CM n° 1 en licence 2, semestre 3 : De la sociologie en STAPS

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CM n° 1 en licence 2, semestre 3 :
De la sociologie en STAPS ? Pour quoi faire ?
Qu'est ce qu'un sociologue, en existe t-il différentes «espèces» ? D'ou
vient la sociologie comment a t-elle évolué au cours du temps. ?
quelle peut être son « utilité » en staps ?
Vous me demandez souvent pourquoi la sociologie fait partie de vos
cursus de formation et vous êtes tentés de croire que ceci relève d’une
sorte de fantaisie, ne voyant pas ou peu l’intérêt de la discipline. Je
voudrais souligner ici, avec le soutien de DURET (2004) combien la
« pluralité des méthodes d’enquêtes de la sociologie suppose….une
ouverture d’esprit aux différents paradigmes1 qui la traversent » (p
293). J’ajouterai à cette remarque que la sociologie ne s'ingurgite pas.
Elle s'approprie, comme une posture corporelle et culturelle, pour
oser une métaphore avec le langage sportif.
La difficulté vient du fait que la sociologie ne dispose pas d’une unité
de paradigme et que la diversité des approches est grande. Passée
d’une époque du sociologue roi du « dévoilement » à une forme
d’humilité frôlant l’humiliation, le sociologue prône la vérité des
acteurs de terrain. Ce retour de balancier est dommageable car nulle
science ne fait l’économie de la compréhension du sens. Or les vérités
sociologiques sont plurielles, faites d’interactions, comme le social qui
est le lieu de réseaux, de structures et de systèmes.
1 Une discipline aux frontières floues sans unité de paradigme :
Comment se produisent les sciences sociales ? Le flou des frontières
de la discipline est donc manifeste, même si la sociologie n'en a pas
l'exclusivité. Le problème existe en psychologie, ou en histoire par
Un paradigme décrit les croyances le plus souvent implicites sur le fond desquelles les
chercheurs élaborent leurs hypothèses, leurs théories et plus généralement définissent leurs
objectifs et leurs méthodes. …. Toute démonstration repose sur des principes
indémontrables. …
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exemple. La sociologie a le plus grand mal à se définir en une
formule simple.
Nous sommes devant ce que la philosophie appelle une aporie,
autrement dit une forme d'embarras qu'occasionne un problème
difficile, souvent insoluble.
Qu'est ce qui différencie la sociologie des autres disciplines des
sciences humaines comme la psychologie, l'anthropologie,
l'ethnologie. Et la philosophie dans tout ça ?
On peut dire qu'il s'agit de la science des phénomènes sociaux, ou
encore de l'étude de la société. On peut aussi retenir ce qu'en dit le
dictionnaire de sociologie dirigé par Boudon R., Besnard P.,
Cherkaoui M., et Lécuyer BP (2001), lorsqu'il souligne "la grande
diversité… des objectifs, … des méthodes" (Page 220).
Je vous propose donc une réflexion sur les méthodes scientifiques, les
paradigmes et les concepts à l'oeuvre dans l'explication du social.
La sociologie revendique souvent une polysémie d'objets et une
diversité de méthodes. Par exemple :
+ A l'objectivisme durkheimien s'opposera un subjectivisme dont
l'idée centrale est qu'il n'y a pas d'activité sociale sans intentionnalité.
Un comportement ne réfèrerait pas seulement aux normes ou modèles
culturels mais renverrait aussi au sens subjectif que lui donne l'acteur.
Il y a entre ces deux courants de pensée un postulat qui consiste à
dire que les faits sociaux ont un sens. Les différences viennent de la
façon de comprendre cette proposition et d'opérer des réductions de
sens différentes.
+ C'est l'idée de l'intelligibilité immédiate qui a dominé le
rationalisme des sciences sociales naissantes dès le 17eme. Ces
théories nient les conditionnements subjectifs déterminant les
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décisions des agents, comme les facteurs historiques et culturels, et
réduisent la réalité sociale à une pure transparence.
