C. Ferrario
V. Giusti
introduction
Le bypass gastrique (RYGB : Roux-en-Y gastric bypass) est con-
sidéré comme la méthode de référence en chirurgie bariatrique.
Il s’agit d’une opération mixte : restrictive, petite poche proxi-
male de 15-20 ml de volume, et malabsorptive, court-circuit ali-
mentaire de 90-150 cm de l’intestin grêle proximal. Le RYGB a
montré d’excellents résultats sur l’évolution pondérale à moyen
et long termes, permettant d’après de récentes études une diminution de comor-
bidités associées à l’obésité comme le diabète, la dyslipidémie, l’hyperten sion
artérielle et le syndrome des apnées du sommeil chez plus de 60% des patients.1
Cependant, 98% des patients opérés développent de multiples carences en micro-
nutriments et également en protéines. Sur le plan osseux, cette situation de mal-
nutrition semble accélérer la perte osseuse, causant ainsi une fragilité de l’os avec
augmentation du risque fracturaire. Il est donc indispensable, dans le cadre du
suivi postopératoire de ces patients, d’inclure une évaluation de la santé osseuse.
L’objectif de cet article est d’analyser le rôle des marqueurs biologiques du méta-
bolisme de l’os et de la densitométrie dans le suivi après chirurgie bariatrique et
de proposer des suggestions concernant leur utilisation dans la pratique clinique.
marqueurs biologiques
Hormone parathyroïdienne et vitamine D
Le bypass gastrique détermine une diminution de l’absorption du calcium et
de la vitamine D, qui s’effectue physiologiquement dans le duodénum et le jéjunum
proximal (figure 1). En plus du montage chirurgical, de nombreux facteurs peu-
vent influencer le transport intestinal du calcium et sa biodisponibilité tels que
le pH du suc gastrique, la teneur du régime alimentaire en phosphore, en gluci-
des, en protides, en fibres végétales et en graisses. A ceci s’ajoute une réduction
des apports en calcium, favorisée par une intolérance au lactose, qui se développe
fréquemment après l’intervention. Cette combinaison de réduction d’apports et
diminution d’absorption est responsable, dans la quasi-totalité des cas de patients
opérés, d’une hyperparathyroïdie secondaire, en mesure de déterminer, notam-
How to identify the risk for osteoporosis
after bariatric surgery ?
Gastric bypass often reduces the protein and
calcium consumption and causes deficiencies
in vitamin D with secondary hyperparathyroi-
dism. As a consequence, it is a risk for osteo-
porosis. It is therefore necessary to regularly
evaluate protein consumption and the levels
of vitamin D and PTH. In case of deficiency,
supplements must be given in order to ob-
tain PTH level l 50 ng/l. The interpretation
of the results of the bone densitometry is dif-
ficult during rapid weight loss due to the pre-
sence of technical artifacts related to the reduc-
tion of the subcutaneous fat thickness, while
from the second year postoperative, densito-
metry remains the gold standard of investi-
gation to follow the evolution of the bone
state after gastric bypass.
Rev Med Suisse 2013 ; 9 : 674-8
Le bypass gastrique engendre une réduction importante des
apports en calcium et protéines et des carences en vitamine D
avec une hyperparathyroïdie secondaire et une augmentation
du risque d’ostéoporose. Une surveillance des apports pro-
téiques et des taux de vitamine D et de l’hormone parathyroï-
dienne (PTH) est donc néces saire. Une substitution doit être
rapidement instaurée en cas de carence, ayant comme objec-
tif le maintien du taux de PTH l 50 ng/l. L’interprétation des
résultats de la densitométrie osseuse est difficile pendant la
phase de perte pondérale rapide en raison de la présence d’ar-
tefacts techniques liés à la réduction du pannicule adipeux,
tandis que, à partir de la deuxième année postopératoire, la
densitométrie reste le gold standard des investigations pour
suivre l’évolution de l’état osseux après le bypass gastrique.
