Note concernant la période transitoire entre le 11 mars 2012 et l’entrée en vigueur de la loi ou de l’ordonnance d’application ______________________________________________________________________ La Constitution est modifiée comme suit: Art. 75b (nouveau) Résidences secondaires 1 Les résidences secondaires constituent au maximum 20 % du parc des logements et de la surface brute au sol habitable de chaque commune. 2 La loi oblige les communes à publier chaque année leur plan de quotas de résidences principales et l’état détaillé de son exécution. Art. 197, ch. 8 (nouveau) 8. Dispositions transitoires ad art. 75b (Résidences secondaires) 1 Le Conseil fédéral édicte par voie d’ordonnance les dispositions d’exécution nécessaires sur la construction, la vente et l’enregistrement au registre foncier si la législation correspondante n’est pas entrée en vigueur deux ans après l’acceptation de l’art. 75b par le peuple et les cantons. 2 Les permis de construire des résidences secondaires qui auront été délivrés entre le 1er janvier de l’année qui suivra l’acceptation de l’art. 75b par le peuple et les cantons et la date d’entrée en vigueur de ses dispositions d’exécution seront nuls. 1. Entrée en vigueur et applicabilité L’article 195 de la Constitution a la teneur suivante : La Constitution révisée totalement ou partiellement entre en vigueur dès que le peuple et les cantons l’ont acceptée. Dès lors, les dispositions constitutionnelles entrent en principe en vigueur dès leur acceptation par le peuple et les cantons. La volonté du souverain doit ainsi être respectée et ne dépend pas d'acte formel du parlement ou de l'exécutif.1 Dans certains cas, il s’avère toutefois opportun de prévoir spécifiquement la date d'entrée en vigueur d'une norme ou de déléguer cette compétence au Parlement.2 1 Thomas Gächter, Staatsrecht, 2011, p. 310 § 114 ; Daniel Früner/Jean-François Aubert/Jörg Paul Müller, Verfassungsrecht der Schweiz/Droit constitutionnel Suisse, 2001, p. 1259, § 72 s. ; Yvo Hangartner et Andreas Kley, Die demokratischen Rechte in Bund und Kantonen der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 2000, p. 314 s. § 768. 2 Thomas Gächter, Staatsrecht, 2011, p. 310 § 115 ; Yvo Hangartner et Andreas Kley, Die demokratische Rechte in Bund und Kantonen der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 2000, p. 314 s. § 768 ; Giovanni Biaggini, Kommentar: Bundesverfassung der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 2007, p. 874 s. . 1 L’art. 195 Cst n'exclut donc pas qu’une nouvelle norme constitutionnelle, se situant ainsi au même niveau normatif, prévoie une règle d’entrée en vigueur y dérogeant. Cette possibilité est d’ailleurs expressément prévue à l'article 15 al. 3 LDP (Loi sur les droits politiques) qui dispose : « Les modifications de la Constitution entrent en vigueur dès leur acceptation par le peuple et les cantons, à moins que le projet n’en dispose autrement ». Par ailleurs, la doctrine admet que, si la nouvelle norme constitutionnelle est suffisamment précise et qu’elle s’adresse à des personnes privées, elle peut être appliquée directement, sans attendre une législation d'application, mais que si tel n'est pas le cas, une législation d'application est nécessaire.3 Si une disposition constitutionnelle n’est pas applicable directement et nécessite une concrétisation dans une loi d’application, elle ne produit pas encore d’effets malgré son entrée en vigueur.4 Il faut dès lors distinguer la notion d'entrée en vigueur de celle d'applicabilité d'une norme. Une disposition constitutionnelle n'est directement applicable que si elle est suffisamment précise pour être appliquée immédiatement sans qu'une législation d'exécution soit nécessaire.5 Il s'agira dès lors de déterminer pour chaque disposition constitutionnelle si la norme est applicable sans autre ou si elle ne s'adresse qu'au législateur.6 Pour éviter que la disposition constitutionnelle entrée en vigueur reste lettre morte faute de dispositions d'application les auteurs de l’initiative ont donné au Conseil fédéral la compétence, dès le 11 mars 2014, de légiférer par voie d'ordonnance. Les initiants ont donc clairement exprimé par là le fait que la norme ne pouvait être directement applicable sans législation d’application. 