Colloques scientifiques et journées de conférences et d’échanges Quand les plantes se parlent Édition 2014 Colloque scientifique 23 mai 2014 • Paris 16e colloque scientifique - Paris, 23 mai 2014 QUAND LES PLANTES SE PARLENT > Sommaire Page 4 • La communication chez les plantes : un regard historique Stéphane Tirard Page 9 • Les outils de la communication végétale Yvan Kraepiel LA COMMUNICATION INTERNE Page 14 • Les signaux d’un développement harmonieux Arnould Savouré Page 18 • Réactions aux stress environnementaux Thierry Améglio Page 25 • Le dialogue porte-greffe - greffon Sarah Cookson Page 30 • Impact de la nutrition azotée et de la variété du porte-greffe sur la croissance végétative de la vigne. Julien Lecourt LA COMMUNICATION EXTERNE Page 33 • L’exploitation des plantes par les plantes Philippe Delavault Page 38 • La symbiose, un échange gagnant-gagnant Francis Martin Page 41 • Les composés volatiles donnent l’alerte chez les plantes Xavier Daire Page 44 • Induction de résistances chez le blé lors d’une interaction compatible avec Blumeria graminis Christine Tayeh Page 51 • Insectes et plantes : je t’aime moi non plus Frédéric Marion Poll Page 54 • Conclusion Yvan Kraepiel Page 58 • Sélection de livres La communication chez les plantes : un regard historique Stéphane Tirard, Centre François Viète d’Histoire des Sciences et de Techniques Université de Nantes Résumé La communication chez les plantes renvoie à une fonction évidente chez les animaux, mais beaucoup plus problématique chez les végétaux. Le cadre de notre réflexion sera principalement celui de l’histoire des travaux sur la distinction entre les règnes animal et végétal au XIXe siècle. L’idée de la «sensibilité» des végétaux est en effet à cette époque au cœur de ce questionnement. Nous analyserons donc les travaux d’un ensemble de biologistes du XIXe siècle : Lamarck, Dutrochet, Darwin, Bernard… afin de révéler la complexité des différences et analogies qu’ils établissent entres les deux règnes, en mobilisant notamment la présence ou l’absence de « sensibilité », tant par des constats naturalistes que par des approches physiologiques. Pour terminer, nous montrerons comment les développements de la physiologie végétale durant la deuxième partie du XIXe et le début du XXe siècle ont révélé des spécificités fondamentales des végétaux sur lesquelles se fonde aujourd’hui la thématique de ce colloque. Introduction Le présent colloque est intitulé : « Quand les plantes se parlent ». Cette courte phrase révèle la relation complexe qui nous lie aux végétaux. Mais elle nous rappelle également la distinction établie de très longue date entre ce que l’on appelait les deux règnes. Cette phrase conduit à rouvrir le dictionnaire au mot parler, si trivial que nous pourrions en oublier la signification. Il nous est confi rmé un sens premier correspondant à l’usage de la voix chez l’homme : « Émettre les sons articulés d’une langue maternelle ». Les plantes semblent exclues de cette possibilité, tous les animaux également d’ailleurs. C’est évidemment dans un sens métaphorique que nous comprenons le titre de cette journée. Il s’agirait d’étudier ici les mécanismes de communication existant entre les plantes, en les assimilant à la parole. Ainsi, en se référant à cette fonction de communication, ce titre compare les plantes aux animaux, et notamment à l’homme. Par vocation, le regard de l’historien des sciences se porte sur le passé et donc nous reviendrons sur l’histoire de cette tension « différence / ressemblance » entre les animaux et les végétaux, dans laquelle doit être considérée cette métaphore sur « la parole » des plantes. Nous commencerons par nous intéresser à la limite végétal-animal telle qu’elle fut établie aux XVIIIe et XIXe siècles. La présentation de quelques étapes de la biologie, qui aux XIXe et XXe siècles, ont montré l’unité du monde vivant à l’échelle cellulaire et moléculaire, nous occupera dans un deuxième temps. Enfin, ceci nous permettra de saisir dans quelles conditions il a été possible de montrer que la communication à l’intérieur de l’organisme végétal consiste en des phénomènes moléculaires. La limite végétal-animal La distinction entre les règnes animal et végétal n’a jamais manqué de poser un problème profond aux observateurs, qu’ils soient naturalistes ou philosophes. Je ne commencerai cette courte présentation qu’au XVIIIe siècle, alors qu’il ne faudrait pas oublier les auteurs qui, dès l’antiquité, ont souligné les différences entre les deux règnes. C’est Denis Diderot (1713-1784) lui-même qui signe l’article intitulé Animal dans l’Encyclopédie. Il y étudie notamment les différences avec le végétal : « L’animal réunit toutes les puissances de la nature ; les sources qui l’animent lui sont propres et particulières ; il veut, il agit, il se détermine, il opère, il communique avec ses sens avec les objets les plus éloignés ; son individu est un centre où tout se rapporte ; un point où l’univers entier se réfléchit ; un monde en raccourci.1 » C’est ainsi la relation aux autres êtres que Diderot place au centre de sa définition. Le lecteur peut donc s’attendre à la retrouver comme un critère de distinction entre les deux règnes dans la suite de son analyse. Plus loin, Diderot s’appuie en effet sur la propriété d’irritabilité : « Je ne crois pas que la fibre végétale ait la faculté d’être irritable. Si l’on observe dans beaucoup de végétaux des phénomènes qui semblent 4 1 Denis Diderot, “Animal”, Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences et des arts et des métiers, Paris, Flammarion, 1986, p. 242. indiquer une véritable irritabilité, comme les mouvements singuliers des sensitives (mimosa pudica, oxalis sensitiva, etc.) dans les articulations de leurs rameaux ou de leurs feuilles, et celui des étamines de l’épine-vinette (berberis vulgaris), etc. Lorsqu’on touche ces parties ou qu’on les ébranle d’une manière quelconque ; je suis persuadé que ces mouvements sont dus à une cause mécanique, et non à l’irritabilité des parties.2 » Le philosophe attribue ainsi à l’irritabilité un rôle crucial dans la distinction entre les deux règnes et elle est donc éliminée chez les végétaux. Pour les observateurs naturalistes, le problème de la limite animal-végétal s’est posé à maintes reprises aux XVIIe et XVIIIe siècles, notamment dans le cadre de la classification. C’est ainsi que les zoophytes, par leur apparence, semblent de part et d’autre de cette frontière et leur dénomination entretint longtemps l’ambiguïté. En 1801, Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) rappelait ce débat, qui a perduré, par un commentaire tranché : « La connaissance de ces animalcules et la considération des masses3 ordinairement rameuses et dendroïdes qui leur servent de réceptacle et d’habitation, firent ensuite donner à ces mêmes masses le nom de zoophytes, qui veut dire animaux-plantes, comme si les objets dont il s’agit participaient de la nature de l’animal et de celle de la plante. On a même prétendu, dans des ouvrages très modernes, que les polypiers rameux croissaient par intussusception4 , en sorte que le tronc et les branches étaient de véritables végétations et leurs auteurs ont donné le nom de fleur-animal au polype même qui habite chaque cellule de ces polypiers. Mais cette opinion est une erreur évidente. Il n’y a dans le polypier le plus ramifié rien qui tienne de la nature d’un végétal ; si l’on en excepte l’apparence ou la configuration extérieure. Tout y est animal ou production animale. Chaque polype est un être vivant, doué du mouvement volontaire et muni d’un canal intestinal, aucun végétal connu n’off re rien de semblable. »5 Qu’en est-il de la parole ? Elle n’est présente que chez l’homme au terme d’une échelle de la complexité des façons de communiquer. « S’étant ainsi répandu presque partout, et ayant pu se multiplier considérablement, ses besoins s’accrurent progressivement par suite de ses relations avec ses semblables, et se trouvèrent infiniment diversifiés. Or, ceux des animaux qui jouissent comme lui des facultés d’intelligence, mais dans des degrés fort inférieurs, n’ayant qu’un petit nombre de besoins comparativement aux siens, n’ont aussi qu’un très petit nombre d’idées ; et, pour communiquer entre eux, quelques signes leur suffisent entièrement. Il en est bien autrement à l’égard de l’homme ; car ses besoins s’étant infiniment accrus et diversifiés, et le forçant à multiplier et à varier proportionnellement ses idées, il fut obligé d’employer des moyens plus compliqués pour communiquer sa pensée à ses semblables. De simples signes ne lui suffirent plus. Il lui fallut non seulement varier les sons de sa voix, mais en outre les articuler ; et selon le développement particulier de l’état intellectuel de chaque peuple, les sons articulés, destinés à transmettre les idées, reçurent une complication plus ou moins grande. La faculté de former des sons articulés, qui, par convention, expriment des idées, constitue donc celle de la parole que l’homme seul a pu se procurer ; et la nature des conventions admises, pour attribuer à ces sons articulés des idées usuelles, constitue aussi les diverses langues dont il fait usage. »6 Retenons donc que les débats naturalistes et philosophiques du XVIIIe et du début du XIXe siècles ont délimité les deux règnes. La distinction établie pouvait porter sur un très large ensemble de caractères, la communication apparaissant alors comme l’apanage des animaux et la parole comme celui de l’homme. 2 J.B. Lamarck, Mémoires de physique et d’histoire naturelle, établis sur les bases de raisonnement indépendantes de toute théorie ; avec l’explication de nouvelles considérations sur la cause générale des dissolutions ; sur la matière de feu ; sur la couleur des corps ; sur la formation des composés ; sur l’origine des minéraux, et sur l’organisation des corps vivants, lus à la première classe de l’Institut national dans ses séances ordinaires, suivis de Discours prononcé à la Société Philomatique le 23 floréal an V, 1797, p. 12. 3 Masse : Groupe d’organismes 4 Intussusception : Pour les auteurs de l’époque, mode d’accroissement par pénétration des éléments nutritifs au sein des êtres organisés. 5 J.B. Lamarck, Système des Animaux sans vertèbres, ou Tableau général des classes, des ordres et des genres de ces animaux ; présentant leurs caractères essentiels et leur distribution d’après les considérations de leurs rapports naturels et de leur organisation, et suivant l’arrangement établi dans les galeries du Muséum d’Histoire naturelle, parmi leurs dépouilles conservées ; précédé du Discours d’ouverture de l’an VIII de la République, Paris, Deterville, 1801, pp. 366-367. 6 J.-B. Lamarck, Système analytique des connaissances positives de l’homme, restreintes à celles qui proviennent directement ou indirectement de l’observation, Paris, Chez l’Auteur et Belin 1820, pp. 151-152. 5 De la cellule à la molécule : une nouvelle unité du vivant Si nous venons de souligner que les végétaux sont définitivement distingués des animaux au début du XIXe siècle, qu’en est-il de l’unité du monde vivant ? C’est l’étude microscopique et moléculaire des organismes qui la révèlera. e L’invention du microscope au XVII siècle n’a pas entraîné automatiquement la découverte et la conception d’une structure élémentaire microscopique universelle du vivant. Les débats effectifs sur ce problème ne datent en effet que du premier tiers du XIXe siècle. Ils concernent alors autant le végétal que l’animal. Il est bien connu que la première théorie cellulaire est due aux travaux complémentaires d’un botaniste et d’un physiologiste. En effet, le botaniste allemand Mathias Schleiden (1804-1881) note que les végétaux sont constitués de cellules structurées autour d’un noyau, alors appelé le cytoblaste. Cette idée est reprise par Theodor Schwann (1810-1882) qui, en 1839, l’étend aux animaux après de nombreuses observations. Nous assistons donc ici à un phénomène de généralisation d’un concept qui tend à montrer l’unité du monde vivant. La théorie cellulaire est révisée dans la première moitié des années 1850, en ce qui concerne les modalités de la formation des cellules. Il est alors établi indépendamment par Robert Remak (1815-1865) et Rudolf Virchow (1821-1902) que toute cellule se forme par la division d’une cellule préexistante. Un peu plus tard, au tournant des années 1870, l’observation microscopique devenant plus précise, les divisions cellulaires sont décrites chez les végétaux, puis chez les animaux, le processus de partage des chromosomes s’avérant remarquable de constance et d’universalité. Au cours du XIXe siècle, la cellule s’est donc imposée comme une structure universelle unifiant la compréhension du monde vivant. Dans ce contexte, le protoplasme, la matière constituant les cellules, attire l’attention des physiologistes. Il est ainsi au cœur des Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux végétaux et aux animaux données par Claude Bernard (1813-1878) au Muséum d’Histoire naturelle entre 1872 et 1874. Dès la deuxième leçon, Bernard distingue trois formes de vie, mais il ne sépare aucunement les animaux et les végétaux, au contraire, car son but est de préciser ce qui est physiologiquement commun à l’ensemble du monde vivant. 6 7 8 Il propose donc de distinguer « trois formes de vie » : « 1° la vie latente ; vie non manifestée. 2° La vie oscillante ; vie à manifestations variables et dépendantes du milieu extérieur. 3° La vie constante ; vie à manifestations libres et indépendantes du milieu extérieur. »7 La première forme de vie peut concerner aussi bien les graines que certains invertébrés et la deuxième la plupart des animaux, ainsi que les végétaux. La troisième, en revanche, ne considère que les oiseaux et les mammifères. L’ensemble des leçons tend à délivrer une explication du vivant à l’échelle du protoplasme, matière que Bernard désigne comme le constituant fondamental des cellules, dans lequel réside l’activité vitale. « Le protoplasme seul vit ou végète, travaille, fabrique des produits, se désorganise et se régénère incessamment : il est actif en tant que substance et non en tant que forme ou figure. » « Le phénomène fondamental de la création organique consiste dans la formation de cette substance, dans la synthèse chimique par laquelle cette matière se constitue au moyen des matériaux du monde extérieur. »8 Ce sont des différences de constitution du protoplasme qui permettront au physiologiste d’expliquer les différences entre les phénomènes respectivement caractéristiques des animaux et des végétaux. Bernard décrit longuement un protoplasme vert ou chlorophyllien. Il affirme qu’il y a du protoplasme vert et du protoplasme blanc, chez les animaux, comme chez les végétaux. Les deux protoplasmes ont, selon lui, des comportements chimiques distincts. Les travaux de Bernard ne sont qu’un exemple parmi les très nombreux et très significatifs efforts d’une physiologie qui tend vers une chimie biologique, domaine qui évoluera en biochimie. Cette dernière sera également une discipline unificatrice du vivant, tout en possédant les moyens de révéler et d’expliquer des phénomènes spécifiques. Les développements de la génétique au début du XXe siècle vont dans ce même sens de la construction d’une unité des phénomènes fondamentaux du vivant. Les travaux de Gregor Mendel (1822-1884) (publiés en 1865, ils passent inaperçus pendant 35 ans et seront redécouverts en 1900) portaient, comme cela est bien connu, sur le petit pois. De Vries, Correns et Tchermak qui les révèlent travaillaient eux aussi sur des végétaux et ce fut l’œuvre de biologistes tels que Bateson ou C. Bernard, Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et végétaux, Baillère, Paris, 1878, p. 67. Ibid., pp.202-203. Cuénot de généraliser les concepts émergents de la génétique aux animaux dans les années 1900. Puis, à partir de 1910, Thomas Morgan (1866-1945) révise la troisième loi de Mendel et pose définitivement les bases de la génétique mendélienne, notamment avec ses travaux sur les croisements de drosophiles. La génétique s’impose dès lors progressivement au cours des décennies suivantes comme une discipline universelle. C’est au milieu du XXe siècle que la biologie moléculaire émerge autour de concepts qui consolident encore l’universalité des structures et phénomènes fondamentaux : structure des macromolécules, universalité du code génétique, principes de la synthèse des protéines, ce qui fit parfois dire que la biologie moléculaire expliquait le vivant de la bactérie jusqu’à l’éléphant. Et il faudrait ajouter, en passant par la plante. Face à cette unité fondamentale, la communication apparaît comme une fonction complexe qui ne semble pas, pour sa part, universellement distribuée. Bien que partageant les mêmes structures et phénomènes fondamentaux, animaux et végétaux ont connu des voies évolutives clairement distinctes. Et si les hommes parlent, si les animaux communiquent par différents moyens, l’évolution a-t-elle pourvu les végétaux de propriétés analogues ? Au-delà des limites imposées par l’approche comparative, la communication doit donc être considérée, voire redéfinie, dans le cadre spécifique des végétaux. « Tous les êtres vivants sont susceptibles de subir certaines modifications vitales, par l’influence de certains agents qui leur sont extérieurs. Les physiologistes ont donné le nom de sensibilité à la faculté, à la propriété vitale, en vertu de laquelle a lieu cette influence des causes extérieures sur l’être vivant. » 9 La croissance, l’équilibre ou les mouvements des végétaux sont autant d’exemples frappants dans lesquels pourrait s’exercer l’influence d’un « facteur » externe. Ils se trouvent en fait au centre de la problématique qui nous intéresse, car révélant les bases de cette sensibilité. Ces phénomènes sont très étudiés dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Ils sont pris en compte dans la notion de fonction de relation, qui s’impose, à partir de cette époque, chez l’animal comme chez le végétal. À titre d’exemple, citons la classification qu’en donne R. Chodat dans ses Principes de Botanique en 1907, dans le chapitre intitulé « Fonction de relation » 10 : Morphogenèse Automorphoses et Régénération Photomorphoses Thermomorphoses Hydromorphoses Chimiomorphoses Biomorphoses Géomorphoses Mécanomorphoses Tactismes Les fonctions de relation et les hormones Il est maintenant temps de revenir sur la métaphore qui nous intéresse dans le cadre de cette journée et de nous pencher sur certains travaux concernant la compréhension des phénomènes de la perception chez les végétaux. Ces phénomènes complexes qui mobilisent tout ou partie de l’organisme et dont les causes peuvent être externes, peuvent évoquer les bases d’une forme de communication. Si la stricte séparation des deux règnes semble assez largement partagée dès le début du XIXe siècle, la recherche d’une unité du monde vivant continue parfois à mobiliser des questionnements sur la nature des phénomènes évoquant la sensibilité. C’est ainsi, par exemple, que Henri Dutrochet (1776-1847), à la recherche d’analogies fondamentales entre les deux règnes, n’hésite pas à assimiler les grains de fécules à des corpuscules nerveux, dotant ainsi les végétaux de sensibilité : 9 Chimiotactismes Osmotactisme Phototactisme Héliotactisme Thermotactisme Hydrotactisme Rhéotactisme Tropisme Géotropisme Les autres tropismes Rhéotropisme Tropisme des plantes volubiles et grimpantes Haplotropisme Origine et nature des vrilles Mouvements provoqués par des variations de turgescence La sensibilité des plantes carnivores Dutrochet, Recherches anatomiques et physiologiques sur la structure intime des animaux et des végétaux et sur leur motilité, Paris, J.B. Baillière, 1824, p.1. 10 R. Chodat, Principes de botanique, Genève, Georg et Cie, 1907, p. 358 et suiv. 7 Équilibre des organes Conclusion Parmi ces thèmes, certains s’avérèrent particulièrement emblématiques. Ainsi, quant à la morphogénèse, les travaux de T.A. Knight sur l’influence de la gravité sur la croissance des tiges ont marqué à partir de 1806 une première étape. Sans entrer dans le détail des recherches sur cette question, il faut également signaler les expériences menées par Charles Darwin (1809-1882) et son fi ls Francis (1848-1925). En 1880, ils ont en effet travaillé sur la courbure du coléoptile sous l’effet de la lumière11. Ils montrent que si la zone de courbure se situe à quelques millimètres de l’apex du coléoptile, c’est cependant cette extrémité qui est sensible à la lumière. Les résultats des Darwin participèrent à ouvrir le champ de la réflexion sur les modalités de la relation entre la zone de perception et celle où s’exécute une action. L’usage actuel d’expressions métaphoriques relatives à la parole ou au langage des plantes est sans doute stimulant, voire euristique. Pourtant, je souhaite conclure en insistant sur une évidence : le fait que les végétaux ont leurs propres spécificités. Ainsi, la question des modalités de la communication, interne ou externe, des végétaux s’appuie certes sur des fondements biologiques universels, mais revêt des spécificités que nous allons découvrir dans ce colloque. La comparaison avec la communication animale a sans doute pour première limite l’immense distance qui sépare les deux règnes. Si les comparaisons conduisent à des métaphores, ayant sans doute pour fonction de réduire cet éloignement, celles-ci ne risquent-elles pas de cacher les plus passionnantes différences sous le masque de fausses ressemblances ? Pendant la première moitié du XXe siècle, une série de recherches physiologiques parviendra à identifier la nature chimique du signal circulant à partir de la zone éclairée et agissant plus bas pour déterminer la courbure. Les travaux de F. Went en 1928 permirent d’approfondir cette notion d’hormone végétale. Sur des coléoptiles décapités, il montre la conduction polarisée des auxines au travers d’un cube de gélose. La communication à l’intérieur du végétal est alors un fait établi. L’identification des hormones, la recherche de leurs récepteurs et la compréhension fine de leurs effets constituera un pan très important de la physiologie végétale. Il s’agira alors d’étudier les relations entre les causes et les effets, et précisément dans ce cas, la relation entre une cause externe et son action à distance du lieu de sa réception dans l’organisme. On peut considérer dès lors que la communication est bien à l’œuvre chez les végétaux, et précisément dans les végétaux. Il n’y a cependant évidemment pas de parole, pas de langage à ce stade, sinon un « langage intérieur », si l’on voulait poursuivre avec cette métaphore. Je laisserai là cette histoire, mes collègues pourront préciser les étapes historiques des domaines qu’ils étudient où cette métaphore pourrait trouver un écho. 11 8 C. Darwin, The Power of Movement in Plants, London, John Murray, 1880. Édition française : Paris, C. Reinwald,1882. Les outils de la communication végétale Yvan Kraepiel, Institut d’Écologie et des Sciences de l’Environnement de Paris Université Pierre et Marie Curie, Sorbonne Universités Résumé La circulation de signaux chez les plantes permet un développement harmonieux de l’organisme et son adaptation à son milieu de vie. Le catalogue des phytohormones s’allonge constamment depuis une vingtaine d’années et, à travers quelques exemples, je vais essayer de présenter quelques-unes de leurs caractéristiques. Alors que les nouveaux signaux peptidiques circulant identifiés, tels que les peptides permettant de limiter le nombre de nodosités chez les Fabaceae, ont souvent des actions très spécifiques, les phytohormones dérivées du métabolisme secondaire ont des effets très pléiotropes. Ainsi, l’auxine induit la différenciation cellulaire dans le méristème caulinaire apical et la division des cellules totipotentes dans le méristème racinaire. D’autre part, cette phytohormone participe à la fois au gravitropisme positif des racines et au gravitropisme négatif des tiges. Il est également important de noter que les différentes phytohormones interagissent de façon complexe dans la régulation de nombreux aspects du développement. Les leviers de ces régulations hormonales impliquent le contrôle des concentrations en hormone par l’intermédiaire de leur métabolisme et de leur transport. La multiplicité des récepteurs, souvent impliqués dans l’inactivation d’inhibiteurs, fait de la sensibilité des cellules aux phytohormones un élément clef de la physiologie hormonale chez les plantes. Enfin, les plantes communiquent également avec les organismes qui les entourent en émettant des signaux chimiques dans leur environnement qui déterminent les interactions avec des organismes mutualistes ou parasites. Mais des caractéristiques physiques des végétaux peuvent aussi constituer des signaux, comme la couleur des fleurs pour la pollinisation entomophile. Introduction Les végétaux terrestres sont des organismes pluricellulaires dont les organes différenciés assurent les différentes fonctions vitales, telles que la synthèse de matière organique par la photosynthèse essentiellement au niveau des feuilles, l’absorption d’eau et de sels minéraux au niveau des racines ou la reproduction au niveau des fleurs des Angiospermes. La coordination du développement et du fonctionnement de ces différents organes est nécessaire au déroulement de l’ensemble du cycle de vie de la plante et met en jeu la circulation de signaux au sein de l’organisme. Ce sont des signaux chimiques, de nature moléculaire variée, regroupés sous le terme de phytohormones. Ces hormones végétales partagent le même nom que leurs homologues animales, mais présentent des caractéristiques qui leur sont propres, en particulier en ce qui concerne la diversité de leurs effets (pléiotropie), l’importance de leurs interactions et les régulations de leurs actions. Par ailleurs, la vie fi xée des végétaux terrestres impose des contraintes importantes. Ainsi la nutrition ne peut se faire que dans un volume de sol et un espace aérien limité à l’environnement proche de l’organisme, les organismes parents ne peuvent pas assurer directement le rapprochement des gamètes lors de la reproduction et les stratégies de fuite sont exclues des réactions de défense contre des agresseurs (parasites ou herbivores). Dans ce contexte, les plantes ont développé au cours de l’évolution des mécanismes leur permettant de percevoir les signaux de leur environnement aussi bien abiotique que biotique et d’y adapter leur croissance, leur développement, leur métabolisme. Cette acclimatation physiologique aux conditions environnementales nécessite des systèmes de perception des stimuli et des mécanismes de transmission de l’information aux différents organes effecteurs où sont induites les réponses physiologiques du végétal. Les phytohormones, terme pris dans son sens le plus large, sont très largement impliquées dans ces réponses adaptatives des végétaux. 