparition de courants
ioniques locaux au niveau des espaces extracellulaires. Ces courants enregistrés à distance des
générateurs sont appelés potentiels de champ et contribuent au signal EEG recueilli à la
surface du scalp [22]. En effet, les cellules pyramidales du cortex peuvent être représentées
comme des structures allongées comprenant d'une part le soma et d'autre part les dendrites
apicaux. Au repos, la cellule est polarisée de façon uniforme. Une dépolarisation d'une portion
limitée des dendrites sous l'effet d'une stimulation excitatrice (PPSE) entraîne un courant
ionique entre le soma polarisé normalement et le dendrite apical dépolarisé. Le site associé à
la sortie du courant ionique est appelé la source et correspond dans la figure 2 au soma, celui
associé à son entrée dénommé gouffre ou puits est représenté par le dendrite apical (fig. 2).
Les polarités sont inversées en cas de courant hyperpolarisant (PPSI). Toutefois les potentiels
d'action n'induisent que des potentiels de champ très localisés sans traduction évidente au
niveau de la surface [47]. En revanche les potentiels postsynaptiques ont une part
prépondérante dans la genèse de l'EEG. Elle résulte de l'orientation parallèle des dendrites des
cellules pyramidales qui permet aux potentiels synaptiques générés à ce niveau de
s'additionner (les courants locaux venant de dipôles orientés parallèlement s'ajoutent alors
qu'ils s'annulent quand ils correspondent à des dipôles orientés sans ordre). Le champ
électrique induit par un dipôle dans un volume de conduction peut être représenté par des
lignes d'isopotentiels et d'isocourants elliptiques (fig. 3).
Pour interpréter la polarité du potentiel extracellulaire, il est important de considérer la
position de l'électrode par rapport aux courants d'entrée et de sortie. Quand l'électrode
extracellulaire est située à proximité du courant d'entrée (puits) un potentiel négatif est
enregistré alors qu'à proximité du courant de sortie (source), on enregistre un potentiel positif.
Les enregistrements intracellulaires sont de signe inverse (fig. 4).
L'interprétation des activités synaptiques à partir des enregistrements de surface est ambiguë.
Un phénomène négatif en surface représenté par convention en EEG par une déflexion vers le
haut peut correspondre aussi bien à une dépolarisation (PPSE) au niveau des dendrites
apicaux qu'à une hyperpolarisation (PPSI) du soma. A l'opposé une PPSE limitée au soma est
à l'origine d'une déflexion positive [69] (fig. 5).
Application du modèle dipolaire : cartographie des sources de potentiels
Les progrès réalisés grâce à la numérisation du signal EEG ont permis la réalisation de
nouvelles techniques topographiques appelées cartographie cérébrale des sources de potentiels
[59, 86]. Connaissant la répartition des charges électriques à l'intérieur du cerveau, il est
possible de calculer la distribution des potentiels à la surface du scalp. Ce problème dit
problème direct n'admet qu'une seule solution. Le problème inverse correspond à
l'enregistrement en surface d'une activité dont la source est inconnue. Des modèles
mathématiques permettent d'émettre une hypothèse sur la localisation et l'orientation de la
source assimilées à un dipôle. Chaque dipôle est caractérisé par trois paramètres de
localisation spatiale et trois paramètres définissant un vecteur (sens, direction et amplitude).
Le problème inverse peut théoriquement admettre un nombre important de solutions. Pour une
distribution topographique donnée des potentiels en surface, il existe plusieurs distributions
possibles des générateurs intracérébraux susceptibles de l'expliquer. La place exacte de la
cartographie de source en pratique clinique reste préciser. Des résultats prometteurs ont été
obtenus pour l'analyse des sources des potentiels évoqués multisensoriels et des activités
transitoires " épileptiques " critiques et intercritiques [29, 30, 85].
Le modèle dipolaire est imparfait. Ce modèle théorique ne prend pas en compte la géométrie
complexe de la tête et du cerveau ni les différences cytoarchitecturales existant entre les
différentes couches du cortex. Ainsi à différents niveaux de profondeur, l'activité diffère
considérablement par sa fréquence, son amplitude et sa polarité [76]. Ce modèle ne permet
pas de différencier les types cellulaires et leurs fonctions parfois différentes dans une région
corticale donnée. Enfin, les événements synaptiques ne constituent qu'approximativement un
dipôle. Ainsi le modèle dipolaire a une valeur d'illustration, mais ne peut être considéré de
façon quantitative [74].
