la psychologie morale des parents dans leur décision de pratiquer

LA PSYCHOLOGIE MORALE DES PARENTS
DANS LEUR DÉCISION DE PRATIQUER LA
GARDE CONJOINTE DES ENFANTS APRÈS LA
SÉPARATION
Claudine Delmotte
Psychologue et conseillère d’orientation
RÉSUMÉ
La décision de pratiquer une garde conjointe des enfants après le
divorce ou la séparation est une avenue de plus en plus préconisée en
ce qui concerne "l'intérêt supérieur" de l'enfant, et les politiques, tant
fédérale que provinciale, se guident sur des principes de collaboration
des parents. Du principe à l'application, nous avons besoin de moyens
plus avancés pour comprendre les raisons des conflits parentaux, les
motifs de décision propres aux pères et aux mères et pour trouver des
terrains d'entente fondés sur des principes durables. La psychologie
morale, alliant les dimensions identitaires et éthiques de la
psychologie, est une avenue prometteuse pour la compréhension des
décisions des parents et l'intervention dans les domaines psychologique
et social.
La problématique de la garde conjointe réside dans le choix de partager les
responsabilités éducatives par les parents qui, comme conjoints, peuvent vivre de
hauts taux de conflit. Ce paradoxe pose dans la pratique un certain nombre de
dilemmes dans les arrangements qui impliquent les enfants. Le partage des biens
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ne pose que des problèmes mathématiques et de droit sans commune mesure avec
les dilemmes posés par le devenir des enfants, alors que la dimension éthique
intervient dans la détermination de l'agir le plus susceptible de respecter les
personnes aux prises avec un conflit qui ne peut éviter les blessures à l'une ou
l'autre. Qu'est-ce qui guide cette détermination? Peut-on concevoir une éthique
qui permettrait de voir clair dans les enjeux relationnels des conflits et qui
donnerait des guides pour les surmonter et résoudre les dilemmes d'une manière
pacifique?
Les écrits de ce genre sont rares. Aucun document, parmi tous ceux que nous
avons consultés, ne reconnaît, pour la résolution des dilemmes posés par la
décision quant au partage des responsabilités parentales, de valeur légitime et
décisionnelle:
au fait de se fier aux émotions observées et ressenties;
à la complexité d'une évaluation psychologique de la quantité
de souffrance vécue et prévisible chez les uns et les autres
protagonistes;
à la considération des circonstances particulières dans un
processus de décision éthique.
Ces dimensions sont relevées par une théorie psychologique morale récente, celle
de Carol Gilligan, exposée dans son volume In a different voice, publié en 1982,
et traduit en français en 1986, sous le titre Une si grande différence. Cette
avenue nouvelle a suscité chez plusieurs, et notamment chez les femmes, la
satisfaction de voir reconnues des expériences vécues mais qui n'avaient pas de
place pour être admises au même titre que le raisonnement moral traditionnel.
Cependant, même si la voie ouverte par Gilligan représente une source de
revalorisation de l'expérience féminine, celle-ci peut être aussi profitable à la
mise en valeur de l'expérience des hommes par sa contestation de l'universalisme
neutre de la morale traditionnelle.
Comment définir la garde conjointe? La garde conjointe réfère pour nous au
partage de la responsabilité parentale quant à l'éducation de l'enfant ou des
enfants, en même temps qu'au partage du temps vécu de l'enfant, sur une base
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approximative allant du mi-temps à la répartition deux-tiers/un-tiers comme le
mentionne Guilmaine (1991). C'est une base de calcul qui fait un certain
consensus chez les auteurs (Guilmaine, 1991) depuis que Roman et Haddad
(1978) ont proposé la notion de garde conjointe physique pour désigner le
partage du temps vécu dans le contexte légal américain.
Un concept très important s'associe à celui de garde conjointe. C'est celui de
coparentalité. Galper (1979, p.20) définit ainsi cette notion: “La coparentalité est
en fait un mode de vie où les parents, conscients d'être tous deux impliqués
auprès de leur enfant, respectent la relation particulière qu'il peut avoir avec
chacun d'eux”. Teresa Sherif, une chercheuse québécoise (1979, p.38),
mentionne qu'il s'agit d'un « accord entre les deux parents pour continuer à
prendre les décisions concernant l'éducation des enfants, à collaborer dans la
réponse à donner à leurs besoins ».
LA GARDE CONJOINTE DES ENFANTS APRÈS LA SÉPARATION OU
LE DIVORCE
Historiquement, la garde était confiée au père au XIXè siècle parce qu'il était le
pater familias et qu'il assurait la subsistance de ses dépendants. Par la suite, sous
l'impact des théories psychanalytiques, on a accordé beaucoup de considération
au lien précoce mère-enfant, et la théorie dite « des tendres années » a prévalu: la
priorité était accordée à ce lien. De nos jours, la garde peut être conjointe et
donner lieu à un arrangement quant au devenir des enfants dans la réorganisation
familiale. Elle peut prendre des nombreuses formes, mais surtout elle est unique
à chaque situation. Accordée aujourd'hui dans plus du quart des cas, elle pose
certains problèmes. Ce qui nous a mis la puce à l'oreille est la récurrence, dans le
discours des parents, de sous-entendus qui laissent croire qu'au-delà de la
convenance, et malgré le bien-être que peut apporter aux enfants cette formule, il
y aurait une certaine quantité de sacrifices à payer pour y arriver.