9 L’utilisation de quelques exemples me permettra de présenter les particularités des messages hormonaux chez les plantes et de donner un aperçu de leur diversité aussi bien en ce qui concerne leur nature chimique que leur mode d’action. Leur implication plus précise dans le développement végétal et dans différentes réponses des plantes aux contraintes de l’environnement sera développée tout au long de la journée par les différents intervenants. Les présentations de la seconde session, Communication Externe, traiteront des interactions interspécifiques entre les plantes et leur environnement biotique. Dans le cadre des ces interactions, les plantes émettent également des signaux dans leur environnement dont la perception par les autres organismes détermine l’issue des interactions. Je n’entrerai pas dans les détails de ces dialogues interspécifiques et je me limiterai à présenter succinctement la diversité des signaux émis par les plantes, qu’ils soient de nature chimique ou physique. Un catalogue de « phytohormones » qui s’allonge et se diversifie Les phytohormones ont longtemps été classées dans 5 familles de molécules partageant des effets physiologiques identiques ou proches. Ces cinq classes de molécules ont été définies au fur et à mesure de leur découverte. Ainsi, les auxines, dont la molécule principale est l’acide indole-3-acétique, ont été définies comme des molécules inductrices de l’élongation cellulaire (auxèse). Les cytokinines sont des molécules stimulatrices de la division cellulaire (mérèse), les gibbérellines stimulent la germination et l’élongation, l’acide abscissique n’a que peu de rôle dans la chute des feuilles (abscission) mais est la principale hormone impliquée dans les réponses des plantes aux stress abiotiques comme le manque d’eau ou le froid. La cinquième phytohormone classique est une molécule gazeuse dans les conditions de vie des végétaux, l’éthylène, très impliquée dans les processus de sénescence comme celle des feuilles ou comme la maturation des fruits. Ces molécules, bien que de natures chimiques différentes, sont toutes des molécules relativement simples issues du métabolisme secondaire des plantes. 10 À cette courte liste, de très nombreuses autres molécules se sont ajoutées au fur et à mesure de l’élucidation des mécanismes impliqués dans la régulation de la croissance et du développement des plantes. Ainsi les brassinostéroïdes régulent la croissance, l’acide salicylique et l’acide jasmonique sont des hormones importantes pour la mise en place des défenses en réponse aux pathogènes, l’oxyde nitrique participe aux réponses à différents stress, les strigolactones inhibent la ramification des végétaux. Il serait difficile d’établir l’inventaire de toutes ces molécules et de leurs effets et nous aborderons plutôt les caractéristiques communes de ces phytohormones plutôt que leurs effets spécifiques. Mais il est important de noter que, récemment, de nouvelles hormones peptidiques végétales ont été identifiées et ajoutées à la liste de ces petites molécules circulantes. Parmi ces petites protéines régulatrices systémiques, on peut citer les deux peptides, RS1 et RS2, impliqués dans l’autorégulation de la nodulation chez les plantes de la famille des Fabaceae qui établissent des symbioses fi xatrices d’azote moléculaire avec des bactéries de la famille des Rhizobiaceae. Lors de la formation des nodosités, la synthèse de ces peptides y est induite et le transport vers les parties aériennes du végétal puis leur perception par des récepteurs spécifiques entraînent la synthèse d’un signal inhibiteur de la formation de nouvelles nodosités (Okamoto et al., 2009). Ainsi la plante contrôle le nombre total de nodosités qu’elle met en place, ce qui permet de limiter les dépenses énergétiques dédiées à la symbiose (Oka-Kira et Kawaguchi, 2006). Des effets pléiotropes et des interactions complexes La très grande spécificité d’action des phytohormones peptidiques représente plutôt une exception dans les communications entre organes chez les plantes. La majorité des petites molécules signal circulant au sein du végétal ont des effets régulateurs divers en fonction des organes ou des cellules cibles. Cette pléiotropie est parfaitement illustrée par la première phytohormone identifiée, l’auxine. Son effet inducteur de l’élongation cellulaire est dû, au moins à court terme, à son effet inducteur de l’acidification des parois cellulaires. Ces dernières deviennent plus plastiques du fait de la rupture de liaisons ioniques entre les macromolécules qui les constituent et s’étirent sous l’effet de la pression de turgescence dans les cellules (Taiz et Zeiger, 2006). Mais la correspondance entre les zones d’accumulation de l’auxine et les primordia foliaires montre que l’auxine induit aussi l’entrée des cellules périphériques du méristème apical caulinaire dans le processus d’organogenèse foliaire (Smith et al., 2006). Son rôle est très différent dans le méristème racinaire puisque l’auxine y est liée à l’induction de la division cellulaire de cellules souches pluripotentes (Dubrovski et al., 2008). On peut enfin noter le rôle primordial de l’auxine dans la différenciation cellulaire des cellules conductrices des sèves (Raven et al., 2007). Il est ainsi impossible dans la majorité des cas d’attribuer une fonction à une phytohormone, mais plutôt un effet dans un contexte cellulaire particulier. Cette complexité des régulations hormonales chez les plantes est encore augmentée par le constat de régulations exercées non par une seule phytohormone mais par plusieurs signaux qui agissent ensemble. Les régulations sont ainsi le fait de balances hormonales plus que d’une seule molécule. mones, peut être conjugué, par exemple à un glucose, rendant l’hormone inactive. L’existence de ces signaux complexes a été identifiée très tôt dans l’histoire de la culture in vitro des végétaux. Il est possible d’induire l’organogenèse à partir d’explants issus de différents tissus végétaux et l’orientation de cette organogenèse dépend essentiellement de la balance hormonale auxine/cytokinines. Lorsque cette balance est en faveur de l’auxine, il se forme des racines alors que lorsque les cytokinines sont majoritaires, des méristèmes apicaux caulinaires et des bourgeons apparaissent. Enfin, en présence de très fortes concentrations des deux hormones dans le milieu de culture, la multiplication cellulaire entraîne la formation de massifs de cellules indifférenciées, les cals (Taiz et Zeiger, 2006). Cette même balance hormonale auxine/cytokinines est responsable du contrôle de la ramification par le bourgeon apical dans le phénomène de dominance apicale. L’auxine produite par le bourgeon apical inhibe la synthèse et induit la dégradation des cytokinines au niveau des nœuds de la tige. Lorsque les concentrations d’auxine diminuent, au niveau des nœuds les plus bas ou après décapitation de la tige, la synthèse de cytokinines est induite par l’intermédiaire de l’enzyme Isopentenyl adénine transférase et leur dégradation inhibée. L’augmentation locale des concentrations de cytokinines entraîne le développement du bourgeon axillaire (Shimizu-Sato et al., 2009). Les autres phytohormones agissent également dans le cadre de balances hormonales comme c’est le cas pour la balance acide abscissique/gibbérellines dans le contrôle de la germination. L’effet inducteur de la lumière rouge clair dans ce processus consiste en un déplacement de la balance en faveur de l’hormone inductrice, les gibbérellines, alors que l’effet inhibiteur de la lumière rouge sombre est dû à un équilibre en faveur de l’acide abscissique (Seo et al., 2009). Cependant les teneurs globales de la plante en une phytohormone ne sont pas le seul paramètre de la modulation de son action. Les teneurs locales, au niveau des organes cibles, constituent une variable majeure des contrôles hormonaux. C’est en particulier le cas des régulations du développement par l’auxine qui dépendent étroitement du transport de l’hormone dans la plante. Le gravitropisme positif des racines représente un modèle de cet aspect de la physiologie de l’auxine. Une racine placée à l’horizontale perçoit la gravité exercée de façon perpendiculaire à son axe et répond à ce stimulus par l’accumulation d’auxine dans la moitié inférieure de la racine. Dans ce cas, la forte accumulation d’auxine inhibe la croissance de la partie inférieure, ce qui entraîne la courbure de la racine vers le bas. Cette accumulation de l’auxine vers le bas est le résultat du contrôle de son transport par des transporteurs transmembranaires d’efflux, qui, d’un transport polarisé apico-basal, redirigent le flux d’auxine de façon latérale (Friml et al., 2002). Les leviers de la régulation hormonale Les régulations hormonales de la croissance et du développement dépendent de plusieurs facteurs parmi lesquels le contrôle des teneurs dans la plante occupe une place importante. De façon générale, le métabolisme des phytohormones est finement régulé à différents niveaux. Les teneurs en acide abscissique augmentent par exemple de façon importante suite à la perception d’un stress hydrique du fait de l’induction de l’activité de la majorité des enzymes impliquées dans sa synthèse. Mais ces teneurs sont régulées également au niveau de sa dégradation qui est fortement induite en cas de réhydratation de la plante. Enfin, bien que son rôle ne soit pas entièrement élucidé, l’acide abscissique, comme de nombreuses autres phytohor- La circulation de signaux peut représenter en tant que tel un mécanisme complexe comme c’est le cas dans l’induction de la résistance systémique acquise. Une plante met en place des réactions de défense de façon plus rapide et plus massive lors d’une infection si celle-ci fait suite à une attaque antérieure par un pathogène. Les défenses induites lors de la première comme lors de la seconde infection dépendent de la synthèse d’acide salicylique, mais le signal qui circule du site d’infection initial vers les autres parties de la plante est constitué à la fois par de l’acide salicylique méthylé et une protéine de transport liée à un composé de nature lipidique (Liu et al., 2011). Il s’agit donc ici d’un signal complexe qui module les capacités de la plante à répondre à l’attaque d’un pathogène. Enfin, comme nous l’avons évoqué avec le mécanisme de la dominance apicale, les régulations hormonales peuvent mettre en jeu des régulations très locales du métabolisme hormonal, et la circulation au sein de la plante n’avoir lieu que sur de très petites distances. En ce qui concerne les cytokinines, cette absence de circulation sur de grandes distances peut être mise en évidence par des expériences de greffe. Les teneurs en cytokinines d’un génotype sauvage ne sont pas modifiées par la greffe d’un génotype surproducteur, quel que soit le sens de la greffe (Faiss et al., 1997). Le troisième niveau de modulation de l’effet des phytohormones concerne la sensibilité des cellules effectrices. Un des exemples significatifs de l’importance de ce phénomène est de nouveau l’effet de l’auxine sur l’allongement cellulaire dans les gravitropismes. Les racines présentent, comme nous l’avons déjà décrit, un gravitropisme positif alors que les tiges ont un gravi- 11 tropisme négatif qui permet l’orientation de leur croissance vers le haut, particulièrement importante pour l’émergence hors du sol des jeunes plantules après la germination. L’auxine et son accumulation vers le bas sont impliquées dans les deux cas, mais alors que cette accumulation inhibe la croissance dans la racine, elle la stimule dans les tiges permettant le redressement de ces dernières. Les effets opposés observés dans ces deux organes correspondent à une sensibilité très différente de leurs cellules. Les courbes de la réponse d’élongation à l’auxine montrent un optimum pour la stimulation et des concentrations plus fortes deviennent inhibitrices. Les cellules racinaires ayant une sensibilité à l’hormone environ mille fois plus grande que les cellules caulinaires, les concentrations atteintes localement sont inhibitrices dans la racine, alors qu’elles induisent la croissance dans les tiges (Petrasek et Friml, 2009). La connaissance des mécanismes de perception des signaux hormonaux au niveau cellulaire, clef de la sensibilité des cellules cibles, a progressé de façon spectaculaire ces dix dernières années. Les récepteurs des phytohormones et leur mode d’action sont désormais connus dans de nombreux cas. Il n’est pas question ici de les décrire tous mais il est frappant de constater que, souvent, l’induction des réponses aux phytohormones repose sur l’inhibition de protéines inhibitrices de ces réponses. Ainsi, la liaison de l’acide abscissique à son récepteur entraîne l’inactivation d’une phosphatase inhibitrice. La conséquence de cette interaction est le maintien de l’état phosphorylé d’une protéine kinase qui active alors différentes protéines responsables des réponses à l’hormone, aussi bien au niveau de la membrane plasmique que dans le noyau cellulaire. Dans ce cas, les différentes protéines impliquées appartiennent à des familles multigéniques dont le nombre assez important de membres permet d’imaginer des régulations fines de la sensibilité cellulaire (Hubbard et al., 2010). Dans le cas de la perception de l’auxine, du jasmonate (dont la forme active est la molécule conjuguée à de l’isoleucine), des gibbérellines ou des strigolactones, la liaison de l’hormone à son récepteur entraîne l’ubiquitination et la dégradation de protéines inhibitrices des facteurs de transcription dont l’activité déclenche les réponses hormonales (Vierstra et al., 2009). Ici encore la diversité des protéines impliquées doit participer aux variations de la sensibilité cellulaire aux signaux correspondants. 12 Des signaux qui sortent des plantes : la communication interspécifique Cette présentation a beaucoup mis l’accent sur la communication hormonale au sein des plantes dans la mesure où elle présente des caractéristiques propres aux végétaux. L’exposé de ces caractéristiques permet de comprendre les principes des régulations de la croissance et du développement des plantes, en particulier en réponse aux signaux de l’environnement biotique et abiotique, qui seront développés au cours de ce colloque. Mais les plantes émettent également des signaux dans leur environnement qui pourront être perçus par d’autres organismes et qui seront déterminants dans les interactions interspécifiques au sein des écosystèmes. Ces interactions pourront être bénéfiques au développement végétal, comme F. Marion-Poll nous l’exposera dans le cas des composés organiques volatiles impliqués dans les interactions entre les plantes et leurs insectes pollinisateurs. Ces composés, de nature chimique extrêmement variée, sont émis au niveau des feuilles ou des fleurs et facilitent la reconnaissance des plantes de façon spécifique par un insecte. Cette spécificité peut même exister au niveau d’une population et mener à son isolement reproducteur et à la spéciation (Dudareva et al., 2013). Les plantes sécrètent également de très nombreuses molécules dans leur environnement par les racines. Ces exsudats racinaires modifient les propriétés physicochimiques du sol autour des racines et constituent des signaux perçus en particulier par les microorganismes du sol, bactéries et champignons. La sphère d’influence des racines ou rhizosphère constitue ainsi un écosystème riche et particulier. F. Martin détaillera les interactions entre les racines et les champignons symbiotiques qui aboutissent à la formation des mycorhizes. À l’origine de ces interactions, la sécrétion par les racines de molécules telles que les strigolactones entraîne la ramification des champignons qui en perçoivent la présence, augmentant ainsi les chances de contact entre les deux partenaires (Akiyama et al., 2005). Philippe Delavault montrera que ce signal, nécessaire à la mise en place d’une symbiose, peut être détourné par un parasite et les strigolactones sont également inductrices de la germination des plantes parasites comme les strigas et les orobanches. Les signaux émis par les végétaux ne sont pas tous constitués de molécules sécrétées dans le milieu mais peuvent également être de nature physique. Ainsi, les interactions des plantes avec leurs pollinisateurs dépendent également des signaux lumineux que constitue la couleur des fleurs. Il est intéressant de noter que les insectes, sensibles aux lumières de courte longueur d’onde dans le proche ultraviolet, perçoivent des signaux lumineux issus des fleurs auxquels l’œil humain est insensible. Un signal sonore peut également participer aux interactions entre les plantes et leurs pollinisateurs. Certes, les végétaux ne possèdent pas d’organe vocal mais ils peuvent renvoyer un écho particulier perçu par un animal. Ainsi la liane tropicale Marcgravia evenia, dont la pollinisation est assurée par une espèce de chauve-souris nectarivore, développe une feuille en coupelle particulière au-dessus de son inflorescence qui permet l’écholocalisation de la fleur par le pollinisateur (Simon et al., 2011). Conclusion Cette revue rapide des différents signaux impliqués dans le développement des plantes et dans leurs interactions avec leur environnement a permis, je l’espère, de montrer la grande richesse des outils de la communication végétale, qu’elle soit interne ou interspécifique. Les phytohormones, du fait de la très grande pléiotropie de leurs effets et par l’importance de leurs interactions, ne sont pas exactement équivalentes aux hormones animales. Leurs actions sont ainsi régulées non seulement au niveau de leur métabolisme mais aussi par leur transport et par la sensibilité des cellules cibles, aspect important de la différenciation cellulaire chez les plantes. Les exposés de ce colloque nous permettront de détailler plus précisément certaines de ces régulations dans le cadre du développement végétal, des réponses aux signaux de l’environnement et des interactions avec les organismes de l’environnement dans un contexte de mutualisme ou de parasitisme. Bibliographie Akiyama K, Matsuzaki K-I, Hayashi H (2005) Plant sesquiterpenes induce hyphal branching in arbuscular mycorrhizal fungi. Nature 435: 824–827 Buchanan B, Gruissem W, Jones R (2002) Biochemistry and Molecular Biology of Plants. The american Society of Plant Biologists Eds Dubrovsky JG, Sauer M, Napsucialy-Mendivil S, Ivanchenko MG, Friml J, Shishkova S, Celenza J, Benkova E (2008) Auxin acts as a local morphogenetic trigger to specify lateral root founder cells. Proc Natl Acad Sci USA 105: 8790-8794 K (2002) Lateral relocation of auxin efflux regulator PIN3 mediates tropism in Arabidopsis. 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L’intégration de ces signaux et leur traduction en réponses biologiques leur permettent d’avoir un développement harmonieux en relation avec leur environnement. Les plantes sont capables de moduler leur capacité de croissance et de reproduction en fonction de facteurs physico-chimiques de l’environnement démontrant ainsi leur extraordinaire plasticité phénotypique. Dans le cadre de cet exposé, plusieurs exemples de perception de ces facteurs de l’environnement tels que la lumière, la température et l‘eau seront développés, qui souligneront la grande diversité de ces mécanismes et le potentiel qu’ils représentent pour l’agriculture et l’horticulture. Les animaux sont capables de percevoir leur environnement, et si celui-ci est défavorable, ils réagissent en conséquence, souvent par un déplacement. A contrario, les plantes sont fi xées au sol par leurs racines et paraissent immobiles. Les plantes sont donc dépendantes des ressources de leur environnement immédiat pour pouvoir se développer et fructifier. Pour faire face à l’extrême dilution de leurs ressources nutritives, elles ont dû augmenter leur surface d’échanges aux niveaux aérien et racinaire. La plante et la plupart de ses cellules sont directement exposées aux changements des conditions environnementales qui peuvent être de deux natures distinctes : facteurs abiotiques (ou physico-chimiques) et/ou facteurs biotiques. Parmi ces facteurs abiotiques, on peut citer le manque d’eau, la salinisation des sols, la pollution de l’air ou les températures infra- ou supra-optimales. Ces facteurs deviennent alors des contraintes pour le développement de la plante. 14 On a longtemps cru les plantes incapables de percevoir leur environnement. Ce sont les travaux précurseurs de Charles Darwin avec son fi ls Francis au XIXe siècle, qui ont montré que des jeunes graminées se courbent vers la source lumineuse. Depuis, de nombreux travaux ont mis en évidence la capacité des plantes à percevoir des stimuli de natures diverses tels que la lumière, la température, la gravité... C’est probablement cette capacité des plantes mise en place au cours de l’évolution qui leur a permis, notamment les plantes à fleurs (Angiospermes), de coloniser l’ensemble des biotopes présents sur la terre. Quels sont les mécanismes impliqués dans la perception de facteurs environnementaux ? Les plantes sont capables de moduler leur capacité de croissance et de reproduction en fonction de facteurs physico-chimiques de l’environnement démontrant ainsi leur extraordinaire plasticité phénotypique. L’intégration de ces signaux et leur traduction en réponses biologiques leur permettent d’avoir un développement harmonieux en relation avec leur environnement. Dans le cadre de cet exposé focalisé sur les plantes à fleurs ou angiospermes, plusieurs exemples de perception de ces facteurs de l’environnement tels que la lumière et la température seront développés après quelques rappels sur la spécificité du développement végétal pour souligner la grande diversité de ces mécanismes et le potentiel qu’ils représentent pour l’agriculture et l’horticulture. Spécificités du développement végétal versus développement animal Le développement animal et végétal passe dans les deux cas par la formation d’un embryon provenant du développement d’un zygote issu lui-même de la fécondation : fusion d’un gamète mâle et d’un gamète femelle. Cependant, le développement chez ces deux groupes d’organismes présente des différences fondamentales dans leur déroulement. Chez les animaux, les différents tissus et organes sont formés au cours de l’embryogénèse. L’ensemble conduit à la formation d’un embryon représentant une version miniature de l’organisme adulte. Le plan d’organisa- tion se met en place au cours de ce développement embryonnaire. En effet, l’embryon possède sous une forme simplifiée la plupart des futurs organes et tissus de la forme adulte. Le développement postembryonnaire consiste essentiellement en une augmentation de la taille des organes et leur maturation. À la différence du développement animal qui est prédéterminé, les plantes, grâce à la persistance de tissus embryonnaires appelés méristèmes, peuvent adapter leur développement et leur croissance en fonction de leur environnement tout au long de leur vie. Le développement de la plante est donc caractérisé par un développement postembryonnaire. Le développement embryonnaire des végétaux conduit à la mise en place d’un certain nombre de structures architecturales incontournables. La première division du zygote est asymétrique et conduit à la formation d’un axe apico-basal nécessaire à l’initiation des organes. L’embryon formé situé dans la graine est relativement simple, avec une morphologie bien conservée entre espèces. Il comprend un axe racinetige avec des feuilles primordiales, les cotylédons (un chez les monocotylédones et deux chez les dicotylédones). Il possède en particulier 2 méristèmes dits primaires : le méristème apical caulinaire et le méristème apical racinaire. Cette structure ne présage en rien de l’organisation de la plante adulte. En effet, chez les végétaux, la morphogenèse se poursuit durant toute la vie de la plante. La phase du développement embryonnaire est réduite et le développement postembryonnaire est complexe. Après la germination de la graine, l’embryon se développe selon un mode itératif qui va consister à mettre en place de façon répétée des modules identiques (phytomères pour la partie aérienne) pour donner naissance à la forme adulte de la plante. Le méristème apical caulinaire va donner naissance à la partie aérienne de la plante, alors que le méristème racinaire donnera naissance au système racinaire. Ce développement itératif va se poursuivre tout au long de la phase végétative. Puis, lorsque la plante atteint un stade de développement adulte avec des conditions environnementales favorables, l’apex de la plante entame sa transition florale pour que la plante entre dans une phase reproductive. C’est pendant ces phases végétatives et reproductives que se fait la mise en place de nombreux organes (feuilles, racines et rameaux secondaires, fleurs…). En ce qui concerne la gamétogenèse, il n’y a pas chez les plantes une lignée germinale dont les cellules pourraient être suivies depuis l’embryon jusqu’à la plante à l’état reproducteur. Des cellules apicales (situées aux sommets ou apex) qui participent à la croissance de la plante changent de potentialité en donnant des organes reproducteurs de structures variées, mais contenant une ou des cellules qui subissent une maturation sexuelle avec notamment la réduction du gamétophyte. Le processus de migration cellulaire joue un rôle important dans le développement chez l’animal. Ce phénomène est important pendant le développement embryonnaire durant des processus incluant la morphogenèse, l’angiogenèse et l’agencement des neurones dans le système nerveux. La migration cellulaire n’existe pas chez les plantes. Le développement de la plante est sous le contrôle de facteurs externes et internes. Il est essentiel pour la plante de percevoir les fluctuations de son environnement, même infimes, pour qu’elle puisse moduler son développement en fonction. Les signaux chez les plantes Au cours de l’évolution et de la conquête du milieu terrestre il y a environ 470 millions d’années, les plantes ont mis en place de remarquables mécanismes d’adaptation aux variations des facteurs du milieu. La perception des stimuli d’origine interne (phytohormones) ou externe (nature physico-chimique), c’està-dire l’identification de leur nature, de leur durée et de leur intensité, s’effectue par des récepteurs qui les traduisent en signal biochimique. Ces récepteurs sont localisés dans les membranes ou bien dans le cytosol. Après sa perception, le signal reçu est amplifié et redirigé vers d’autres effecteurs cibles pour déclencher la réponse appropriée. Ce transfert de l’information dans la cellule est effectué par l’intermédiaire de relais qui peuvent être de nature hormonale, protéique (protéines kinases, protéines phosphatases…) ou lipidique (phosphoinositides, acide phosphatidique…) ou par des seconds messagers (calcium, phospholipides, espèces réactives de l’oxygène…). Ces effecteurs ont pour cibles des protéines de réponse comme des aquaporines, des canaux ioniques, des éléments du cytosquelette ou bien des facteurs de transcription impliqués dans la mise en place d’un programme de réponse qui se manifeste par un ensemble de modifications biochimiques, physiologiques et moléculaires (expression ou répression de certains gènes). À la différence des récepteurs hormonaux dont beaucoup ont été identifiés et caractérisés récemment, très peu de connaissances sont disponibles sur les récepteurs impliqués dans la perception de facteurs de l’environnement. Les plantes possèdent la capacité de percevoir des modifications, parfois infimes, d’une caractéristique de l’environnement qui constitue le signal qui déclenche une cascade de réactions moléculaires aboutissant au franchissement d’une étape de leur cycle de développement ou la mise en place d’une adaptation. 