Hervé This, Équipe INRA de Gastronomie moléculaire, AgroParisTech 1
Introduction
à la Mécanique quantique
Hervé This
0. Pourquoi l’étudier ?
Les activités de formulation sont celles qui produisent des aliments, des médicaments, des
peintures… bref, ce que l’on nommait naguère des « arts chimiques ». Par exemple, la
pharmacie est l’activité qui s’intéresse à la conception, au mode dʹaction, à la préparation et à
la dispensation des médicaments. Elle comporte une activité scientifique (la recherche des
mécanismes des phénomènes) et une activité technologique (l’amélioration des pratiques,
techniques, par l’usage des connaissances scientifiques).
Pour faire de la science, il faut connaître la méthode scientifique, qui a été nommée méthode
« expérimentale », ou méthode hypothético-déductive. Il faut aussi comprendre que « faire
de la science », ce n’est pas « faire des expériences ». Ceux qui feront des expériences sont
des techniciens, ou bien des scientifiques apprenants, qui doivent connaître les chausse-
trappes techniques afin de savoir les faire éviter aux autres. Pour les pharmaciens
scientifiques, les études concernent le plus souvent soit des interactions entre molécules
(principes actifs) et cibles biologiques, soit les phénomènes de transport (diffusion, etc.), soit
des phénomènes intracellulaires ou génétiques. Pour ces travaux, la connaissance que l’on a
n’est rien… puisque c’est l’inconnu que l’on veut découvrir. Or pour découvrir des territoires
inconnus, mieux vaut être prévoyant : tous les types de bagages sont utiles. La mécanique
quantique s’impose, au moins au titre de viatique, et, pour plusieurs types de travaux,
comme une discipline indispensable.
Par exemple, si l’on s’intéresse au « docking » de principes actifs entre les bases de l’ADN, en
vue de bloquer la réplication, on peut évidemment chercher à synthétiser des molécules au
hasard, mais ne vaut-il pas mieux comprendre comment des interactions moléculaires
stabiliseraient les complexes ? Cela signifie explorer des interactions moléculaires : la
mécanique quantique s’impose, puisqu’il s’agit d’établir des liaisons, et que les liaisons ne
sont pas réductibles à de petits traits entre des lettres, sur une feuille de papier, pour
comprendre quels angles de liaisons sont possibles, quelles directions sont celles où des
liaisons peuvent s’établir.
Pour faire de la technologie, également, la mécanique quantique est utile, parce qu’il faut
utiliser des connaissances pour introduire des produits nouveaux. Mieux encore, l’institution
ne ferait pas bien son travail si elle enseignait des connaissances anciennes, car les
possibilités d’innovation seraient nulles : le risque que l’on ait déjà pensé à appliquer des
connaissances anciennes est grand. Pour produire des avancées technologiques, il vaut
mieux penser à appliquer des connaissances récentes. Le bon technologue doit être formé par
les connaissances les plus fraîches (et un bon conseil à lui donner est de continuer de
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chercher à connaître les avancées de la science, non pour en faire, mais pour en tirer des
applications).
Dans tous les cas, les disciplines clé sont la chimie, la physique, la biologie.
Pendant longtemps, la chimie a cherché la constitution des corps. Elle a ainsi compris
progressivement que certains étaient faits de molécules, faites elles-mêmes d’atomes ;
d’autres (les métaux, les solides cristallins…) étaient faits d’atomes, liés différemment. Dans
les deux cas, il y a des atomes.
La première phase du développement de la chimie, l’étude de l’organisation des atomes,
s’est poursuivie de deux façons principales. Ayant conçu l’idée des atomes, on a cherché si
l’on pouvait diviser ces derniers. Ont été découvertes les particules subatomiques (protons,
neutrons, électrons), puis, quand on a augmenté l’énergie de fractionnement de ces objets, on
a découvert d’autres particules, jusqu’aux quarks.
La chimie, elle, s’est arrêtée à l’énergie de dissociation des molécules, mais elle s’arrête à
l’énergie qui dissocie les atomes. En revanche, son développement ne s’est pas arrêté : après
avoir collectionné des papillons, on a cherché leur « fonctionnement ». Autrement dit, les
chimistes se sont intéressés aux mécanismes des réactions chimiques.
Qui dit réaction chimique dit (notamment en chimie organique, laquelle concerne tout
particulièrement les pharmaciens) réarrangements d’atomes, et modifications de liaisons. Or,
on l’a vu, les liaisons ne sont pas des tiges en plastiques entre des boules, mais résultent
plutôt de la répartition des électrons entre les noyaux atomiques. Leur mécanique n’est pas
celle des boules de billard… mais une mécanique qui a pour nom « mécanique quantique ».
