La Canso
800 ans apres la Croisade contre les Albigeois
Les manifestations culturelles
organisées dans le cadre de la
commémoration de la Croisade contre
les Albigeois ont officiellement débuté à
Lagrasse le 3 avril dernier, sous l’égide
de M. Alain Tarlier, président de la
Commission Culture du Conseil général.
Vous avez été nombreux à répondre
au rendez-vous et je ne doute pas que
le programme désormais largement
diffusé dans notre département n’attire
un large public.
Que vous soyez férus d’histoire ou de
simples amateurs, que vous soyez
Audois de longue date ou implantés
récemment dans notre département,
que vos goûts vous portent vers le
spectacle vivant ou que vous préfériez
les joies d’une randonnée au grand air,
vous trouverez dans le programme qui
vous est offert de quoi vous satisfaire
pleinement. Alors, ne boudez pas votre
plaisir et venez partager avec nous ces
moments de culture.
Élu en 1198, le pape Innocent III
dénonce l’hérésie qui se développe
dans le Midi de la France. Le 28 mai
1204, déçu par les résultats des missions
de prédication qu’il a encouragées,
il interpelle le roi de France Philippe
Auguste : “Confisquez les biens des
comtes, des barons et des citoyens qui ne
voudraient pas éliminer l’hérésie de leurs
terres, ou qui oseraient l’entretenir…”.
Sans réponse de la part du souverain
et devant la persistance des échecs des
campagnes de prédication lancées par son
légat, l’abbé de Cîteaux Arnaud Amaury,
le pape se tourne à nouveau vers le roi de
France en novembre 1207 ; dans le même
temps, il alerte directement les “comtes,
barons et chevaliers fidèles au Christ,
établis dans le royaume de France…”.
Après avoir dépeint un pays « infecté par
l’hérésie”, le pontife romain en appelle
à la force armée : “Puisqu’aucun remède
n’a d’effet sur le mal, que celui-ci soit
extirpé par le fer”. Le roi de France, alors
en guerre contre les Anglais, ne souhaite
pas intervenir ; il feint d’accepter mais à
des conditions telles que le pape ne peut
que refuser.
L’assassinat du légat du pape, le moine
cistercien de Fontfroide, Pierre de
Castelnau, le 14 janvier 1208, non loin de
Saint-Gilles-du-Gard, détermine le pape à
prêcher la croisade. Il désigne le comte de
Toulouse Raymond VI comme instigateur
du crime et appelle à la guerre sainte le
roi de France et les barons du royaume :
“En avant ! Chevaliers du Christ ! En
avant ! Courageuses recrues de l’armée
chrétienne !”. D’abord réticent et refusant
de s’engager personnellement, Philippe
Auguste finit par accorder à un certain
nombre de ses vassaux l’autorisation de
prendre la croix.
La Croisade des Barons
Du sac de Béziers à la prise de Carcassonne
n°4 - Avril 2009
Édito
Marcel Rainaud
Sénateur de l’Aude
Président du Conseil général
Les appels à la croisade
Les barons prennent la croix
Aussi se croisa-t-on en France dans
tout le royaume quand on sut qu’on
serait absous de ses péchés. Jamais
je n’ai vu, de ma vie, aussi grand
rassemblement que celui qu’on fit alors
contre les hérétiques et les Vaudois.
C’est que se sont croisés et le duc de
Bourgogne et le comte de Nevers et
beaucoup d’autres puissants seigneurs.
Ainsi s’exprime l’auteur de la Chanson
de la Croisade, Guillaume de Tudèle. Au
printemps 1209, l’armée croisée s’ébranle
vers le sud, empruntant la vallée du
Rhône, avec à sa tête le légat pontifical
Arnaud-Amaury, abbé de Cîteaux. Le 18
juin 1209, Raymond VI fait sa soumission
aux légats du pape à Saint-Gilles et prend
lui aussi la croix. Ce geste place le comté
de Toulouse sous la protection directe
du Saint-Siège ; Arnaud-Amaury dirige
alors l’armée croisée vers les terres de
Raymond-Roger Trencavel, vicomte de
Carcassonne, de Béziers et d’Albi, qui n’a
pu conclure d’accord avec l’Église.