15 Chez les animaux, les stimuli physiques ou chimiques sont captés par des cellules particulières et traduites en signaux électriques : l’influx nerveux. Ce dernier est acheminé jusqu’à un système nerveux central, le cerveau ou la moelle épinière, où il est intégré à d’autres informations pour former une perception de l’environnement extérieur. Chez les plantes, les scientifiques ont montré que les perceptions et les réactions qui s’ensuivent reposent à la fois sur des mécanismes locaux et sur la circulation d’hormones et de signaux électriques comparables, dans une certaine mesure, à l’influx nerveux. Comme nous le verrons par la suite, certains des mécanismes en jeu ont été élucidés au cours des dernières années. La lumière La lumière joue un rôle essentiel dans le contrôle du développement de la plante. La lumière, en plus d’être une source d’énergie, est perçue en tant que signal qui va entraîner une réponse biologique de la plante. L’action de la lumière sur le contrôle du développement de plante est appelée photomorphogénèse. Les quantités d’énergie mises en jeu sont très faibles, de l’ordre de 0,1 μmol.m-2.s-1, 10 à 50 fois moins que celles impliquées pour la photosynthèse. Les plantes sont capables de capter la lumière en fonction des différentes longueurs d’ondes de celle-ci. Les premiers photorécepteurs impliqués dans la perception de la lumière ont été découverts il y a plus de 30 ans. 16 Cependant c’est aux XIXe et début du XXe siècles que les travaux de Charles Darwin et de son fi ls Francis (1880) sur l’avoine (Avena sativa L.), le Français Tournois (1912) sur le chanvre (Cannabis sativa) et de l’Allemand Klebs (1913) sur la joubarbe (Sempervirum tectorum) ont montré l’importance de la lumière sur le développement des plantes. C’est en 1946 que Borthwick (phytomorphologiste) et Hendricks (physicien), sur la base des expériences des Américains Garner et Allard sur la floraison du soja (Glycine max) et du tabac (Nicotiana), et de Flint et McAlister sur la germination d’akènes de laitue, ont admis que le mécanisme en jeu était similaire et sous la dépendance d’un seul pigment qu’ils ont appelé phytochrome. Ce pigment ne sera identifié que 40 ans plus tard. Le phytochrome est une apoprotéine sur laquelle se fixe un chromophore. Le chromophore des phytochromes est constitué d’une chaîne ouverte de tétrapyrrole qui absorbe dans la partie rouge/rouge lointain du spectre lumineux. Il existe deux formes d’un même pigment, l’une active à la suite d’une exposition en lumière rouge clair (besoin de très peu d’énergie) appelée PFR, qui induit une cascade de phosphorylations activement étudiée, l’autre inactive qui prend naissance sous l’action du rouge sombre appelée Pr. Les deux formes sont photoconvertibles. Plusieurs phytochromes ont été identifiés chez les plantes : Arabidopsis possède par exemple cinq phytochromes. Les phytochromes sont des photorécepteurs de type histidine kinase dérivant des systèmes de régulation dits « à deux composants » très représentés chez les bactéries. Ces phytochromes jouent un rôle important dans l’adaptation des plantes à leur environnement, et en particulier dans une diversité de processus tels que la germination de graines de nombreuses espèces, l’élongation de la plantule et la mise en place de l’appareil photosynthétique se manifestant par le verdissement des cotylédons et le contrôle de la floraison de certaines espèces photosensibles. Il existe une deuxième classe de photorécepteurs, les cryptochromes, découverts en 1994. Ils interviennent dans de nombreux processus liés au cycle circadien (jour/nuit) et dans le processus d’élongation de la plantule. Ils absorbent dans la partie bleue du spectre lumineux. Les cryptochromes présentent des similitudes de séquence avec les photolyases bactériennes et les cryptochromes présents chez les vertébrés. Enfin, troisième classe de photorécepteurs, les phototropines ont été plus récemment mis en évidence : ils sont impliqués dans le phototropisme ou courbure de la plante vers la source lumineuse et dans l’ouverture des stomates. La régulation des flux d’eau dans la plante Les stomates correspondent à des petites ouvertures situées sur la face supérieure et/ou inférieure des feuilles, qui permettent de réguler les pertes d’eau par transpiration mais aussi de contrôler les échanges gazeux entre O2 et CO2 pour la photosynthèse. Chez les dicotylédones, ils sont constitués par une paire de cellules en forme de rein appelées cellules de garde, qui délimitent un pore ou ostiole, au travers de l’épiderme. Quand la turgescence des cellules de garde augmente, le diamètre de l’ostiole grandit, ce qui entraîne l’ouverture de l’ostiole (environ 10 μm chez A. thaliana). Les stomates, lorsqu’ils sont ouverts, mettent en relation les espaces intercellulaires (méats, lacunes) des parenchymes avec l’atmosphère. L’ouverture des stomates est en partie sous le contrôle de la lumière bleue par l’intermédiaire des phototropines (Goyal et al., 2013). L’activation de celles-ci entraîne une stimulation des pompes à protons. Le gradient de protons ainsi formés permet l’entrée de K+ et d’anions dans la cellule qui conduit à un abaissement de potentiel hydrique. L’entrée massive d’eau est alors favorisée, entraînant la turgescence de la cellule de garde et donc l’ouverture de l’ostiole. Le contrôle de l’ouverture et de la fermeture des stomates est donc essentiel pour la physiologie et le développement de la plante. Il fait appel à des mécanismes finement régulés permettant ainsi à la plante de limiter ses pertes en eau, tout en conservant une activité photosynthétique. La perception du froid Les plantes ont développé la capacité de percevoir des températures froides et élevées mais très peu d’informations est disponible à l’heure actuelle sur ces systèmes de perception. Plusieurs études indiquent que la rigidification ou l’état physique de la membrane plasmique serait l’événement premier qui déclencherait le processus de transduction du signal froid. Chez certaines espèces des régions tempérées telles que le blé d’hiver, ou l’épinard, une exposition au froid modérée permet la mise en place d’un programme d’adaptation aussi appelé endurcissement. L’endurcissement a pour but de préparer la plante à subir le stress des températures basses ; c’est un processus qui est déclenché par la perception du froid et qui est mis en place rapidement (de l’ordre de la minute à quelques heures). Conclusions Bien que quelques-unes des réponses adaptatives des plantes à des facteurs de l’environnement soient bien caractérisées aux niveaux moléculaire et physiologique, l’étude des voies de signalisation impliquées dans la perception de ces stimuli est beaucoup plus récente et fait actuellement l’objet de recherches intensives. Les plantes apparaissent posséder des mécanismes de perception multiples, originaux et très sophistiqués, qui leur permettent d’avoir un développement harmonieux en fonction des facteurs de l’environnement et de leurs fluctuations. La compréhension de ces mécanismes est une étape essentielle pour améliorer la production et la qualité des plantes pour l’agriculture mais également pour l’horticulture. Références Goyal A, Szarzynska B, Fankhauser C. (2013) Phototropism: at the crossroads of light-signaling pathways. Trends Plant Sci. 18, 393-401 Vinod Kumar S. and Wigge P.A. (2010) H2A.ZContaining nucleosomes mediate the thermosensory response in Arabidopsis. Cell 140, 136–147 Les plantes sont également capables de percevoir des variations de température de moins de un degré ! Cette sensibilité leur permet de se développer et de fleurir dans des conditions optimales. Récemment, S. Vinod Kumar et P. Wigge ont décrypté les mécanismes de la thermosensibilité d’Arabidopsis thaliana (Vinod Kumar et al., 2010). Ils ont mis en évidence que cette thermosensibilité est liée aux variations d’enroulement de l’ADN (chromatine) sur lui-même contrôlées par la présence d’une protéine, l’histone H2A.Z. Cet enroulement varie selon la température et agit comme un régulateur de l’expression de dizaines de gènes. Le même effet a été observé chez la levure, indiquant que ce mécanisme a été conservé au cours de l’évolution. Ces travaux constituent une piste intéressante pour augmenter la faculté d’adaptation d’espèces de culture aux variations climatiques. 17 La communication interne chez les plantes en réaction aux stress environnementaux Thierry Améglio, INRA, UMR 547 PIAF - Clermont Université, Université Blaise Pascal, UMR 547 PIAF Résumé Les plantes sont sensibles aussi bien aux informations extérieures qu’à celles, intérieures, qui les renseignent sur leur état. Elles perçoivent les variables physiques de leur environnement (eau, gravité, température, lumière, vent) et en retirent de nombreuses informations afin d’adapter leur croissance face à la présence de leurs congénères, des déformations mécaniques, vis-à-vis de la sécheresse ou des saisons. Ces contraintes environnementales sont autant de facteurs de stress auxquels elles s’adaptent pour survivre et se développer. En sachant les « écouter » ou les canaliser, nous arrivons parfois à en tirer un bénéfice pour nos activités horticoles ou industrielles. Sans chercher l’exhaustivité des réponses, cette présentation donnera quelques exemples de perception de ces variables environnementales et leur traduction sous forme d’action biologique ou physiologique à l’intérieur de la plante et entre ses différents organes. Elle cherchera également à montrer quelques exemples pratiques de l’utilisation de cette perception dans le cadre horticole (alternative au tout chimique en production sous serre ; agriculture de précision et pilotage de l’irrigation) et industrielles (mécanismes de défense des plantes et production de latex). Introduction Les plantes peuvent percevoir leur environnement proche. Elles disposent de capacités de perception comparables à celles des animaux mais beaucoup plus diff uses (Lenne et al. 2013). Leurs cellules sont sensibles aux variables de l’environnement (eau, lumière, gravité, pression mécanique, température, vent), qui contrôlent de nombreux aspects de la physiologie des plantes et en tout premier leur croissance. La croissance cellulaire est donc la résultante de flux internes (eau, sucres) associée à ces variables de l’environnement qui orientent aussi bien la vitesse de croissance, la localisation de la croissance, que les arrêts de croissance. 18 Ainsi, pour l’orientation de la croissance d’un organe (racines, tiges, feuilles, fleurs…) en réaction à une anisotropie du milieu pour la lumière ou la gravité, on parle de tropisme. Ces tropismes (phototropisme, héliotropisme ou gravitropisme) correspondent aux résultats d’une croissance inégale des deux côtés d’un organe, ce qui entraîne une courbure de celui-ci. Croissance cellulaire et croissance orientée Les cellules végétales possèdent généralement une grande vacuole favorisant les échanges osmotiques, c’est-à-dire une diff usion de l’eau à travers la membrane cellulaire du milieu le moins concentré en composés divers (l’extérieur de la cellule) vers le milieu le plus concentré (l’intérieur de la cellule). Elles sont également entourées d’une paroi pecto-cellulosique qui leur confère un cadre semi-rigide et les maintient sous pression. Cette pression dite de turgescence, qui peut atteindre jusqu’à dix fois la pression atmosphérique, est le moteur hydro-osmotique de la croissance cellulaire. Ce moteur fonctionne grâce à divers mécanismes agissant sur la concentration des cellules en composés ayant un rôle osmotique. On parle de composés osmotiques (ou osmoticum), qui modifient cette pression hydrostatique interne, comme peut le faire par exemple le fonctionnement de pompes ioniques qui transportent des ions à travers la membrane cellulaire. Lors de la réponse phototropique, pour permettre à la plante d’accéder au meilleur ensoleillement possible pour assurer la photosynthèse, la lumière agit sur des photorécepteurs en déclenchant, par un mécanisme qui reste à préciser, la relocalisation des transporteurs membranaires d’auxine sur les faces latérales des cellules, du côté opposé à la lumière. Cette hormone induit ainsi l’élongation des cellules du côté le moins illuminé, pour provoquer une incurvation du tissu végétal vers la source lumineuse. Mais les plantes sont aussi capables de voir leurs voisines. Ainsi, lorsqu’elles reçoivent une lumière caractéristique de celle réfléchie par les tissus chlorophylliens des végétaux, les plantes situées à proximité s’en écartent (leur croissance s’oriente dans la direction opposée) ou parfois elles accélèrent leur croissance en hauteur afin d’éviter que leurs voisines ne leur fassent trop d’ombre. Les plantes sont aussi sensibles aux sollicitations mécaniques naturelles comme le vent qui agit en ralentissant la croissance en hauteur au profit de la croissance racinaire (ex. meilleur ancrage d’un arbre de plein champ par rapport à un arbre en forêt ; Coutand et al. 2008) ou la croissance secondaire (ex. plante plus trapue et moins élancée). Ces facultés de modifier la croissance en réaction aux sollicitations « mécaniques » se nomment la thigmomorphogénèse (modification de la forme par le toucher) et sont aujourd’hui des propriétés utilisées pour le tuteurage des arbres en ville (système souple, non rigide, permettant une certaine sollicitation de l’arbre par le vent) ou dans des productions horticoles comme alternatives aux « raccourcisseurs » chimiques (ex. potée florale de mini-rosier ; Morel et al. 2012). Dans les cas de gravitropisme, comme pour le tronc d’un arbre mature poussant dans une pente et s’arquant lentement par la base pour retrouver la verticale, le moteur n’est plus hydro-osmotique. La dimension des cellules à la base du tronc ne varie plus et seule une croissance secondaire différentielle entre les 2 faces du tronc peut alors provoquer l’incurvation. Ainsi, chez les feuillus, le redressement est provoqué par la fabrication d’un bois spécial, dit de tension, dont les fibres se rétractent peu à peu. Comme ce bois spécial ne se dépose que d’un côté, il forme une sorte de hauban interne, qui entraîne la flexion de l’arbre. Là encore, comme dans le phototropisme, la croissance différentielle pour former ces bois spéciaux est liée à la distribution différentielle des transporteurs d’auxine, mais les mécanismes qui provoquent cette migration restent à élucider. Néanmoins, ils doivent être liés à la capacité des plantes à percevoir la verticale par des cellules spécialisées, les statocytes, qui contiennent des grains d’amidon, les statolithes, plus denses que le cytoplasme environnant. D’une taille de l’ordre du micromètre, ces grains se déposent sous l’action de la gravité sur le fond de la cellule. Lenne et al. (2014) imagent le rôle de ces statolithes comme de « petits sabliers cellulaires qui indiquent le sens de la gravité » aux plantes analogues à la perception humaine de la gravité par « de petites concrétions minérales de carbonate de calcium, aussi nommées statolithes (ou otolithes), inclus dans le liquide visqueux des canaux de l’oreille interne » et qui déclencheraient un signal électrique en pesant sur les cellules ciliées excitables de l’oreille interne. Ce signal électrique transmis au cerveau renseignerait ce dernier sur la position du corps dans l’espace. Des perceptions coordonnées des signaux chez les plantes Les biomécaniciens des plantes considèrent que le poids des statolithes (ex. grains d’amidon) sur le fond des cellules, ainsi que celui de la cellule appuyant sur la paroi qui l’entoure, provoqueraient l’ouverture de canaux mécano-sensibles, la modification de courants ioniques locaux et in fine la redistribution des transporteurs d’auxine. Cependant, les récents travaux de Bastien et al. (2013) ont montré que cette sensibilité à la gravité ne suffit pas à expliquer les caractéristiques exactes du redressement gravitropique des tiges. Dans cette étude, ces chercheurs ont simulé le redressement sur ordinateur, en supposant que le mouvement n’était piloté que par la perception de l’écart angulaire de la tige par rapport à la verticale. Pour obtenir l’alignement sur la direction de la gravité observée dans la nature, il leur a fallu supposer que la courbure est rectifiée en continu et en tout point de la tige, c’est-à-dire Figure 1 : Exemple de stimulation mécanique à l’aide d’une barre en pvc qui fléchit 5 fois par jour les apex de jeunes plants de rosiers et résultat final après 95 sollicitations mécaniques sur le port plus trapu des plants de rosier par comparaison aux plants témoins (Morel et al. 2012). 19 qu’un mécanisme correcteur permettant à la plante de contrôler sa posture doit exister en tout point de la tige. Il s’agirait donc d’un phénomène de proprioception (perception de la configuration géométrique du corps) fondé chez les plantes sur des mécanismes locaux et non sur un traitement nerveux central comme chez les animaux. Ainsi, après avoir incorporé cette caractéristique de proprioception à leur modèle, les chercheurs ont simulé le redressement de 11 espèces de plantes à fleurs terrestres, qu’ils ont fi lmé et quantifié par ailleurs. Leur simulation a reproduit fidèlement le redressement de toutes les tiges, de la minuscule germination du blé aux troncs de peupliers (Bastien et al., 2013). Ainsi, la coordination de millions de cellules motrices est possible par la combinaison d’une perception locale de l’inclinaison et de la déformation (la courbure) des cellules. C’est une nouvelle preuve que les plantes sont capables d’intégrer plusieurs signaux et ne se contentent pas d’une réponse réflexe déclenchée par un stimulus unique, comme on le pensait récemment encore. Ainsi, les plantes réajustent leur posture en permanence, en réponse à plusieurs types de signaux, telles la lumière, la gravité et la déformation. L’ensemble des signaux perçus sont intégrés pour conduire à une coordination des mouvements. L’étude des mécanismes en jeu demande des analyses allant de l’échelle moléculaire à celle de la plante entière, et associant biologistes, mécaniciens et physiciens. On commence seulement à comprendre les réseaux de signalisation et de régulation impliqués dans la coordination des mouvements végétaux. En particulier, l’auxine qui semble jouer un rôle important pour traduire les perceptions en croissance orientée en interaction avec d’autres signaux (courants ioniques, potentiels d’action, hormones). Lenne et al. (2014) soulignent « l’originalité et l’élégance des mécanismes développés par l’évolution végétale » où un nombre restreint de types cellulaires disposés dans l’ensemble de la plante assurent à la fois la fonction de « squelette » et de « moteur » et où les « influx nerveux » sont transportés par voies vasculaires. 20 Flux interne et état physiologique Ces flux internes qui véhiculent l’information et traversent le végétal en irrigant l’ensemble de ses cellules sont des flux vasculaires. On parle de flux ascendant de sève brute ou sève xylémienne, très diluée (eau et sels minéraux) et de flux descendant de sève élaborée ou sève phloémienne, chargée en sucres issus de la photosynthèse foliaire. Le moteur de ce flux ascendant et l’évaporation de l’eau au niveau des feuilles : la transpiration. Cette transpiration dépend des conditions climatiques : plus il y a de soleil (c’est lui la source majeure d’énergie de ce moteur ascensionnel), plus l’air est sec, plus il y a de vent, plus la température est élevée, plus la transpiration « potentielle », celle qui dépend seulement des facteurs climatiques, sera élevée. La figure 2 ci-dessous montre, pour deux journées différentes, la relation entre la courbe d’énergie lumineuse du soleil qui arrive sur les feuilles et la transpiration foliaire. La transpiration foliaire dépend aussi du degré d’ouverture des stomates. Ces minuscules pores (quelques centièmes de mm) à la surface des feuilles sont les ouvertures par lesquelles la vapeur d’eau quitte les feuilles. En dehors d’eux, la feuille est complètement isolée de l’air extérieur par une couche particulière, la cuticule, quasiment imperméable. S’il n’en était pas ainsi, l’intérieur de la feuille qui est très humide (de l’ordre de 98 % d’humidité) se dessècherait en quelques minutes. L’ouverture des stomates varie d’une part en fonction des conditions climatiques, d’autre part en fonction de nombreux facteurs biologiques. Ils s’ouvrent à la lumière, restent ouverts si l’humidité de l’air ou du sol est satisfaisante, si la concentration de gaz carbonique de l’air est élevée. Ils ont tendance à se fermer quand l’humidité de l’air ou du sol décroît, quand la température est élevée, quand il fait nuit ou encore lorsque l’état hydrique des feuilles se détériore. Ils se ferment également en cas de Figure 2 : montrant pour deux journées, l’une sans nuage (à gauche), l’autre avec passage nuageux, à quel point la transpiration d’un jeune arbre (exprimée en grammes d’eau évaporée par minute) est dépendante du rayonnement solaire (exprimé en watts par m-2) ; Améglio et al. (1992). nutrition minérale très déficiente, ou en présence de pollution atmosphérique. Par ailleurs, les stomates servent de porte d’entrée au gaz carbonique de l’air nécessaire à la photosynthèse. Ainsi, la photosynthèse foliaire, qui conduit à fabriquer les sucres de la sève descendante, ne peut se faire que si les stomates sont ouverts. De ce fait, selon les conditions climatiques, mais aussi les réserves en eau du sol et l’étendue de son feuillage, la plante va transpirer de quelques litres à quelques centaines de litres d’eau par jour dans le cas d’un arbre. La mesure continue de la croissance à l’« écoute » des états physiologiques d’une plante Mais la plante n’a presque pas d’autonomie hydrique. Elle doit tirer du sol des quantités d’eau voisines de celles qu’elle perd au même moment par la transpiration. Si la quantité d’eau qu’elle peut absorber dans le sol n’est pas voisine de la quantité d’eau qu’elle perd par transpiration, la plante ne pourra pas longtemps combler la différence en puisant dans ses réserves en eau que représente l’ensemble de ses cellules. Elle sera donc contrainte de fermer ses stomates pour éviter de se dessécher de façon irréversible. Les stomates constituent donc et de loin le mécanisme le plus efficace et le plus rapide dont dispose la plante pour lutter contre la sécheresse. Ainsi, la transpiration dépend principalement, on l’a dit, de la quantité d’énergie qui arrive sur les feuilles en provenance du soleil. Comme cette quantité augmente régulièrement avec l’ascension du soleil dans le ciel, les variations de la transpiration « potentielle » suivent celles de la hauteur du soleil. L’absorption, quant à elle, suit la transpiration mais avec un certain décalage (dû aux effets des réserves d’eau de la plante). On a donc pour une journée ensoleillée, une première partie le matin, durant laquelle l’absorption reste inférieure à la transpiration, entraînant une perte d’eau des cellules de la plante se traduisant notamment par une réduction de dimension des organes (ex. diamètre du tronc dans la figure 3). L’après-midi au contraire, l’absorption dépasse à chaque instant la transpiration qui décline : la plante se réhydrate jusqu’en fin de nuit et présente pour de belles journées une croissance apparente corrélée à son fonctionnement photosynthétique. a) b) Figure 3 : Mesure continue de croissance en diamètre à partir du biocapteur PépiPIAF (Forest Future, Nancy, France) - a) la figure 1a présente le téléchargement à distance des données du biocapteur PépiPIAF. Celuici est installé sur le tronc d’un hévéa « industriel » et les données sont récupérées grâce à une transmission sans fil entre un PC portable équipé d’un boîtier USB receveur et le biocapteur. Les données (figure 3b) sont présentées sur quatre journées successives, où l’on peut visualiser une croissance journalière apparente (CJ) pour chaque journée avec un cumul de 200 cm de croissance apparente pour ces 4 journées. On visualise également une amplitude maximale de contraction (AMC) pour chaque journée, d’autant plus importante que la demande climatique est importante. Cette AMC traduit l’utilisation des réserves hydriques de l’écorce pour soutenir la transpiration (Daudet et al. 2004). 21 (létal au-delà de 45 °C pour la majorité des espèces) peut entraîner rapidement l’apparition de brûlures du feuillage et la chute précoce des feuilles. La plante, ne pouvant plus photosynthétiser, puise donc dans ses réserves de carbone pour vivre, au moment même où, dans le cas des pérennes, elle devrait au contraire les accroître pour passer l’hiver. Là encore, l’expert ou le chercheur, qui sait analyser à temps ces « appels au secours » donnés par la plante, comme l’élévation de la température de son feuillage, pourra intervenir à temps pour déclencher une irrigation salvatrice. Figure 4 : Impact de la saignée sur la croissance radiale de l’hévéa (Silpi et al. 2006). Le suivi en continu de la croissance et des déformations d’un organe est un enregistrement très fin des interactions entre la plante et son environnement physique (stress hydriques, thermiques, physiologiques…) voire biotique (défoliateurs, maladies foliaires…). Ce type de mesures largement répandu en recherche aujourd’hui est une clé de communication très intégrative de la vie du végétal et de son développement. La technologie moderne sans fi l, autonome et miniaturisée (Henno J., 2009) permet de suivre ce développement et ses contraintes dans des environnements divers et variés, en particulier au service de l’arbre urbain ou industriel et ses applications potentielles sont donc multiples et concernent tout type de plante. Sécheresse et température Lorsque l’eau du sol vient à manquer, le végétal ferme alors ses stomates. Il stoppe progressivement sa transpiration et, si la transpiration diminue, c’est aussi le cas de l’activité photosynthétique, puisque le CO₂ de l’air pénètre également par ces stomates. Les croissances primaire et radiale se trouvent alors affectées. Lorsque le phénomène de sécheresse est ponctuel et que les apports d’eau recommencent après quelques jours, le végétal peut s’hydrater à nouveau et reprendre sa croissance. Si la sécheresse s’accompagne de températures élevées, les conséquences seront plus dommageables pour la plante. En effet, la baisse de la transpiration permet de juguler les pertes en eau, mais elle ne permet plus une bonne régulation thermique du végétal. La température des feuilles augmente de plusieurs degrés par rapport à ce qu’elle serait si les stomates restaient ouverts. L’échauffement des tissus 22 La sécheresse extrême et la création d’embolie gazeuse Mais d’autres dommages plus irréversibles guettent la plante si la sécheresse se prolonge. Les risques d’embolie gazeuse deviennent alors particulièrement importants. En effet, la sève xylémienne étant tirée par le haut par l’évaporation foliaire, et non poussée par le bas (ce qui ne peut arriver que pendant les rares périodes où la pression racinaire peut s’exercer : air saturé ou période avant le débourrement pour certains arbres ou la vigne), elle est sous « tension » c’est-à-dire sous pression négative. Grâce aux forces capillaires qui s’exercent au niveau des minuscules surfaces d’évaporation, dans les feuilles, la sève xylémienne monte sans problème jusqu’au sommet des plus grands arbres (110 m environ). Mais le risque majeur de cet état de tension est l’entrée d’air par cavitation dans les vaisseaux du bois, qui conduit à l’embolie gazeuse du système vasculaire. Cette entrée d’air bloque la circulation de la sève brute dans le vaisseau embolisé. Plus le nombre de vaisseaux embolisés est grand, plus la circulation de la sève peut être affectée. Ce risque est d’autant plus grand que les conditions climatiques conduisent à une transpiration potentielle forte et que le sol est pauvre en eau. Cependant, la vulnérabilité à l’embolie varie selon les espèces : les peupliers, les saules, les noyers sont bien plus vulnérables à l’embolie estivale que les chênes méditerranéens ou les cèdres. Entre ces extrémités se trouvent le hêtre, le frêne et des conifères comme le pin sylvestre. Les chercheurs ont trouvé des méthodes pour phénotyper les espèces sur ce critère de vulnérabilité à l’embolie gazeuse (Cochard et al. 2005) en reproduisant la sécheresse et l’état de tension des colonnes d’eau dans le végétal par la centrifugation progressive des rameaux et en mesurant simultanément la perte de conductivité de ces rameaux (vaisseaux du xylème remplis d’air : système Cavitron). a) b) Figure 5 : -a) Création d’un nouvel outil : le Cavitron, permettant de créer et mesurer l’embolie par centrifugation et de reproduire en quelques minutes l’effet d’une sécheresse édaphique sur la formation de l’embolie. Cochard et al. 2005. -b) Exemple de détermination au Cavitron du P50 (pression négative de la sève provoquant 50 % d’embolie) chez différentes espèces classées selon un indice d’aridité de leurs milieux (Rameau et al., 1989, 1993). Compilation de travaux d’Hervé Cochard (UMR PIAF, INRA). « Ecouter » les cris d’alarme des plantes lors de leurs dépérissement : la détection acoustique de la cavitation Ainsi les risques de cavitation et d’embolie sont les stades à ne pas franchir afin d’éviter le dépérissement du végétal. Ces stades ultimes sont d’ailleurs les seuls où la plante rentre en communication directe avec l’expérimentateur. Les végétaux dans ces conditions nous « parlent », en émettant des sons, des ultrasons que nous pouvons écouter avec des appareils acoustiques dédiés à ces mesures. Cette technologie n’est pas si récente que cela (Milburn & Johnson, 1966), mais les progrès technologiques récents, là encore nous donnent un nouveau regard sur ses mesures et devrait nous conduire à de nouvelle découverte dans un futur proche. Nous venons en particulier, de monter que ces émissions acoustiques se produisent également lors de la prise en glace de l’eau dans les arbres soumis à des cycles gel-dégels (Charrier et al. 2014 ; Figure 6) qui provoquent également la création d’embolie gazeuse, encore appelée embolie hivernale. Ce mécanisme de dépérissement est le processus majeur qui limite la progression en altitude des arbres et qui varie selon les espèces. En fait les ultra-sons émis par la plante ne sont mesurés que pendant le gel, lors de la prise en glace de la sève du xylème et non durant le dégel. Le blocage des vaisseaux du xylème par embolie gazeuse à l’opposé se produirait uniquement au dégel (CharraVaskou et al., non encore publié). Figure 6 : -a) Dynamique d’accumulation des émissions ultrasoniques au cours d’un cycle gel-dégel jusqu’à -40 °C (ligne noire par paliers de 5 °C). Les ultrasons ne sont émis que durant le gel (Charrier et al. 2014). Ainsi, il y aurait création des bulles d’air lors du gel et expansion de cet air dans les vaisseaux au dégel. Les mécanismes qui produisent l’embolie estivale liée à la sécheresse et l’embolie hivernale liée au cycle gel-dégel seraient de même ordre. Là encore, le progrès technologique associé à la recherche multidisciplinaire (physique, physiologie et biologie) nous permet de repousser un peu plus les limites de nos connaissances fondamentales dans un premier temps, et devrait conduire in fine à de nouveaux détecteurs acoustiques pour écouter la « langue » des plantes et aider les chercheurs et professionnels à sélectionner des espèces adaptées aux conditions climatiques du futur. 