Quand les plantes se parlent

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Colloques scientifiques
et journées de conférences et d’échanges
Quand les plantes se parlent
Édition 2014
Colloque scientifique
23 mai 2014 • Paris
16e colloque scientifique - Paris, 23 mai 2014
QUAND LES PLANTES SE PARLENT
> Sommaire
Page 4 • La communication chez les plantes : un regard historique
Stéphane Tirard
Page 9 • Les outils de la communication végétale
Yvan Kraepiel
LA COMMUNICATION INTERNE
Page 14 • Les signaux d’un développement harmonieux
Arnould Savouré
Page 18 • Réactions aux stress environnementaux
Thierry Améglio
Page 25 • Le dialogue porte-greffe - greffon
Sarah Cookson
Page 30 • Impact de la nutrition azotée et de la variété du porte-greffe sur la
croissance végétative de la vigne.
Julien Lecourt
LA COMMUNICATION EXTERNE
Page 33 • L’exploitation des plantes par les plantes
Philippe Delavault
Page 38 • La symbiose, un échange gagnant-gagnant
Francis Martin
Page 41 • Les composés volatiles donnent l’alerte chez les plantes
Xavier Daire
Page 44 • Induction de résistances chez le blé lors d’une interaction compatible avec Blumeria graminis
Christine Tayeh
Page 51 • Insectes et plantes : je t’aime moi non plus
Frédéric Marion Poll
Page 54 • Conclusion
Yvan Kraepiel
Page 58 • Sélection de livres
La communication chez les plantes :
un regard historique
Stéphane Tirard, Centre François Viète d’Histoire des Sciences et de Techniques
Université de Nantes
Résumé
La communication chez les plantes renvoie à une
fonction évidente chez les animaux, mais beaucoup
plus problématique chez les végétaux. Le cadre de
notre réflexion sera principalement celui de l’histoire des travaux sur la distinction entre les règnes
animal et végétal au XIXe siècle. L’idée de la «sensibilité» des végétaux est en effet à cette époque au
cœur de ce questionnement.
Nous analyserons donc les travaux d’un ensemble
de biologistes du XIXe siècle : Lamarck, Dutrochet,
Darwin, Bernard… afin de révéler la complexité des
différences et analogies qu’ils établissent entres les
deux règnes, en mobilisant notamment la présence
ou l’absence de « sensibilité », tant par des constats
naturalistes que par des approches physiologiques.
Pour terminer, nous montrerons comment les
développements de la physiologie végétale durant
la deuxième partie du XIXe et le début du XXe siècle
ont révélé des spécificités fondamentales des végétaux sur lesquelles se fonde aujourd’hui la thématique de ce colloque.
Introduction
Le présent colloque est intitulé : « Quand les plantes
se parlent ». Cette courte phrase révèle la relation
complexe qui nous lie aux végétaux. Mais elle nous
rappelle également la distinction établie de très longue
date entre ce que l’on appelait les deux règnes.
Cette phrase conduit à rouvrir le dictionnaire au mot
parler, si trivial que nous pourrions en oublier la signification. Il nous est confi rmé un sens premier correspondant à l’usage de la voix chez l’homme : « Émettre
les sons articulés d’une langue maternelle ». Les plantes
semblent exclues de cette possibilité, tous les animaux
également d’ailleurs. C’est évidemment dans un sens
métaphorique que nous comprenons le titre de cette
journée. Il s’agirait d’étudier ici les mécanismes de
communication existant entre les plantes, en les assimilant à la parole. Ainsi, en se référant à cette fonction
de communication, ce titre compare les plantes aux
animaux, et notamment à l’homme.
Par vocation, le regard de l’historien des sciences se
porte sur le passé et donc nous reviendrons sur l’histoire de cette tension « différence / ressemblance »
entre les animaux et les végétaux, dans laquelle doit
être considérée cette métaphore sur « la parole » des
plantes. Nous commencerons par nous intéresser à
la limite végétal-animal telle qu’elle fut établie aux
XVIIIe et XIXe siècles. La présentation de quelques
étapes de la biologie, qui aux XIXe et XXe siècles, ont
montré l’unité du monde vivant à l’échelle cellulaire et
moléculaire, nous occupera dans un deuxième temps.