L'intérêt de la perspective de psychologie morale est qu'elle permet de considérer
équitablement deux individus, sans qu'une personne soit considérée comme
déficitaire, comme moins bonne que l'autre. Elle est une personne aux prises
avec un dilemme et cherchant à le résoudre au mieux ou au moins pire. Ce
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regard est lui-même porteur d'une éthique de sollicitude, et manifeste à sa façon
l'approche présentée. Nous décrirons dans un premier temps tout ce qui constitue
le contexte de la décision et de la pratique de la garde conjointe des enfants, puis
ce qu'il est considéré "normal" de faire, si l'on se fie aux écrits, lorsqu'on choisit
de pratiquer une garde conjointe. Il y a un certain nombre de représentations
sociales qui guident ces agirs et qui doivent être élucidées pour qu'une optique
nouvelle montre ce qu'il peut en advenir.
Tout d'abord, être à l'origine de la séparation ou du divorce et, donc, de la
nécessité de prendre une décision quant à la garde des enfants, est un phénomène
chargé d'émotions. Moment important à mettre en lumière, c'est une première
source d'informations concernant les raisons de demander une garde conjointe et
aussi les raisons de la poursuivre. Un parent quitte l'autre le plus souvent: rares
sont les cas où les deux parents se quittent en étant d'accord pour dire que c'est la
fin de leur union; sentiment de fin, malaise à l'exprimer, décision de séparation,
la rupture n'est pas vécue de la même façon selon ce que l'un et l'autre ont vu
venir. Cependant, en règle générale, l'un des deux est quitté, n'a pas pris la
décision. Aussi banals que sont ces constats, ils font une différence considérable
dans l'équilibre des forces psychologiques des parties en présence et de la famille
comme telle. Quel en est l'impact sur la décision d'exercer une garde conjointe?
Bien entendu, il peut être considérable si un parent, celui qui n'a pas initié la
rupture, veut, par le va-et-vient régulier des enfants, maintenir un lien entre les
parents. Un parent peut vouloir tenter d'atténuer la douleur de la séparation
causée à l'autre en lui offrant la consolation de maintenir un lien à mi-temps avec
les enfants et une certaine continuité de vie avec eux. Un parent peut chercher à
atténuer son sentiment de culpabilité en se montrant conciliant sur la garde ou sur
le partage des biens. Un parent peut encore chercher à réparer la blessure causée
aux enfants par sa décision de rupture. Un parent peut aussi sentir qu'il risque de
perdre complètement la garde s'il n'en concède pas la moitié à l'autre, ce qui peut
arriver quand l'un et l'autre parents sont reconnus « aptes », mais que l'un d'eux
est réticent au partage. Pourtant, quelles qu'en soient les raisons les plus intimes,
certains parents décident, en dépit de ce qui les a séparés comme conjoints, de se
partager équitablement la présence des enfants.
Les enfants aussi divorcent... À la question de la garde parentale des enfants,
quelles sont les diverses solutions possibles? envisageables? Est-ce qu'un des
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deux parents va garder les enfants de façon permanente et l'autre de façon
intermittente? Au-delà des prescriptions légales et de la volonté parentale de
continuer à assurer l'éducation de l'enfant, il faut établir de quelle façon cela va se
faire. Or, depuis quelques années, une quinzaine d'années environ, la façon
d'assurer la continuité de l'éducation de l'enfant connaît des développements.
Ainsi, selon Cloutier, Careau et Drolet (1988, p. 1), « le maintien de la relation
parent-enfant, et le partage des responsabilités entre le père et la mère concernant
l'enfant (coparentalité) constituent les tendances d'une nouvelle évolution ». Y a-
t-il accord ou controverse sur la garde? Qu'est-ce qui fait pencher la décision vers
une solution ou une autre? A quoi répond la nécessité de prendre une décision?
La question de la garde des enfants est source de souffrance, dans un contexte
déjà chargé émotivement. En effet, quand la rupture se matérialise en séparation
physique, que le conflit conjugal ait été latent ou manifeste, la réalité frappe: il
faut que les enfants "appartiennent" à quelqu'un, se rattachent à quelqu'un, se
réclament de quelqu'un. Le premier jour de la matérialisation de la séparation
apparaît la question de la résidence des enfants: où vont-ils demeurer? Arriver à
des arrangements au sujet de la garde des enfants est l'une des tâches les plus
stressantes de la séparation qui est elle-même, selon Holmes et Rahe (1967) au
deuxième rang des événements les plus stressants de la vie. On sait que certaines
séparations sont bénéfiques et mettent un terme à des relations très distendues,
problématiques, violentes. Elles sont malgré tout rarement exemptes de perte, de
deuil, notamment pour les enfants, et ce même s'ils étaient immergés dans un
climat familial intolérable. Chacun des protagonistes peut y trouver des
avantages certains et fait pourtant face à des renoncements déchirants. Il y a
moyen d'assurer quand même en commun la réponse aux besoins de l'enfant,
exposent les écrits les plus récents sur la garde des enfants, et disent les parents.
Bien entendu, admettent-ils aussi, il y a un prix...
Weiss (1977) a décrit les différents champs qui font l'objet d'une réorganisation
autour de la séparation. Ils représentent les tâches développementales des futurs
ex-conjoints. Il peut être intéressant de situer de façon concrète, parmi ces
changements, ceux qui sont spécifiquement impliqués dans une pratique de garde
conjointe. Un des premiers domaines où s'opère un changement marqué est celui
de la situation économique des parents. Un nouvel équilibre financier se
redessine. La Loi sur le partage du patrimoine et le Règlement sur la fixation des
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