23 Bibliographie Améglio T., Daudet F.A., Archer P., Ferreira I., 1993 - Comparison of 3 methods of measuring the transpiration of young trees. [French]. Agronomie, 13 (8): 751-759. Améglio T., Cruiziat P., 1992 - Daily variations of stem and branch diameter: short overview from a developed example. 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Daudet F.A., Améglio T., Cochard H., Archilla O., Lacointe L., 2005 – Experimental analysis of the role of water and carbon in the tree trunk diameter. Journal of Experimental Botany 56 (409), 135-144. 24 Henno J. 2009 – Des arbres sous surveillance électronique. Les Échos, Le quotidien de l’économie, Croissance verte, édition du 7/04/2009. Huguet J-G., 1985 - Appréciation de l’état hydrique d’une plante à partir des variations micrométriques de la dimension des fruits ou des tiges au cours de la journée. Agronomie, 5, 733-741. Lenne C., Bodeau O., Moulia B., 2014 – Percevoir et bouger : les plantes aussi! Pour la Science, n° 438, Avril 2014, 40-47. Milburn J.A. & Johnson R.P.C., 1966 - The conduction of sap. II. Detection of vibrations produced by sap cavitation in Ricinus xylem. Planta, 69, 43-52. Morel P., Crespel L., Galopin G., Moulia B., 2012 Effect of mechanical stimulation on the growth and branching of garden rose. Scientia Horticulturae, 135, 59–64. Rameau Jc, Mansion D, Dume G, Timbal J, Lecointe A, Dupont P, Keller R 1989 In: Flore forestière française. I Plaines et Collines, eds. Institut pour le développement forestier, Paris, pp. 1785 Rameau Jc, Mansion D, Dume G, Timbal J, Lecointe A, Dupont P, Keller R 1993 In: Flore forestière française. II Montagnes, eds. Institut pour le développement forestier, Paris, pp. 2421 Silpi U., Thaler P., Kasemsap P., Lacointe A., Chantuma A., Adam B., Gohet E., Thanisawanyangkura S., Améglio T., 2006 - Effect of tapping activity on the dynamics of radial growth of Hevea brasiliensis trees. Le dialogue porte-greffe – greffon Sarah Jane Cookson, Philippe Vivin, Jean Pascal Tandonnet, Virginie Lauvergeat, Nathalie Ollat Résumé Malgré la longue histoire du greffage, nous avons très peu de connaissances sur les processus moléculaires impliqués dans le greffage et les signaux échangés entre le porte-greffe et le greffon. S’il est connu que chaque partenaire conserve son identité génétique dans la plante nouvelle qui résulte de l’association, la réussite du greffage chez les plantes est le résultat de processus biochimiques et structuraux complexes qui commencent par une réponse à la blessure suivie par la formation du cal de jonction. Un processus de reconnaissance et/ou de communication se manifeste alors, mais sa nature n’est pas connue. Notre expérience chez la vigne montre que pendant la formation du cal, à l’interface porte-greffe/greffon, l’hétérogreffe peut induire une réponse de défense, ce qui suggère un type de reconnaissance self/non self entre les cellules à l’interface de deux génotypes différents. Dans les cas favorables, c’est au sein du cal de jonction que vont être élaborés de nouveaux tissus vasculaires de connexion entre les deux partenaires greffés. Dans un certain nombre d’hétérogreffes, une incompatibilité de greffage peut se manifester soit assez rapidement après le greffage (entre quelques jours et jusqu’à 5 ou 6 mois), soit de manière différée après quelques années. Diverses hypothèses liées à ces incompatibilités de greffage ont été travaillées, mais les processus n’ont pas été à ce jour totalement élucidés. Le praticien est en principe bien averti des associations potentiellement incompatibles, et cherche à les éviter. Après ces communications initiales qui assurent la bonne formation du cal, les deux génotypes d’une plante greffée doivent continuer à communiquer pour coordonner l’acquisition et la circulation des ressources (eau, éléments minéraux, photosynthétats, etc.), la croissance des parties aérienne et souterraine, et les réponses aux pathogènes. Plusieurs hypothèses concernant la communication entre porte-greffe/greffon ont été proposées dans la littérature scientifique et seront présentées. Introduction Le greffage est utilisé en horticulture en Chine depuis au moins 2000 ans (Liu, 2006 ; Mudge et al., 2009) et il est couramment utilisé aujourd’hui pour la multiplication et la culture de la vigne, des arbres fruitiers et de certaines espèces maraîchères (voir par exemple, Lee et al., 2010 ; Gregory et al., 2013). Malgré la longue histoire du greffage, les connaissances sur les processus moléculaires et biochimiques qui se mettent en place lors du greffage entre le porte-greffe et le greffon sont extrêmement limitées. Après greffage, chaque partenaire conserve son identité génétique dans la plante nouvelle qui résulte de l’association. Exceptionnellement, on peut observer des «hybrides de greffe». Cependant, les hybrides de greffe ne sont pas de vrais hybrides mais des chimères périclines, issues de bougeons adventifs développés à partir des tissus des deux partenaires. Bien que les cellules à l’interface porte-greffe / greffon conservent leur identité génétique (l’ADN des noyaux des deux génotypes greffés ensemble restent séparés), l’ADN des plastes peuvent être échangés entre le porte-greffe et le greffon (Stegemann et Bock, 2009). Le manque de connaissances est aussi notoire en ce qui concerne les mécanismes précoces qui se mettent en place au moment même du greffage et qui auront pour résultat l’obtention d’une plante composite, viable ou non (Pina et Errea, 2005). Ce manque de connaissances fondamentales constitue un frein à l’amélioration génétique des porte-greffes, puisque de nombreuses propriétés de l’assemblage ne peuvent être déduites des propriétés individuelles des deux partenaires (Rives, 1971). Il constitue également une limite à une maîtrise optimisée de la production de plants. Un effort doit donc être réalisé si l’on souhaite proposer des solutions intégrées aux défis auxquels doit faire face l’horticulture du XXIe siècle, i.e. les changements climatiques et la mise en œuvre d’itinéraires culturaux à bas intrants plus respectueux de l’environnement. Il est ainsi important d’évaluer dans quelle mesure le porte-greffe pourra contribuer à ces évolutions, puisqu’il off re une réponse complémentaire aux solutions uniquement fondées sur le changement de variétés. 25 Le greffage chez la vigne L’incompatibilité Depuis l’invasion phylloxérique en Europe dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la majorité des vignes cultivées sont greffées et résultent donc de la combinaison de deux génotypes (un cépage et un porte-greffe), tous deux contribuant potentiellement à la réponse de la plante aux variations de l’environnement (May, 1994). Le choix du porte-greffe est un élément important de la gestion technique du vignoble, qui permet notamment d’adapter le matériel végétal au type de sol (tolérance au calcaire actif, à la sécheresse…), et de contrôler la phénologie, la vigueur conférée au greffon, le rendement et la qualité des raisins (Jones et al., 2009). Cependant, malgré leur utilisation généralisée en viticulture, et leur rôle capital d’interface entre le sol et la variété, les porte-greffes sont peu étudiés et les mécanismes physiologiques impliqués dans le déterminisme des interactions avec le greffon sont encore mal connus (Ollat et al., 2003 ; Smith, 2004). Il apparaît de manière statistique que les interactions porte-greffe / greffon expliquent les résultats agronomiques pour une part au moins équivalente à celle du porte-greffe utilisé seul (Lefort et Législe, 1977 ; Tandonnet et al., 2010) et que les processus se mettent en place à un stade très précoce (Tandonnet et al., 2010). Dans un certain nombre d’hétérogreffes, surtout chez les arbres fruitiers, une incompatibilité de greffage peut se manifester soit assez rapidement après le greffage (Prunus spp.), soit de manière différée après quelques années (par exemple poirier sur cognassier). Diverses hypothèses liées à ces incompatibilités de greffage ont été travaillées, mais les processus n’ont pas été à ce jour totalement élucidés (par exemple Ermel et al., 1997 ; Pina et Errea, 2005). Les travaux récents montrent que l’incompatibilité de greffe pourrait être associée à un stress oxydatif (Nocito et al., 2010 ; Zarrouk et al., 2010), à une diminution de l’activité de UDPglucose pyrophosphorylase (Pina et Errea, 2008a) ou à l’accumulation de composés phénoliques solubles (par exemple Pina et Errea, 2008b). Le praticien est en principe bien averti des associations potentiellement incompatibles, et cherche à les éviter. Le greffage La réussite du greffage chez les plantes est le résultat de processus biochimiques et structuraux complexes qui commencent par une réponse à la blessure suivie par la formation d’un cal de jonction. La conséquence primaire du greffage est le remplacement du système racinaire du greffon par celui du portegreffe. Cependant, des différences anatomiques entre génotypes porte-greffes peuvent freiner les échanges entre la partie aérienne et la partie racinaire (Giorgessi et al., 1997). Même si, chez la vigne, les phénomènes d’incompatibilité totale sont beaucoup plus limités que chez les arbres fruitiers, différents niveaux de compatibilité entre les porte-greffes et les greffons de Vitis vinifera (Todic et al., 2005) pourraient être à l’origine de l’hétérogénéité de développement. De plus, certains géniteurs possibles de porte-greffes ayant des caractéristiques intéressantes en matière de résistance aux maladies et d’adaptation à l’environnement (Muscadinia spp., V. berlandieri, V. monticola, etc.) sont connus pour présenter des difficultés à être associés avec des greffons de V. vinifera. L’origine de ces difficultés reste méconnue. 26 La vigueur conférée Les plantes vasculaires sont constituées d’organes répartis dans les deux compartiments souterrain et aérien, reliés par des vaisseaux conducteurs. Les racines permettent l’ancrage de la plante dans le sol et fournissent les ressources hydriques et minérales à la partie aérienne, alors que les tiges feuillées effectuent la photosynthèse et sont donc essentielles pour la nutrition carbonée de la partie souterraine. Ce sont les méristèmes apicaux, formés pendant l’embryogénèse, qui sont responsables de la formation (organogénèse) des organes racinaires et des phytomères végétatifs. Le développement des racines est influencé par celui des feuilles et réciproquement, ceci afin d’équilibrer l’équilibre fonctionnel entre racines et feuilles, et permettre un développement coordonné de la plante. Différents facteurs externes et internes régulent cet équilibre de développement (Gedroc et al., 1996). Les porte-greffes peuvent influencer cet équilibre et conférer au greffon un niveau de vigueur différent de son niveau propre (par exemple Tandonnet et al., 2010 ; Cookson et al., non publié). Cette vigueur est appelée vigueur conférée et peut être supérieure ou inférieure à celle du greffon sur ses propres racines. Le déterminisme de la vigueur conférée par le portegreffe n’est pas clairement élucidé. L’architecture, la morphologie et l’anatomie des systèmes racinaires varient selon les génotypes de porte-greffes (Smart et al., 2006). Le développement du système racinaire affecte directement l’absorption de l’eau et des minéraux, ce qui modifie en retour la vigueur et la physiologie du système aérien (Zerihun et Treeby, 2002). Le porte-greffe peut affecter également indirectement la photosynthèse du système aérien (During, 1994) et la répartition de biomasse entre les parties végétative et reproductive. Chez certains arbres fruitiers, l’architecture hydraulique joue un rôle déterminant dans l’interaction entre partie aérienne et partie racinaire (Solari et DeJong, 2006). Par ailleurs, des différences de phénologie entre les deux partenaires de l’association porte-greffe / greffon pourraient contribuer aux effets du porte-greffe sur la croissance des greffons (Clearwater et al., 2007). Les échanges entre porte-greffe et greffon Récemment, les progrès de la biologie moléculaire ont permis de renouveler l’étude des mécanismes par lesquels le porte-greffe interagit avec son greffon (et vice versa). Nous avons réalisé des analyses de type «transcriptomiques» pour comprendre la cinétique des changements moléculaires (expression des gènes) qui se produisent pendant le développement à l’interface entre partenaires, dans la zone greffée. Dans le cas des homogreffes (cépage Cabernetsauvignon greffé sur lui-même), la formation du cal est associée à une augmentation d’expression des gènes de développement du phloème, du xylème, des parois cellulaires, et du métabolisme secondaire en réponse à la blessure, dès le premier mois après greffage (Cookson et al., 2013). Dans le cas des hétérogreffes (Cabernetsauvignon greffé sur un porte-greffe), la formation du cal induit une réponse de stress et/ou de défense en plus des réponses déjà observées sur les homogreffes (Cookson et al., 2014). Les gènes du stress oxydatif, de la signalisation du jasmonate et de l’accumulation des composes phénoliques sont induits. Les nutriments (minéraux, acides aminés, sucres) circulant entre partie aérienne et partie racinaire jouent un rôle important en tant que substrats mais également en tant que signaux (Stitt et Scheible, 1998 ; Dodd, 2005). D’autres molécules régulent les mécanismes de développement et de croissance du système végétatif et reproducteur, en contrôlant de façon directe ou indirecte l’expression des gènes impliqués dans la différenciation et l’élongation cellulaire dans les méristèmes végétatifs ou inflorescentiels (Golecki et al., 1998). La nature de ces signaux endogènes est diverse. Il s’agit de molécules de type hormonal (auxines, cytokinines, gibbérellines, etc.) mais également d’acides nucléiques et/ou de protéines. Ces molécules circulent dans la plante sur de plus ou moins longues distances grâce aux flux des sèves xylémienne ou phloémienne (RuizMedrano et al., 2001). Ainsi, les auxines, synthétisées dans les parties aériennes, contrôlent la formation et la croissance des racines, alors que les cytokinines, synthétisées principalement dans les racines, contrôlent la formation et la croissance des tiges feuillées (Werner et al., 2003 ; Shimizu-Sato et al., 2009). Des travaux de plus en plus nombreux sur plante modèle montrent également que des acides nucléiques, tels que les «petits ARNs», sont impliqués dans de nombreux processus biologiques comme par exemple le développement, la régulation de la croissance, le contrôle de la floraison et les réponses aux stress (Chen, 2009). Ces petits ARNs sont des séquences spécifiques qui permettent l’extinction des gènes (silencing), la régulation de l’architecture de la chromatine (phénomènes épigénétiques), la dégradation des ARN messagers et l’inhibition de la traduction des protéines. De façon tout à fait intéressante, il a été récemment mis en évidence qu’ils peuvent circuler entre les racines et les tiges via le phloème et ainsi véhiculer une information permettant d’activer ou de réprimer l’expression des gènes dans différents organes cibles (Buhtz et al., 2008 ; Pant et al., 2008). Chez la vigne, l’existence d’un transport à longue distance de tels signaux de part et d’autre du point de greffe et leur implication éventuelle dans le déterminisme des interactions porte-greffe / greffon restent encore à démontrer. Nous avons étudié l’expression des gènes dans l’apex de vignes Cabernetsauvignon greffées sur porte-greffes 1103 Paulsen et Riparia Gloire de Montpellier (hétérogreffes), et le témoin Cabernet-sauvignon auto-greffé (Cookson et Ollat, 2013). L’hétérogreffe a induit une augmentation de l’expression des gènes liés à la régulation de la structure de la chromatine dans l’apex, qui suggère que de petits ARNs sont échangés entre le porte-greffe et le greffon chez la vigne. Conclusion Finalement, la complexité des échanges entre le portegreffe et le greffon au niveau de la zone de greffage ou à distance entre les racines et les organes aériens reste à démontrer et à expliquer. Le challenge est désormais de comprendre comment les aspects génétiques et environnementaux interagissent pour contrôler les processus physiologiques complexes qui coordonnent le développement et la croissance des parties aériennes avec ceux des parties racinaires chez une plante greffée. 27 Bibliographie Buhtz A, Springer F, Chappell L, Baulcombe DC, Kehr J. 2008. Identification and characterization of small RNAs from the phloem of Brassica napus. Plant Journal 53, 739-749. Chen X. 2009. Small RNAs and their roles in plant development. 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L’objectif de ce travail est de comprendre par une approche de biologie intégrative couplant expérimentation et modélisation comment le porte-greffe interagit spécifiquement avec son greffon (et réciproquement) pour modifier, dès les premières étapes du greffage, les caractéristiques physiologiques de la plante entière afin de coordonner le développement et la croissance des parties aériennes avec ceux des parties racinaires. L’azote étant considéré comme un élément clef de contrôle de la croissance d’une plante, un accent particulier a été porté sur le rôle de la nutrition azotée dans le contrôle de la croissance du couple porte-greffe/greffon. Cette étude a permis de démontrer que la mobilisation des réserves et le transport de l’azote au sein de la plante sont les principaux déterminants de la croissance d’une vigne greffée. 30 Depuis la fin du XIXe siècle et l’invasion du vignoble européen par le phylloxera, la vigne Vitis vinifera est cultivée greffée sur des porte-greffes d’origine nordaméricaine, tolérants aux piqûres racinaires de cet insecte. L’utilisation de porte-greffes est connue pour fortement modifier la croissance annuelle des rameaux encore appelée vigueur. Le contrôle de la vigueur est essentiel en viticulture (mais aussi en horticulture et arboriculture), cette dernière ayant un impact majeur sur les rendements et la qualité des fruits, donc de la baie dans le cas du raisin. Dans les vignobles de cru, le viticulteur cherche à obtenir une vigueur modérée afin d’accroître la qualité de la récolte tout Figure 1: Effet du porte-greffe (1103P ou RGM) sur la croissance du greffon (CS), 60 jours après débourrement. en conservant des rendements acceptables, alors que certains vignobles de grande production recherchent plutôt des rendements forts, au détriment d’une certaine qualité. Le choix du porte-greffe revêt donc une importance cruciale pour le viticulteur, mais malgré cette importance, les mécanismes à l’origine du contrôle de la vigueur par le porte-greffe sont mal connus, ce qui constitue un frein à la sélection de nouveaux porte-greffes. Il est cependant admis que l’effet du porte-greffe sur la croissance du greffon est d’autant plus fort que la disponibilité en azote dans le sol est faible. Au cours de ce travail de thèse, nous avons cherché à identifier les mécanismes physiologiques à l’origine de l’effet de l’azote sur la croissance du couple porte-greffe/greffon. Pour ce faire, deux combinaisons porte-greffe/greffon modèles ne différant que par le porte-greffe ont été étudiées : un même greffon, Cabernet Sauvignon (CS) a été greffé sur 1103 Paulsen (1103P) qui confère une forte vigueur au greffon ou sur Riparia Gloire de Montpellier (RGM) conférant une vigueur faible à son greffon (figure 1). Ces deux combinaisons ont été soumises à une gamme de concentrations en azote proche de celles retrouvées au vignoble. Deux expérimentations, menées en pots en 2011 et 2012, ont permis d’étudier les réponses physiologiques (croissance, métabolisme, expression des gènes) des deux combinaisons modèles en réponse aux traitements azotés. la première hypothèse, les deux combinaisons ont présenté une absorption d’azote équivalente quel que soit le traitement azoté (fort azote (N+), azote moyen (N) et faible azote (N-)). Ce résultat est original puisqu’il est admis que les plantes ont une croissance d’autant plus forte qu’elles absorbent de l’azote en quantité. Cependant, nos expérimentations ont montré qu’à disponibilité azotée équivalente, les plantes greffées sur 1103P transportaient plus d’azote issu de l’absorption vers les parties aériennes que celles greffées sur RGM. L’analyse de croissance a permis de confirmer les effets attendus des porte-greffes sur la croissance du greffon : les plantes greffées sur RGM présentent une croissance végétative plus faible que celles greffées sur 1103P. Cependant, l’effet du porte-greffe RGM s’est révélé d’autant plus fort que la disponibilité en azote était plus faible, alors que les plantes greffées sur 1103P étaient moins affectées par la concentration externe en azote. Ces résultats suggèrent que les porte-greffes modulent l’efficacité d’utilisation de l’azote disponible dans le milieu (ou NUE, de l’anglais Nitrogen Use Efficiency). Les différents porte-greffes pourraient agir sur différentes composantes de cette NUE et les différents porte-greffes pourraient ainsi présenter (figure 2) : i.) des capacités contrastées d’absorption de l‘azote : les porte-greffes absorbant plus d’azote entraîneraient une plus forte croissance de la plante. ii.) des capacités contrastées de transport de l’azote absorbé vers les parties aériennes de la plante : les porte-greffes transportant plus d’azote vers les tiges et feuilles provoqueraient une croissance plus forte de ces dernières. iii.) des capacités plus ou moins fortes de mobilisation des réserves azotées : les porte-greffes possédant le plus de réserves ou étant capables de les mobiliser plus efficacement seraient ainsi en mesure de soutenir une croissance aérienne plus forte. Afin de tester ces trois hypothèses, la quantité d’azote absorbé puis transporté vers les parties aériennes et la quantité d’azote issu de la mobilisation des réserves ont été mesurées chez les combinaisons testées (CS/RGM, faible vigueur et CS/1103P, forte vigueur). Concernant Figure 2 : Différentes composantes de l’efficacité d’utilisation de l’azote (NUE) Alors même que les deux combinaisons absorbent la même quantité d’azote, le génotype du porte-greffe modifie la répartition de l’azote au sein de la plante et module ainsi sa croissance. Enfin, l’étude de l’origine de l’azote (réserves ou absorption, par une approche d’isotope stable 15N) composant les rameaux en croissance a révélé que les plantes greffées sur le portegreffe conférant une forte vigueur (1103P) mobilisent plus leurs réserves azotées que celles greffées sur RGM, et qu’une grande majorité de l’azote retrouvé dans les organes en croissance a pour origine le compartiment des réserves (racines, tronc). Ce processus permet aux plantes greffées sur 1103P de découpler en partie leur croissance de la disponibilité en azote dans le sol. 31 Figure 3: concentration en acides aminés chez RGM et 1103P, en fonction des traitements azotés N+ (rouge) et N- (bleu) et du temps. Chez les plantes, les réserves azotées sont majoritairement représentées par les acides aminés et les protéines. Leur dosage dans les deux combinaisons modèles étudiées a permis de confirmer la plus forte mobilisation des acides aminés chez 1103P, mais a aussi montré des quantités de réserves plus fortes chez 1103P, par comparaison avec RGM (figure 3). Aucune mobilisation des protéines (de réserve) n’a été observée. L’étude de l’expression des gènes liés au métabolisme de l’azote a confirmé ces différences puisque les plantes greffées sur 1103P présentaient une surexpression des gènes associés à la dégradation des acides aminés et à la mobilisation de réserves, en comparaison à RGM. Les résultats expérimentaux présentés précédemment ont été utilisés pour l’élaboration d’un modèle mathématique capable de simuler la croissance de vignes greffées. Ce modèle permettra à terme de disposer d’un outil de prédiction de la croissance d’une vigne, en fonction de différentes variables d’entrée telles que la disponibilité en azote, l’ensoleillement, la température, le mode de conduite… et de mieux prévoir, sur le long terme, le comportement de vignes dans différents milieux. 