+ Une autre réduction de sens propre aux structuralistes (Lévy
Strauss) consiste à réduire les faits sociaux à des signes ou des
symboles à partir d'une analyse montrant que les structures d'échange
(parenté, structure linguistique) sont des structures de communication.
Ainsi, circulation des objets, ou des signes seraient de même nature.
Une telle conception efface tout conditionnement objectif déterminant
les modalités de l'échange.
+Une autre réduction consiste à rechercher le fondement des faits
sociaux dans le désir humain. C'est ce que fait Malinowski en
montrant que la vie sociale s'organise pour satisfaire les besoins
psychologiques. On peut objecter à cette théorie qu'en fait c'est la
société qui fournit à l'individu ses motivations concrètes.
+ Enfin une quatrième acception du sens des faits sociaux consiste à
dire qu'une société ne peut fonctionner en l'absence de
mécanismes de légitimation de l'ordre social et d'inculcation des
valeurs.
2 Des méthodes utiles pour combattre le sens commun,
spontanément subjectiviste.
L'attitude de l'homme ordinaire vis à vis de la réalité sociale est
spontanément subjectiviste dans la mesure où il perçoit celle ci en
termes idéologiques. C'est pour chacun d'entre nous l'illusion
nécessaire de la transparence du social et la méconnaissance des
mécanismes objectifs qui fonde la réalité.
L'attitude du sociologue est spontanément objectiviste dans la mesure
où la finalité est la découverte des déterminismes objectifs et de
l'opacité relative de la réalité sociale.
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Vous pourrez mesurer combien cette mise en parenthèse de la
subjectivité des points de vue est complexe tout au long de votre
parcours de formation.
Pour y parvenir, les méthodes scientifiques sont tout à la fois
nécessaires pour traduire la complexité du réel et nécessairement
simplificatrices et réductrices. Je vous montrerai aussi qu'il subsiste
toujours une limite à l'explication donnée, dépendante de la question
posée, de l'objet de recherche tel qu'il se délimite dans la
problématique d'analyse. Toute réponse est dépendante de la question
posée. D'où cette maxime célèbre qui consiste à rappeler que la
science est d'abord l'art de poser et de déplacer les questions.
Les courants de pensée en sociologie ont montré qu'en effet sur des
objets limités (des régions de savoirs) on pouvait tenter l'aventure
du modèle explicatif. Il en va ainsi dès lors qu'on s'intéresse à la
reproduction sociale des inégalités dans les sociétés industrielles.
Le structuralisme a montré l'existence d'invariants culturels dans les
sociétés, y compris les sociétés primitives.
Le marxisme, la socio-biologie et d'autres champs ont également
proposé des modèles explicatifs du monde social.
Aucun modèle pourtant ne peut à lui seul englober les savoirs issus
d'autres champs. Les domaines scientifiques constitués
fonctionnent comme autant de champs clos ignorant ce qui les
environne, expliquant ce qu'ils ont au préalable construits, taillant leur
part de la réalité du monde.
Prenons le principe d'utilité ou de disparition lié au postulat de
l'équilibre du monde vivant.
Son origine est dans le raisonnement tenu par Darwin pour qui le
nombre d'individus procréés est dans toutes les espèces supérieur au
nombre de ceux qui peuvent survivre, compte tenu des ressources du
milieu. La nature opérerait la sélection en éliminant ceux qui ont des
caractéristiques défavorables. Progressivement les gènes les plus
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favorables seraient transmis. Tout serait parfait et les déviants
devraient être ainsi supprimés. Dès qu'on passe à l'espèce humaine on
voit bien les débordements politiques vers la xénophobie, ou d'autres
théories sur le caractère naturel du sentiment de propriété, ou le
besoin de dominer.
Morin nous dit que cette tentative d'explication du monde est un
leurre totalitaire et que le mouvement de la connaissance est en fait
un mouvement perpétuel.