À découvrir
Le programme des manifestations
culturelles organisées dans le cadre
de la commémoration de la Croisade
contre les Albigeois vient de paraître.
Si vous ne l’avez pas encore reçu,
n’hésitez pas à nous le demander
(envoi gratuit, archives @cg11.fr )
Édité par le Conseil général de l’Aude
Centre administratif départemental
11855 Carcassonne cedex 9
Directeur de la publication :
Alain Tarlier
Rédaction :
Archives départementales de l’Aude
41 avenue Claude Bernard
11855 Carcassonne cedex 9
Responsable de la rédaction :
Sylvie Caucanas
Photographies : A. Estieu,
A. Fernandez (Archives
départementales)
ISSN : 4141-0180 R
Tirage : 3 000 exemplaires,
publication gratuite
Compogravure :
t2p numéric 04 68 77 22 22
Impression : De Bourg - Narbonne
La prise de Béziers
(La Cansò, S. et B. Lalou)
Le sac de Béziers
Le siège de Carcassonne
L’armée croisée parvient sous les murs
de Béziers le 21 juillet 1209. “Ce fut
une armée merveilleusement grande… :
vingt mille chevaliers armés de toutes
pièces et plus de deux cent mille vilains
et paysans ; et dans ce nombre je ne
compte pas les clercs et les bourgeois. Il y
avait là des gens de tous pays, proches ou
éloignés…”. Cette armée, dont Guillaume
de Tudèle exagère vraisemblablement le
nombre, plante ses tentes sur les rives de
l’Orb. Face à l’ultimatum des croisés leur
intimant l’ordre de livrer les hérétiques
présents dans la ville, les habitants de
Béziers refusent, prenant la décision
“en commun par serment, avec les
hérétiques eux-mêmes, de défendre leur
cité contre les croisés”, si on s’en rapporte
à la relation que firent au pape les légats
pontificaux.
L’assaut est donné le 22 juillet, et le soir
même, la ville n’est plus que ruines et
cendres. Les “ribauds” (routiers et valets
d’armes qui constituent l’armée croisée
aux côtés des chevaliers et des archers) ne
font pas de quartiers et massacrent tous
ceux qu’ils rencontrent. Quant à la phrase
attribuée à Arnaud Amaury, abbé de
Cîteaux : Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra
les siens”, elle est rapportée par un moine
cistercien allemand Pierre Césaire de
Heisterbach, près de quarante ans plus
tard. Extraite d’un verset de la seconde
épître de saint Paul à Timothée, cette
phrase n’a vraisemblablement jamais été
prononcée ; elle reflète bien toutefois
l’état d’esprit des croisés : le massacre de
Béziers est destiné à semer la terreur et
à dissuader les cités voisines d’opposer
toute résistance. C’est ce qu’exprime
clairement Guillaume de Tudèle dans
La Cansò : “les barons de France et des
alentours de Paris, les clercs et les laïques,
aussi bien les princes que les marquis,
tous et chacun convinrent entre eux que
dans chaque ville fortifiée, devant laquelle
l’armée se présenterait et qui refuserait de
se rendre, tous les habitants, dès qu’elle
serait prise d’assaut, seraient passés au fil
de l’épée. Il ne s’en trouverait plus aucune
qui osât leur résister, tant la terreur serait
grande après de tels exemples”.
La stratégie de la terreur porte ses
fruits. Au passage de l’armée croisée,
seigneurs et bourgs se soumettent. Le
vicomte et l’archevêque de Narbonne,
accompagnés d’une députation de nobles
et de bourgeois de la ville, s’engagent à
apporter leur soutien matériel et financier
à la lutte contre les hérétiques.
Le soir du 1er août, les croisés arrivent
devant les remparts de Carcassonne,
ils établissent leur camp au nord de la Cité,
devant le Bourg. Le vicomte Raymond-
Roger de Trencavel a mis sa ville en état
de défense. Le 3 août, l’armée croisée
s’empare du bourg et prend position
sur les berges de l’Aude, coupant l’accès
des assiégés à la rivière. Peu de temps
après, le roi d’Aragon Pierre II vient au
camp des croisés offrir sa médiation. Il
souhaite obtenir un accord et ainsi venir
en aide à son vassal Trencavel. Mais la
seule concession qu’il obtient des croisés
(laisser sortir de la ville Trencavel et onze
des ses hommes, tandis que Carcassonne
est livrée à l’armée des assiégeants) ne
peut satisfaire le vicomte qui décide de
lutter jusqu’au bout. Après cet échec,
Pierre II s’en retourne dans son royaume.