32 L’étude du lien azote/porte-greffe a permis d’identifier des processus clés à l’origine de la vigueur de la vigne, et plus largement des plantes greffées. Les résultats obtenus au cours de cette thèse sont en concordance avec d’autres études portant sur les arbres greffés ou non (voir par exemple les travaux de Millard sur l’importance des réserves azotées dans la croissance des arbres) et peuvent être extrapolés à d’autres plantes pérennes greffées telles que le rosier et les arbres fruitiers (dont pommiers, poiriers et cerisiers). Il apparaît ainsi que la sélection de porte-greffes accumulant plus ou moins de réserves azotées, et capables de les remobiliser au profit de la partie aérienne, permettrait de moduler la croissance végétative de la plante. De plus, l’identification des acides aminés comme forme de réserve azotée mobilisée permet d’imaginer d’utiliser l’accumulation de ces derniers comme critère de sélection pour des porte-greffes conférant des vigueurs plus ou moins fortes. De plus, les résultats obtenus permettent de suggérer des itinéraires de nutrition minérale pour le pilotage de la croissance des plantes pérennes. La gestion de la fertilisation des plantes pérennes se révèlerait diamétralement opposée à celle des plantes annuelles : en début de saison, les plantes annuelles ne disposent comme seule source d’azote et de minéraux que des faibles réserves présentes dans la graine et dépendent donc largement de l’absorption pour établir leur croissance. En revanche, les pérennes et vivaces, inféodées à leur milieu et disposant d’organes de réserve capables de passer la saison hivernale, peuvent compter sur d’importantes réserves pour leur croissance, ce qui leur permet de découpler leur croissance de la disponibilité en minéraux dans le sol, qui fluctue entre les saisons et les années. Chez les pérennes, l’établissement des réserves débute en période estivale et culmine pendant la saison automnale, et une fertilisation appliquée en début d’automne apparaît comme idéale pour augmenter les réserves et donc la vigueur de la plante à la saison suivante. En revanche, les apports azotés printaniers n’auraient qu’un effet limité pour une éventuelle correction de la vigueur, l’absorption printanière n’ayant qu’un impact mineur sur la croissance végétative immédiate, en regard de l’importance de la mobilisation des réserves. L’exploitation des plantes par les plantes Philippe Delavault, Université de Nantes Résumé Les plantes parasites sont considérées le plus souvent de par leurs formes et leurs couleurs comme des curiosités botaniques. Cependant dans certains cas, celles-ci s’avèrent être aussi de redoutables bioagresseurs capables d’exploiter d’autres plantes. Ainsi, au sein des plantes parasites dites obligatoires, les hémiparasites qui sont encore aptes à réaliser la photosynthèse, comme les holoparasites qui sont dépourvus de chlorophylle, sont tributaires de leurs hôtes pour leur alimentation en eau, sels minéraux et nutriments, que ce soit partiellement ou totalement. Ce processus de spoliation trophique, régi par un dialogue moléculaire fin entre les deux partenaires, est ainsi un exemple extraordinaire d’adaptation végétale opérée par les plantes parasites au cours de l’évolution. Les faits majeurs de cette adaptation sont : - la nécessité pour les graines de ces plantes parasites de percevoir un signal, des stimulants de germination produits par les racines de l’hôte pour initier leur germination, - le développement d’un organe unique aux plantes parasites, l’haustorium, qui pénètre l’hôte et forme alors un pont trophique entre le parasite et l’hôte, - l’établissement d’une force de puits nécessaire au prélèvement par le parasite de ses nutriments chez l’hôte. Dans la nature, les interactions entre les organismes sont la règle plutôt que l’exception. De nombreuses interactions entre les plantes et les micro-organismes passent souvent inaperçues car elles se déroulent sous terre. En effet, un gramme de sol fertile peut contenir jusqu’à 1 milliard de bactéries, cent mille champignons et quelques centimètres de racines. Les plantes ne sont cependant pas des cibles passives face à cette cohorte de micro-organismes, puisqu’elles affectent leur répartition dans la rhizosphère en libérant dans le milieu des substances attractives ou répulsives. Il est ainsi établi de longue date que la mise en place des interactions entre les plantes et les micro-organismes est régie par des molécules « signal ». Lorsqu’une telle interaction présente un caractère permanent, notamment du point de vue nutritionnel, elle est appelée symbiose. Douglas (1994) définit deux types de symbioses, les symbioses mutualistes, dans lesquelles tous les partenaires concernés tirent profit de leur association, et les symbioses parasites, où un organisme tire bénéfice de l’association au détriment de l’autre partenaire appelé hôte. Chez les végétaux, il existe ainsi une catégorie de plantes peu connue du grand public de par l’originalité et la rareté de ses représentants et ayant un mode de vie parasitaire : il s’agit des plantes parasites. Dans la plupart des cas, elles ont besoin d’une plante hôte qu’elles vont exploiter grâce à un processus efficace de spoliation trophique pour se développer et se multiplier. On dénombre quelque 4 500 espèces de plantes parasites, soit 1 % des 260 000 plantes à graines connues, réparties en 28 familles et 273 genres, présentes des pôles jusqu’aux régions tropicales sèches et humides. Les plantes parasites ont été capables de s’adapter à tous les types de communautés végétales et ce dans tous les environnements où sont présentes les plantes à fleur, à l’exception du milieu aquatique. Mis à part Parasitaxus usta de Laub. (Podocarpaceae), seul représentant du clade des gymnospermes au sein du monde des plantes parasites, l’intégralité des espèces connues appartient à la classe des dicotylédones. Une première clé de classification des angiospermes parasites concerne le site de fi xation sur l’hôte (Figure 1) ; on distingue ainsi les parasites de tige ou épiphytes (Viscaceae, Convolvulaceae, Lauraceae, Loranthaceae…), des parasites de racine ou épirhizes (Orobanchaceae, Hydnoraceae, Balanophoraceae, Rafflesiaceae…). Le second critère de classification des plantes parasites repose sur leur niveau de dépendance trophique vis-à-vis de leur hôte. On différencie tout d’abord les parasites facultatifs des parasites obligatoires, de par la capacité ou l’incapacité de ces derniers Figure 1 : Illustration classique des différents types de plantes parasites. 33 à achever leur cycle de vie indépendamment de celui de leur hôte. De même on différencie les holoparasites, non ou très peu chlorophylliens, qui prélèvent tous les nutriments (carbone et azote réduits) nécessaires à leur croissance chez la plante hôte via des connexions majoritairement phloèmiennes, des hémiparasites, chlorophylliens, censés limiter leur prélèvement à l’eau et les sels minéraux présents dans le xylème de leur hôte, et donc capables de subvenir, au moins en partie, à leurs besoins nutritionnels de façon autotrophe (Figure 1). Cependant, ces définitions ne rendent pas toujours compte de situations intermédiaires. Par exemple au sein du genre Cuscuta, certaines formes intermédiaires entre hémi et holoparasites contiennent de la chlorophylle et peuvent, dans certaines conditions, effectuer une photosynthèse d’appoint. Les hémiparasites de racine tels que Striga spp. commencent leur développement à l’état d’holoparasites souterrains et le poursuivent quelques semaines après sous forme d’une tige chlorophyllienne. 34 Si la plupart des plantes parasites sont considérées de par leurs formes et leurs couleurs comme des curiosités botaniques, dans certains cas, celles-ci s’avèrent être aussi de redoutables bioagresseurs capables de dommages majeurs dans les écosystèmes anthropisés (agrosystèmes). Ainsi, les plantes parasites des genres Orobanche et Phelipanche représentent une catégorie de mauvaises herbes parmi les plus destructives pour les plantes de grandes cultures et de cultures maraîchères du pourtour méditerranéen et d’Europe. Leur impact a significativement augmenté ces dernières années en raison du réchauffement climatique, de l’accroissement des échanges commerciaux et de la mondialisation. Ces plantes se connectent au système vasculaire de leur plante hôte de sorte que les deux partenaires, l’hôte et le parasite, sont physiquement et physiologiquement associés tout au long du cycle de développement du parasite. Les premières phases de l’interaction se déroulent sous terre où le parasite soutire de son hôte eau, sels minéraux et composés organiques. Ce n’est qu’après s’être totalement établi et avoir développé une tige aux dépens de son hôte que le parasite émerge ; il a alors déjà causé des dommages importants qui réduisent significativement et irréversiblement le rendement de la culture. L’orobanche cause ainsi des dégâts pouvant aller jusqu’à une perte totale de rendement au cœur des foyers d’attaque. Dotée, en plus, d’un pouvoir exceptionnel de dissémination et d’une capacité extrême d’adaptation, sa propagation est impossible à contrôler. Malgré d’intenses efforts, des méthodes de lutte efficaces (pratiques culturales notamment) sont quasi inexistantes. En Europe et en Asie, plusieurs espèces d’Orobanche et de Phelipanche sont des menaces pour des cultures d’intérêt économique. Ainsi, plus d’un million d’hectares de cultures légumières sont infestés ou menacés en région méditerranéenne et en Asie occidentale par Orobanche crenata. Phelipanche aegyptiaca est un parasite majeur de plusieurs cultures appartenant aux Fabacées, Brassicacées, Solanacées, Apiacées et Asteracées au sud-est de l’Europe, au Moyen-Orient et en Asie. Phelipanche ramosa s’attaque aux Cucurbitacées, Solanacées et Brassicacées et est largement répandu en Europe, devenant un problème majeur pour le colza en France et la tomate dans les pays d’Europe du sud. Orobanche cumana est une menace pour le tournesol dans toute l’Europe (à terme, 60 à 70 % de la production européenne de tournesol sont menacés par l’orobanche), alors que Orobanche minor infeste les légumineuses fourragères en Europe centrale et du sud. D’autres espèces appartenant aux genres Striga et Alectra ne sont pas encore présentes en Europe, mais sont des contraintes biologiques majeures pour l’agriculture africaine et asiatique, qui pourraient être introduites en Europe si des mesures appropriées ne sont pas prises, comme cela a été le cas dans le passé aux USA. Le processus de spoliation trophique mis en place par ces plantes parasites ravageuses est régi par un dialogue moléculaire fin entre les deux partenaires et est ainsi un exemple extraordinaire d’adaptation végétale opérée au cours de l’évolution. Les faits majeurs de cette adaptation sont : • la nécessité pour les graines de ces plantes parasites de percevoir un signal, des stimulants de germination, produits par les racines de l’hôte pour initier leur germination, • le développement d’un organe unique aux plantes parasites, l’haustorium, qui pénètre l’hôte et forme alors un pont trophique entre le parasite et l’hôte, • l’établissement d’une force de puits nécessaire au prélèvement par le parasite de ses nutriments chez l’hôte. La germination atypique des plantes parasites Les graines de la majorité des plantes parasites obligatoires sont uniques en raison des modalités particulières de leur germination. Ces espèces ont toutes une capacité extraordinaire de dissémination car chaque plante peut produire jusqu’à 500 000 graines extrêmement petites (entre 200 et 400 μm), facilement transportées par le vent, l’eau de ruissellement, le matériel agricole, l’agriculteur ou encore le bétail (Figure 2). On estime qu’un champ infesté peut contenir jusqu’à 10 millions de graines/m2 et que la longévité de ces graines peut être supérieure à 15 ans. La dispersion de ces graines est aussi causée par le commerce local, national et international via des lots de semences contaminées. Figure 2 : Comparaison des tailles des graines de tournesol, de colza et de P. ramosa. En général, les graines des plantes autotrophes germent lorsqu’elles sont exposées à des conditions d’humidité, de température et d’oxygène appropriées. En plus de ces facteurs environnementaux, la lumière joue un rôle capital dans la régulation de la germination de nombreuses espèces. À l’inverse, la germination des graines des plantes parasites obligatoires ne nécessite pas de lumière mais en revanche n’est induite qu’après perception de signaux chimiques appelés les stimulants de germination. Ces molécules sont exsudées en quantité infime dans la rhizosphère par les racines de la plante hôte et conduisent à l’émergence d’une radicule qui se fi xera alors à la surface des racines. Ce point est crucial pour les plantes parasites obligatoires puisqu’elles sont incapables de survivre plus de quelques jours après leur germination sauf si elles atteignent un hôte. Ainsi, ces graines ne vont germer qu’au voisinage d’un hôte, de sorte qu’après leur germination, elles ont toutes les chances de rapidement se fi xer à ses racines. Actifs à des concentrations infiniment petites (de l’ordre du picomolaire), la plupart des stimulants de germination identifiés à ce jour appartiennent à la famille des strigolactones. Ainsi plus d’une quinzaine de strigolactones différentes ont été identifiées et dérivent toutes de la voie de biosynthèse des caroténoïdes. Il est intéressant de noter que les strigolactones sont aussi des signaux de reconnaissance de l’hôte par les champignons mycorhiziens à arbuscules avec lesquels plus de 80 % des plantes terrestres peuvent avoir des relations symbiotiques. Les strigolactones induisent ainsi la ramification des hyphes chez ces champignons, un processus qui précède la colonisation des racines de l’hôte et augmente les chances de contact avec celles-ci. De plus, il a été récemment découvert que ces molécules sont aussi des hormones végétales impliquées dans la régulation de la ramification des tiges, ce qui signifie probablement que les strigolactones sont présentes dans tout le règne végétal. D’autres stimulants de germination chimiquement différents des strigolactones ont été identifiés. Il s’agit par exemple du déhydrocostus lactone produit par le tournesol, qui induit spécifiquement la germination des graines d’Orobanche cumana. On citera aussi les isothiocyanates qui induisent spécifiquement la germination de Phelipanche ramosa, un pathogène en pleine expansion dans les champs de colza. De façon intéressante, les isothiocyanates sont des produits de dégradation par des bactéries du sol des glucosinolates, des molécules secrétées par les racines de certaines Brassicacées comme le colza. Cependant, quelle que soit la nature des stimulants de germination, plusieurs processus préparatoires doivent se mettre en place lors d’une phase dite de conditionnement et ce, avant que la réponse aux stimulants ne soit possible. Cette phase correspond à des conditions d’humidité et de températures spécifiques à chaque espèce. Alors que le rôle clé notamment des strigolactones est connu depuis des décennies, rien ou presque n’est connu quant aux événements moléculaires gouvernant la germination des plantes parasites de racine en réponse aux stimulants germination. Ce n’est que récemment qu’un acteur clé a été identifié. Il s’agit du gène CYP707A1 qui code pour une enzyme de dégradation de l’acide abscissique ou ABA, une phytohormone impliquée dans l’inhibition de la germination. Après stimulation par un stimulant de germination, CYP707A1 est rapidement et fortement activé, déclenchant alors une dégradation suffisante de l’ABA, et donc la levée de dormance. L’haustorium, un organe clé La principale caractéristique commune à l’ensemble des plantes parasites est une fi xation directe sur une autre plante hôte, via un appareil parasitaire endophytique spécialisé appelé haustorium (du latin haurire, puiser). Une fois stimulée, la graine des holoparasites émet un tube germinatif ressemblant à une radicule, appelé procaulôme. Ce tube germinatif croît et s’allonge en direction des racines de la plante hôte, probablement guidé par un chimiotropisme positif vis-à-vis des stimulants de germination émis par l’hôte. Lorsque le procaulôme atteint la racine de l’hôte, l’apex de celui-ci se différencie alors en papilles sécrétrices d’une substance mucilagineuse qui favorise l’adhésion du parasite. Il forme alors un renflement appelé appressorium qui permet d’une part l’adhésion à la racine, mais aussi l’intrusion de cellules dans celleci. La progression des cellules de l’appressorium se fait par l’intermédiaire de pressions mécaniques couplées à une dégradation enzymatique des parois des cellules de l’hôte. Une fois l’endoderme franchi, les cellules du parasite vont mettre en place l’organe le plus important de l’interaction, l’haustorium, qui forme alors un pont 35 morphologique et physiologique entre le parasite et son hôte. C’est cet organe endophytique, souvent comparé à une sorte de suçoir spécialisé, qui permet ainsi l’établissement d’une jonction entre le système vasculaire de l’hôte et celui du parasite, rendant possible le prélèvement des ressources nutritives nécessaires au développement de l’organisme parasite. L’apparition de l’haustorium invasif chez les plantes fut l’événement évolutif clef qui permit la transition vers le mode de vie parasitaire. On distingue ainsi les haustoria latéraux des haustoria terminaux ou primaires. Les premiers, caractéristiques des hémiparasites et des parasites facultatifs (cas des genres Tryphisaria et Rhinantus notamment), se développent sur le côté des racines de la plante parasite en contact avec celles d’une plante hôte. Les seconds sont, quant à eux, caractéristiques des holoparasites (cas des genres Orobanche ou Striga notamment) et se développent à l’apex de la radicule peu de temps après la germination. Comme nous l’avons vu précédemment, ce sont des signaux chimiques provenant de l’hôte qui permettent la germination des graines des plantes parasites obligatoires. Dans le cas de la mise en place de l’haustorium, ce sont aussi des signaux chimiques dérivés de l’hôte qui vont induire et initier son développement : ils sont appelés xenognosins ou Hautorium-Inducing Factors = HIFs. Le processus de génération de ces signaux chimiques semble être induit par la radicule du parasite. En effet, une activité péroxydase induisant l’émission d’espèces réactives de l’oxygène (ROS), comme le péroxyde d’hydrogène (H202), a été démontrée au niveau de l’apex de la radicule. Ces ROS entraînent alors une dégradation des parois cellulaires de l’épiderme de la racine hôte, provoquant une production de molécules de type composés phénoliques, quinones, pectines et acides organiques (tel que l’acide syringique). Une partie de ces composés est alors oxydée par le biais de péroxydases et de leur cofacteur, l’H202, en benzoquinones qui sont à leur tour oxydées par des quinones oxydoréductases produites par le parasite en semi-quinones du type 2,6-dimethoxybenzoquinone (DMBQ), connues pour leur activité HIF. Une fois mis en place et fermement fi xé à la surface des racines de l’hôte, l’haustorium désorganise ses tissus et pénètre la racine en direction des tissus vascularisés. De cette fi xation et de l’établissement de connections vasculaires dépend alors le développement d’une tige ou d’un tubercule, qui donnera finalement naissance à la structure aérienne de la plante. Un organe puits surnuméraire Une fois que la jonction vasculaire entre le parasite et l’hôte est fonctionnelle, le parasite dévie l’eau et les composés organiques et minéraux dont il a besoin (Figure 3). L’haustorium se développe tout d’abord en une masse qui distend les tissus de la racine de l’hôte puis devient rapidement un petit tubercule. Au fur et à mesure de sa croissance, ce tubercule, à la morpholo- Figure 3 : Relation sources/puits au sein d’une interaction plante hôte – Orobanche. 36 gie encore mal définie, finit par constituer un organe de réserve transitoire, accumulant principalement des hexoses, des polyols (mannitol, inositol…), des aminoacides et de l’amidon. Cette accumulation, qui doit être considérée comme une véritable spoliation trophique, est opérée grâce à la mise en œuvre d’une force de succion, appelée force de puits, qui s’accompagne d’un flux d’eau. Ce flux d’eau est le résultat d’un gradient de potentiel hydrique entre l’hôte et le parasite. Les parasites maintiennent ainsi un potentiel hydrique inférieur à celui de l’hôte, grâce à une accumulation de composés osmotiquement actifs, une transpiration non régulée ou une combinaison des deux phénomènes en fonction du type de parasite. Le tubercule émet d’autre part des racines adventives courtes sans zones pilifères, ce qui les rend inefficaces dans le prélèvement de l’eau et des sels minéraux. Néanmoins, chacune de ces racines est un organe en croissance et contribue ainsi à accroître la force de puits du tubercule. Pour illustrer cette incroyable force de succion mise en œuvre, les travaux réalisés sur l’interaction Orobanche cernua / tabac ont montré par mesure directe de la concentration en solutés du xylème et par l’estimation des flux d’eau que 99 % du carbone, 95 % de l’azote, 77 % du soufre, 90 % du potassium et 80 % du sodium quantifiés dans les tissus du parasite provenaient du phloème de la plante hôte, et que 90 % du calcium, 62 % du magnésium et de l’eau étaient issus du xylème de l’hôte. Le tubercule possède également un ou plusieurs méristèmes caulinaires qui, lorsque le parasite percevra les signaux adéquats provenant de l’hôte (nutriments, phytohormones), formeront alors des tiges. sa source de nutriments. L’infestation a également un impact sur l’architecture de la plante hôte. Plus globalement, la ponction des nutriments par le parasite, lorsqu’elle est importante, cause une diminution de la biomasse du système racinaire, de la tige et des organes reproducteurs, et donc de la fécondité de la plante hôte. À l’échelle de la parcelle, l’infestation provoque ainsi une perte de rendement pouvant être totale suivant l’espèce ou la variété d’hôte ainsi que le parasite et le degré d’infestation. Il est important de noter que la phase de développement souterrain des plantes parasites de racines est la plus dommageable pour la culture. Aussi, lorsque l’infestation devient visible avec l’émergence des tiges, il est déjà trop tard pour la culture. L’étude des mécanismes biologiques impliqués dans la mise en place et le développement de cette interaction est donc un des passages obligatoires à toute tentative de lutte ciblée. En effet, toute particularité développementale ou métabolique du parasite pourrait être considérée comme une source de vulnérabilité potentiellement exploitable. Cependant, à ce jour, malgré d’intenses efforts pour développer des méthodes de luttes respectueuses de l’environnement, qu’elles soient physiques, chimiques, génétiques ou encore biologiques, aucune ne s’avère efficace en terme de durabilité. Le développement de méthodes de lutte efficaces et peu coûteuses contre les plantes parasites reste donc la quête du Graal pour les pathologistes, les agronomes et les biotechnologues. Cette spoliation trophique effectuée par le parasite impacte la physiologie de la plante hôte à plusieurs niveaux. D’un point de vue global, l’infestation réduit fortement la biomasse de la plante hôte. On note également une augmentation nette de la transpiration et de la photosynthèse de l’hôte, ainsi qu’un délai de la sénescence des feuilles sources, l’objectif étant ainsi de maintenir fonctionnel et en survie le plus longtemps Je tiens à remercier ici Christina Vieira Dos Santos (2003), Patricia Letousey (2005), Axel de Julien de Zélicourt (2008), Thomas Péron (2010), Mathieu Gauthier (2012), Zachary Gaudin (2013) et MarcMarie Lechat (2014), tous doctorants au Laboratoire de Biologie et Pathologie Végétales de l’Université de Nantes, pour leur contribution à une meilleure connaissance des interactions plante – plante parasite. Remerciements 37 La symbiose, un échange gagnant-gagnant : Évolution de la symbiose mycorhizienne et dialogue moléculaire entre plantes et champignons symbiotiques Francis Martin, Laboratoire d’Excellence ARBRE, UMR Interactions Arbres/ Micro-organismes Résumé Dans le monde complexe de la rhizosphère – la zone d’influence de la racine – des milliers d’espèces de bactéries, de champignons et d’animaux microscopiques évoluent et entrent en compétition pour les ressources carbonées libérées par la plante. Les champignons symbiotiques se frayent un chemin vers la racine afin d’entrer en contact avec leur partenaire et établir la symbiose. Comment le champignon symbiotique reconnaît-il son partenaire végétal dans cet entrelacs souterrain de racines ? Comment la plante hôte distingue-t-elle le champignon bénéfique du champignon parasite ? Tout est question de dialogue… chimique. Le vocabulaire moléculaire employé par les partenaires de la symbiose mycorhizienne est maintenant décrypté grâce à une série de travaux remarquables des équipes de recherche françaises. Il repose sur un échange de molécules : strigolactones, oligosaccharides, protéines effectrices sécrétées. Elles sont perçues par des récepteurs membranaires et nucléaires de la plante et induisent une cascade de mécanismes conduisant à des changements dans l’expression de centaines de gènes indispensables à la mise en place de l’interaction symbiotique. Certains des facteurs fongiques sécrétés sont capables de contrôler la réponse immunitaire de la plante colonisée. C’est la variété des molécules de communication, ainsi que leur concentration, qui semblent déterminer la spécificité des interactions établies entre les partenaires fongiques et les racines des différentes espèces de plantes colonisées. 