Tout scientifique est donc aussi un être enraciné dans une culture,
une société et une histoire. Les connaissances actuelles sur
l'infiniment grand et l'infiniment petit nous rendent encore plus
circonspects. Plus on approche des limites, plus le savoir institué est
fragile; comme en mathématiques, un théorème ne fonctionne que s'il
élimine une part du phénomène qu'il explique. C'est en excluant une
donnée du problème que la théorie peut fonctionner.
3. Territoires de la sociologie :
Notre chance et notre difficulté collective résident dans le fait de nous
trouver dans un champ multidisciplinaire où chacun est amené à faire
reconnaître des autres, la validité et la spécificité de son savoir.
Je plaide donc pour le refus de toute forme de discrédit de ce qui
n’est pas soi et je vous invite à considérer ce qui fonde les différences
d’approche, sachant par exemple que la biomécanique, les sciences de
la vie ou la sociologie n’utilisent pas les «mêmes définitions de la
rationalité, ni les mêmes modes d’administration de la preuve» (Duret
2004)
Les unes ne sont en rien supérieures aux autres, elles usent d’outils
spécifiques pour résoudre des questions différentes.
Alors où commence et finit la sociologie ?
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Entre ambition expérimentaliste et pensée philosophique, la sociologie
se fonde sur la preuve et la démarche s’ordonne à partir de deux pôles
classiques : le terrain et la théorie.
Le terrain permet le recueil des données qui n’est jamais une fin en soi.
La théorie présente le risque inverse de théorisation pure qui ignore le
réel en se contentant de prendre dans le réel les seuls exemples qui
confortent la théorie ou bien en se contentant de l’intuition sans jamais
lui chercher de preuves.
D’autres risques font souvent confondre l’objet d’étude et
l’instrument de mesure (cas du test d’intelligence) ou bien
conduisent à se tromper en ignorant par exemple le degré d’incertitude
de l’instrument ou encore en faisant dire au résultat plus qu’il ne peut
en dire.
On peut ajouter à cela que la sociologie est aujourd’hui menacée et
souvent dénaturée par des sous produits journalistiques du « fast
thinking » ou encore par les approches marketing et la communication
« canada dry » qui en font une sorte de discours du superflu et de
l’inutile.
3.1. Les liens entre science sociale et histoire des sociétés :
Je vous propose ici une réflexion sur les sciences sociales, et la culture
scientifique qui s'y rattache, une réflexion sur les conditions de la
production scientifique, par l'approche historique des hommes et
des institutions qui dessinent le mouvement de la connaissance.
Mon propos étant forcément limité, j'ai fait quelques choix de
domaines pour argumenter sur la science et quelques uns de ses
promoteurs. Nous examinerons ce qui peut être dit à propos de la
relation objet-sujet connaissant dans la mesure où tout scientifique
est aussi un être enraciné dans une culture, une société et une
histoire. Vous aurez remarqué que mon propos à deux objectifs, le
premier étant de vous amener à identifier d'ou vient la sociologie
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au plan historique, le second cherchant à définir la place ou les
places du sociologue dans la société contemporaine.
+ Les enseignements de l’histoire des sciences :
Pendant longtemps l'intérêt pour la société a privilégié le thème
de l'ordre. Le social était soit une "chose divine" comme la nature, soit
une création humaine. Dans les deux cas il n'avait aucune consistance,
aucune densité propre. Cette conception domine la pensée occidentale
jusqu'au 18 ème siècle où les théoriciens du droit naturel et du contrat
social l'emporteront définitivement sur ceux du droit divin.
Plusieurs conceptions de la société s’affrontent en permanence :
La révolution industrielle et le développement parallèle des sciences
de la nature imposeront l'idée que les phénomènes sociaux ne sont pas
réductibles à un plan préétabli. La réflexion du 19eme siècle oscillera
entre plusieurs conceptions.
