Mauvaise Nouvelle - Revue Dissonances : une marge pour écrire
Revue Dissonances : une marge pour écrire
Par Maximilien Friche
Tant qu’il y aura des individus suffisamment fous pour créer des revues en tout genre, disons-nous que l’esprit
humain n’est pas complètement mort, écrasé par le poids de la matière que nous consommons sans cesse. La
revue Dissonance fait partie de ses marges créées pour donner un lieu de liberté à l’écrit. Quel est le principe de
cette revue ? Définir un thème, appeler à candidature les écrivains en les limitant à 9000 signes, et sélectionner ce
qui doit être publié en masquant son auteur. Quelques photos viennent aussi écrire le thème d’un autre angle,
d’une autre façon. Les thèmes ? Dernièrement ce fut « la peau », prochainement ce sera « animal(s) », mais déjà
25 fois, la revue proposa un mot en pâture aux écrivains : l’Europe, le sexe, la mort, la merde, Maman, le vide,
superstar…
Cette revue mérite plus que le détour, puisqu'elle nous invite au voyage. Le cœur même de cette revue réside
dans l'écrit, même si ce n'est pas exclusif. Et pour une fois, nous voyons les frontières de la poésie et de la
narration complètement gommées. Ce qui est proposé aux lecteurs a la forme de morceaux d’écrit et pourtant
chacun de ces dits-morceaux offre malgré tout la totalité d’un monde. Interrogé par MN sur la nature de ces écrits,
sur l’assimilation que nous pouvons en faire avec une fulgurance, un raccourci dans le labyrinthe qu’est le monde,
Jean-Marc Flapp, directeur de publication explique :
« Pour des raisons de dissonance, c'est-à-dire pour pouvoir proposer aux lecteurs des angles d'attaque du
thème les plus diversifiés possible, nous n'allouons pas à un auteur plus de deux pages ni plus d'un texte par
numéro. Ce que nous publions étant forcément court (pas plus de 9000 signes espaces compris), ce doit être
concentré : nous recherchons toujours la plus grande densité et si possible, idéalement, la fulgurance.
L'objectif général étant que chaque numéro propose un éclairage kaléidoscopique vibrant et contrasté sur
une des composantes du labyrinthe mouvant qu'est le monde en effet. »
Donc des écrits « Globalement cohérents (par le rapport commun au thème) en même temps que dissonants (par
les écarts de mode d'approche). »
Que ce soit par l'écrit ou les photographies, le fil commun qui rejoint l'ensemble, au-delà du thème proposé à
chaque numéro, est fait des questionnements métaphysiques indispensables à toute vie honnête. La revue
Dissonnance cherche-t-elle (comme MN) à réveiller le lecteur, à provoquer une crise chez lui ? Jean-Marc Flapp ne
se dit pas si ambitieux :
« Si dans un numéro quatre ou cinq textes au moins (pas les mêmes bien sûr) peuvent vraiment secouer
chacun de nos lecteurs, les faire vibrer et résonner, leur permettre de sortir quelques minutes d'eux-mêmes,
l'objectif est atteint. »
La revue Dissonance a un style d'avant-garde sans être pour autant conceptuel. Sa modernité est toute
particulière, et semble puisée dans la certitude qu'écrire n'est pas un geste anodin et qu'il engage l'être au-delà du
message véhiculé. Et pourtant, c’est sans doute à partir de ce point que le mystère s’épaissit. Ce que nous lisons,
ce que notre intuition en déduit rentre justement en dissonance avec la vision de Jean-Marc Flapp. Je dis que le
beau et le vrai ne nous semblent possible qu’à partir d’une certaine crise métaphysique provoquée par le verbe. Il
répond :
« Nulle recette ou voie royale dans la recherche du beau et du vrai (ni de quoi que ce soit ou à peu près) :
rien, surtout pas le beau et le vrai, n'étant universel, les voies d'accès à l'émotion sont innombrables et c'est
très bien. »
Alors que justement, pour moi, le vrai est universel par nature, c’est ce qui rend d’ailleurs la vérité totalitaire. J’ose
intuitivement sous-entendre que l’écrit est sacré et la sentence tombe sous la plume de Jean-Marc Flapp :
« Selon nous, rien ne l'est. » Nous serions-nous mal compris ? Ce qui nous relie est-il un pur hasard, un quiproquo
ou un mystère ? Ma dernière question tombe presque comme un SOS : « Pourquoi écrire si rien n'est sacré ? »
Jean-Marc Flapp me donne sa vision :
« Cela me rappelle l'époque où je collaborais à la revue Cancer ! Pour bonne partie de son équipe, le mot
nihiliste était quasiment une insulte et cela m'étonnait car soumettre la possibilité de littérature à la nécessité
d'un engagement mystique, voire à la croyance en une transcendance, me paraissait très réducteur (dans ce
cas-là : exit Rimbaud pour commencer)… Nous continuerons à défendre l'idée d'une littérature pure jusqu'à
l'intransigeance et nous la défendrons toujours avec passion, fût-ce sans dieu ni dogmes… »
Sans dogmes, sans Dieu, s’ils veulent. Mais la nature-même de tout art est d’être religieux, au sens où il cherche
à relier l’homme à ce qui ne se voit pas. Le fait religieux est ontologique pour l’homme. Nul besoin de dogmes pour
l’être. Tout ceci parfait de me convaincre de deux choses : tout d’abord du quiproquo, nous avons cru partager
quelque chose par erreur, deuxièmement, du mystère de l’écrit et de la puissance du verbe, qui parvient à me
pénétrer au-delà des erreurs d’intentions.