38 La forêt est, par définition, formée d’arbres ou dominée par ces derniers. Elle constitue le stade climacique de la dynamique des associations végétales. Les arbres constituent des mondes complexes où interagissent des milliers d’organismes : mammifères, insectes, oiseaux, plantes épiphytes, lichens et une microflore abondante, dont les champignons. Chacun sait que l’on trouve des champignons dans les sous-bois à proximité des arbres. Mais ce qui reste méconnu, c’est pourquoi ils sont si abondants en forêt et quels rôles ils y jouent. Les champignons présents dans la litière et le bois favorisent la décomposition – la métabolisation – des feuilles, des aiguilles, des branches mortes, des troncs abattus et des souches et la réintégration de leurs éléments constitutifs dans la chaîne alimentaire qui irrigue la forêt. Les champignons mycorhiziens vivent en symbiose mutualiste avec les arbres et jouent un rôle aussi fondamental dans le bon fonctionnement de l’écosystème forestier. La mycorhize (du grec múkês, champignon et rhiza, racine) est l’association symbiotique d’un champignon du sol avec la racine d’une plante. Le mycélium du champignon mycorhizien colonise la racine et modifie sa morphologie. Cette biocénose est bénéfique aussi bien à l’arbre qu’au champignon. La symbiose ectomycorhizienne On sait aujourd’hui que l’association symbiotique mycorhizienne entre arbres et champignons est une règle quasi générale et qu’elle contribue à l’établissement et à la pérennité de l’écosystème forestier, de même qu’à sa productivité. Le mode de vie symbiotique adopté par la truffe est partagé par des milliers d’espèces de champignons dont les cèpes, les chanterelles, les bolets et les lactaires ; cette symbiose, dite ectomycorhizienne, est apparue une vingtaine de fois au cours de l’évolution des mycètes car la symbiose présente des avantages sélectifs indéniables, tel que l’accès aux sucres simples produits par la plante hôte via la photosynthèse. Les champignons ectomycorhiziens sont associés surtout aux arbres, par exemple pins, sapins, chênes, hêtres, eucalyptus ou peupliers. Les arbres qui dépendent de cette symbiose ne représentent pas plus de 3 % des taxa végétaux, mais ils constituent cependant les essences dominantes des forêts des régions boréales, tempérées et montagneuses. Les champignons ectomycorhiziens sont des ascomycètes (truffes, terfez) et des basidiomycètes (amanites, chanterelles, cortinaires). Au niveau anatomique, l’ectomycorhize est constituée des hyphes extramatricielles se propageant dans le milieu extérieur et assumant un rôle essentiel d’exploration et d’absorption, des hyphes étroitement agglomérées, formant un pseudoparenchyme et constituant le manchon mycélien gainant la racine, les hyphes du réseau de Hartig qui s’insi- nuent entre les cellules du cortex racinaire sans jamais pénétrer dans les cellules de l’hôte ; c’est à leur niveau que sont supposés s’effectuer les échanges d’éléments nutritifs (sucres, acides aminés, éléments minéraux), un commerce équitable. Les champignons symbiotiques sont adeptes du commerce équitable Depuis plus de 450 millions d’années, les champignons symbiotiques pratiquent plutôt le troc. Plante et champignon réalisent une opération économique par laquelle chaque participant cède la propriété d’un bien (glucose cédé par la plante) et reçoit un autre bien (nitrate et phosphate cédés par le champignon). L’absence de monnaie circulante n’empêche pas l’usage d’unités de compte. En effet, il a été démontré que la quantité de sucres donnés aux fi laments mycéliens colonisant la racine était strictement dépendante de la quantité de phosphate transféré du champignon à la plante. L’interruption du flux de phosphate entre le champignon symbiotique et la plante hôte provoque un arrêt rapide du transfert de sucres en provenance de la plante. Plus surprenant, cet arrêt des échanges équitables provoque la digestion par la plante des structures d’échange mises en place par le champignon à arbuscules au sein de la cellule. Les relations commerciales entre les partenaires souff rent donc mal la tricherie ! Le réseau d’hyphes extramatricielles joue un rôle primordial dans l’alimentation minérale (azote, phosphate, micro-éléments) de la plante ; en retour, le champignon mycorhizien bénéficie d’un apport constant en sucres simples, tels que le glucose et le fructose. L’ensemble des mycorhizes consomme entre 10 et 40 % des sucres produits par la photosynthèse des parties aériennes de la plante. Ce prélèvement considérable des ressources carbonées – le combustible – de la plante est largement compensé par l’amélioration de la nutrition minérale qui stimule la croissance de la plante hôte. L’intérieur de la racine constitue une niche qui confère un avantage certain au champignon symbiotique dans la compétition avec les millions d’autres microbes entourant les racines. Outre les formes minérales phosphatées et azotées solubles, le champignon mycorhizien peut exploiter une partie des ressources organiques du sol, notamment en sécrétant des protéases et des phosphatases. Le mycélium est nettement plus efficace pour prélever l’azote, minéral et organique (protéines, acides aminés), que les racines non mycorhizées de sa plante hôte. Pour une espèce fongique donnée, il s’établit un équilibre entre la croissance mycélienne qui va dépendre à la fois des ressources en azote du milieu et des composés carbonés fournis par la plante hôte, ces deux facteurs pouvant aussi avoir des interactions entre eux. En particulier, il semble que l’ampleur du développement mycélien à l’extérieur de la racine pour coloniser le milieu soit un facteur très important de l’effet du partenaire fongique sur la croissance de la plante hôte. L’efficacité d’un partenaire fongique dépendra en grande partie de sa capacité à transférer à sa plante hôte l’azote et le phosphore qu’il aura préalablement mobilisés, prélevés et/ou assimilés. Cette capacité de transfert est sans aucun doute un des éléments «clef» de la compréhension du fonctionnement symbiotique. Évolution de la symbiose ectomycorhizienne La symbiose ectomycorhizienne entre arbres et champignons du sol a été sélectionnée de façon indépendante plus d’une vingtaine de fois au cours de l’évolution des champignons. Des fossiles attestent l’existence de racines de pin mycorhizées par l’ancêtre des bolets actuels il y a plus de 50 millions d’années et les reconstructions phylogénétiques basées sur la douzaine de génomes de champignons mycorhiziens disponibles suggèrent que la symbiose ectomycorhizienne est apparue il y a 150 millions d’années, lors de l’apparition d’immenses massifs forestiers sur notre planète. Ce sont vraisemblablement des pourritures brunes et des dégradeurs de litière qui ont inventé le langage leur permettant de dialoguer avec les racines d’arbres afin d’établir des relations à bénéfice mutuel. Quasiment toutes les familles de champignons forestiers du groupe des agaricales, à l’exception des polyporales, ont opté pour cette interaction symbiotique. Les champignons ectomycorhiziens bénéficient ainsi directement des sucres assimilables de leur hôte végétal, plutôt que de dégrader les polymères du bois pour en disposer. Quels sont les mécanismes génétiques – les articles du contrat de mariage – nécessaires pour mettre en place une symbiose mycorhizienne équilibrée profitant aux deux partenaires ? La symbiose est-elle inscrite dans les gènes ? Une hypothèse, partagée par de nombreux scientifiques, évoquait une convergence évolutive des facteurs symbiotiques chez tous les champignons mycorhiziens et l’existence d’une « boîte à outils moléculaires » commune – un vocabulaire unique – à l’ensemble des champignons symbiotiques mycorhiziens permettant l’établissement du dialogue avec la plante hôte, la colonisation de la racine et le fonctionnement harmonieux de la symbiose. La comparaison des génomes des champignons symbiotiques, dont le laccaire (Laccaria bicolor) et la truffe noire du Périgord (Tuber melanosporum), révèle que les champignons symbiotiques partagent de nombreuses pro- 39 priétés génétiques communes. En particulier, ils ont perdu la capacité de produire les enzymes dégradant la cellulose et la lignine de la paroi végétale. Incapables de se nourrir à partir de la matière morte végétale qui abonde sur les sols forestiers, ils n’ont pas d’autre issue que de marchander avec la plante afin de s’approvisionner en sucres. Ils activent alors de nombreux transporteurs membranaires lors de l’interaction afin d’assurer l’échange massif des éléments nutritifs au sein de l’organe symbiotique. Toutefois, on observe des divergences notables dans les mécanismes moléculaires déployés afin d’établir la symbiose. Certains champignons ectomycorhiziens, comme le laccaire, injectent dans la racine une panoplie de messagers protéiques chargés d’établir un dialogue moléculaire entre les deux partenaires. Ces protéines contrôlent les défenses immunitaires de l’arbre de façon à éviter le rejet du champignon par son partenaire végétal. D’autres champignons, comme la truffe, n’utilisent pas les protéines de signalisation employées par le laccaire pour dialoguer avec son hôte. Au contraire, la truffe sécrète de nombreuses enzymes dégradant la pectine qui « colle » les cellules de la racine les unes aux autres et se fraye un passage « en force » dans la racine. Il semblerait même que la truffe puisse digérer les racines qui l’hébergent après les avoir bien exploitées. En d’autres termes, là où le laccaire favorise le dialogue diplomatique avec son hôte, la truffe aurait un comportement plus guerrier. Ces premières études de génomique comparative suggèrent donc qu’au cours de l’évolution des champignons, différentes « boîtes à outils moléculaires » ont été sélectionnées afin de permettre l’établissement de la symbiose entre des groupes de champignons et de plantes très diversifiés sur le plan taxonomique. Les champignons symbiotiques dialoguent-ils avec leurs partenaires ? 40 Dans le monde complexe de la rhizosphère – la zone d’influence de la racine – des milliers d’espèces de bactéries, de champignons, et d’animaux microscopiques évoluent et entrent en compétition pour les ressources carbonées libérées par la plante. Les champignons symbiotiques se frayent un chemin vers la racine afin d’entrer en contact avec leur partenaire et de s’établir dans cette niche confortable où gîte et couvert sont fournis. Comment le champignon symbiotique reconnaît-il son partenaire végétal dans cet entrelacs souterrain de racines ? Comment la plante hôte distingue-t-elle le champignon bénéfique (le Bon) du champignon parasite (le Méchant) ? Tout est question de dialogue… chimique. Le vocabulaire moléculaire employé par les partenaires de la symbiose endomycorhizienne à arbuscules est maintenant décrypté grâce à des travaux remarquables des équipes de recherche françaises qui ont duré plus de 20 ans. Les racines de la plante, apte à contracter la symbiose, libèrent dans le milieu qui les entoure des quantités infinitésimales d’une hormone, les strigolactones. Ces molécules, dérivées des caroténoïdes, sont perçues par les spores dormantes du champignon, un Glomeromycota, présentes dans le sol. La perception de ce signal déclenche la germination de la spore, la croissance d’un fi lament mycélien issu de celle-ci et sa ramification intense. Le mycélium, métaboliquement très actif, secrète en direction des racines des sucres complexes, appelés lipo-chitooligosaccharides (LCO), qui provoquent dans les cellules racinaires une série de processus moléculaires préparant l’arrivée du fi lament mycélien. Ces signaux moléculaires sont des glycoconjugués bioactifs, regroupés sous le terme générique de « facteurs Myc » (Myc pour mycorhization). Les facteurs Myc appartiennent à la même famille chimique que d’autres signaux symbiotiques diff usibles, les « facteurs Nod » (Nod pour nodulation), synthétisés par les Rhizobium, des bactéries fi xatrices d’azote qui vivent en symbiose avec les légumineuses, comme la luzerne. Les facteurs Myc et Nod sont construits autour d’une chaîne d’oligosaccharides à base de N-acetylglucosamine. Les facteurs Myc stimulent la formation de mycorhizes à arbuscules chez de nombreuses plantes et la croissance et la ramification des racines latérales chez la luzerne. Le champignon favorise ainsi ses chances d’interagir avec les racines de son hôte potentiel. Ils sont perçus par des récepteurs membranaires de la plante et induisent une cascade de mécanismes moléculaires impliquant des changements dans la signalisation calcique dans le noyau des cellules hôtes et l’expression de plusieurs gènes indispensables à la mise en place de l’interaction symbiotique. Des recherches sont en cours afin de déterminer si des mécanismes de signalisation similaires sont à l’œuvre dans les autres symbioses mycorhiziennes. Le dialogue entre les champignons symbiotiques et leurs plantes hôtes est très complexe et implique d’autres molécules diff usibles de concert avec les facteurs Myc. Par exemple, des hormones végétales, comme les auxines et les cytokinines, et des petites protéines sécrétées, capables de contrôler la réponse immunitaire de la plante colonisée, sont libérées par le mycélium colonisant la racine. C’est la variété des molécules de communication, ainsi que leur concentration, qui semblent déterminer la spécificité des interactions établies entre les partenaires fongiques et les racines des différentes espèces de plantes colonisées. Le développement des approches à haut débit (génomique, transcriptomique, métabolomique), couplées à l’étude écophysiologique in situ, devrait permettre de décrypter le fonctionnement de ces associations mycorhiziennes complexes et de mieux comprendre leur rôle fondamental dans le bon fonctionnement des écosystèmes forestiers. Les composés (organiques) volatiles donnent l’alerte chez les plantes Xavier Daire, UMR Agroécologie INRA-Université de Bourgogne. Dijon Résumé Les plantes possèdent différents moyens de défense contre les pathogènes et les ravageurs (bioagresseurs), certains, comme la production localisée de composés antimicrobiens, étant déclenchés en réaction à l’attaque. Les composés organiques volatils (COV) synthétisés par les plantes, parmi lesquels les terpènes sont les plus abondants, sont connus pour jouer un rôle important dans la pollinisation mais aussi dans la protection contre les stress abiotiques (oxydatifs) et les bioagresseurs, en particulier les insectes. Leur caractère volatil leur confère la propriété remarquable de messager aérien de plante à plante. Que les COV puissent jouer un rôle dans la défense des plantes contre les pathogènes est moins bien connu, mais a été récemment démontré dans diverses études, dont nous présenterons les principaux résultats. Les plantes ne peuvent se mouvoir et fuir un agresseur ou des conditions adverses. C’est peut-être pour cela qu’elles sont de véritables usines chimiques comme nous le montre la grande variété de métabolites secondaires qu’elles sont capables de synthétiser. En effet, ces métabolites ne jouent pas de rôle dans les fonctions métaboliques primaires : énergie, croissance, reproduction… mais ont des fonctions écologiques de première importance pour l’adaptation des plantes à leur environnement et leur dissémination : attraction des pollinisateurs, compétition avec les autres plantes (allélopathie), protection contre les agressions abiotiques (UV, ozone…) et biotiques (arthropodes phytophages et agents pathogènes). L’homme les utilise depuis longtemps comme parfums, colorants, tanins, insecticides, poisons, médicaments, etc. Trois grandes classes de composés - les phénylpropanoïdes (composés phénoliques : tanins, lignine, pigments), les alcaloïdes (toxines, insecticides…) et les terpènes (parfums, antioxydants) - comprennent l’essentiel des métabolites secondaires. Les composés organiques volatiles (COV), transportés par l’air, constituent des signaux chimiques envoyés par la plante vers les autres plantes ou les animaux. On connaît depuis assez longtemps leur rôle dans l’attraction des pollinisateurs, mais leur rôle dans la défense contre les arthropodes phytophages n’a été découvert que dans les années 1990 et celui contre les agents pathogènes, une dizaine d’années plus tard. Les COV végétaux sont essentiellement des composés terpéniques, benzénoïques, des alcools et aldéhydes, ces 2 derniers constituant les « green leaf volatiles » (GLV). Les terpènes constituent un vaste groupe de métabolites : on en compte plus de 20 000 différents, tous formés à partir de 2 isomères à 5 carbones (isopentényl diphosphate et diméthylallyl diphosphate), ensuite transformés et assemblés par diverses enzymes, les terpènes synthases, en une infinité de combinaisons. Parmi les terpènes les plus communs, citons l’isoprène, le limonène, le caryophyllène, le linalool, le farnésène, le géraniol, etc. (existant chacun sous forme de différents isomères.) Les terpènes sont les principaux composés d’arômes des parfums de fleurs et de fruits. Le COV benzénique le plus abondant chez les plantes est le salicylate de méthyle, qui fait partie de leur réponse générale au stress. Ce composé peut-être synthétisé selon plusieurs voies métaboliques, la plus courante étant celle des phénylpropanoïdes. Enfin les GLV, comme le (Z)-3-hexenol, proviennent de l’oxydation des lipides cellulaires lors de blessures ; ils contribuent à l’odeur d’herbe coupée. Les COV diff usent de la plante à l’atmosphère selon différentes voies. Ils peuvent être accumulés dans des glandes à la surface des organes et être libérés lorsque ces glandes sont rompues par l’agresseur (par ex. chez la tomate), diff user librement depuis une blessure (GLV) ou bien depuis les stomates. Dans ce dernier cas, le rythme d’émission est superposé au rythme circadien d’ouverture et de fermeture des stomates. En outre, la production de terpènes est diurne, car elle dépend de la photosynthèse. On dose ces composés par chromatographie gazeuse, éventuellement couplée à un spectromètre de masse pour leur identification. Les méthodes de prélèvement des COV sont très variables ; il existe maintenant des dispositifs d’échantillonnage assez simples, non destructifs, utilisables en routine (fibres SPME). Dans ce qui suit, nous décrirons le rôle des COV dans la défense des plantes contre les ravageurs (arthropodes phytophages), puis contre les agents pathogènes, à l’aide de divers exemples tirés de la littérature scientifique. 41 Les COV : appel au secours contre les ravageurs et moyens de dissuasion Dès qu’une chenille, une araignée phytophage se nourrit aux dépens d’un organe végétal, celui-ci émet presque instantanément des GLV par suite de la blessure, puis quelques heures plus tard apparaissent terpènes, salicylate de méthyle, synthétisés de novo par suite de la reconnaissance spécifique par la plante de composés contenus dans la salive de l’agresseur (peptides, acides gras particuliers). Cette perception déclenche des cascades de signalisation cellulaire, conduisant à l’expression de gènes de biosynthèse de COV. La principale voie de signalisation cellulaire conduisant à la synthèse de COV passe par l’acide jasmonique (l’application exogène de cette phytohormone peut éliciter un bouquet de COV voisin de celui élicité par des ravageurs). L’augmentation de production de COV est souvent systémique, c’est-à-dire qu’outre les feuilles attaquées, sur une plante donnée, les feuilles intactes émettent davantage. Les ravageurs sont la proie d’ennemis naturels : acariens prédateurs et parasitoïdes, ces derniers étant souvent de petites guêpes qui pondent leurs œufs dans les larves de ravageurs. À la fin des années 1990, les chercheurs ont découvert que les COV émis en réponse à une attaque phytophage étaient perçus par ces carnivores comme signaux de présence de leurs proies (ou hôtes). Par exemple, une expérience sur cotonnier en plein champ a montré que 95 % des « atterrissages » de guêpes parasitoïdes avaient lieu sur des plantes infestées de chenilles contre 5 % pour les plantes intactes. Les bouquets de COV émis varient selon l’espèce végétale, mais aussi selon l’agresseur, et les guêpes peuvent distinguer les bouquets émis à la suite de l’attaque par leur hôte de ceux causés par des ravageurs non-hôtes. On admet que l’effet attractif des COV sur les insectes carnivores porte sur au moins plusieurs mètres. Cela se passe aussi sous terre : les racines de maïs attaqués par les larves de Diabrotica (un coléoptère) émettent du (E)-α-caryophyllène qui attire des nématodes parasites des larves. Mais les COV peuvent être aussi des défenses directes. Le (Z)-3-hexenol émis par le tabac après attaque dissuade la femelle de Heliothis virescens d’y déposer ses œufs. Un autre GLV, l’hexenal, semble jouer un rôle dans la défense de la pomme de terre contre les pucerons, du fait que les lignées transgéniques à production réduite de ce composé sont plus infestées. Dans ce cas, il s’agit vraisemblablement d’une toxicité directe. 42 Les COV : messagers de la communication de plante à plante Les composés produits par une plante ont non seulement la capacité d’influencer le comportement des animaux, mais aussi celui des autres plantes du voisinage. Cette hypothèse a longtemps été l’objet de scepticisme jusqu’à ce que l’équipe de G. Felton aux Etats-Unis en effectue la vérification en 2000. Ces chercheurs ont montré, dans une expérience en conditions naturelles, que les plants de tabac croissant à proximité de plants d’armoise artificiellement blessés étaient moins attaqués par des ravageurs, en même temps qu’ils avaient des teneurs en polyphénol oxydase (une enzyme de défense) plus élevées. À la même époque, des Japonais apportèrent une démonstration supplémentaire en utilisant un dispositif assez simple où des plants de haricots sont exposés à un courant d’air ayant passé sur d’autres plants, infestés d’araignées jaunes. Les plants « receveurs » deviennent plus résistants à l’acarien (apporté après exposition à l’air) et ceci est concomitant avec une augmentation de l’activité lipoxygénase (cette enzyme est à l’origine de la synthèse de l’acide jasmonique) et de l’expression de gènes de défense. Enfin, ils identifient 3 terpènes dans l’air provenant des émetteurs, qui sont nécessaires et suffisants pour induire les modifications observées dans les « receveurs ». Ainsi la preuve était faite que les COV pouvaient être des messagers de plante à plante. Références Arimura et al. 2000. Nature Pichersky and Gershenzon. 2002. Curr. Op. Plant Biol. Dicke et al. 2009. Nature Rasmann et al. 2005. Nature Les COV : messagers de la défense des plantes contre les agents pathogènes Ce qui est vrai pour les interactions plante-insecte, l’est aussi pour les relations plante-pathogène. En 2006, Kishimoto et coll. montrent que des plants d’arabette exposés à des vapeurs d’allo-ocimène, un monoterpène bien connu, deviennent plus résistants au champignon nécrotrophe Botrytis cinerea, agent de la pourriture grise. Ce traitement induit la surexpression de gènes de défense, connus pour être activés par l’acide jasmonique, un accroissement de la lignification cellulaire dans les zones attaquées et de la synthèse de camalexine, composé végétal antimicrobien (phytoalexine) produit en réponse aux agressions des pathogènes. De plus, l’allo-ocimène se comporte dans cette étude comme potentialisateur de certaines défenses de la plante. La potentialisation (priming) correspond à la capacité d’accroître par un traitement le niveau d’une réponse d’un organisme à un stimulus ultérieur à ce traitement. C’est un phénomène assez courant en pathologie animale et végétale, souvent associé à une défense intense contre un agresseur. Le mécanisme de la potentialisation n’est pas parfaitement connu, il pourrait s’expliquer par l’accumulation de messagers cellulaires, par exemple des protéines kinases, et par des changements de configuration de l’ADN permettant une transcription plus rapide des gènes de défense au moment de l’interaction avec le pathogène. Dans le cas présent, la potentialisation se traduit par une production de camalexine par l’arabette plus élevée après traitement avec l’allo-ocimène et inoculation par botrytis qu’après traitement ou inoculation seul. Un autre exemple de potentialisation de réactions de défense par les COV a été publié à la même période, mais dans le cas d’une interaction plante-insecte : chez les plantes exposées à des COV provenant de plantes attaquées par des chenilles, les gènes de défense observés s’expriment plus rapidement, la production de COV est plus abondante que dans les témoins attaqués non exposés et ces plantes sont finalement plus résistantes. Si l’importance des COV dans la défense des plantes contre les arthropodes phytophages, même au champ, n’est plus à démontrer, la situation est moins claire en ce qui concerne les pathogènes. Néanmoins, certaines études réalisées à l’air libre, sur le terrain, tendent à montrer qu’ils peuvent jouer un rôle non négligeable. Nous rapportons ici les principales conclusions d’une expérience originale menée en 2009 par Yi et coll. mettant en jeu trois acteurs : le haricot, la bactérie phytopathogène Pseudomonas syringae et un inducteur de résistance, le benzothiadiazole (BTH). Ce produit est un analogue synthétique de l’acide salicylique, phytohormone qui déclenche des défenses des plantes contre les agents pathogènes. Le BTH est ainsi considéré comme éliciteur (to elicit : provoquer) de réactions de défense et il accroît efficacement la résistance de la plante lorsque le pathogène est sensible aux défenses élicitées via l’acide salicylique (ce qui n’est pas toujours le cas). Dans le pathosystème haricot-Pseudomonas, le BTH peut de surcroît être considéré comme inducteur de résistance car les défenses qu’il élicite (ex. la production de glucanase, une protéine PR) procure une protection significative contre la bactériose. Ainsi, les auteurs traitent des plantes par le BTH, les placent à côté de plantes non traitées puis inoculent la bactérie aux 2 lots. Quelques jours plus tard, ils observent que les plantes traitées directement sont moins infectées que les témoins ainsi que les plantes placées à côté d’elles. Ils vérifient que cela n’est pas dû à des émanations du BTH et trouvent que l’expression de gènes de défense est potentialisée chez les plantes exposées non traitées, c’est-à-dire que l’expression de ces gènes est accrue seulement après inoculation (par rapport au témoin inoculé non exposé). Ils analysent ensuite les COV élicités par le BTH et les comparent à ceux élicités par un traitement avec l’acide jasmo- nique, qui n’induit pas de résistance, et trouvent le nonanal comme seul COV induit par le BTH et non par l’acide jasmonique. Les vapeurs de ce produit s’avérant capables d’induire les mêmes effets protecteurs que le BTH, ils le considèrent comme le messager de la résistance… Références Jansen et al. 2011. Ann. Rev. Phytopathol. Kishimoto et al. 2006. Phytochemistry Ton et al. 2006. Plant physiol. Yi et al. 2009. Plant physiol Quelle est la spécificité de l’émission de COV par les plantes ? Le bouquet de COV émis par une plante lors d’un stress biotique comporte souvent plusieurs dizaines de composés détectables. Quelques-uns se retrouvent chez de très nombreuses espèces : (Z)-3-hexenol (GLV), salicylate de méthyle (phénylpropanoïde), (E)-β-ocimène, α-farnésène, linalool, (E)-diméthylnonatriene, α-caryophyllène (terpènes), accompagnés de dizaines d’autres, surtout des terpènes, plus ou moins caractéristiques de l’espèce végétale ou du stress subi. Le bouquet est donc caractérisé par la nature des COV et leur proportion à un temps donné. Il semble qu’une même espèce émette des bouquets similaires mais légèrement différents selon l’agresseur et que parfois différentes espèces répondent de façon similaire à un même stress. Ainsi, des chercheurs néerlandais soumettent la pomme de terre à différents stress biotiques, pathogène (Phytophthora), acariens, thrips, pucerons et chenilles, et trouvent dans tous les cas quelques composés majeurs mais aussi de légères différences, spécifiques de chaque situation. Les COV donnent-ils l’alerte aux maladies ? Le progrès technologique constant dans la sensibilité des appareils d’analyse et leur miniaturisation font que la détection des COV pour connaître l’état sanitaire de cultures commerciales n’est plus un rêve. On envisage par exemple d’équiper des serres de capteurs de COV (salicylate de méthyle, ocimène…) pour y déceler automatiquement et avant l’apparition de symptômes la présence de maladies. Ces méthodes ont l’avantage d’être non destructrices. Au-delà, il semble de plus en plus évident que les émissions de COV traduisent un état physiologique de la plante et on peut imaginer l’intérêt que représenterait leur analyse au champ à l’aide d’outils portatifs. Références Jansen et al. 2011. Ann. Rev. Phytopathol. 43 Induction de résistances chez le blé lors d’une interaction compatible avec Blumeria graminis Christine Tayeh Résumé La tendance européenne et plus particulièrement française pour la protection des cultures évolue vers une réduction de l’usage des pesticides pour des raisons à la fois agronomiques, environnementales, sanitaires et sociétales. À cet égard, l’étude des inducteurs de résistance des plantes contre les agents pathogènes constitue une voie prometteuse. Ainsi, l’induction de résistances chez le blé sensible lors d’une attaque par l’oïdium est possible après application de tréhalose (TR) et d’heptanoyl d’acide salicylique (HSA). Les taux de protection atteints (38 et 95 % respectivement) passent par une bonne biodisponibilité de ces inducteurs appliqués de façon exogène et par une signalisation interne qui met en alerte les mécanismes de défense de la plante. Dans les deux cas, la voie de synthèse des oxylipines dont l’acide jasmonique, molécule signal des réactions de défense des plantes, semble être un marqueur de résistance induite par les produits chez le blé contre l’oïdium. Les travaux présentés ici permettent d’envisager l’usage des inducteurs de défense comme moyens de lutte alternatifs pour la protection des cultures, sachant que l’approche moléculaire et biochimique menée ici est par ailleurs également transposée en horticulture. Le texte suivant présente une synthèse des travaux de thèse effectués au laboratoire Unité de Chimie environnementale et Interactions sur le Vivant (UCEIV) à l’Université du Littoral Côte d’Opale (ULCO) à Calais. Ces travaux, présentés en décembre 2012 et déjà valorisés sous forme de deux publications (Tayeh et al., 2013 et 2014), ont porté sur l’induction de résistances chez le blé (Triticum aestivum L.) lors d’une interaction compatible avec Blumeria graminis (DC. E.O speer ) et plus spécifiquement sur les mécanismes mis en jeu après application de tréhalose et d’heptanoyl d’acide salicylique, dérivé fonctionnalisé de l’acide salicylique. 