4
en condition ouvrière en obtenant certains droits sociaux et la reconnaissance d’organisations
propres, puis, finalement, en transformant cette condition ouvrière en condition salariale par
l'obtention d’une pleine citoyenneté à la faveur de protections sociales universelles de caractère
public (Dubet et Lapeyronnie, 1992; Castel, 1995).
Leurs membres étaient reliés par le travail, par une même culture populaire et par des luttes leur
faisant vivre à tous ce que d'aucuns ont nommé une «intégration conflictuelle» (Touraine, 1973).
Il y avait donc bien des identités collectives (ou à tout le moins une communauté de destin)
génératrices d'institutions nouvelles qui ont constitué les premières souches de l'économie
sociale. Contrairement à l'opinion assez répandue dans la gauche traditionnelle, l'économie
sociale est née au sein de mouvements qui se voulaient des leviers de transformation sociale,
mouvements également convaincus de la possibilité de faire vivre des rapports sociaux de
solidarité dans et par des activités économiques 3.
Une analyse convergente peut être faite pour l'économie sociale issue du monde rural. Ainsi, au
Québec, les producteurs agricoles canadiens français, ont mis sur pied, il y a plus de cent ans, un
mouvement coopératif remarquable de dynamisme dans la commercialisation d’une large partie
de leur production4. Ce mouvement coopératif a été construit sur une identité socioculturelle forte
mais peu reconnue, celle d'un peuple, les canadiens français. En cherchant par tous les moyens à
commercialiser ses productions et à acheter ses intrants à des prix plus favorables que ceux
3 Cette dimension de levier de changement social a pu s'affaiblir avec le temps, comme l'indique
l'évolution de certaines coopératives et mutuelles traditionnelles qui, en se développant et/ou en adoptant
des stratégies économiques plus classiques, se sont plus ou moins éloignées des mouvements sociaux qui
les avaient fait naître. Mais cet éloignement n'est pas le propre de l'économie sociale. Les syndicats et les
partis politiques de gauche se sont également détachés de leur base sociale initiale et de l'impulsion du
mouvement d'origine. Cette tendance a un nom: l'institutionnalisation, laquelle a ses avantages (la
reconnaissance sociale), ses travers (l’encadrement normatif de l’État) et ses possibilités (la
démocratisation du développement dans les secteurs où les initiiatves s’investissent). Voir à ce propos,
notre réflexion sur l’institutionnalisation des initiatives des 30 dernières années dans l'expérience
québécoise (Favreau et Lévesque, 1996: 165-182).
4 L’expérience québécoise de commercialisation collective de la production agricole est aujourd’hui mis à
profit dans des pays d’Afrique et d’Amérique latine. Voir à ce propos le chapitre 6 sur le travail de l’UPA
Développement international.