2. La densité normative Cette problématique renvoie au concept de densité normative à laquelle doit répondre une norme pour être considérée comme directement applicable. Pour qu’une norme soit suffisamment « dense », elle doit répondre à une des exigences essentielles du droit: sa prévisibilité. La norme doit définir à quelles conditions elle s'applique et quelles conséquences juridiques elle déploie. Elle doit avoir un contenu suffisamment clair pour que son application puisse être prévisible et que l'égalité de traitement soit garantie. La 3 Dieter Baumann, DieSchweizerische Bundesverfassung Kommentar, 2008 (Ed. Bernhard Ehrenzelle, Phillippe Mastronardi, Rainer J. Schweizer, Klaus A. Vallender), p. 2886; Pierre Moor, Droit administratif I, 1994, p. 338 s. . 4 Dieter Baumann, Die Schweizerische Bundesvefassung, Kommentar, 2008, p. 2883. 5 Voir l’article d’Alex Dépraz paru dans le Temps du 27 mars 2012. 6 Yvo Hangartner et Andreas Kley, Die demokratischen Rechte in Bund und Kantonen der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 2000, p. 658 s.. 2 règle doit être généralement accessible et suffisamment précise pour qu'il soit possible d'y adapter son comportement. 7 Robert Baumann8 considère aussi que pour déterminer si une norme constitutionnelle peut être considérée comme directement applicable par les autorités judiciaires, il faut se baser sur sa prévisibilité. Une norme constitutionnelle n’est pas directement applicable si elle n’est pas suffisamment définie. Il s’agit alors d’un mandat au législateur pour légiférer. La loi d’application doit concrétiser le sens de la norme constitutionnelle. Il n'appartient pas aux autorités d'application de légiférer en vertu du principe clair de la séparation des pouvoirs. Quelle est la densité normative dans le cas d'espèce ? La nouvelle norme constitutionnelle est-elle assez précise pour que les autorités l'appliquent directement ? En l’espèce, la norme comprend plusieurs notions indéterminées. Qu’est-ce qu’une résidence secondaire, comment se calcule le 20 % ? Si chaque autorité est habilitée à déterminer ce qu'est une résidence secondaire ou peut établir ses propres critères statistiques, il y a un risque de traitement différencié selon la politique cantonale. Le but de la norme constitutionnelle n'est pas de laisser une marge d'appréciation à chaque autorité d'application. Il s'agit de respecter l'égalité de traitement au niveau fédéral, cette norme ayant une portée nationale. La Fondation Helvetia Nostra de Franz Weber l’admet elle-même : la définition des résidences secondaires sera définie par le Parlement. Elle est d’ailleurs revenue, par l’intermédiaire de son avocat et de la presse, sur sa propre définition de la notion de résidence secondaire. Cela démontre bien que la norme ne peut être applicable, la notion centrale du texte n’étant pas définie. Cela rejoint le message du Conseil fédéral concernant cette initiative (FF 2008 7899). De même, le mode de calcul des 20 % n’est pas connu, ce qui ne permet pas de savoir avec certitude quelles sont les communes visées. Il est dès lors clair que cette norme constitutionnelle nécessite, pour qu’elle soit applicable, une mise en œuvre au niveau législatif. 