Comment identifier le risque
d’ostéoporose après un bypass
gastrique ?
mise au point
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Drs Chiara Ferrario et Vittorio Giusti
Service d’endocrinologie, diabétologie
et métabolisme
CHUV, 1011 Lausanne
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ment à long terme, une augmentation du remodelage osseux
pouvant aboutir à des situations d’ostéopénie et d’ostéo-
porose.2
Pour ces raisons, la mesure des taux de PTH (hormone
parathyroïdienne) constitue le paramètre le plus important
pour suivre l’évolution de l’hyperparathyroïdie et anticiper
les éventuels problèmes au niveau de l’os. Nous proposons
habituellement les dosages combinés des taux de PTH, de
vitamine D et du calcium corrigé tous les trois mois dans
l’année qui suit l’intervention, tous les six mois pendant la
deuxième année postopératoire et par la suite, lorsque la
situation est stable sur le plan biologique, une fois par an-
née, à vie. La concentration de calcium reste généralement
dans les normes, tandis que les valeurs de la PTH peuvent
très rapidement doubler déjà pendant les premiers mois
postopératoires et que la concentration de vitamine D se
réduit parallèlement à l’augmentation de la PTH. Il est dif-
ficile, voire impossible, de se référer à des valeurs absolues
de vitamine D et/ou PTH pour définir à quel moment il est
nécessaire de mettre en place un traitement substitutif.
Dans notre pratique quotidienne, nous avons l’objectif d’es-
sayer d’anticiper le remodelage négatif de l’os et pour ceci
nous allons suivre l’évolution des deux valeurs combinées
PTH et vitamine D : en effet, nous démarrons une substitu-
tion dès que la PTH commence à augmenter et la vitamine D
à descendre, et lorsque cette tendance est confirmée par
deux dosages consécutifs à un intervalle de trois mois. La
cible thérapeutique sera d’amener la PTH à des valeurs in-
férieures à 50 ng/l. Concernant la vitamine D, nous envisa-
geons une concentration moyenne autour de 30 mg/l ; ce-
pendant, en raison de la grande variabilité interindividuelle,
pour certains patients, il sera nécessaire de viser plutôt 40-
50 mg/l pour stabiliser la PTH à 50 ng/l, et pour d’autres, il
sera déjà suffisant d’obtenir une concentration de 20 ng/l
(figure 2A et 2B).
Protéines, albumine et préalbumine
Le maintien d’un apport adéquat de calcium et vitami-
ne D est très important, mais il n’est pas toujours suffisant
à l’obtention d’un taux de PTH l 50 ng/l. Lorsqu’une subs-
titution conséquente en calcium et vitamine D n’est pas
suffisante pour atteindre cette cible, permettant d’éviter le
remodelage osseux, il faut toujours vérifier les apports en
protéines. En effet, en situation de carence protéique, la
formation osseuse est réduite, même en présence de taux
suffisants de calcium et vitamine D. Plusieurs mécanismes
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Figure 1. L’absorption de la majorité des micro-
nutriments a lieu au niveau gastrointestinal dans
la partie entre les deux lignes noires, court-circuitée
après le bypass
Ceci explique les carences vitaminiques plus fréquentes après le bypass
gastrique, en particulier les carences en calcium et en vitamine D.
Duodénum
Estomac
Intestin
(jéjunum)
Intestin
(iléum)
Figure 2. L’évolution postopératoire des concentra-
tions plasmatiques de l’hormone parathyroïdienne
(PTH) et de la vitamine D est très variable et
dépend notamment de l’adhérence thérapeutique
du patient
L’utilisation irrégulière du traitement substitutif amène à des variations
considérables de la PTH et de la vitamine D. De plus, la réponse de la
PTH à la concentration de vitamine D présente une grande variabilité
entre patients. Dans certains cas (A), un faible taux de vitamine D est suf-
fisant pour baisser la PTH autour de 50 ng/l, alors que d’autres fois (B), il
est nécessaire d’augmenter beaucoup plus la concentration de vitamine D.