Les combats reprennent. Jets de boulets
de pierre et travaux de sape ébranlent
les défenses. Encerclés de très près,
les habitants de la Cité, privés d’eau et
malades, connaissent, si on s’en rapporte
à Guillaume de Tudèle, des “souffrances
comme ils n’en avaient jamais enduré
de leur vie”. Trencavel se livre alors en
otage : il doit rester prisonnier jusqu’à ce
que les clauses de la capitulation soient
intégralement remplies. De fait, il ne fut
jamais libéré et demeura dans son cachot
jusqu’à sa mort le 10 novembre 1209.
Quant aux habitants de Carcassonne, on
leur fait grâce de la vie mais ils doivent
quitter la ville “en chemise et en braies”,
sans pouvoir emporter aucun de leurs
biens.
Le 15 août les croisés ont pris possession
de la Cité de Carcassonne. Ils tiennent
une assemblée sous l’autorité du légat
pontifical Arnaud Amaury : conformément
au droit de croisade, il faut attribuer
les terres conquises à un nouveau et
“bon seigneur choisi par élection”. Le
comte de Nevers, le duc de Bourgogne
puis le comte de Saint-Pol se voient
offrir tour à tour la vicomté. Tous trois
refusent : “ils dirent qu’ils possédaient
assez de terre pour vivre aussi longtemps
qu’il leur serait donné dans le royaume de
France, patrie de leurs pères ; aussi ne se
souciaient-ils pas des dépouilles d’autrui”.
Et Guillaume de Tudèle de rajouter : “il
n’y a personne qui ne se croie déshonoré
s’il accepte ce fief”. Ces refus qui peuvent
nous surprendre s’expliquent : ces trois
seigneurs sont des grands feudataires du
royaume, déjà en possession d’importants
domaines ; leur engagement dans la
croisade est essentiellement spirituel
et ils considèrent comme infamant et
non conforme aux règles féodales de
recevoir du pape - et non de leur suzerain
légitime, le roi - un fief confisqué à un
autre seigneur. Aussi, c’est à la suite
d’un conseil plus réduit comprenant
Arnaud Amaury, deux évêques et quatre
chevaliers qu’est désigné le successeur du
vicomte déchu. Le choix se porte sur un
seigneur d’Ile-de-France, qui s’est illustré
en Terre Sainte et dans les combats pour
la prise de Carcassonne : Simon, seigneur
de Montfort et d’Épernon, comte de
Leicester, communément appelé “comte
de Montfort”.
Une
conférence
inaugurale
réussie
Le 3 avril dernier, dans l’abbaye
de Lagrasse, M. Gérard Gouiran,
professeur de linguistique
romane à l’Université de
Montpellier III- Paul Valéry,
évoquait l’une des sources
principales d’un des épisodes les
plus tragiques de l’histoire du
Languedoc.
Sous le titre “La Chanson de la
Croisade, un chant de résistance”,
la conférence mettait en évidence
toute l’originalité de l’œuvre,
tout particulièrement de la
seconde partie du manuscrit due
à un auteur anonyme, proche
des comtes de Toulouse. Par son
propos, tout à la fois savant et
aisément accessible, M. Gouiran
a captivé l’assistance et lui a
assurément donné le désir de
découvrir le texte original.
La lecture donnée peu après par
M. Antoine Chapelot, comédien
et directeur artistique du Théâtre
de l’Hyménée (Lagrasse) venait
combler ce souhait. Il nous tint
sous le charme de la traduction
d’Henri Gougaud plus d’une heure
durant.
Attaque de la Cité par les Croisés.
Gravure d’après un dessin de Paul Sibra, début XXe siècle
(A. D. Aude, 2 Fi 2876)
Photographies J.-L. Gasc
En avant-
première
Voici le programme de la deuxième
table ronde qui se tiendra à Limoux
(salle Louis Coste, 14 rue Blanquerie)
le 19 juin 2009 de 17 h à 19 h 30
La culture
méridionale
au XIIIe siècle
- Les chansonniers au Moyen Âge,
par Fabio Zinelli, directeur d’étude en
philologie romane à l’École Pratique
des Hautes Études, Paris.