Enfin, ceci nous permettra de saisir dans quelles
conditions il a été possible de montrer que la communication à l’intérieur de l’organisme végétal consiste
en des phénomènes moléculaires.
La limite végétal-animal
La distinction entre les règnes animal et végétal n’a
jamais manqué de poser un problème profond aux
observateurs, qu’ils soient naturalistes ou philosophes. Je ne commencerai cette courte présentation
qu’au XVIIIe siècle, alors qu’il ne faudrait pas oublier
les auteurs qui, dès l’antiquité, ont souligné les différences entre les deux règnes.
C’est Denis Diderot (1713-1784) lui-même qui signe
l’article intitulé Animal dans l’Encyclopédie. Il y étudie
notamment les différences avec le végétal :
« L’animal réunit toutes les puissances de
la nature ; les sources qui l’animent lui sont
propres et particulières ; il veut, il agit, il se
détermine, il opère, il communique avec ses
sens avec les objets les plus éloignés ; son individu est un centre où tout se rapporte ; un point
où l’univers entier se réfléchit ; un monde en
raccourci.1 »
C’est ainsi la relation aux autres êtres que Diderot
place au centre de sa définition. Le lecteur peut donc
s’attendre à la retrouver comme un critère de distinction entre les deux règnes dans la suite de son analyse.
Plus loin, Diderot s’appuie en effet sur la propriété
d’irritabilité :
« Je ne crois pas que la fibre végétale ait la faculté
d’être irritable. Si l’on observe dans beaucoup
de végétaux des phénomènes qui semblent
4
1
Denis Diderot, “Animal”, Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences et des arts et des métiers, Paris, Flammarion, 1986, p. 242.
indiquer une véritable irritabilité, comme les
mouvements singuliers des sensitives (mimosa
pudica, oxalis sensitiva, etc.) dans les articulations de leurs rameaux ou de leurs feuilles, et
celui des étamines de l’épine-vinette (berberis
vulgaris), etc. Lorsqu’on touche ces parties ou
qu’on les ébranle d’une manière quelconque ; je
suis persuadé que ces mouvements sont dus à
une cause mécanique, et non à l’irritabilité des
parties.2 »
Le philosophe attribue ainsi à l’irritabilité un rôle crucial dans la distinction entre les deux règnes et elle est
donc éliminée chez les végétaux.
Pour les observateurs naturalistes, le problème de la
limite animal-végétal s’est posé à maintes reprises aux
XVIIe et XVIIIe siècles, notamment dans le cadre de
la classification. C’est ainsi que les zoophytes, par leur
apparence, semblent de part et d’autre de cette frontière et leur dénomination entretint longtemps l’ambiguïté. En 1801, Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829)
rappelait ce débat, qui a perduré, par un commentaire
tranché :
« La connaissance de ces animalcules et la
considération des masses3 ordinairement
rameuses et dendroïdes qui leur servent de
réceptacle et d’habitation, firent ensuite donner à ces mêmes masses le nom de zoophytes,
qui veut dire animaux-plantes, comme si les
objets dont il s’agit participaient de la nature
de l’animal et de celle de la plante. On a même
prétendu, dans des ouvrages très modernes,
que les polypiers rameux croissaient par
intussusception4 , en sorte que le tronc et les
branches étaient de véritables végétations et
leurs auteurs ont donné le nom de fleur-animal
au polype même qui habite chaque cellule de
ces polypiers. Mais cette opinion est une erreur
évidente. Il n’y a dans le polypier le plus ramifié rien qui tienne de la nature d’un végétal ; si
l’on en excepte l’apparence ou la configuration
extérieure. Tout y est animal ou production
animale. Chaque polype est un être vivant,
doué du mouvement volontaire et muni d’un
canal intestinal, aucun végétal connu n’off re
rien de semblable. »5
Qu’en est-il de la parole ? Elle n’est présente que chez
l’homme au terme d’une échelle de la complexité des
façons de communiquer.