PTH (ng/l) Vitamine D (mg/l)
PTH (ng/l) Vitamine D (mg/l)
0 3 6 9 12 18 24 36 (mois)
0 3 6 9 12 18 24 36 (mois)
A
B
180
160
140
120
100
80
60
40
20
0
90
80
70
60
50
40
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contribuent aux carences protéiques après un RYGB : la ca-
ren ce d’apport (liée à un certain dégoût pour la viande, des
difficultés de mastication), la diminution des sécrétions
enzymatiques (comme par exemple les enzymes pancréa-
tiques et le pepsinogène, proenzyme à l’origine de la pep-
sine), et la réduction de la surface d’absorption intestinale.
Malheureusement les dosages plasmatiques des pro-
téines, albumine et préalbumine ne sont pas de bons mar-
queurs biologiques de l’état nutritionnel. En effet, dans la
plupart des cas, nous mesurons des concentrations nor-
males, tandis que les apports sont totalement insuffisants,
responsables d’une situation d’hypercatabolisme à l’origine
d’un remodelage osseux négatif. Idéalement, il serait né-
cessaire de réaliser un dosage des acides aminés, mais qui
n’est pas effectué de routine.
Dans ce contexte, l’anamnèse alimentaire constitue l’uni-
que outil nous permettant d’avoir des informations sur l’état
protéique des patients ayant subi un bypass gastrique.
L’évaluation de la variété de la prise alimentaire et de la
consommation régulière d’aliments riches en protéines aux
repas est facile à réaliser et nous donne déjà des indica-
tions importantes concernant une éventuelle carence des
apports. Par la suite, il est possible d’impliquer une diété-
ticienne afin d’intégrer les détails sur le plan de l’analyse
quantitative et qualitative du type de protéines consom-
mées.3,4 Ces informations seront indispensables pour dé-
terminer quel supplément alimentaire utiliser. Les résultats
préliminaires d’une étude réalisée au CHUV ont mis en
évidence une baisse des apports en protéines de 70% entre
la période préopératoire et la première année après l’in-
tervention.
Beta-crosslaps (télopeptide C)
Les
beta-crosslaps
sont des produits de dégradation du
collagène de type 1 qui représente la majeure partie de la
matrice osseuse organique (L 90%). Particulièrement inté-
ressants parmi les fragments de dégradation du collagène
de type 1 sont les télopeptides (CTx), pour lesquels l’acide
alpha-aspartique est transformé en acide bêta-aspartique
(beta-CTx) après vieillissement de l’os. Les fragments réti-
culés transversalement des beta-CTx contiennent deux fois
l’antigène beta-CTx et sont donc appelés
beta-crosslaps
. Les
petits peptides beta-CTx sont presque entièrement élimi-
nés par les reins, leur signification est donc réduite chez les
patients atteints d’une insuffisance rénale. Les
beta-crosslaps
sont sécrétées dans le sang pendant la résorption osseuse
et servent donc comme marqueurs d’ostéolyse.5 Des taux
de
beta-crosslaps
élevés à plusieurs reprises après un by-
pass gastrique devraient faire suspecter une perte osseu se
au décours et nous pousser à compléter le bilan osseux à
la recherche d’une ostéoporose.
En raison de la variabilité analytique de ce dosage, de
sa corrélation avec la consommation alimentaire (le patient
doit toujours être à jeun) et de l’absence des valeurs de ré-
férence spécifiques pour les patients obèses, l’interprétation
des résultats de ce marqueur est actuellement difficile et
par conséquent, son utilisation clinique n’est utile que lors-
qu’elle est associée aux autres paramètres biologiques et
surtout dans l’analyse de l’évolution progressive postopé-
ratoire.