Et c’est ainsi que les pharmaciens ne peuvent faire leur travail que s’ils ont des notions de
mécanique quantique.
La mécanique quantique permet de comprendre que les atomes ne s’unissent pas au hasard,
que des géométries moléculaires particulières sont imposées par des « lois invisibles » de la
nature.
1. La question du corps noir :
On sait que la « couleur » d’un fer à cheval (ou simplement d’une épingle que l’on chauffe à
la flamme d’un briquet) change avec sa température. On voit dans le ciel, la nuit, des étoiles
de différentes couleurs. De rouge, la couleur vire au jaune, puis au blanc (et les étoiles, bien
plus chaudes, sont parfois bleues).
Pourquoi ?
Pourquoi la longueur d’onde dominante diminue-t-elle ainsi, avec la température des corps ?
Pour étudier cette question, les physiciens préfèrent considérer ce qu’ils nomment un « corps
noir », c’est-à-dire un corps idéal qui absorbe et émet les rayonnements de toutes les
fréquences. Le rayonnement émis est, en conséquence « le rayonnement du corps noir ».i
Les courbes représentant l’intensité du rayonnement du corps noir en fonction de la
fréquence ont été enregistrées expérimentalement, à diverses températures, et de nombreux
théoriciens ont cherché des « lois » reliant intensité, fréquence et température… mais jusqu’à
Max Planck, ils avaient tous échoué.
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Avec les lois de la physique du XIX e siècle, on trouvait ainsi que la densité d’énergie
rayonnée entre les fréquences f et f+df (en J.m-3) était :
df
c
Tk
dfTTfd B
f3
8
)(),(
π
ρρ
== Eq. 1
f est la fréquence, T la température absolue et kB la constante de Boltzmann, égale au
rapport de la constante des gaz parfaits R par la constante d’Avogadro.
Cette loi est la loi de Rayleigh-Jeans (des physiciens anglais John William Strutt Rayleigh et
James Jeans). Elle reproduit bien les variations à basse fréquence, mais diverge comme f2,
alors que la courbe réelle observée est un courbe en cloche, d’intégrale finie (la puissance
rayonnée est proportionnelle à l’intégrale de la courbe).
Cette divergence a été nommée « catastrophe de l’ultraviolet ».
Le physicien allemand Max Planck a proposé une bonne interprétation du rayonnement du
corps noir en 1900. Il supposa que les rayonnements émis étaient provoqués par des
oscillations des électrons des atomes constituant le corps noir (un peu comme une antenne
produit des ondes radio), mais il comprit que les valeurs des énergies des oscillateurs étaient
discontinues et devaient être proportionnelles à un multiple entier de la fréquence :
E=nhf,
E étant l’énergie d’un oscillateur, n un nombre entier, h une constante de proportionnalité et
f la fréquence. Il obtint la relation :
df
e
f
c
h
dfTTfd Tkhf
fB
/
3
3
8
)(),(
π
ρρ
== Eq. 2
Cette nouvelle relation était en parfait accord avec l’expérience, si l’on prend pour h la valeur
6.62E-34 J.s. Cette constante est aujourd’hui nommée constante de Planck.
En écrivant cette relation pour la densité d’énergie rayonnée en fonction de la longueur
d’onde, et non de la fréquence, on trouve :
λ
λ
π
ρλρ λ
λ
d
e
hc
dfTTd Tkhc B
/5
18
)(),( == Eq. 3
La quantité au premier membre est la densité d’énergie rayonnée entre λ et λ +dλ. En
l’utilisant, on trouve la longueur d’onde maximale à une température donnée T :
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λmaxT = hc/4.965kB (loi de déplacement de Wien).
2. Un autre pilier de la physique quantique : l’étude de l’effet photoélectrique
En 1886, le physicien allemand Heinrich Hertz découvrit qu’un rayonnement ultraviolet
envoyé sur une plaque métallique provoque l’émission d’électrons par la surface du métal.
C’est l’effet photoélectrique.
Selon la physique classique, l’émission d’électrons aurait dû augmenter avec l’intensité de la
lumière éclairant la plaque. Or, expérimentalement, l’énergie cinétique des électrons émis est
indépendante de l’intensité du rayonnement incident ! De plus, toujours selon la physique
classique, l’effet photoélectrique aurait dû s’observer pour toutes les longueurs d’onde, à
condition que l’intensité lumineuse soit suffisante.
Ce n’est pas ce qui est observé !