« S’étant ainsi répandu presque partout, et
ayant pu se multiplier considérablement, ses
besoins s’accrurent progressivement par suite
de ses relations avec ses semblables, et se
trouvèrent infiniment diversifiés. Or, ceux des
animaux qui jouissent comme lui des facultés
d’intelligence, mais dans des degrés fort inférieurs, n’ayant qu’un petit nombre de besoins
comparativement aux siens, n’ont aussi qu’un
très petit nombre d’idées ; et, pour communiquer entre eux, quelques signes leur suffisent
entièrement. Il en est bien autrement à l’égard
de l’homme ; car ses besoins s’étant infiniment
accrus et diversifiés, et le forçant à multiplier
et à varier proportionnellement ses idées, il fut
obligé d’employer des moyens plus compliqués
pour communiquer sa pensée à ses semblables.
De simples signes ne lui suffirent plus. Il lui
fallut non seulement varier les sons de sa voix,
mais en outre les articuler ; et selon le développement particulier de l’état intellectuel de
chaque peuple, les sons articulés, destinés à
transmettre les idées, reçurent une complication plus ou moins grande. La faculté de former des sons articulés, qui, par convention,
expriment des idées, constitue donc celle de la
parole que l’homme seul a pu se procurer ; et la
nature des conventions admises, pour attribuer
à ces sons articulés des idées usuelles, constitue
aussi les diverses langues dont il fait usage. »6
Retenons donc que les débats naturalistes et philosophiques du XVIIIe et du début du XIXe siècles ont
délimité les deux règnes. La distinction établie pouvait porter sur un très large ensemble de caractères, la
communication apparaissant alors comme l’apanage
des animaux et la parole comme celui de l’homme.
2
J.B. Lamarck, Mémoires de physique et d’histoire naturelle, établis sur les bases de raisonnement indépendantes de toute théorie ; avec
l’explication de nouvelles considérations sur la cause générale des dissolutions ; sur la matière de feu ; sur la couleur des corps ; sur la
formation des composés ; sur l’origine des minéraux, et sur l’organisation des corps vivants, lus à la première classe de l’Institut national
dans ses séances ordinaires, suivis de Discours prononcé à la Société Philomatique le 23 floréal an V, 1797, p. 12.
3
Masse : Groupe d’organismes
4
Intussusception : Pour les auteurs de l’époque, mode d’accroissement par pénétration des éléments nutritifs au sein des êtres organisés.
5
J.B. Lamarck, Système des Animaux sans vertèbres, ou Tableau général des classes, des ordres et des genres de ces animaux ; présentant
leurs caractères essentiels et leur distribution d’après les considérations de leurs rapports naturels et de leur organisation, et suivant
l’arrangement établi dans les galeries du Muséum d’Histoire naturelle, parmi leurs dépouilles conservées ; précédé du Discours d’ouverture de l’an VIII de la République, Paris, Deterville, 1801, pp. 366-367.
6
J.-B. Lamarck, Système analytique des connaissances positives de l’homme, restreintes à celles qui proviennent directement ou indirectement de l’observation, Paris, Chez l’Auteur et Belin 1820, pp. 151-152.
5
De la cellule à la molécule : une
nouvelle unité du vivant
Si nous venons de souligner que les végétaux sont définitivement distingués des animaux au début du XIXe
siècle, qu’en est-il de l’unité du monde vivant ? C’est
l’étude microscopique et moléculaire des organismes
qui la révèlera.
e
L’invention du microscope au XVII siècle n’a pas
entraîné automatiquement la découverte et la
conception d’une structure élémentaire microscopique
universelle du vivant. Les débats effectifs sur ce
problème ne datent en effet que du premier tiers du
XIXe siècle. Ils concernent alors autant le végétal que
l’animal. Il est bien connu que la première théorie
cellulaire est due aux travaux complémentaires d’un
botaniste et d’un physiologiste. En effet, le botaniste
allemand Mathias Schleiden (1804-1881) note que
les végétaux sont constitués de cellules structurées
autour d’un noyau, alors appelé le cytoblaste. Cette
idée est reprise par Theodor Schwann (1810-1882) qui,
en 1839, l’étend aux animaux après de nombreuses
observations. Nous assistons donc ici à un phénomène
de généralisation d’un concept qui tend à montrer
l’unité du monde vivant.