P1NP (propeptide N-terminal du protocollage
de type 1)
Un autre marqueur du remodelage osseux qui peut être
utile dans l’évaluation du risque d’ostéopénie/ostéoporose
est le propeptide N-terminal du procollagène de type 1
(P1NP). La concentration du P1NP dépend de l’activité os-
téoblastique et est donc un paramètre qui permet d’éva-
luer la formation de l’os. En effet, la partie organique de la
masse osseuse se compose d’environ 90% de collagène de
type 1 et d’environ 10% de protéines non collagéniques. A
chaque synthèse d’une molécule de procollagène par les
ostéoblastes, une molécule de collagène est incorporée dans
la matrice osseuse et deux peptides d’extension sont libérés :
le P1NP (côté N terminal) et le P1CP (côté C terminal). Ces
propeptides gagnent le milieu interstitiel, puis la circulation
sanguine, où ils peuvent être dosés comme marqueurs de la
synthèse du collagène. La concentration du P1NP a l’avan-
tage d’être indépendante de la consommation alimentaire.
Pour ce paramètre aussi, l’absence des valeurs de référen ce
spécifiques pour les patients obèses rend l’interprétation
des résultats de ce marqueur actuellement difficile.
densitométrie osseuse
La densitométrie (DXA) permet de quantifier la masse
osseu se et donc d’évaluer son évolution vers l’ostéopénie
et l’ostéoporose. Cependant, l’interprétation de cet examen
est très difficile lorsque la perte pondérale est rapide et
importante, notamment pendant la première année post-
opératoire. En effet, la diminution significative du pannicule
adipeux induit un changement dans l’inclinaison des deux
rayons de la DXA avec, comme conséquence, une modifi-
cation de la surface de l’os mesurée et donc un résultat
donnant une fausse densité osseuse. Ce type d’artefact tech-
nique limite la possibilité d’utiliser de manière efficace la
densitométrie pendant la phase d’hypercatabolisme carac-
térisée par une perte de poids de l’ordre de 20-30% du
poids préopératoire.
Au-delà de cette limitation, la densitométrie est le gold
standard pour suivre l’évolution de l’état osseux. Il serait
envisageable de faire une première évaluation déjà dans
la phase préopératoire, afin d’identifier les patients ayant
une densité osseuse déjà plutôt basse. Il est important de
rappeler qu’environ 20% des patients obèses, candidats à
l’intervention, présentent déjà une carence en vitamine D
(faible exposition au soleil) et une partie aussi une hyper-
parathyroïdie secondaire.6 Après l’intervention, une DXA
peut être programmée entre douze et dix-huit mois post-
opératoires, c’est-à-dire pendant la phase de stabilisation
pondérale. Cet examen constituera donc la mesure de ré-
férence
(baseline)
pour évaluer l’évolution de la densité de
l’os au fil des années.
conclusion
Après un bypass gastrique, on retrouve fréquemment
des apports insuffisants en protéines et en calcium et des
carences en vitamine D avec une hyperparathyroïdie se-
condaire. Pour ces raisons, le traitement de l’obésité par
chirurgie bariatrique représente un facteur de risque pour
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le développement d’une ostéopénie ou d’une ostéoporose.
Un bilan de la santé osseuse est donc nécessaire avec, en
particulier, une bonne anamnèse alimentaire et le suivi ré-
gulier des taux de vitamine D et surtout de PTH. En cas
d’apport insuffisant de protéines et de calcium et en cas
de carence en vitamine D, un traitement doit être rapide-
ment instauré, avec comme objectif le maintien d’un taux
de PTH l 50 ng/l.
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Implications pratiques
La quasi-totalité des patients porteurs d’un bypass gastrique
présente une hyperparathyroïdie secondaire
L’utilisation de la densitométrie osseuse est déconseillée
pendant la phase de perte pondérale rapide en raison des ar-
tefacts techniques liés à la diminution du pannicule adipeux
La réduction significative des apports en protéines après l’in-
tervention contribue à la déminéralisation de l’os
Les dosages combinés des taux d’hormone parathyroïdienne
et de vitamine D permettent de suivre l’évolution de l’hyper-
parathyroïdie
>
>
>
>
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of secondary hyperparathyroidism : Potential role of
serum C telopeptides for follow-up. Int J Obes 2005;29:
1429-35.
* à lire
** à lire absolument
Bibliographie
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêt en relation avec
cet article.
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