Marx et Engels avec le matérialisme historique montrent que les
phénomènes sociaux s'inscrivent dans l'histoire du rapport matériel
de l'homme à la nature, pendant que Spencer et Comte développent
une idée naturaliste, posant les phénomènes sociaux en continuité
avec les phénomènes de la nature.
La seconde moitié du 19eme siècle verra des tentatives de réduction
du social au biologique avec l'organicisme et le darwinisme social.
Naissance de la sociologie et développement social vont de pair.
Historiquement la pensée sociologique n'atteint sa maturité qu'au
moment où la vie collective tout entière est perçue comme un
organisme vivant possédant ses lois propres.
Mais, cette raison en dissimule une autre, souterraine, plus active et
non formulée. L'homme découvre collectivement et individuellement
qu'il possède de multiples chances d'intervenir directement dans la vie
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sociale, d'en modifier les structures et d'en régler les formes malgré
les obstacles.
C'est dans ce sens là qu'on peut dire que la sociologie est fille de la
Révolution de 89. Il faut pour ça que la société dans son image
collective cesse d'être passive pour devenir créatrice, historique. Il
faut aussi que les normes pratiques de gouvernement des groupes
humains se disjoignent de la vision inéluctable d'un ordre divin qui
fixe à l'homme son état et sa place dans une organisation intangible.
La nation devient le symbole de cette force et peut s'arroger le droit
de définir des lois et fixer des structures nouvelles.
Partant de ce constat historique on peut cependant dire que la
sociologie a eu ses précurseurs, comme Aristote, Montesquieu ou
Rousseau. Ils ont préparé la réflexion sociologique, même s'ils sont
restés largement attachés aux jugements de valeur de leurs époques,
percevant le changement social comme une déviance vis à vis d'une
logique rationnelle et d'un ordre harmonieux qu'un souverain seul
pouvait établir et maintenir.
C'est à la Révolution que le sentiment d'une intervention possible des
hommes dans la société imprègne la trame de l'existence des
contemporains de la révolution. Ce dynamisme collectif
s'accompagne de certitudes que la distance historique éclaire. C'est
d'abord la découverte que l'existence humaine est engagée dans une
ou plusieurs séries de situations sociales complémentaires ou
contraires.
Ensuite c'est le sentiment que les groupes sociaux se combattent et
cherchent à travers la polémique un nouvel équilibre.
Enfin les changements techniques et la production économique
entraîneront des modifications du cadre de vie suscitant l'apparition
de nouveaux milieux en effervescence. C'est de ce mouvement
d'accélération du changement social qu'est sortie la sociologie.
C'est avec Durkheim que la sociologie définira les phénomènes
sociaux comme des manières d'agir et de penser, extérieurs à
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l'individu, doués d'un pouvoir de coercition, ajoutant qu'ils ne se
confondent pas avec les phénomènes organiques ou psychiques.
Les phénomènes sociaux ont alors une réalité objective qu'il importe
de saisir au moyen des outils de la science.
Ces considérations socio-historiques en amènent d'autres plus
philosophiques, à savoir comment expliquer le monde, et le mystère
de notre existence sur cette planète.
Je ferai l'économie des révolutions scientifiques successives issues de
la physique et de l'astrophysique, à l'exception d'une idée
paradoxale des plus troublantes.
Nous sommes passés d'une conception de la création du monde
organisée selon un modèle parfait (Dieu ou pas, et des "ténèbres à la
Lumière" à l'idée d'un début du monde qui pourrait bien être un
immense chaos, le big bang. Paradoxalement nous serions issus du
plus immense des désordres, fruit d'une conjoncture qui avait une
probabilité d'apparaître extrêmement réduite.
Cette ouverture sur d'autres modèles d'explication du monde vivant
n'est pas sans conséquence sur les sciences sociales. En particulier il
semble désormais inconcevable de continuer à observer les sociétés
sur le mode évolutionniste. Plus récemment encore, il est apparu que
les équilibres sociaux pouvaient se concevoir non comme des
finalités d'un processus de développement mais comme des états
transitoires d'un déséquilibre à un autre. Désordre et ordre ne
peuvent se passer l'un de l'autre. Du désordre naît l'organisation et le
progrès.