44 Écophyto 2018 est le plan national d’action français dont le but est de réduire de 50 % si possible l’usage des pesticides en France d’ici 2018 avec un maintien, à haut niveau, de la qualité et de la quantité de production. En France, le marché des fongicides est très développé, la plaçant au 4e rang mondial d’utilisateur de pesticides. Cependant, l’usage systématique des fongicides conventionnels entraîne l’apparition de populations de champignons phytopathogènes résistant à leur mode d’action. Par ailleurs, la lutte génétique, basée sur la sélection de variétés résistantes, est souvent contournée par l’apparition de nouveaux gènes de virulence qui permettent de surmonter la résistance variétale. Par conséquent, de nouvelles stratégies sont mises en place et reposent sur l’usage de molécules ou mélange de molécules qui stimuleraient la résistance naturelle des plantes contre les agents pathogènes. Leurs principes reposent sur les mécanismes généraux des réactions de défense qui ont lieu lors des interactions plantes-agents pathogènes. En effet, avant que ne s’établissent ces mécanismes de défense naturelle, a lieu une étape de perception qui met en jeu des motifs moléculaires, qui peuvent être soit des éliciteurs exogènes dérivés de l’agent pathogène (comme la chitine), soit des éliciteurs endogènes dérivés de la plante ellemême (comme les oligogalacturonides végétaux). Suite à cette reconnaissance, un dialogue moléculaire s’établit, qui déclenche les réactions de défense chez la plante attaquée. Les cascades de réactions de défense susceptibles d’être déclenchées sont d’une complexité élevée et mettent en jeu des défenses antiparasitaires directes (comme les chitinases qui hydrolysent les parois fongiques) et des voies de signalisation (avec les molécules signal comme l’acide salicylique ou l’acide jasmonique) qui véhiculent l’information de l’infection. La rapidité et l’amplitude de ces réactions de défense suite à la reconnaissance de l’agent pathogène déterminent l’issue de cette interaction (réussite de l’infection ou résistance de la plante). Les stratégies de lutte alternative présentées ici consistent donc en l’application de produits qui mimeront les motifs moléculaires impliqués et ces molécules sont appelées stimulateurs des défenses des plantes (SDP). Leur application exogène peut résulter en une résistance induite (IR). L’application préventive de ces SDPs permet l’accélération et/ou le renforcement des réponses de la plante mise ainsi en alerte, conduisant à sa protection contre une éventuelle attaque par un agent pathogène. Dans le secteur horticole, l’efficacité du Milsana®, du Iodus2CS® et du Stifenia®, produits à base d’extrait éthanolique brut, de laminarine et de broyat de graines de Trigonella foenum-graecum respectivement, est reconnue sous serre sur l’oïdium du concombre, du fraisier et de la vigne respectivement (in Présentation des Principaux SDPs, Philippe Reignault, Elicitra. juin 20131). Le bion®, produit à base d’acibenzolar-S-methyl (ASM) protège la banane contre la cercosporiose et les haricots contre les virus des aleurodes. Des essais français ont montré des résultats encourageants dans la protection des tomates de plein champ contre les bactérioses et des melons contre la fusariose (Laure de Bastard, Syngenta, Elicitra, juin 20132). Dans le secteur de la floriculture, des efficacités importantes des SDPs sont déjà mises en évidence tels que l’acibenzolar-S-methyl ou le benzothiadizole (ASM ou BTH) contre la rouille blanche du chrysanthème et la rouille de la pâquerette et le Sémafort® contre le mildiou de l’hébé. Ces réussites s’expliquent sans doute par le fait qu’il s’agit de cultures hors sol sous abri, pour lesquelles les conditions environnementales, et donc l’écophysiologie de la plante, cible des SDPs, sont bien maîtrisées (Stapel, Astredhor, Elicitra 20133). Pour assurer la protection de la quatrième culture mondiale, le blé, peu de produits sont déjà homologués contre l’oïdium. Cette maladie est causée par un champignon (Blumeria graminis f.sp. tritici, Bgt) biotrophe dont la survie dépend de la plante hôte qu’il attaque au niveau aérien. Les symptômes se présentent sous formes de pustules blanchâtres au niveau des tiges, feuilles et épis (Figure 1). Les pertes de rendement peuvent atteindre les 30 %. C’est sur ce pathosystème que deux SDPs, le tréhalose (TR) et l’heptanoyl d’acide salicylique (HSA), ont été testés au cours de nos travaux. La recherche d’une activité antifongique directe a été menée en premier lieu sur le processus infectieux du champignon in vitro, afin de constater un éventuel effet direct de ces molécules. Nos résultats ont confirmé ceux de Renard-Merlier et al. (2007), qui n’ont décrit aucune altération de la germination des spores de Bgt in vitro sous l’effet du TR et du HSA. Cette première étape est cruciale pour déterminer le mode d’action des SDPs comme véritables inducteurs des réactions de défense des plantes. En effet, certains SDPs sont aussi antifongiques comme le Milsana® sur l’oïdium du blé (Randoux et al., 2006) et les rhamnolipides sur le botrytis de la vigne (Fabienne Baillieul, Elicitra, juin 20134). Une approche intégrée (moléculaire, biochimique et cytologique) a été mise en œuvre pour avoir une vue globale des réactions de défense mises en jeu après le traitement avec le TR et le HSA. Au niveau moléculaire, l’expression d’un ensemble de 10 gènes de défense a été étudiée en cinétique couplée à la mesure des activités enzymatiques correspondantes. Dans le cadre de nos expériences, c’est le cultivar de blé Orvantis qui est utilisé. Il s’agit d’un cultivar sensible à l’oïdium qui est intensément cultivé en Nord-Picardie et dans le Bassin parisien. Les plantes sont cultivées en conditions contrôlées (photopériode, température et humidité régulées), similaires à celles rencontrées au champ. Les plantes de blé âgées de 10 jours sont pulvérisées avec une solution de TR (44 mM) ou de HSA (5 mM). L’inoculation d’une suspension sporale de Bgt est effectuée 48 h après le traitement. Le tréhalose (TR) est un dimère de glucose (Figure 2). Après une pulvérisation, le TR confère un taux de pro- Figure 1. Oïdium sur feuilles de blé Figure 2. Molécule de tréhalose 1 http://www.elicitra.org/vars/fichiers/Colloque/Elicitra%20juin%202013%20Reignault.pdf http://www.elicitra.org/vars/fichiers/Colloque/5%20-%20Elicitra%20juin%202013%20-%20De%20Bastard.pdf 3 http://www.elicitra.org/vars/fichiers/Colloque/Elicitra%20juin%202013%20-%20Stapel.pdf 4 http://www.elicitra.org/vars/fichiers/Colloque/Elicitra%20juin%202013%20-%20Baillieul%20-%20Aveline.pdf 2 45 tection de 38 % du blé contre l’oïdium, 5 à 8 jours après inoculation. Ce taux est doublé après 2 pulvérisations. En présence de TR, une augmentation précoce de l’expression du gène chitinase4 est observée les premières heures après inoculation (hai) (Figure 3A). La chitinase fragmenterait la chitine de la paroi fongique et les produits qui en résultent véhiculeraient l’information de l’infection, serviraient à stimuler l’activité d’autres chitinases et amplifieraient ainsi le signal de base. La pulvérisation préventive de TR induit ensuite une augmentation de l’expression du gène ltp à deux reprises, alors que son expression est complètement stable chez les feuilles témoins (Figure 3B). Les protéines qui en découlent serviraient à transférer les lipides et les monomères de cutine impliqués dans la réparation des parois végétales du blé. La pulvérisation des feuilles de blé avec le TR induit enfin une forte augmentation de l’expression du gène lox, les dernières hai simultanément avec une augmentation de l’activité LOX, pendant au moins 24 h lors des dernières étapes du processus infectieux (Figure 3C-D). La stimulation de la lipoxygénase LOX, enzyme clé de la voie des octadécanoïdes, pourrait conduire à la synthèse de l’acide jasmonique (AJ), messager secondaire des réactions de défense des plantes. En somme, les trois réactions de défense induites précocement et amplifiées par le TR mettent en jeu des molécules signal qui assurent une communication interne de l’information de l’infection et une amplifi- 46 cation du signal permettant des réactions de défense efficaces contre l’oïdium (attaque directe du champignon, circulation du message et consolidation de la paroi végétale). L’étude de l’expression des gènes en cinétique a permis de dresser le profil du mode d’action de ce SDP et de comprendre quelles voies de défense sont sollicitées pour assurer une protection efficace chez le blé contre l’oïdium. Une telle étude en cinétique est primordiale lors de la caractérisation d’un SDP sur une plante, d’autant plus qu’elle démontre les caractéristiques temporelles (rapidité de la réponse) et qualitatives (amplitude et nature) des réactions de défenses mises en jeu. De plus, une telle cinétique de prélèvement, avec des observations effectuées toutes les 3 heures, permettrait de constater un éventuel effet du rythme circadien sur l’expression des gènes induits par le SDP, bien qu’aucun effet de ce genre n’ait été relevé sur notre modèle. Enfin, la capacité du TR à induire une telle cascade de réactions de défense serait due à sa reconnaissance par le blé comme molécule du non-soi, voire un facteur de virulence, vu qu’il s’agit d’un sucre naturellement accumulé dans un grand nombre de spores fongiques. Cependant, le TR est une molécule hydrophile et sa capacité à traverser la cuticule et pénétrer au sein des tissus foliaires est fortement questionnée. Ce qui suggère qu’une meilleure efficacité du TR, dans la protection du blé contre l’oïdium, serait atteinte en présence Figure 3. Expression de gènes (3A-B-C) et activité LOX (3D) chez le blé inoculé après traitement avec le TR trait plein = TR ; trait coupé = témoin (H2O) * = différence significative par rapport au témoin d’une forte quantité de TR dans la plante. En effet, l’infi ltration directe du TR, qui assure l’administration d’une grande quantité de TR dans les feuilles de blé (Figure 4A), entraîne une augmentation largement plus importante et plus précoce de l’expression des gènes tels que chitinase4, par rapport à la pulvérisation (Figure 4B). Une telle approche d’infiltration est purement fondamentale et non envisageable en conditions de production intensive. Toutefois, il s’agit là d’une piste importante qui montre que l’interaction plante/ agent pathogène est dépendante de caractéristiques morphologiques et de mécanismes physiologiques (ouverture des stomates, épaisseur de la cuticule, stabilité de la molécule, pénétration, reconnaissance grâce à un éventuel récepteur…) qui conditionnent la bonne mise en place des réactions de défense du blé et la réussite des stratégies de défense induites par les SDPs. Il serait ainsi tout à fait envisageable d’entamer des démarches de fonctionnalisation des molécules SDPs en leur greffant des fonctions chimiques qui faciliteraient leur pénétration après pulvérisation sur la plante et augmenteraient a priori leur effet. Ce qui permettrait de réduire les doses de SDPs utilisées lors des programmes de traitements des cultures. Dans cet esprit, le Iodus 2Céréales®, homologué sur orge et blé, fait suite à Iodus40® avec une nouvelle formulation. L’innovation dans la formulation du Iodus 2Céréales permet une biodisponibilité accrue de la laminarine. La pénétration optimisée de la laminarine permet une réduction du dosage utilisé par hectare par rapport à Iodus40®, permettant un gain économique (Goëmar, http://www.goemar.org). La deuxième molécule étudiée dans le cadre de notre travail est de nature complètement différente de celle du TR. Il s’agit du HSA, un dérivé fonctionnalisé de l’acide salicylique (AS) obtenu par estérification de l’acide benzoïque par un acide heptanoïque (Figure 5). Lors de l’interaction blé-oïdium, le HSA confère un taux de protection deux fois plus élevé (95 %) par rapport à celui assuré par l’AS (50 %), après une pulvérisation. Ce taux atteint 100 % après 2 pulvérisations de HSA. Une augmentation de l’expression du gène PI-PLC2 par rapport aux plantes contrôles est observée chez le HSA (Figure 6). Ce gène code pour une phospholipase qui participe à la synthèse de l’acide phosphatidique, autre molécule signal de stress chez les plantes capables d’induire plusieurs réactions de défense. Figure 4. Infiltration (4A) et expression du gène chitinase4 (4B) chez le blé après infi ltration ou pulvérisation avec le TR - Pulv = pulvérisation; Inf = infiltration à gauche : Figure 5. Molécule de HSA à droite : Figure 6. Expression du gène PI-PLC2 chez le blé noculé après traitement avec le HSA ; trait plein = HSA ; trait coupé = témoin ; * = différence significative par rapport au témoin 47 Par rapport aux plantes contrôles, le HSA induit, chez les feuilles de blé traitées, des augmentations très importantes et continues de l’expression du gène lox et de l’activité enzymatique LOX qui en résulte (Figure 7 A-B). Ces résultats montrent que les voies de signalisation sont principalement ciblées par le HSA plutôt que des réactions de défense directes contre le champignon. Enfin, la comparaison de l’effet du HSA sur tous les marqueurs moléculaires testés par rapport à celui du SA (molécule d’origine) montre que le SA induit des modifications plus nombreuses et variées que celles dues au HSA (Tableau 1). Néanmoins, son effet protecteur reste moins important (50 % contre 95 % respectivement). Chez le blé, la fonctionnalisation du HSA facilite probablement sa perception par la plante (soit par une reconnaissance plus ciblée, soit par une traversée facilitée des parois). Ceci permet au HSA de cibler les réactions de défense qu’il induit et donc de mobiliser moins d’énergie tout en étant plus performant dans la protection contre l’oïdium. Néanmoins, ces SDPs étant mis au point pour un usage préventif, il était primordial de s’intéresser à leurs effets sur la plante même en l’absence de champignon, ce cas de figure pouvant avoir lieu dans la nature. Les résultats ont montré que certains SDPs tels que le HSA induisent également et de façon continue l’expression des gènes de défense des plantes hors contexte infectieux, notamment la voie de signalisation de l’acide jasmonique. Nos travaux hors contexte infectieux (approche très peu appliquée dans d’autres modèles) nous amènent à poser la question du coût physiologique de l’élicitation des réactions de défense des plantes en l’absence d’agent pathogène. Les réactions observées ici pourraient se traduire par des conséquences physiologiques telles qu’une forte réduction 48 de la croissance et de la formation des grains de blé, observée suite au traitement par le benzothiadizole BTH hors contexte infectieux. Ceci serait le résultat du coût de l’allocation des ressources énergétiques, associé à l’élicitation observée dans ce type de contexte (Heil et al., 2000). Il serait donc important d’évaluer l’incidence du TR, du HSA et aussi d’autres éventuels SDPs sur la physiologie du blé ou de la plante par la mesure de la biomasse de la plante, mais aussi de sa performance photosynthétique. En conclusion, nos travaux soulignent l’importance du dialogue moléculaire qui s’établit en premier lieu entre la plante et son environnement (SDP et agent pathogène) puis dans la plante suite à la perception d’un signal extérieur. Par ailleurs, dans le cas du TR et du HSA, la voie de synthèse des oxylipines dont l’acide jasmonique, messager secondaire signal des réactions de défense des plantes, semble être un marqueur commun de résistance induite par ces produits chez le blé contre l’oïdium. Cette voie de défense efficace mise en évidence sur notre modèle pourra être utilisée comme marqueur lors du criblage de potentielles molécules SDPs sur le blé par des outils de criblage de SDP comme la qPFD, outil dont le principe est justement de cibler des gènes considérés et validés comme marqueurs de la résistance induite. La qPFD (puce faible densité quantitative) est un dispositif original de criblage et d’évaluation de molécules à effet SDP (Brevet WO/2011/161388), basé sur l’analyse de l’expression de 28 gènes de défenses par qPCR développée chez le pommier contre la tavelure. Cet outil devrait être prochainement développé sur d’autres cultures telles que la pomme de terre, la tomate, la vigne et le blé (MarieNoëlle Brisset, INRA IRHS, Elicitra, juin 20135). Nos travaux fourniront la nature des gènes marqueurs de Figure 7. Expression du gène lox (7A) et activité LOX (7B) chez le blé inoculé après traitement avec le HSA trait plein = HSA; trait coupé = témoin (éthanol Ethi) * = différence significative par rapport au témoin Tableau 1. Comparaison des effets du SA et du HSA sur l’expression des gènes chez le blé inoculé la résistance induite chez le blé mais aussi le timing auquel l’expression de ces gènes doit être examinée par cet outil. de défense induits par chacun des éliciteurs et ainsi procurer au blé, ou toute autre culture, une protection maximale et durable contre l’agent pathogène. Une des principales perspectives à examiner est aussi la capacité du TR et du HSA dans la protection du blé contre d’autres agents pathogènes. En effet, certains inducteurs de résistance possèdent la capacité de protéger la plante hôte contre plusieurs agents pathogènes tels que le BTH qui assure une protection du blé contre Blumeria graminis, Septoria spp. et Puccinia recondita (Görlach et al., 1996). Cette approche est aussi valable pour la laminarine chez le fraisier contre l’oïdium, la tache commune, les taches pourpres et Phytophthora sp. (Jean-Marie Joubert, Astredhor, Elicitra, juin 20136). Il serait donc pleinement justifié de tester l’efficacité des SDP - tréhalose, HSA - déjà étudiés contre d’autres champignons pathogènes du blé tels que ceux de la septoriose et de la fusariose, qui diffèrent de l’oïdium par leur mode de vie, à savoir hémibiotrophe et nécrotrophe respectivement. Enfin, l’approche moléculaire qui a permis de mettre en évidence dans notre modèle l’importance des voies de signalisation, désormais marqueur de la résistance induite efficace chez le blé, serait d’autant plus envisageable chez d’autres cultures à intérêt économique national telles que la vigne, la betterave sucrière et le pommier, dont la quasi-totalité du génome est déjà séquencée. Ceci permettra d’explorer d’autres pistes de défense, ce qui fut laborieux dans le cas du blé compte-tenu de son hexaploïdie et de la faible disponibilité des données de séquençage de son génome. Raupach et Kloepper (2000) ont montré que des mélanges de souches de bactéries, Plant Growth Promoting Rhizobacteria PGPR, assurent une plus grande protection du concombre contre la maladie de la tache angulaire causée par Pseudomonas syringae pv. lachrymans, en comparaison avec un traitement à base d’une seule souche ; et ce, en aboutissant à la mise en place de combinaisons de mécanismes de défense. Dans le même esprit, une association des différents SDPs permettrait éventuellement l’établissement d’une synergie entre les différents mécanismes 5 6 En complément des travaux de thèse présentés ici, le dosage des molécules signal chez le blé pulvérisé par des SDPs, notamment l’acide jasmonique et l’acide phosphatidique par chromatographie en phase gazeuse et liquide respectivement, ont été menés. Les premiers résultats ont montré une accumulation de ces produits de signalisation suite à l’induction des réactions de défense par les SDPs. La complémentarité des marqueurs moléculaires et biochimiques mise en évidence ici rappelle l’approche « BioMolChem » développée en viticulture pour évaluer l’efficacité d’un SDP et son niveau de protection du gène au champ visà-vis du mildiou et de l’oïdium (Marie-France CorioCostet, Elicitra, juin 20136). Cette approche permet en trois étapes de (i) dresser des courbes doses-réponses montrant l’efficacité des défenses sur différentes populations d’agents pathogènes, (ii) analyser en PCR http://www.elicitra.org/vars/fichiers/Colloque/Elicitra%20juin%202013%20-%20Brisset.pdf http://www.elicitra.org/vars/fichiers/Colloque/4%20-%20Elicitra%20juin%202013%20-%20Joubert.pdf 49 quantitative des gènes impliqués dans les défenses qui renseignent sur l’état de défense de la plante, et (iii) identifier et quantifier des molécules (en l’occurrence des polyphénols) partiellement impliquées dans les mécanises de défense de la vigne. En somme, de tels inducteurs de résistance ont une importance croissante sur le marché agricole, car ils permettent d’améliorer les défenses des plantes face aux agresseurs des cultures et constituent un domaine de recherche important face à l’impasse chimique contre certaines maladies fongiques et à la rareté des produits homologués pour les cultures florales par exemple (Oscar Stapel, Astredhor, Elicitra, juin 2013). Leur intégration dans les programmes classiques de protection des cultures est envisageable et permettra éventuellement de réduire l’usage des produits phytosanitaires. Chez le pois, une association par mélange du fongicide hexaconazole et du BTH ainsi qu’une intégration de ce dernier dans le programme de lutte chimique augmentent le rendement en poids sec (Sharma et Sharma, 2011), bien que la plupart des études montrent une augmentation des rendements en contexte infectieux plutôt qu’une diminution directe de la sévérité des maladies. Dans le même sens, la laminarine utilisée en complément et même en substitution à deux traitements fongicides (sur un total de 4 traitements) sur fraisier contre botrytis, permet de réduire les résidus de pesticides dans les fruits, de réduire la sélection de souches résistantes aux fongicides et d’augmenter légèrement la récolte (Jean-Marie Joubert, Goëmar, Elicitra, juin 2013 ). L’ensemble des travaux présentés ici permet d’envisager l’usage des inducteurs de défense comme moyens de lutte alternatifs pour la protection des cultures horticoles, tout en tenant compte de l’importance des étapes de reconnaissance du SDP et de l’activation des signaux moléculaires (étapes de communication du message d’infection) qui préparent la mise en place des réactions de défense proprement dites et dont la coordination est assurée par une transmission interne efficace du signal, suite à la reconnaissance externe de l’agent pathogène. De tels travaux fondamentaux sont indispensables pour établir les stratégies de transfert de l’usage des SDPs en horticulture, du laboratoire au champ. 50 Références bibliographiques Görlach J, Volrath S, Knauf-Bieter G, Hengy G, Bechove U, Kogel KH, Oostendorp M, Staub T, Ward E, Kessman H, Ryals J. Benzothiadiazole, a novel class of inducers of systemic acquired resistance, activates gene expression and disease resistance in wheat. Plant Cell 1996;8:629-643. Heil, M., Hilpert, A., Kaiser, W. et Linsenmair, K.E. (2000) Reduced growth and seed set following chemical induction of pathogen defence: does systemic acquired resistance (SAR) incur allocation costs? Journal of Ecology, 88:645-654. Randoux, B., Renard, D., Nowak, E., Sanssené, J., Courtois, J., Durand, R. et Reignault, Ph. (2006) Inhibition of Blumeria graminis f. sp. tritici germination and partial enhancement of wheat defenses by Milsana. Phytopathology, 96:1278-1286. Raupach, G.S. et Kloepper, J.W. 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(2014) Exogenous trehalose induces defences in wheat before and during a biotic stress caused by powdery mildew. Phytopathology, 104(3):293-305. Insectes et plantes : je t’aime, moi non plus Frédéric Marion-Poll, AgroParisTech, Département Sciences de la Vie et Santé CNRS, Laboratoire Évolution, Génomes et Spéciation Résumé Plantes et insectes coexistent pour le meilleur et le pire. Comme les plantes ne se déplacent pas, elles représentent une ressource alimentaire intéressante pour les herbivores, en particulier les insectes. En même temps, elles ont besoin d’échanger des gamètes pour se reproduire. Beaucoup d’entre elles se sont associées à des insectes qui transportent leurs gamètes. Les plantes ont donc à la fois besoin de repousser les insectes et les herbivores qui les consomment, et d’attirer des insectes pollinisateurs qui vont leur permettre de se reproduire. Cette ambivalence se retrouve exacerbée au niveau des organes reproducteurs, car c’est dans les fleurs que l’on retrouve à la fois la plus grande concentration de substances de défense afin de protéger leur cellules reproductrices contre la prédation, et des signaux attractifs olfactifs et visuels associés à du nectar afin d’attirer les pollinisateur. Nous examinerons quelques exemples de cette ambivalence qui a conduit les plantes à « inventer » des méthodes extrêmement sophistiquées pour s’attacher les services de certains insectes tout en se protégeant des autres. Les angiospermes se sont extraordinairement diversifiées depuis le crétacé. Ces plantes représentent actuellement environ 80 % des espèces végétales. Les raisons de leur succès et de leur diversité font encore débat, mais une de leurs caractéristiques est d’avoir développé considérablement leurs modes de reproduction, d’une part en inventant des modes de dissémination extrêmement variés, d’autre part en s’appuyant sur d’autres organismes comme les insectes pour se reproduire. Dans cette relation mutualiste, la plante apporte à ses partenaires de la nourriture, sous forme de nectar, et en échange, ses partenaires transportent leurs gamètes mâles à d’autres fleurs qu’ils pourront féconder. Seulement 10 % des espèces d’angiospermes s’appuient sur le vent pour disséminer leurs gamètes. Ces espèces, que l’on appelle anémophiles, se rencontrent surtout dans des milieux tempérés et ouverts, avec une diversité spécifique relativement faible. À l’opposé, la pollinisation entomophile se rencontre particulièrement en zone intertropicale, où la diversité spécifique est élevée et les milieux (en particulier forestiers) peu exposés au vent. Un tel succès de la pollinisation entomophile suppose tout une série de mécanismes évolutifs qui ont conduit à une coévolution entre les plantes et certains insectes. Nectar et pollen L’un des premiers éléments de l’attractivité des fleurs pour les insectes pollinisateurs est la présence de nectaires, où les insectes trouvent un liquide sucré, riche en éléments nutritifs, où ils peuvent s’alimenter. Les nectaires floraux sont généralement situés à la base des corolles des fleurs. Le liquide présent dans ces nectaires est assez proche de la composition de la sève phloémienne et son rythme d’excrétion est lié assez étroitement à la phénologie de la fleur. Certaines plantes utilisent par ailleurs des nectaires extrafloraux et s’assurent ainsi de la protection d’insectes comme les fourmis qui, en patrouillant à leur surface, les débarrassent de beaucoup d’herbivores. Afin d’accéder à cette ressource mise à leur disposition, beaucoup d’insectes ont développé des pièces buccales qui leur permettent de pomper les liquides. La longueur de cette trompe est en relation directe avec la morphologie de la fleur. En 1891, Alfred Russel Wallace découvrait une orchidée malgache, Angraecum sesquipedale, dont les nectaires sont situés au fond d’un éperon nectarifère de 25 cm, prédisant en s’appuyant sur les écrits de Darwin et sa propre expérience, qu’il existait un papillon capable de féconder ces fleurs, avec une trompe d’une longueur d’environ 30 cm. Plusieurs années plus tard, un collègue entomologiste, H. Jordan, découvrait effectivement une espèce de papillon, un sphinx, adapté à cette fleur possédant une trompe de 30 cm ! En échange de ce nectar, les insectes qui se fraient un chemin vers les nectaires se chargent en grains de pollen. La structure de ces grains de pollen est très différente des grains de