La théorie cellulaire est révisée dans la première
moitié des années 1850, en ce qui concerne les
modalités de la formation des cellules. Il est alors établi
indépendamment par Robert Remak (1815-1865) et
Rudolf Virchow (1821-1902) que toute cellule se forme
par la division d’une cellule préexistante. Un peu
plus tard, au tournant des années 1870, l’observation
microscopique devenant plus précise, les divisions
cellulaires sont décrites chez les végétaux, puis chez
les animaux, le processus de partage des chromosomes
s’avérant remarquable de constance et d’universalité.
Au cours du XIXe siècle, la cellule s’est donc imposée
comme une structure universelle unifiant la
compréhension du monde vivant.
Dans ce contexte, le protoplasme, la matière constituant les cellules, attire l’attention des physiologistes.
Il est ainsi au cœur des Leçons sur les phénomènes de
la vie communs aux végétaux et aux animaux données
par Claude Bernard (1813-1878) au Muséum d’Histoire naturelle entre 1872 et 1874. Dès la deuxième
leçon, Bernard distingue trois formes de vie, mais il
ne sépare aucunement les animaux et les végétaux, au
contraire, car son but est de préciser ce qui est physiologiquement commun à l’ensemble du monde vivant.
6
7
8
Il propose donc de distinguer « trois formes de vie » :
« 1° la vie latente ; vie non manifestée.
2° La vie oscillante ; vie à manifestations
variables et dépendantes du milieu extérieur.
3° La vie constante ; vie à manifestations libres
et indépendantes du milieu extérieur. »7
La première forme de vie peut concerner aussi bien
les graines que certains invertébrés et la deuxième la
plupart des animaux, ainsi que les végétaux. La troisième, en revanche, ne considère que les oiseaux et les
mammifères.
L’ensemble des leçons tend à délivrer une explication
du vivant à l’échelle du protoplasme, matière que
Bernard désigne comme le constituant fondamental
des cellules, dans lequel réside l’activité vitale.
« Le protoplasme seul vit ou végète, travaille,
fabrique des produits, se désorganise et se
régénère incessamment : il est actif en tant que
substance et non en tant que forme ou figure. »
« Le phénomène fondamental de la création
organique consiste dans la formation de cette
substance, dans la synthèse chimique par
laquelle cette matière se constitue au moyen
des matériaux du monde extérieur. »8
Ce sont des différences de constitution du protoplasme
qui permettront au physiologiste d’expliquer les différences entre les phénomènes respectivement caractéristiques des animaux et des végétaux. Bernard décrit
longuement un protoplasme vert ou chlorophyllien. Il
affirme qu’il y a du protoplasme vert et du protoplasme
blanc, chez les animaux, comme chez les végétaux. Les
deux protoplasmes ont, selon lui, des comportements
chimiques distincts.
Les travaux de Bernard ne sont qu’un exemple parmi
les très nombreux et très significatifs efforts d’une
physiologie qui tend vers une chimie biologique,
domaine qui évoluera en biochimie. Cette dernière
sera également une discipline unificatrice du vivant,
tout en possédant les moyens de révéler et d’expliquer
des phénomènes spécifiques.
Les développements de la génétique au début du XXe
siècle vont dans ce même sens de la construction d’une
unité des phénomènes fondamentaux du vivant. Les
travaux de Gregor Mendel (1822-1884) (publiés en
1865, ils passent inaperçus pendant 35 ans et seront
redécouverts en 1900) portaient, comme cela est bien
connu, sur le petit pois. De Vries, Correns et Tchermak
qui les révèlent travaillaient eux aussi sur des végétaux
et ce fut l’œuvre de biologistes tels que Bateson ou
C. Bernard, Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et végétaux, Baillère, Paris, 1878, p. 67.
Ibid., pp.202-203.