Pendant longtemps la sociologie est restée sur l'idée que l'objectif à
atteindre était de mettre à jour une sorte de méta-structure explicative
du monde social. Les relations entre les hommes relevaient pensait-on
d'une sorte de mise en oeuvre d'un système non conscient. Les
hommes seraient agis plus qu'acteurs de leur destinée.
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Tous ces différends conduisent à des conflits de méthode. Les
Allemands règlent le problème en considérant dès la fin du 19eme
qu'il existe des sciences de la nature et des sciences de l'esprit ou de la
culture. Les sciences de la nature relèvent de l'expérimentation et de
la mesure, les autres relèvent du sens et de l'interprétation.
Mais reconnaître aux phénomènes sociaux une réalité spécifique ne
signifie pas s'entendre sur le contenu de cette réalité.
3.2. Sociologues et sociologies .
En France, dans les années 50 on parlait de sciences humaines et cette
mention est venue s'inscrire sur le fronton des facultés de lettres.
Dans les années soixante on a commencé a parler de sciences sociales
pour masquer cette connotation humaniste d'un adjectif qui renvoie aux
idéaux éthiques des humanités. L'abandon de l'humanisme de la notion
était revendiqué par les chercheurs soucieux d'entrer dans le monde des
"social scientists" anglo-saxons mais aussi par tous ceux qui
constataient que les recherches sur la culture ou l'histoire avaient été
englouties dans la métaphysique d'une opposition absolue entre
sciences de la nature et sciences de l'esprit. Cela dit, l'adjectif "social"
présente aussi des inconvénients en flattant un autre stéréotype qui
consiste à supposer que les objets auxquels les sciences sociales
s'appliquent ont nécessairement des effets d'utilité sociale ou de
salubrité politique.
Dans tous les cas les attentes d'une pratique des sciences sociales sont
démesurées voire irrationnelles. On s'approche souvent de ces utopies
des religions prophétiques. La fonction prophétique des sciences
conduit tout droit au scientisme.
Aujourd'hui le terme en usage serait plutôt sciences de l'homme et de
la société. Mais le problème de fond reste entier : l'unité
épistémologique du champ de recherche fait question. Il ne peut se
définir autrement que par ajout d'identificateurs empruntés au langage
commun.
Définir une science de l'homme est déjà un idéal du rationalisme
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scientifique qui culmine avec Kant qui proposera le terme
d'anthropologie pour nommer au sens étymologique la science de
l'homme. Cette science a pour objet les manifestations empiriques de
l'existence humaine et vise à en procurer une intelligibilité aussi unifiée
que celle des phénomènes physiques.
Quelques siècles après, la science de l'homme n'existe qu'au pluriel.
Notre connaissance sur l'homme est l'histoire éclatée de travaux très
divers passant par l'analyse historique qui systématise la critique des
textes et des sources et d'autres qui ont conduit à refondre
complètement des disciplines qui s'autonomisent charpentées autour de
leur méthode (ethno et psychanalyse) ou s'unifient par le traitement de
données homogènes (démographie ou linguistique). On pourrait aussi
relever des unités de lieux sur des aires de civilisation (indianisme
arabisme, etc) et des focalisations sur le terrain de la vie sociale
(sciences de l'éducation, du politique)
Nous sommes aujourd'hui devant une vaste gamme d'intelligibilités
partielles indissociables d'un dispositif multidi-mensionnel de
recherches. On peut donc admettre que les sciences de l'homme font
partie du savoir empirico-rationnel dès lors qu'on admet d'autres
formes de sciences qui s'expriment autrement que par des lois
universelles.
Mais, peut-on au
anthropologiques ?
moins
classer
toutes
ces
disciplines
Une telle classification impliquerait un accord sur la distribution des
tâches, or ce minimum est loin d'être réalisé et le dispositif de
recherche n'a jamais cessé de varier d'une époque à l'autre d'un pays à
l'autre.