pollen de plantes anémophiles. Ces grains de pollen portent souvent des spicules et sont enrobés de substances huileuses qui leur permettent d’adhérer à la cuticule et aux soies des insectes. Afin d’améliorer le transfert du pollen vers les pollinisateurs, certaines plantes, comme les labiées, ont des étamines qui s’appliquent sur l’insecte au moment où 51 il pénètre dans la fleur. Certaines orchidées utilisent même des pollinies qui sont « collées » sur la tête ou le thorax de leur visiteur. Une grande partie de l’attrait que représentent les fleurs pour l’homme réside dans l’extraordinaire variété de formes, de couleurs et d’odeurs qu’elles sont capables d’émettre. Cette variété est directement liée à la nécessité pour les fleurs d’être visibles pour les insectes qui vont transporter leur pollen, et de les attirer à distance. Afin d’attirer des insectes qui vont transporter les gamètes vers des plantes de la même espèce, certaines orchidées émettent des odeurs sexuelles attirant des abeilles mâles qui vont essayer de s’accoupler avec la fleur ! D’autres plantes émettent des odeurs alimentaires, particulièrement attractives pour des mouches nécrophages. Ce ne sont certainement pas des fleurs recherchées par l’homme ! Les insectes pollinisateurs adaptent leur comportement aux fleurs Les insectes pollinisateurs n’ont pas forcément la tâche facile car les plantes ne se reproduisent pas de manière continue et les individus sexuellement matures sont dispersés dans l’environnement. Ils se sont donc adaptés pour détecter les signaux visuels et olfactifs envoyés par les fleurs. Par exemple, chez l’abeille, outre deux yeux proéminents capables de détecter les couleurs vives des pétales ainsi que des motifs visibles seulement dans les UV, on trouve des antennes couvertes de neurones olfactifs, disposés à la surface de la cuticule dans des unités sensorielles appelées sensilles. Ce système olfactif est particulièrement étudié par les neurobiologistes, car il est capable de détecter des odeurs à faible concentration et surtout, de discriminer et d’identifier des molécules odorantes et des mélanges d’odeurs très nombreux. La structure de ce système est particulièrement bien connue et comporte différents étages de traitement des informations, comportant de nombreuses ressemblances fonctionnelles avec le traitement des informations olfactives chez l’homme. Ce qui est le plus fascinant chez l’insecte, c’est sa capacité à associer une odeur à une récompense sucrée, car cela évoque, aux yeux d’un biologiste, les expériences célèbres de Pavlov, qui montraient que l’on pouvait apprendre à un chien à saliver en réponse au 1 52 son d’une cloche ! Chez l’abeille domestique, au laboratoire, il suffit d’associer une à deux fois une odeur à une récompense sucrée (par exemple du nectar), pour que l’insecte se souvienne plusieurs heures durant que cette odeur est associée à une récompense. Les neurobiologistes étudient actuellement le fonctionnement de ce cerveau et montrent que les odeurs sont analysées d’abord au niveau du lobe antennaire puis des corps pédonculés1. Très récemment, des collègues anglais et américains ont montré que les fleurs sont susceptibles de manipuler les capacités cognitives des abeilles grâce à des substances qui se trouvent dans le nectar. En étudiant les fleurs de café, ils se sont aperçus que le nectar contenait de la caféine dans des quantités non négligeables. De manière étonnante, les abeilles à qui l’on donnait un repas sucré additionné de caféine retenaient l’odeur apprise beaucoup plus longtemps que des abeilles auxquelles on avait donné seulement du sucre2. Attirer les insectes est à double tranchant : il faut aussi s’en défendre Dans cette belle histoire d’amour entre les fleurs et les insectes, tout n’est pas toujours rose. Les insectes pollinisateurs ne représentent qu’une toute petite fraction du nombre d’espèces d’insectes. Beaucoup d’entre eux n’ont aucune affinité pour la poésie des fleurs, et certains profitent des nectaires pour s’alimenter mais sans polliniser. Par exemple, de nombreux coléoptères sont capables de découper la base des pétales pour se frayer un chemin jusqu’aux nectaires. Même les pollinisateurs comme l’abeille ne sont pas neutres dans l’histoire. Si le chemin vers les nectaires leur est facilité, ils prendront volontiers un raccourci ! Certains pollinisateurs prélèvent d’ailleurs leur dîme sur le pollen, en le récoltant et en le stockant pour le consommer ultérieurement. Les abeilles domestiques et d’autres apioidea possèdent des « paniers » sur les pattes postérieures qu’elles remplissent de grains de pollen pour les rapporter à la ruche. Tout ceci ne serait qu’un moindre mal si les insectes n’étaient pas phytophages. Les plantes sont la cible d’attaques répétées de la part de nombreux herbivores, ainsi que d’un nombre impressionnant de microorganismes, de champignons, de bactéries, etc. Elles doivent se défendre et elles le font en développant tout Sandoz JC (2011) Behavioral and neurophysiological study of olfactory perception and learning in honeybees. Frontiers in Systems Neuroscience 5:98 2 Wright GA, Baker DD, Palmer MJ, Stabler D, Mustard JA, Power EF, Borland AM, Stevenson PC (2013) Caffeine in Floral Nectar Enhances a Pollinator’s Memory of Reward. Science 339:1202-1204. un ensemble de stratégies, dont on découvre actuellement combien elles peuvent être sophistiquées. L’une de ces stratégies est bien sûr d’être équipées de défenses morphologiques comme les épines chez les roses, les framboisiers, et de nombreux arbustes. Les défenses les plus polyvalentes et les plus sûres à la fois, sont sans doute les défenses chimiques. L’homme et les animaux y ont été confrontés depuis la nuit des temps, et une partie de l’héritage que nous avons reçu de nos ancêtres, c’est la sélection d’espèces de plantes dépourvues de ces défenses et poisons afin que nous puissions les cultiver et les consommer sans craindre de passer de vie à trépas. Ces poisons sont ce que nous appelons des composés secondaires, qui sont des molécules produites par les plantes qui ne sont pas essentielles à la vie comme les composés primaires, dans lesquels se retrouvent des sucres, des acides aminés et des lipides qui sont les briques élémentaires de la vie. Ces substances secondaires sont très nombreuses et l’homme en utilise beaucoup pour confectionner des médicaments ou des poisons. Ces molécules sont compliquées, mettent du temps à être synthétisées et sont souvent stockées par les plantes dans des formations anatomiques spécialisées. La plupart des plantes produisent ces composés dans les feuilles qui sont photosynthétiquement actives pour les transporter et les concentrer ensuite dans les organes reproducteurs (les fleurs par exemple), les graines et les bourgeons. Chez les plantes pérennes, ces composés sont stockés dans les organes de réserve à l’approche de l’hiver (dans les tubercules, les rhizomes ou même l’écorce du bois) pour être exportés à nouveau vers les tissus en formation au retour du printemps. La plupart de nos fleurs d’appartement et de jardin sont très toxiques Alors que les plantes utilisées pour notre alimentation sont peu dangereuses pour l’homme et contiennent des niveaux modérés de substances secondaires, les fleurs que nous utilisons pour la décoration de notre environnement sont parfois très toxiques, à la fois pour l’homme et pour les animaux domestiques, ou les animaux d’élevage. Par exemple, le laurier-rose est extrêmement toxique et des accidents sont répertoriés chaque année. Les azalées, le lierre, la glycine et le muguet sont également connus pour leur toxicité. Les fruits du gui contiennent un poison dangereux, les anémones ne sont pas en reste, les œillets vous feront vomir et provoqueront des diarrhées, les tulipes contiennent des composés qui agiront sur votre système nerveux et les giroflées vous donneront des palpitations cardiaques. Il en est de même pour les animaux d’intérieur, comme les chiens et chats qui peuvent s’intoxiquer en consommant des plantes de décoration qui ne sont pas vraiment toxiques pour l’homme. Par exemple, les chats sont très sensibles aux lis, qui contiennent des substances non identifiées à ce jour, qui attaquent leur système rénal. Sur internet, on trouve de nombreux sites qui donnent des conseils aux propriétaires de ces animaux et la liste des plantes à éviter est impressionnante. Si l’on regarde en détail quels sont les composés responsables de ces intoxications, on retrouve une grande variété de composés parmi lesquels de nombreux alcaloïdes, voire même des substances dont l’homme s’est inspiré pour confectionner des poisons à usage militaire comme la ricine. Les fleurs sont des organes aposématiques Ce qui est frappant dans cette galerie de portraits de fleurs destinées à la décoration et à l’agrément, c’est qu’il existe apparemment une corrélation entre les couleurs éclatantes, les formes surprenantes et les fragrances de ces fleurs, avec la production de toxines puissantes. Cette association n’est pas étonnante aux yeux d’un écologiste. De nombreux cas similaires ont été décrits chez des batraciens, chez des insectes ou chez des serpents. Il s’agit d’aposématisme, mot qui est formé de deux racines grecques, respectivement « apo » qui veut dire « loin de » et « sêma » qui signifie « signal ». Les biologistes pensent que l’aposématisme est une stratégie adaptative qui permet à des animaux d’émettre un signal d’avertissement clairement perceptible pouvant être visuel (des couleurs vives, des motifs à bandes répétées alternant des couleurs vive et sombre), un signal sonore ou chimique. Ce signal constitue un moyen de défense et avertit les prédateurs éventuels que ces animaux représentent un danger qu’ils doivent éviter. Pour une bonne efficacité, les animaux qui sont très visibles doivent être particulièrement bien défendus, par exemple par un poison puissant. En l’absence de défense, cette visibilité est contre-productive, car les prédateurs vont pouvoir utiliser ces signaux pour trouver leur proie. À l’aune de cette définition, les fleurs sont typiquement des organes aposématiques. Ces organes sont assurément très visibles et ils sont toxiques, à la fois pour assurer la protection des cellules reproductives contre les prédateurs et des microorganismes. Peut-être faudrait-il considérer les odeurs de fleurs non seulement comme des signaux attractifs mais aussi comme des molécules de défense. Après tout, les terpènes que l’on trouve si souvent dans les odeurs de fleurs sont des molécules toxiques à haute dose. 53 En guise de conclusion à cette journée : quelques perspectives pour comprendre la spécificité des signaux végétaux Yvan Kraepiel, Institut d’Écologie et des Sciences de l’Environnement de Paris Université Pierre et Marie Curie, Sorbonne Universités Résumé Les très nombreux exemples de communication au sein de la plante, développés lors de ce colloque, illustrent son importance dans le développement coordonné des différents organes du végétal et dans son adaptation à l’environnement, biotique et abiotique. Les signaux émis par les plantes vers l’extérieur participent également à cette adaptation des végétaux à leur environnement biotique. Dans cette conclusion, je voudrais revenir sur la pléiotropie des phytohormones, singularité des régulateurs de croissance végétaux. Les fonctions multiples d’une phytohormone, déterminées essentiellement au niveau des cellules cibles, peuvent apparaître comme une évolution complexe des réponses à une signalisation simple. Mais cette particularité est peut-être à relier à l’importance majeure des interactions hormonales dans le contrôle de la physiologie de la plante. Le végétal, ou certaines de ses cellules, se comporte en effet comme un commutateur qui intègre un signal hautement complexe et module les réponses physiologiques. Enfin, cette complexité est apparue progressivement au cours de l’évolution. À partir d’un rôle ancestral d’un régulateur, des fonctions dérivées seraient apparues et dessinent aujourd’hui un réseau de régulations que les chercheurs commencent tout juste à démêler. Introduction 54 Les présentations de ce colloque nous ont montré la multiplicité des signaux impliqués dans la communication chez les végétaux. La circulation de signaux concerne aussi bien les signaux internes à la plante permettant la coordination de la croissance, du développement et du fonctionnement des différents organes, que les signaux émis par les végétaux qui déterminent les interactions interspécifiques au sein des écosystèmes. Nous avons vu que la très grande diversité des molécules sécrétées par les plantes et perçues par les insectes, les champignons ou les bactéries, permet- tait d’établir des interactions très spécifiques avec ces organismes. À l’opposé de cette spécificité de la communication externe, il apparaît que les mêmes signaux circulant dans la plante peuvent être impliqués dans la structuration de l’architecture de la plante, dans l’adaptation du végétal aux caractéristiques de son environnement, dans les réponses de la plante aux stress biotiques et abiotiques. Cette pléiotropie des phytohormones est très fréquente, même si la découverte récente de signaux peptidiques plus spécifiques montre qu’elle ne constitue pas une règle absolue. Ainsi, les végétaux semblent majoritairement réguler l’ensemble de leur développement et de leur physiologie à partir d’un nombre limité de signaux internes dont les fonctions sont multiples. L’auxine est un excellent exemple de phytohormone dont les effets sont nombreux et dépendent du contexte physiologique où elle agit. Cette hormone est indispensable à l’allongement des cellules et régule l’élongation des tiges en fonction des conditions lumineuses dans lesquelles la plante se trouve ou en réponse au signal gravitropique. L’auxine régule également le cycle cellulaire et constitue le signal majeur d’entrée en division cellulaire dans les racines, par exemple lors de l’initiation de la ramification racinaire. Elle participe à l’orientation organogénétique, par exemple lors de la formation des feuilles à partir du méristème apical caulinaire, et à la différenciation cellulaire. Son rôle dans le développement de la galle du collet due à la bactérie phytopathogène Agrobacterium tumefaciens a été décrit depuis de nombreuses années, mais des études récentes montrent qu’elle participe également aux régulations des réactions de défense contre les agents pathogènes. Cet inventaire peut raisonnablement laisser perplexe tout lecteur souhaitant garder une idée claire du rôle des différentes phytohormones dans le développement végétal, d’autant qu’une liste semblable peut être établie pour à peu près toutes : l’acide abscissique régule les réponses des plantes au stress hydrique, inhibe la germination et participe aux réponses de défense des plantes contre leurs pathogènes ; les gibbérellines participent à la structuration du méristème caulinaire, stimulent l’élongation, la floraison et la germination ; le jasmonate induit les réactions de défense et la différenciation des organes reproducteurs… À partir de ce constat de l’étonnante pléiotropie de la majorité des phytohormones, je voudrais centrer la conclusion de ce colloque sur deux questions qui constituent des axes majeurs de la recherche scientifique actuelle. La première concerne l’origine de cette diversité d’effets des phytohormones et donc l’identification des fonctions originelles dont pourraient dériver les nombreux rôles observés aujourd’hui. La seconde oriente la compréhension des régulations hormonales chez les végétaux vers l’étude des interactions entre hormones et suggère que les véritables signaux régulateurs ne sont pas constitués d’une molécule mais d’une balance hormonale complexe. La quête d’une fonction ancestrale : l’exemple des strigolactones Comme nous l’avons vu au cours de la journée, les strigolactones sécrétées par les racines dans les exsudats racinaires induisent la croissance et la ramification des champignons mycorhiziens à arbuscules, mais aussi la germination des graines de plantes parasites. Ces molécules sont également des phytohormones qui stimulent l’élongation cellulaire dans les racines et inhibent la ramification des tiges (de Saint-Germain et al., 2013). Ces fonctions sont très diverses et l’élucidation des liens évolutifs entre elles permettrait de comprendre comment s’est mise en place cette pléiotropie et, peut-être, d’aborder la complexité de leur mode d’action. Il s’agit donc de rechercher la fi liation entre ces différentes fonctions. Ce type d’étude, initié récemment pour les strigolactones (Delaux et al., 2012), est rendu possible par la connaissance des gènes impliqués dans le métabolisme des hormones et dans le déclenchement de leurs effets. La recherche et l’identification des homologues de ces gènes dans les différentes branches de l’arbre phylogénétique, combinées à l’analyse des effets de l’hormone dans les différents organismes, permettent d’établir l’ordre d’apparition des différentes fonctions et de connaître les mécanismes moléculaires associés à chacune. Les strigolactones sont présentes chez tous les Embryophytes qui regroupent les mousses, les fougères, les conifères et les Angiospermes, mais aussi chez les Charales, algues vertes considérées comme le groupe frère des Embryophytes. Actuellement les strigolactones n’ont pas été détectées dans d’autres organismes de la lignée verte, ce qui suggère qu’elles sont apparues chez le plus récent ancêtre commun aux Charales et aux Embryophytes. Chez ces algues vertes comme chez les hépatiques et les mousses, on trouve un gène homologue au récepteur des strigolactones appelé D14-like et il a été mis en évidence que l’hormone induit l’élongation des rhizoïdes de ces organismes, structures simples ayant, comme les racines, un rôle d’ancrage et d’absorption. Ces données suggèrent que la fonction ancestrale des strigolactones serait une fonction hormonale, impliquée dans la régulation du développement des systèmes d’absorption et associée au système de perception D14-like. Il est intéressant de noter que les Charales sécrètent dans le milieu des strigolactones mais cette propriété, qui apparaît donc comme ancestrale, n’a (jusqu’à présent) pas été associée à une fonction biologique. En revanche, chez les hépatiques, les mousses et la plupart des autres Embryophytes, la sécrétion des strigolactones peut être reliée au dialogue moléculaire qui s’établit entre les plantes et les champignons endomycorhiziens à arbuscules du groupe des Glomeromycota. Cette fonction ancienne a probablement été importante dans la colonisation du milieu terrestre, dans la mesure où l’apparition de ces associations symbiotiques est concomitante de l’apparition des premières plantes terrestres. Le phénotype très ramifié d’un mutant déficient en strigolactones chez la mousse Physcomitrella patens (Proust et al., 2011) semble indiquer que, chez les mousses, les strigolactones inhibent la ramification des fi laments qui assurent l’extension de l’individu. Ceci constitue une nouvelle fonction hormonale des strigolactones. La ramification des mousses se fait sur la base d’une modification du plan de la division cellulaire. Le mode d’action des strigolactones dans ce contrôle de la division cellulaire n’a pas été associé à l’apparition de nouveaux gènes impliqués dans leur perception et pourrait donc dériver des mécanismes préexistants au niveau des rhizoïdes. L’intense ramification des plantes de pois déficientes en strigolactones (Gomez-Roldan et al., 2008) indique que, chez les Angiospermes, les strigolactones exercent une fonction d’inhibiteur de la ramification de la tige feuillée. Dans ce cas, les strigolactones agissent sur le développement des bourgeons axillaires et leur mode d’action est probablement différent et plus complexe que lors du contrôle de la division cellulaire chez les mousses. Chez les Angiospermes, les réponses aux strigolactones, en particulier en ce qui concerne l’inhibition de la ramification, sont associées à un récepteur différent (mais proche de D14-like), D14. Ainsi cette action sur le fonctionnement du méristème axillaire pourrait s’être mise en place à partir de la spécialisation d’un récepteur particulier. Ce récepteur est également présent chez les Gymnospermes et il est légitime de supposer que les strigolactones contrôlent également le développement des bourgeons chez ce groupe. 55 Enfin les strigolactones, sécrétées par les plantes hôtes dans leurs exsudats racinaires, stimulent la germination des graines de plantes parasites épirhizes comme dans le genre Striga de la famille des Scrophulariaceae et dans le genre Orobanche de la famille des Orobanchaceae. Cette fonction qui ne concerne que des groupes restreints d’Angiospermes est apparue tardivement au cours de l’évolution et correspond à une fonction de communication interspécifique permettant à la plante parasite de détecter la présence de son hôte. Les bases moléculaires de cette dernière fonction restent à élucider mais son apparition peut être reliée à la sécrétion ancestrale des strigolactones par les plantes et à son maintien au cours du temps chez les Embryophytes du fait de son importance dans la fitness des végétaux qui établissent des symbioses avec les champignons endomycorhiziens à arbuscules. Les plantes, comme des commutateurs, intègrent des signaux complexes La mise en évidence des origines des différentes fonctions d’une hormone fournit des indications sur la mise en place des mécanismes impliqués dans chacune de ces fonctions. Mais la compréhension globale de la régulation hormonale du développement végétal nécessite également de décortiquer les nombreuses interactions entre les différentes molécules impliquées. Il est possible de schématiser la plante dans son ensemble, ou chaque organe cible, comme un commutateur, soumis à un signal complexe constitué de plusieurs signaux hormonaux, qui intègre les différentes informations et répond dans son développement à la combinaison de ces signaux. Dans cette vision mécanistique, la pléiotropie des phytohormones recouvrirait en fait une multiplicité de signaux complexes composés à partir de quelques molécules signal élémentaires, dont les concentrations globale ou locale peuvent changer et auxquelles la sensibilité cellulaire peut être modulée dans le temps ou en fonction du type cellulaire. 56 L’étude de l’intégration de tels signaux complexes est très difficile et je vais juste essayer, à partir de deux exemples simples, d’illustrer cette idée qui fait l’objet de nombreuses investigations depuis quelques années. Le premier exemple est assez global et concerne les différents rôles de l’acide abscissique. Cette hormone agit au niveau des cellules de garde des stomates et permet de limiter les pertes d’eau en condition de stress hydrique. Mais cette action permet également de bloquer l’entrée par les stomates de pathogènes foliaires, essentiellement bactériens. L’ABA apparaît alors comme une hormone de défense. Mais parallèlement à son action au niveau des épidermes, l’ABA inhibe globalement les réponses de défense induites dans les parenchymes foliaires par l’acide salicylique et le jasmonate. Dans les tissus internes de la feuille, la présence d’ABA favorise donc le développement de maladies. Ces deux rôles antagonistes de l’ABA dans les réactions de défense, dont l’un fait intervenir des interactions avec d’autres hormones, peut s’interpréter comme un moyen de favoriser, lorsque les pathogènes sont entrés dans la plante, l’adaptation au stress hydrique, indispensable à la survie de la plante entière, par rapport à la protection d’un organe, ici une feuille. En cas d’infection par un pathogène, la mise en place des défenses s’accompagne toujours d’un ralentissement très significatif de la croissance. Le deuxième exemple est issu d’une étude récente des interactions entre les gibbérellines et le jasmonate qui permet de comprendre comment une plante module l’allocation de ses dépenses énergétiques pour la croissance ou pour ses réactions de défense (Yang et al., 2012). La hiérarchisation des réponses de la plante entre croissance et défense place les protéines DELLA au cœur d’une interaction entre les effets des gibbérellines et du jasmonate. Sous l’effet de signaux de l’environnement (lumière par exemple) ou au cours du développement de la plante, les gibbérellines, produites par la plante et perçues au niveau des cellules cibles par des récepteurs spécifiques, entraînent la fi xation des protéines DELLA sur le complexe d’ubiquitination et leur dégradation, ce qui déclenche l’expression de gènes nécessaires à la croissance. En l’absence de stress biotique, les protéines JAZ favorisent la dégradation des protéines DELLA et participent ainsi à la stimulation de la croissance. Mais lorsque la plante perçoit un stress biotique ou une blessure, la synthèse de jasmonate et sa fi xation sur son récepteur COI1 induit l’ubiquitination des protéines JAZ et la dé-répression des réactions de défense. Dans ce processus, non seulement les protéines JAZ ne stimulent plus la croissance en favorisant la dégradation des protéines DELLA mais le complexe COI1-JAZ semble également bloquer la croissance en stabilisant les protéines DELLA. Ainsi, l’interaction des voies de signalisation des gibbérellines et du jasmonate permet de donner la priorité aux réactions de défense par rapport à la croissance qui reste inhibée tant qu’une infection persiste. Conclusion Ces exemples permettent d’envisager comment la croissance et le développement des plantes résultent d’interactions hormonales par l’intermédiaire de protéines clefs participant à différentes voies de signalisation. Mais les études de balances hormonales telle que la balance gibbérellines/jasmonate ne permettent de décrypter qu’une maille dans un réseau d’interactions très complexe où chaque hormone régule le métabolisme d’une ou plusieurs autres, l’auxine étant en interaction avec toutes (Jaillais et Chory, 2010), et où chaque aspect du développement est régulé par de très nombreuses hormones (Vanstraelen et Benkova, 2012). Au vu de cette complexité, il apparaît évident que la modélisation et la simulation informatique seront nécessaires à une compréhension intégrée de toutes les connaissances moléculaires accumulées au cours des études du mode d’action des différentes hormones. Références bibliographiques de Saint Germain A, Bonhomme S, Boyer F-D, Catherine Rameau C (2013) Novel insights into strigolactone distribution and signalling. Curr Opin Plant Biol 16:583–589 Delaux P-M, Xie X, Timme RE, Puech-Pages V, Dunand C, Emilie Lecompte E, Charles F. 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Elles sont ainsi capables de repérer leurs congénères, ce qui leur évite de les confondre avec des concurrentes et de dépenser inutilement des ressources à lutter contre elles. Les récepteurs de lumière des plantes sont assez perfectionnés pour qu’elles reconnaissent les longueurs d’ondes renvoyées par les plantes qui les côtoient, et ainsi recueillir des informations sur leur environnement. En cas d’attaque par des herbivores, certains végétaux envoient des signaux chimiques qui, une fois captés par leurs voisins, les aident à mettre en place des stratégies de défense. Par exemple : brouté par une antilope, le koudou - l’acacia de la savane - augmente considérablement la teneur en tanin de ses feuilles, qui deviennent, alors, impropres à leur consommation. Et il en est de même pour les arbres situés dans un rayon de plusieurs mètres. Les plantes sont aussi capables de communiquer entre elles par leurs racines. En cas de sécheresse, les feuilles des plantes de petits pois se ferment pour limiter la perte d’eau et les pieds des plantes avoisinantes qui ne sont pas exposées à la sécheresse réagissent comme s’ils l’étaient.