Cuénot de généraliser les concepts émergents de la
génétique aux animaux dans les années 1900. Puis, à
partir de 1910, Thomas Morgan (1866-1945) révise la
troisième loi de Mendel et pose définitivement les bases
de la génétique mendélienne, notamment avec ses travaux sur les croisements de drosophiles. La génétique
s’impose dès lors progressivement au cours des décennies suivantes comme une discipline universelle.
C’est au milieu du XXe siècle que la biologie moléculaire émerge autour de concepts qui consolident
encore l’universalité des structures et phénomènes
fondamentaux : structure des macromolécules, universalité du code génétique, principes de la synthèse
des protéines, ce qui fit parfois dire que la biologie
moléculaire expliquait le vivant de la bactérie jusqu’à
l’éléphant. Et il faudrait ajouter, en passant par la
plante.
Face à cette unité fondamentale, la communication
apparaît comme une fonction complexe qui ne semble
pas, pour sa part, universellement distribuée. Bien que
partageant les mêmes structures et phénomènes fondamentaux, animaux et végétaux ont connu des voies
évolutives clairement distinctes. Et si les hommes
parlent, si les animaux communiquent par différents
moyens, l’évolution a-t-elle pourvu les végétaux de
propriétés analogues ? Au-delà des limites imposées
par l’approche comparative, la communication doit
donc être considérée, voire redéfinie, dans le cadre
spécifique des végétaux.
« Tous les êtres vivants sont susceptibles de
subir certaines modifications vitales, par l’influence de certains agents qui leur sont extérieurs. Les physiologistes ont donné le nom
de sensibilité à la faculté, à la propriété vitale,
en vertu de laquelle a lieu cette influence des
causes extérieures sur l’être vivant. » 9
La croissance, l’équilibre ou les mouvements des végétaux sont autant d’exemples frappants dans lesquels
pourrait s’exercer l’influence d’un « facteur » externe.
Ils se trouvent en fait au centre de la problématique
qui nous intéresse, car révélant les bases de cette sensibilité. Ces phénomènes sont très étudiés dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Ils sont pris en compte
dans la notion de fonction de relation, qui s’impose,
à partir de cette époque, chez l’animal comme chez le
végétal. À titre d’exemple, citons la classification qu’en
donne R. Chodat dans ses Principes de Botanique
en 1907, dans le chapitre intitulé « Fonction de relation » 10 :
Morphogenèse
Automorphoses et Régénération
Photomorphoses
Thermomorphoses
Hydromorphoses
Chimiomorphoses
Biomorphoses
Géomorphoses
Mécanomorphoses
Tactismes
Les fonctions de relation et les
hormones
Il est maintenant temps de revenir sur la métaphore
qui nous intéresse dans le cadre de cette journée et
de nous pencher sur certains travaux concernant la
compréhension des phénomènes de la perception chez
les végétaux. Ces phénomènes complexes qui mobilisent tout ou partie de l’organisme et dont les causes
peuvent être externes, peuvent évoquer les bases d’une
forme de communication.
Si la stricte séparation des deux règnes semble assez
largement partagée dès le début du XIXe siècle, la
recherche d’une unité du monde vivant continue parfois à mobiliser des questionnements sur la nature
des phénomènes évoquant la sensibilité. C’est ainsi,
par exemple, que Henri Dutrochet (1776-1847), à la
recherche d’analogies fondamentales entre les deux
règnes, n’hésite pas à assimiler les grains de fécules à
des corpuscules nerveux, dotant ainsi les végétaux de
sensibilité :
9
Chimiotactismes
Osmotactisme
Phototactisme
Héliotactisme
Thermotactisme
Hydrotactisme
Rhéotactisme
Tropisme
Géotropisme
Les autres tropismes
Rhéotropisme
Tropisme des plantes volubiles et grimpantes
Haplotropisme
Origine et nature des vrilles
Mouvements provoqués par des variations de
turgescence
La sensibilité des plantes carnivores
Dutrochet, Recherches anatomiques et physiologiques sur la structure intime des animaux et des végétaux et sur leur motilité, Paris,
J.B. Baillière, 1824, p.1.