Par exemple en France le terme d'anthropologie a vu son sens se
restreindre jusqu'à n'être plus que l'anthropologie physique alors que
dans les pays anglo-saxons, il a gardé une envergure plus grande en
regroupant anthropologie culturelle et sociale, définie comme la
science des groupements humains, de leur culture et de leur histoire.
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En France, c'est le terme de sociologie qui va l'emporter
certainement en raison de l'héritage d'Auguste Comte et du prestige de
la fondation de Durkheim. La sociologie sera une subdivision de
l'anthropologie sociale dans les pays anglo-saxons alors qu'en France
c'est l'ethnologie tournée vers les sociétés qu’on disait primitives qui
est apparue comme une partie spécialisée de la sociologie.
Claude Lévy Strauss va redonner une envergure au terme
d'anthropologie alors qu'aux Etats unis dans le même temps la
sociologie reprenait du territoire grâce à l'apparition d'analyses inédites
de l'école interactionniste ou ethno-méthodologique et grâce au
développement de la sociologie empirique.
Au terme de ce mouvement rien ne permet plus de distinguer un
sociologue d'un anthropologue sauf à s'en remettre à son label. Les
frontières entre disciplines doivent leur tracé d'abord aux débats
intellectuels et aux affrontements qui s'y rattachent .
A la confusion des domaines il faudrait ajouter une confusion de la
raison qui amène à légitimer les idées les plus fortes sur l'axe des
pouvoirs et les idées technicistes qui conduisent à privilégier ce qui fait
gagner du temps, va plus loin, etc. Une conséquence triviale en est
qu'un laboratoire mieux équipé à de meilleures chances d'avoir raison.
La raison vraie serait-elle celle du plus fort ? Ce que Habermas appelle
la techno-science n'est pas seulement un état de fait, c'est aussi un état
de la raison.
La fascination éprouvée pendant longtemps par les intellectuels
français y compris en sciences de l'homme pour le matérialisme
historique a permis à bon compte de faire table rase avec les traditions
cartésiennes, hâtivement invalidées comme positivistes ou
spiritualistes. Au cours de la période, seul Morin et quelques autres
tiendront tête à ce fantasme en posant les vieux problèmes de
l'anthropologie philosophique, de l'amour et de la mort. C’est
dans
cette lignée que s’inscrivent aujourd’hui les travaux de sociologues à
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propos du statut du corps et de sa célébration ou sacralisation. (Duret
2004, P 243 ou Lebreton et quelques autres)..
Pour au moins deux générations de chercheurs, le marxisme a été un
horizon indépassable, du moins difficile à oublier. Aucune élaboration
théorique ne déroge à la révérence rituelle à Marx. On la retrouve
même chez Lévy Strauss et chez Lacan. Seul Aron refusera de
communier. Puis d'autres à la suite de Foucault chercheront à rompre
avec le marxisme même élargi. De l'histoire de la folie à l'histoire de la
sexualité on trouvera la même hostilité aux Lumières, à l'idée de
progrès, à la morale et aux institutions. Tout cela est bien évidemment
déjà dans Marx autant que dans Nietzsche.
Durkheim avait écrit depuis longtemps que les faits sociaux sont des
choses mais leur nature restait mystérieuse. Contrairement aux
positivistes le fondateur de l'école française de sociologie se refusait à
les réduire à la matière et au mouvement et les assimiler en fin de
compte à une sorte de méta-biologie.
3.3. Les sciences sociales sont des sciences à géométrie variable
Je pose depuis le début de cet exposé, sous différents angles la
question de l'unité du discours scientifique. Et plus j'avance et plus je
mets en exergue la mouvance des frontières entre disciplines, les
contradictions entre théories, leurs affrontements aussi, leur caractère
historique. A propos de la science humaine j'ai montré de manière
générale, combien l'appellation des sciences humaines, de
l'anthropologie aux sciences sociales, en passant par les sciences de
l'homme et de la société étaient une trace de ce mouvement.
