54 RECHERCHE Le pancréas bioartificiel : un traitement La Commission européenne a récemment doté le projet BIOSID de 5,5 millions d’euros pour la validation clinique du pancréas bioartificiel MAILPAN (Macroencapsulation d’îlots pancréatiques). Coordonné par le Centre européen d’étude du Diabète (CeeD) comme les deux précédents projets qui ont permis de mettre au point le prototype, il s’établira sur 36 mois et fédèrera sept partenaires originaires de trois pays différents. L’objectif : offrir aux patients diabétiques de type 1 une alternative physiologique aux greffes pancréatiques humaines, trop souvent mises en échec par le rejet immunitaire et par le manque de donneurs compatibles. © CA physiologique du diabète de type 1 en phase préclinique Créé en 1991 par le Pr Michel Pinget, diabétologue de renom, le CeeD est une association de droit local impliquée dans de nombreux partenariats nationaux et internationaux. Médecins, chercheurs, ingénieurs et techniciens y travaillent sur la prévention, le traitement et la guérison du diabète. © CA L La prochaine génération du prototype de pancréas bioartificiel sera ronde, ce qui permettra d’augmenter la résistance mécanique du dispositif tout en facilitant le vidage des cellules productrices d’insuline. Elle permettra aussi de limiter le caractère traumatique des coins du précédent prototype, carré. Décembre 2013 - Janvier 2014 ❘ Biologiste infos e diabète insulinodépendant ou de type 1 (DID) se caractérise par une production insuffisante d’insuline, imputable à la destruction auto-immune des îlots pancréatiques. La maladie, qui exige une administration quotidienne d’insuline, n’est pas la cause directe du décès ; mais constitue le plus souvent une cause indirecte à travers ses complications, cardiaques majoritairement. Le nombre de personnes souffrant d’un diabète de type 1 a été estimé dans le monde à 25 millions en 2012, dont plus de 300 000 en France. L’insulinothérapie et la greffe sont actuellement les seuls traitements proposés pour pallier l’insuffisance d’insuline. Malheureusement, le succès de la greffe pancréatique ou de la transplantation d’îlots de Langerhans est trop souvent menacé par l’insuffisance du nombre de donneurs ainsi que par la nécessité d’administrer des immunosuppresseurs à vie, dont les effets secondaires à long terme sont encore largement méconnus. 55 RECHERCHE Camille Aulas Sept partenaires impliqués dans BIOSID Pour mener à bien ce projet engendré en 1996, le CeeD et sa société dérivée Defymed fédèrent cinq autres partenaires (en France, au Royaume-Uni et en Belgique) dont le rôle dans la validation des différentes étapes du projet est déterminant : • Avanticell (PME) est chargé du développement d’un milieu de culture favorable à la survie et au bon fonctionnement des cellules transplantées ; • Endocells (PME) étudie le comportement des cellules génétiquement modifiées associées au pancréas bioartificiel ainsi que leur efficacité et sécurité en phase préclinique ; • Le Département d’endocrinologie, diabète et nutrition du CHU de Montpellier conduira une grande partie des études cliniques chez les patients diabétiques ; • Le Département des sciences chirurgicales de Nuffield de l’université d’Oxford se penchera sur la compréhension des besoins des cellules injectées dans le pancréas MAILPAN afin d’optimiser leur survie et leur fonction dans ce dernier. Ce département approvisionne également le pancréas bioartificiel en îlots pancréatiques humains et s’impliquera dans les études cliniques ; • Le laboratoire de chirurgie expérimentale de l’université catholique de Louvain interviendra dans la validation des études précliniques dans le but d’obtenir des grandes instances réglementaires européennes l’autorisation d’entrée en phase clinique. 