10
R. Chodat, Principes de botanique, Genève, Georg et Cie, 1907, p. 358 et suiv.
7
Équilibre des organes
Conclusion
Parmi ces thèmes, certains s’avérèrent particulièrement emblématiques. Ainsi, quant à la morphogénèse, les travaux de T.A. Knight sur l’influence de la
gravité sur la croissance des tiges ont marqué à partir
de 1806 une première étape. Sans entrer dans le détail
des recherches sur cette question, il faut également
signaler les expériences menées par Charles Darwin
(1809-1882) et son fi ls Francis (1848-1925). En 1880,
ils ont en effet travaillé sur la courbure du coléoptile
sous l’effet de la lumière11. Ils montrent que si la zone
de courbure se situe à quelques millimètres de l’apex
du coléoptile, c’est cependant cette extrémité qui est
sensible à la lumière. Les résultats des Darwin participèrent à ouvrir le champ de la réflexion sur les modalités de la relation entre la zone de perception et celle où
s’exécute une action.
L’usage actuel d’expressions métaphoriques relatives
à la parole ou au langage des plantes est sans doute
stimulant, voire euristique. Pourtant, je souhaite
conclure en insistant sur une évidence : le fait que les
végétaux ont leurs propres spécificités. Ainsi, la question des modalités de la communication, interne ou
externe, des végétaux s’appuie certes sur des fondements biologiques universels, mais revêt des spécificités que nous allons découvrir dans ce colloque. La
comparaison avec la communication animale a sans
doute pour première limite l’immense distance qui
sépare les deux règnes. Si les comparaisons conduisent
à des métaphores, ayant sans doute pour fonction de
réduire cet éloignement, celles-ci ne risquent-elles pas
de cacher les plus passionnantes différences sous le
masque de fausses ressemblances ?
Pendant la première moitié du XXe siècle, une série
de recherches physiologiques parviendra à identifier
la nature chimique du signal circulant à partir de la
zone éclairée et agissant plus bas pour déterminer la
courbure. Les travaux de F. Went en 1928 permirent
d’approfondir cette notion d’hormone végétale. Sur
des coléoptiles décapités, il montre la conduction
polarisée des auxines au travers d’un cube de gélose.
La communication à l’intérieur du végétal est alors un
fait établi. L’identification des hormones, la recherche
de leurs récepteurs et la compréhension fine de leurs
effets constituera un pan très important de la physiologie végétale. Il s’agira alors d’étudier les relations
entre les causes et les effets, et précisément dans ce
cas, la relation entre une cause externe et son action
à distance du lieu de sa réception dans l’organisme.
On peut considérer dès lors que la communication
est bien à l’œuvre chez les végétaux, et précisément
dans les végétaux. Il n’y a cependant évidemment pas
de parole, pas de langage à ce stade, sinon un « langage intérieur », si l’on voulait poursuivre avec cette
métaphore.
Je laisserai là cette histoire, mes collègues pourront
préciser les étapes historiques des domaines qu’ils
étudient où cette métaphore pourrait trouver un écho.
11
8
C. Darwin, The Power of Movement in Plants, London, John Murray, 1880. Édition française : Paris, C. Reinwald,1882.
Les outils de la communication végétale
Yvan Kraepiel, Institut d’Écologie et des Sciences de l’Environnement de Paris Université Pierre et Marie Curie, Sorbonne Universités
Résumé
La circulation de signaux chez les plantes permet
un développement harmonieux de l’organisme et
son adaptation à son milieu de vie. Le catalogue des
phytohormones s’allonge constamment depuis une
vingtaine d’années et, à travers quelques exemples,
je vais essayer de présenter quelques-unes de leurs
caractéristiques.
Alors que les nouveaux signaux peptidiques circulant identifiés, tels que les peptides permettant de
limiter le nombre de nodosités chez les Fabaceae,
ont souvent des actions très spécifiques, les phytohormones dérivées du métabolisme secondaire ont
des effets très pléiotropes. Ainsi, l’auxine induit la
différenciation cellulaire dans le méristème caulinaire apical et la division des cellules totipotentes
dans le méristème racinaire. D’autre part, cette
phytohormone participe à la fois au gravitropisme
positif des racines et au gravitropisme négatif des
tiges. Il est également important de noter que les
différentes phytohormones interagissent de façon
complexe dans la régulation de nombreux aspects
du développement.