Je vais continuer la démonstration en prenant maintenant un autre
chemin, celui qu'emprunte Bruno Latour pour vous dire que
maintenant la science existe hors du domaine scientifique, que diverses
instances du corps social s'emparent de bribes de discours scientifique.
Dans la presse notamment on voit se multiplier des articles hybrides
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qui "dessinent des imbroglios de science de politique, d'économie de
droit, de religion, de technique, de fiction."
Toute la culture et toute la nature s'y trouvent « rebrassées » chaque
jour.
Latour nous montre comment la science mobilise la politique pour
parvenir à ses résultats. Il dit que lorsqu'on parle des bactéries de
Pasteur, c'est toute la société du 19ème siècle qu'on tire derrière. Il se
garde bien sur de dire que la science n'est que politique, voire
combines et calculs où les faits scientifiques ne seraient alors que de
pures contingences locales. Le propos est plus complexe. Il faut
comprendre que science et société, discours de nature et culture
s'entremêlent et interagissent. L'Amérique n'est plus la même avant et
après l'électricité. Le 19ème siècle change, lorsque les pauvres sont
seulement pauvres ou en plus infectés de microbes.
Il est difficile du point de vue d'une science déterminée d'englober le
tout. Ou bien vous parlez des choses en soi, ou bien vous parlez des
humains entre eux. Pourtant à chaque fois, le contexte comme la
personne humaine se trouvent redéfinis.
Ceux qui mettent le référent extérieur entre parenthèses (la nature des
choses) et le locuteur (le contexte social et pragmatique) ne peuvent
parler que des effets de sens et des jeux de langage. Notre vie
intellectuelle est mal faite. L'épistémologie, les sciences sociales, les
sciences du texte ont toutes pignon sur rue mais à condition d'être
distinctes. Si votre sujet de recherche se met à traverser les trois
domaines, alors vous n'êtes plus compris.
Si vous prenez un beau réseau socio-technique (par ex les découvertes
nucléaires, les articles de la presse scientifique, les discours politiques
à son sujet, les structures de production d'énergie, la stratégie militaire,
les progrès médicaux, etc...) et que vous offrez ce réseau en pâture aux
disciplines établies, chacune va y découper son espace Ainsi
l'épistémologie va s'empresser d'extraire les concepts et de les arracher
au contexte social ou à la rhétorique. Les sciences sociales vont exciser
la dimension sociale et politique et purifier tous les objets. Les sciences
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du texte vont garder le discours et le purger de toute adhérence indue à
la réalité et aux jeux de pouvoir.
On le voit ici de manière raccourcie, mais je vous invite à vous poser
ce genre de question sur vos propres objets de recherche, les critiques
ont développé en gros, trois répertoires distincts pour parler du monde :
la naturalisation, (Changeux) la socialisation (Bourdieu) et la
déconstruction (Derrida).
Quand le premier parle des faits naturalisés, il n'y a plus de société, ni
sujet ni forme de discours. Quand le deuxième parle il n'y a plus ni
science, ni technique, ni texte ni contenu. Quand le troisième parle
d'effets de vérité, il réfute du même coup la possibilité de concevoir
l'existence des neurones et des jeux de pouvoir. Chacune de ces formes
de critique est puissante en elle même, mais impossible à combiner
avec les autres.
Une solution existe pourtant pour Bruno Latour qui suggère de recourir
à l'anthropologie et de repartir de son paradigme fondamental de
l'opposition entre nature et culture. Même le plus rationaliste des
ethnographes est capable de lier dans une même monographie, les
mythes, les ethnosciences, les généalogies, les formes politiques, les
techniques, les religions, les épopées et les rites des peuples qu'il
étudie.