Albert Einstein proposa, pour expliquer le phénomène, qu’un rayonnement
électromagnétique soit composé de petits paquets d’énergie que nous nommons aujourd’hui
des photons, l’énergie de ces photons étant reliée à la fréquence par la relation :
E=hf.
En utilisant le principe de la conservation de l’énergie, il montra que l’énergie cinétique Ec
des électrons éjectés est égale à l’énergie des photons incidents (hf) moins le minimum
d’énergie nécessaire (φ) pour arracher un électron du métal :
Ec=mv2/2=hf- φ. Eq. 4
Φ est l’énergie d’extraction du métal, analogue à l’énergie d’ionisation d’un atome isolé.
Comme Ec ne peut être négatif, on voit qu’il existe une fréquence f0 des photons minimale, à
partir de laquelle on observe l’effet :
φ= hf0. Eq. 5
Par l’étude de l’effet photoélectrique, Einstein obtint une valeur de h en bon accord avec celle
de Planck tirée de l’étude du corps noir. Ce fut une indication que l’idée étrange de la
quantification était peut être féconde.
3. Le spectre de l’hydrogène et la théorie de Bohr
Un troisième type de travaux corrobora les premières impressions : l’étude du spectre de
l’atome d’hydrogène.
Quand on soumet de l’hydrogène à des décharges électriques ou à de hautes températures, le
gaz émet des fréquences distinctes. Le spectre atomique étant caractéristique des atomes, on
se doutait que le spectre dépendait de la répartition des électrons dans les atomes.
Pendant des années, on a ainsi essayé de comprendre la répartition des fréquences
d’émission, mais, en 1885, le scientifique amateur suisse Johan Balmer montra que la
fréquence des raies variait en 1/n2 ; notamment dans le domaine visible :
)
4
1(10.2202.8 2
14
n
f= Eq. 6
Où n est un nombre entier naturel.
Toutefois, cette loi était empirique. Le fait qu’elle était quantifiée, en revanche, semblait à
nouveau montrer que la quantification était une idée forte.
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4. Des relations entre ondes et particules
Si les ondes sont continues, les particules –au moins considérées comme des boules de
billard- sont discontinues. De quelle nature est la lumière ? Les expériences d’interférence
(fentes d’Young) semblent montrer que la lumière a une nature ondulatoire, tandis que les
expériences sur l’effet photoélectrique montrent qu’elle a une nature corpusculaire. C’est la
« dualité onde-corpuscule ».
En 1924, le physicien français Louis de Broglie estima que si la lumière manifeste une dualité
onde-particule, alors la matière pourrait aussi présenter une telle dualité. Il plaça cette idée
dans un cadre quantitatif. A partir de la théorie de la relativité, Einstein avait montré que la
longueur d’onde λ et l’impulsion p d’un photon sont reliés par :
λp=h. Eq. 7
De Broglie proposa que la lumière et la matière obéissent à cette même relation.
En 1911, le physicien danois Niels Bohr présenta une théorie qui expliquait cette loi, ainsi
que la loi de Rydberg analogue.
Suivant un modèle atomique classique, avec un électron qui tourne autour du noyau, la force
qui maintient l’électron sur une orbite circulaire est la force d’attraction coulombienne. Par
exemple, pour l’atome d’hydrogène :
2
0
2
4r
e
f
πε
= Eq. 8
r est le rayon de l’orbite, e la charge de l’électron, ε0 la permittivité du vide.
Si on applique alors la loi de Newton :
F=mea,
Où a est l’accélération normale, on obtient :
r
vm
r
ee
2
2
0
2
4=
πε
Eq. 9
Cependant, si l’électron est accéléré, il doit perdre de l’énergie en émettant un rayonnement
électromagnétique et tomber en spirale sur le noyau. Bohr admit l’existence d’orbites
stationnaires pour l’électron, puis il caractérisa ces orbites au moyen d’une hypothèse qui
stipule que l’onde de de Broglie de l’électron doit rester en phase avec elle-même chaque fois
que ce dernier effectue un tour complet. Soit :
.2
λ
π
nr = Eq. 10
Si on porte l’équation de de Broglie dans cette relation, on obtient :
.
2
π
nh
vrme= Eq. 11
Le premier membre est le moment cinétique de l’électron. Autrement dit, le moment
cinétique de l’électron serait quantifié, et le quantum de moment cinétique serait h/2π, ou .h
En reportant la vitesse v de cette dernière équation et en la remettant dans l’équation Eq. 9,
on trouve les rayons des orbites :
2
22
0
2
22
04
em
n
em
nh
r
ee
h
πε
π
ε
== Eq. 12
Le premier rayon de Bohr est souvent noté a0.
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