- Une culture du verbe trobar clus
et traditions jongleuresques chez
les troubadours, par Linda Paterson,
professeur à l’université de Warwick
(Grande-Bretagne).
- Troubadours en pays d’oc, par
Daniel Lacroix, professeur de
littérature médiévale à l’Université de
Toulouse II-Le Mirail.
- Culture et savoirs en Languedoc
au XIIIe siècle, par Jacques Verger,
professeur d’histoire médiévale à
l’Université de Paris IV-Sorbonne.
Entrée gratuite. Inscription auprès
des Archives départementales de
l’Aude par courrier (41 avenue Claude
Bernard, 11855 Carcassonne cedex 9)
ou par mail archives@cg11.fr
L’historien de la Croisade contre les Albigeois dispose de sources exceptionnelles,
et notamment de récits circonstanciés des événements faits par des contemporains
ou peu de temps après. On dénombre près de 175 textes historiques rédigés entre
1209 et 1328, en faisant mention. Avec la Chanson de la Croisade contre les Albigeois
que nous avons évoquée dans un précédent numéro, l’Hystoria Albigensis est un des
plus célèbres.
Son auteur, Pierre des Vaux-de-Cernay, voit le jour dans les dernières années du XIIe
siècle. Il entre en religion dans l’abbaye cistercienne des Vaux-de-Cernay (dont il
prend le nom). Ce monastère, situé dans la vallée de Chevreuse et généreusement
doté par les Montfort, est dirigé par son oncle Guy alors abbé,
Ce dernier, compagnon de Simon de Montfort lors de la IVe Croisade, est nommé
évêque de Carcassonne en 1212. Pierre le rejoint bientôt et commence alors la
rédaction de sa chronique, l’Hystoria Albigensis, devenant ainsi “l’historiographe
officiel des croisés”. L’œuvre, rédigée en latin et dédiée à Innocent III, est toute entière
à la gloire des croisés et de la croisade : les hérétiques incarnent le Mal et les seigneurs
du Midi sont à ses yeux coupables et indignes de pardon ; les croisés, des chevaliers du
Christ, luttent pour que le Bien l’emporte.
Même si le récit est partial et souvent très polémique, la relation des faits est dans
l’ensemble tout à fait digne de foi. L’auteur rapporte des événements qu’il a
vécus ou qui lui ont été rapportés par des acteurs directs (son oncle, des prélats, des
chefs militaires qu’il a pu côtoyer au cours de ses séjours en Languedoc). Son récit
commence avec les premières prédications contre les hérétiques en 1206 et s’achève
sur la mort de Simon de Montfort devant Toulouse en juin 1218.
L’œuvre de Pierre des Vaux-de-Cernay a connu une grande diffusion. Au contraire
de la Chanson de la Croisade dont on ne connaît qu’un manuscrit médiéval, nous
disposons de onze copies médiévales, dont trois du XIIIe siècle. LHystoria Albigensis
est souvent citée par les contemporains de l’auteur et contribua sans aucun doute à
faire connaître les événements dans le royaume de France et au-delà.
« Cette ardeur de parti, la fureur de conviction religieuse qui
s’y joint et qui étouffe à un degré rare, même dans le camp
des Croisés, tout sentiment de justice et de pitié, donnent à la
narration de l’écrivain une véhémence, une verve de passion
et de colère qui manquent à la plupart des chroniques, quelque
terribles qu’en soient les scènes, et animent celles-ci d’un intérêt
peu commun… Il en est
peu de plus partiales que la
sienne et qui doivent être
lues avec plus de méfiance ;
mais aucune n’est plus
intéressante, plus vive, et
ne fait mieux connaître
le caractère du temps, des
événements et du parti de
l’historien. »
François Guizot, 1824
Pierre des
Vaux-de-Cernay
Château de Puivert, salle des musiciens :
reconstitution d’un des culs-de-lampe, XIXe s.
(A. D. Aude, 4 T 243)
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