Pas un élément qui ne soit à la fois réel, social et narré. Parce qu'il
considère que nous sommes modernes et que par conséquent les
coutures entre nature et culture sont solides.
+ Quelques remarques sur les rapports contemporains entre
science et politique : la pression utilitariste :
Jusqu'à la fin des années soixante c'est essentiellement à propos des
problèmes économiques et autour des services publics d'étude (INSEE
) et du service des études du Ministère des Finances que l'analyse
adopte un but d'utilité pour la définition d'une politique. La transition
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est amorcée entre les "humanités" enseignées à l'Université et des
sciences qui visent à l'explication rationnelle des phénomènes qui
agitent et transforment une société. Ce mouvement concrétise une
tendance amorcée depuis la fin de la seconde guerre mondiale visant à
l'utilitarisme des travaux scientifiques. Ce mouvement conduit à une
certaine unité d'objet : la modernisation et les transformations sociales
sous l'effet de l'expansion économique. Unité institutionnelle
concrétisée par les procédures de financement public. Unité d'esprit
dans la mesure ou un systémisme et un fonctionnalisme permettent
d'utiliser les résultats à des fins opérationnelles.
Pendant la période 60-68, les financements par contrat vont se
développer pour proposer aux chercheurs d'explorer les problèmes
économiques et sociaux de la croissance. Bien peu d'universitaires
iront dans ce sens au nom de la liberté intellectuelle. Des centres
d'études vont alors se créer notamment autour du commissariat au Plan.
Le recul ne durera pas. Après 68, la situation va se retourner. C'est à
partir de l'Université que les idées se sont exprimées. La sociologie va
connaître une période d'expansion en développant des analyses
critiques de la croissance. Les financements publics vont alimenter la
recherche autour de ces idées traitant par exemple de la déqualification
croissante des travailleurs, de l'internationalisation des échanges et de
la production, de problèmes urbains, d'écologie. Une nouvelle
population de chercheurs émerge, proche du terrain. La croissance des
effectifs sera stoppée par la crise économique à partir de 75. Les
sciences sociales vont accompagner la crise et s'intéresser à l'analyse
du contexte nouveau : chômage et incidences sociales, crise de
l'énergie, etc...
En 1981, un nouveau soufle sera donné aux sciences sociales en
même temps que les objectifs de recherche sont redéfinis autour des
problèmes de société. (emploi, problèmes européens, pays en voie de
développement, informatisation, etc...) Dans le même temps l'influence
de Marx et Freud sur les grands modèles de pensée décline au profit de
théories plus modestes:
l'individualisme théorique met l'accent
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sur la capacité de décision des individus. Dans un sens différent, à la
suite de E. Goffman on voit se construire un champ de
l'ethnométhodologie qui s'intéresse aux micro-décisions.
Les connaissances actuelles sur l'infiniment grand et l'infiniment
petit doivent nous rendre encore plus circonspects quant à nos
connaissances. Plus on approche des limites, plus le savoir institué est
fragile comme en mathématiques, un théorème ne fonctionne que s'il
élimine une part du phénomène qu'il explique. C'est en excluant une
donnée du problème que la théorie peut fonctionner.
A t-on pour autant renoncé à tout espoir de globalisation des savoirs
portant sur l'homme. Sûrement pas. Les progrès récents de la biologie
et de la génétique couplés avec les théories de l'information,
l'intelligence artificielle et certaines théories mathématiques (chaos)
permettent de penser la rationalité du désordre et l'imprévisibilité
de l'évènement dans des recherches interdisciplinaires ou la séparation
absolue entre les sciences dures et les autres s'estompe.
Bibliographie du cours
Boudon R., Besnard P., Cherkaoui M., Lécuyer BP., (1998),
Dictionnaire de sociologie, Ed. Larousse-Bordas, Paris.
Duret P., (2004), Sociologie du sport, Petite Bibliothèque Payot, n°506,
Paris.
Defrance J., (1995), Sociologie du sport, collection Repères, n° 164, Ed.
La découverte, Paris.
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