3. L’effet anticipé Il s'agit ensuite d’examiner la question de l'effet anticipé de la norme qui sera adoptée, en l’espèce la loi ou l’ordonnance d’application. En principe, un projet de norme ne peut déployer d'effets juridiques avant son entrée en vigueur. L’application du droit en vigueur peut toutefois être suspendu afin d’éviter que les propriétaires profitent des facultés qui leur sont actuellement offertes et que la révision pourrait leur enlever. C'est une manière de détourner la loi qui n'est pas encore loi.9 La faculté de ne pas appliquer 7 Pierre Moor, Droit administratif, volume 1, 1994, p. 338 ss. Robert Baumann, Die Umsetzung völkerrechtswidriger Volksinitativen, ZBI 111/2010 p. 259 s. . 9 Pierre Moor, Le droit administratif, volume 1, 1994, p. 180 ss. 8 3 une règle en attendant sa modification est une atteinte sérieuse à la sécurité juridique et doit dès lors être prévue dans la loi. On ne peut appliquer du droit qui n’est pas en vigueur sans violer le principe de légalité.10 En l'espèce l'effet anticipé est clairement défini par le nouvel article 197 al. 2 Cst en ce qui concerne les permis de construire. La nouvelle norme s’appliquera à partir du 1er janvier 2013. Le citoyen était légitimé à se baser sur la règle claire de cette disposition qui ne peut être comprise que dans le sens qu'à contrario un permis de construire délivré avant le 1er janvier 2013 est valable. Sans compter que l’application immédiate décrétée par Doris Leuthard ne pourrait avoir d’effet que si la notion de résidence secondaire était définie et que si les communes concernées étaient connues avec certitude. Or, seul le législateur a la compétence de définir les résidences secondaires et de déterminer le mode de calcul des 20 %. Dans tous les cas, l’absence d’une décision d’une autorité saisie d’une demande de permis de construire représenterait, à mon sens, un déni de justice.11 4. L’inapplicabilité aux immeubles existants Pour les opérations concernant les immeubles existants (changement d’affectation de résidence principale en résidence secondaire, ventes de résidences principales ou secondaires à des personnes qui en feront leur résidence secondaire), elles ne sont pas visées par l’initiative. Aucun des documents pertinents pour la formation de la volonté populaire ne mentionnait le principe d’une interdiction de changement d’affectation et/ou d’une interdiction de revente des résidences principales et/ ou secondaires existantes ; au contraire, les déclarations des initiants, le Message du Conseil fédéral, et le matériel de vote (Explications du Conseil fédéral) permettaient clairement de tirer la conclusion que seule la construction de nouvelles résidences secondaires serait limitée à l’avenir. Si la norme devait être interprétée différemment la question de l’expropriation matérielle des propriétaires touchés se poserait. 5. L’ordonnance envisagée pour le mois de septembre 2012 Le nouvel article 197 ch. 8 al. 2 Cst interdit clairement au Conseil fédéral d’adopter une ordonnance d’exécution avant le 11 mars 2014. Elle violerait la volonté populaire, ainsi que les principes de séparation des pouvoirs et de légalité. 10 11 Blaise Knapp, Précis de droit administratif, 1991, p. 119, § 565. Blaise Knapp, Précis de droit administratif, 1991, p. 119, § 565. 4 Le système adopté par l’art. 197 ch. 8 Cst est inapplicable. En effet, dès le 1er janvier 2013 les permis de construire des résidences secondaires ne pourront plus être délivrés. Or, la même disposition donne au Parlement, seul compétent pour définir la notion de résidences secondaires, jusqu’au 11 mars 2014 pour élaborer une loi. Conclusion En conclusion, il est évident que l’art. 75b nouveau de la Constitution n’est pas immédiatement applicable faute de clarté et de « densité normative » suffisante. Par ailleurs, à l’exception de la règle concernant la nullité des permis de construire délivrés après le 1er janvier 2013, aucun effet anticipé n’est prévu. La nouvelle norme ne concerne pas les constructions existantes. Seul le Parlement est compétent jusqu’au 11 mars 2014 pour élaborer une loi d’application. François Bianchi 5