Les leviers de ces régulations hormonales
impliquent le contrôle des concentrations en hormone par l’intermédiaire de leur métabolisme et de
leur transport. La multiplicité des récepteurs, souvent impliqués dans l’inactivation d’inhibiteurs,
fait de la sensibilité des cellules aux phytohormones un élément clef de la physiologie hormonale
chez les plantes.
Enfin, les plantes communiquent également avec
les organismes qui les entourent en émettant des
signaux chimiques dans leur environnement qui
déterminent les interactions avec des organismes
mutualistes ou parasites. Mais des caractéristiques
physiques des végétaux peuvent aussi constituer
des signaux, comme la couleur des fleurs pour la
pollinisation entomophile.
Introduction
Les végétaux terrestres sont des organismes pluricellulaires dont les organes différenciés assurent les
différentes fonctions vitales, telles que la synthèse de
matière organique par la photosynthèse essentiellement au niveau des feuilles, l’absorption d’eau et de
sels minéraux au niveau des racines ou la reproduction
au niveau des fleurs des Angiospermes. La coordination du développement et du fonctionnement de ces
différents organes est nécessaire au déroulement de
l’ensemble du cycle de vie de la plante et met en jeu la
circulation de signaux au sein de l’organisme. Ce sont
des signaux chimiques, de nature moléculaire variée,
regroupés sous le terme de phytohormones. Ces hormones végétales partagent le même nom que leurs
homologues animales, mais présentent des caractéristiques qui leur sont propres, en particulier en ce
qui concerne la diversité de leurs effets (pléiotropie),
l’importance de leurs interactions et les régulations de
leurs actions.
Par ailleurs, la vie fi xée des végétaux terrestres impose
des contraintes importantes. Ainsi la nutrition ne
peut se faire que dans un volume de sol et un espace
aérien limité à l’environnement proche de l’organisme, les organismes parents ne peuvent pas assurer
directement le rapprochement des gamètes lors de
la reproduction et les stratégies de fuite sont exclues
des réactions de défense contre des agresseurs (parasites ou herbivores). Dans ce contexte, les plantes ont
développé au cours de l’évolution des mécanismes
leur permettant de percevoir les signaux de leur
environnement aussi bien abiotique que biotique et
d’y adapter leur croissance, leur développement, leur
métabolisme. Cette acclimatation physiologique aux
conditions environnementales nécessite des systèmes
de perception des stimuli et des mécanismes de transmission de l’information aux différents organes effecteurs où sont induites les réponses physiologiques du
végétal. Les phytohormones, terme pris dans son sens
le plus large, sont très largement impliquées dans ces
réponses adaptatives des végétaux.
9
L’utilisation de quelques exemples me permettra de
présenter les particularités des messages hormonaux
chez les plantes et de donner un aperçu de leur diversité
aussi bien en ce qui concerne leur nature chimique que
leur mode d’action. Leur implication plus précise dans
le développement végétal et dans différentes réponses
des plantes aux contraintes de l’environnement sera
développée tout au long de la journée par les différents
intervenants. Les présentations de la seconde session,
Communication Externe, traiteront des interactions
interspécifiques entre les plantes et leur environnement biotique. Dans le cadre des ces interactions, les
plantes émettent également des signaux dans leur
environnement dont la perception par les autres organismes détermine l’issue des interactions. Je n’entrerai
pas dans les détails de ces dialogues interspécifiques et
je me limiterai à présenter succinctement la diversité
des signaux émis par les plantes, qu’ils soient de nature
chimique ou physique.