16 ans de recherche pour mettre au point le pancréas bioartificiel MAILPAN L’idée du pancréas bioartificiel est simple : remplacer les îlots pancréatiques détruits chez les diabétiques de type 1 pour restaurer la sécrétion d’insuline nécessaire à une bonne régulation de la glycémie. L’avantage de cette thérapie, comme dans le cas d’une greffe, réside dans sa nature 100 % physiologique : la régulation de la glycémie du patient s’effectue sans aucune intervention extérieure, ce qui réduit les risques de complications de la dépendance à l’insulinothérapie, et garantit au patient une meilleure autonomie, et donc une meilleure qualité de vie. programmes européens, également pilotés par le CeeD et financés par la Commission européenne. Le premier, le projet BARP (1996-2000), a permis la validation du système d’immunoprotection des îlots par encapsulation via une membrane artificielle à diffusion sélective. Le projet BARP+ (2004-2007) a par la suite permis de valider les matériaux du dispositif, sa biocompatibilité et son efficacité chez le petit animal (rat) comme chez le gros animal (porc). « La start-up Defymed a vu le jour en mars 2011, dans le but de faire évoluer le pancréas bioartificiel MAILPAN vers un dispositif médical qualifié pour sa mise sur le marché », explique Richard BouAoun, manager R&D de la start-up Defymed, de la dissémination et de l’exploitation du projet européen BIOSID. Le projet BIOSID, qui vise aujourd’hui à porter le prototype jusqu’à la phase clinique chez les patients diabétiques de type 1, « a pour objectifs de répondre aux besoins des cellules sécrétrices d’insuline transplantées afin d’améliorer leur espérance de vie dans le pancréas bioartificiel et de valider ce prototype, associé aux cellules sécrétrices d’insuline, chez le gros animal puis chez l’homme », résume Richard BouAoun. Un dispositif médical combiné innovant à implanter Biocompatible et non dégradable, le dispositif entourant les cellules sécrétrices d’insuline repose sur le développement d’une « membrane semi-perméable faite d’un polymère certifié biocompatible », précise Richard BouAoun. Le système fonctionne alors selon le principe de la diffusion sélective grâce à ses pores autorisant le passage des molécules jusqu’à 150 kDa : alors que l’oxygène, les nutriments, le glucose et l’insuline peuvent traverser la membrane librement, celle-ci est imperméable aux cellules immunitaires et aux anticorps. Aucun traitement immunosuppresseur n’est donc nécessaire. Et pour maximiser la biocompatibilité du système, réduire l’inflammation post-opératoire consécutive à l’implantation et accélérer la vascularisation autour du système, la membrane est soumise à un traitement de surface spécifique avant d’être implantée. © CA « Un système entrée/sortie, matérialisé par des Pour éviter le recours indispensable à un traitecathéters, permet le remplissage de la poche de ment immunosuppresseur, les cellules sécrétrices cellules insulino-sécrétrices qui peuvent être obted’insuline, au lieu d’être greffées telles quelles, nues de sources diverses : îlots isolés de donneurs sont transplantées entourées d’une enveloppe humains ou porcins, ou cellules génétiquement immunoprotectrice. La conception de cette modifiées », explique Richard BouAoun. La taille poche protectrice a été confiée à Defymed, PME du pancréas bioartificiel développé pour l’homme française spin-off du CeeD, spécialisée dans la Richard BouAoun, manager R&D de la société Defymed, a été calculée en fonction du nombre d’îlots pande la dissémination et de l’exploitation du projet euroconception et le développement de dispositifs péen BIOSID. créatiques nécessaires pour normaliser le taux médicaux bioartificiels innovants. de glucose chez un diabétique de type 1 : il faut 16 années de recherche ont été nécessaires pour valider les multiples compter entre 10 000 et 20 000 îlots pancréatiques par kilogramme étapes technologiques du dispositif au travers de deux premiers de poids corporel. Le dispositif doit être vidé des cellules mortes Biologiste infos ❘ Décembre 2013 - Janvier 2014 56 RECHERCHE © CA îlots humains, puis avec des cellules génétiquement modifiées. D’ici 2015, l’efficacité du pancréas bioartificiel sur la régulation