Génération des ondes EEG
Dans le cas de l'EEG, les électrodes sont situées à distance des générateurs corticaux. Compte
tenu de l'amplitude limitée du signal intracortical, une activité décelable en surface suppose
l'activation simultanée d'un grand nombre de neurones. Ainsi l'EEG représente l'addition des
courants locaux associés aux PPSI et PPSE d'une large population de neurones. Une
synchronisation correspond à la survenue d'oscillations de grande amplitude et de basse
fréquence sur l'EEG, une désynchronisation à son remplacement par une activité rapide de
faible voltage, tel le blocage des fuseaux et des ondes lentes lors d'un réveil en sommeil lent
ou lors du passage du sommeil lent au sommeil paradoxal (SP). Les corrélations entre ondes
EEG non rythmiques et activités unitaires des neurones restent incertaines [23, 50]. Par contre
les activités EEG synchrones telles que les potentiels évoqués, les fuseaux de sommeil et les
décharges " épileptiformes " sont en bonne corrélation avec les potentiels postsynaptiques
[74] et des progrès ont été réalisés dans la compréhension des mécanismes en cause.
Propriétés oscillatoires des neurones isolés
Les propriétés oscillatoires intrinsèques de certains neurones ont été étudiées [96]. Certains
neurones isolés gardent la propriété d'osciller in vitro (neurones pacemaker). D'autres types de
neurones grâce à leurs conductances ioniques, peuvent être conduits artificiellement à un état
d'oscillation. Ces neurones peuvent être à l'origine d'oscillations entre 1 et 20 c/s [95, 96].
Propriétés oscillatoires des réseaux de neurones
Ces propriétés peuvent être interprétées comme le résultat de l'influence mutuelle de neurones
intégrés dans un réseau [96, 109]. C'est le cas des fuseaux de sommeil qui pour être générés
nécessitent l'intégrité d'une boucle thalamocorticale, les cellules thalamiques jouant un rôle de
pacemaker [94, 97]. Le rôle essentiel des afférences en provenance de structures sous-
corticales dans la synchronisation de l'activité EEG est schématisé dans la figure 5. Les fibres
thalamocorticales activent simultanément des milliers de neurones corticaux. Ces afférences
thalamiques spécifiques entraînent d'abord un PPSE au niveau de la région proximale du
dendrite des cellules pyramidales et celui-ci est à l'origine d'une onde positive au niveau de la
surface corticale. Elles excitent d'autre part les cellules en étoile de la couche 4, qui à leur tour
induisent une dépolarisation des cellules pyramidales y compris les dendrites apicaux à
l'origine d'une onde de surface négative qui suit la première. Cette alternance crée
l'oscillation.
Théorie du chaos
Certains auteurs font état de la théorie du chaos et tentent d'appliquer les lois de la dynamique
non linéaire pour expliquer l'irrégularité des oscillations EEG. Ils concurrencent ainsi l'idée
classique que toute activité EEG peut être expliquée, interprétée et analysée [8, 65]. Les
résultats obtenus encore trop fragmentaires et sujets à des controverses méthodologiques et
théoriques ne permettent pas à l'heure actuelle de tracer une nouvelle interprétation de
l'activité EEG [6, 35].
Quoi qu'il en soit dans l'état des connaissances actuelles, l'activité EEG semble correspondre à
des variations de potentiel résultant de la sommation algébrique des courants ioniques
produits dans l'espace extracellulaire par l'activité des neurones corticaux principalement les
cellules pyramidales. Cette activité corticale est fortement modulée par l'activité des neurones
des structures sous-corticales.
Données concernant les principales oscillations
physiologiques lors de la veille et du sommeil
L'enregistrement de l'activité EEG constitue un biorythme influencé par l'environnement
externe et interne du sujet qui varie au cours du nycthémère et se modifie en fonction de l'âge.
Les ondes cérébrales enregistrées sont caractérisées par leur fréquence, leur amplitude, leur
morphologie, leur stabilité, leur topographie, leur réactivité. Elles sont classées en fonction de
leur bande de fréquence en :
activité delta : fréquence inférieure à 3,5 Hz ;
activité thêta : fréquence comprise entre 4 et 7,5 Hz ;
activité alpha : fréquence comprise entre 8 et 13 Hz ;
activité bêta : fréquence supérieure 13 Hz.
Ces activités prennent le nom de rythme lorsqu'elles sont développées sur le scalp avec une
périodicité et une amplitude à peu près constantes. Chez l'adulte sain éveillé, l'activité EEG
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