glycémique devra avoir été démontrée chez le primate, préalablement rendu diabétique via un traitement à la streptozotocine. La validation des phases précliniques permettra dans un second Jordan Magisson, assistant ingénieur R&D chez Defymed, met en culture une portion d’insulinome humain, tumeur endocrine responsable d’une sécrétion inappropriée d’insuline, afin d’isoler les cellules susceptibles de sécréter de l’insuline en continu. © CA suite à un manque d’oxygène ou de nutriments, tous les deux à six mois selon l’origine des îlots, rincé, puis rempli avec de nouvelles cellules par simple injection sous-cutanée dans les chambres reliées aux cathéters. « Nous devons encore optimiser l’environnement que la poche offre aux cellules pour augmenter leur survie au-delà Defymed est chargée de la conception du pancréas bioartificiel et de son adaptation aux modèles de six mois et garantir leur bon fonctionnement, expose Richard utilisés : animaux ou humain. Avant de rentrer en étude préclinique sur le gros animal, des études de BouAoun. Nous travaillons notamment sur la formulation d’un preuves de concept ont été menées sur le petit animal afin de réduire le nombre d’individus nécesmilieu de culture innovant comprenant des molécules bénéfiques saires pour l’étude préclinique, une réponse aux exigences éthiques sur l’expérimentation animale. pour la survie des îlots ». Chez le gros animal, le prototype est implanté près de la cavité abdominale, temps de rentrer en phase clinique chez Les autres projets de recherche les chambres étant placées sous la peau l’homme. Seize patients diabétiques fondamentale du CeeD pour un remplissage post-opératoire de la seront suivis sur une durée d’un an poche plus facile. Il faut attendre quelques minimum, dont douze à Montpellier et Outre son implication dans le pancréas bioartificiel MAILsemaines pour maximiser la vasculariquatre à Oxford, et la biocompatibilité PAN, le CeeD est engagé dans le projet « Vectorisation sation autour de la poche et pour que la du système, tout comme son efficade médicaments ». Ce projet ambitionne de permettre aux diabétiques une administration orale d’insuline réaction inflammatoire soit résorbée avant cité sur la régulation de la glycémie, lente grâce à une double encapsulation protégeant d’injecter les îlots dans la poche. Reste à devront être démontrées. la molécule d’intérêt des sucs digestifs durant son savoir si le site d’implantation choisi chez Parallèlement, le dispositif médical trajet jusqu’à l’intestin, où elle sera absorbée sous le gros animal est adaptable à l’homme ; devra obtenir un marquage CE, gage la forme de nanoparticules. ces études sont en cours. de sa sécurité et de son efficacité et condition sine qua non de sa mise Autre exemple : le projet « Antioxydants et prévenVers les phases sur le marché. Defymed est chargé tion du diabète » vise à sélectionner des aliments cliniques en 2015 de gérer l’aspect réglementaire relaà propriétés anti-oxydantes intéressantes dans la tif à la poche immunoprotectrice. prévention du diabète de type 2 et de ses compliL’équipe a jusqu’à 2016 pour finaliser « Mais le pancréas bioartificiel dans cations. L’ambition est ici d’élaborer une stratégie la première phase clinique. « L’étude sa globalité comprend aussi les celnutritionnelle préventive et d’accompagner des de la biocompatibilité a d’ores et déjà lules transplantées dans la poche, qui traitements actuellement proposés aux patients diabétiques. débuté chez le primate ; la prochaine relèvent elles du cadre réglementaire étape sera le remplissage du dispositif des médicaments », nuance Richard par des cellules insulino-sécrétrices, probablement fin 2013 », BouAoun. Les étapes réglementaires à valider pour la mise sur rapporte Richard BouAoun. Des îlots porcins seront d’abord le marché de ce dispositif médical combiné à un type cellulaire, transplantés, la même expérience sera ensuite tentée avec des sont donc doubles. ■ Décembre 2013 - Janvier 2014 ❘ Biologiste infos