Un catalogue de « phytohormones » qui s’allonge et se
diversifie
Les phytohormones ont longtemps été classées dans
5 familles de molécules partageant des effets physiologiques identiques ou proches. Ces cinq classes de
molécules ont été définies au fur et à mesure de leur
découverte. Ainsi, les auxines, dont la molécule principale est l’acide indole-3-acétique, ont été définies
comme des molécules inductrices de l’élongation cellulaire (auxèse). Les cytokinines sont des molécules
stimulatrices de la division cellulaire (mérèse), les
gibbérellines stimulent la germination et l’élongation,
l’acide abscissique n’a que peu de rôle dans la chute des
feuilles (abscission) mais est la principale hormone
impliquée dans les réponses des plantes aux stress
abiotiques comme le manque d’eau ou le froid. La
cinquième phytohormone classique est une molécule
gazeuse dans les conditions de vie des végétaux, l’éthylène, très impliquée dans les processus de sénescence
comme celle des feuilles ou comme la maturation des
fruits. Ces molécules, bien que de natures chimiques
différentes, sont toutes des molécules relativement
simples issues du métabolisme secondaire des plantes.
10
À cette courte liste, de très nombreuses autres molécules se sont ajoutées au fur et à mesure de l’élucidation des mécanismes impliqués dans la régulation de
la croissance et du développement des plantes. Ainsi
les brassinostéroïdes régulent la croissance, l’acide
salicylique et l’acide jasmonique sont des hormones
importantes pour la mise en place des défenses en
réponse aux pathogènes, l’oxyde nitrique participe aux
réponses à différents stress, les strigolactones inhibent
la ramification des végétaux. Il serait difficile d’établir
l’inventaire de toutes ces molécules et de leurs effets et
nous aborderons plutôt les caractéristiques communes
de ces phytohormones plutôt que leurs effets spécifiques. Mais il est important de noter que, récemment,
de nouvelles hormones peptidiques végétales ont été
identifiées et ajoutées à la liste de ces petites molécules
circulantes. Parmi ces petites protéines régulatrices
systémiques, on peut citer les deux peptides, RS1 et
RS2, impliqués dans l’autorégulation de la nodulation chez les plantes de la famille des Fabaceae qui
établissent des symbioses fi xatrices d’azote moléculaire avec des bactéries de la famille des Rhizobiaceae.
Lors de la formation des nodosités, la synthèse de ces
peptides y est induite et le transport vers les parties
aériennes du végétal puis leur perception par des
récepteurs spécifiques entraînent la synthèse d’un
signal inhibiteur de la formation de nouvelles nodosités (Okamoto et al., 2009). Ainsi la plante contrôle le
nombre total de nodosités qu’elle met en place, ce qui
permet de limiter les dépenses énergétiques dédiées à
la symbiose (Oka-Kira et Kawaguchi, 2006).
Des effets pléiotropes et des
interactions complexes
La très grande spécificité d’action des phytohormones
peptidiques représente plutôt une exception dans les
communications entre organes chez les plantes. La
majorité des petites molécules signal circulant au sein
du végétal ont des effets régulateurs divers en fonction
des organes ou des cellules cibles. Cette pléiotropie est
parfaitement illustrée par la première phytohormone
identifiée, l’auxine. Son effet inducteur de l’élongation
cellulaire est dû, au moins à court terme, à son effet
inducteur de l’acidification des parois cellulaires. Ces
dernières deviennent plus plastiques du fait de la rupture de liaisons ioniques entre les macromolécules qui
les constituent et s’étirent sous l’effet de la pression de
turgescence dans les cellules (Taiz et Zeiger, 2006).
Mais la correspondance entre les zones d’accumulation de l’auxine et les primordia foliaires montre que
l’auxine induit aussi l’entrée des cellules périphériques
du méristème apical caulinaire dans le processus d’organogenèse foliaire (Smith et al., 2006). Son rôle est
très différent dans le méristème racinaire puisque l’auxine y est liée à l’induction de la division cellulaire de
cellules souches pluripotentes (Dubrovski et al., 2008).
On peut enfin noter le rôle primordial de l’auxine dans
la différenciation cellulaire des cellules conductrices
des sèves (Raven et al., 2007). Il est ainsi impossible
dans la majorité des cas d’attribuer une fonction à une
phytohormone, mais plutôt un effet dans un contexte
cellulaire particulier. Cette complexité des régulations
hormonales chez les plantes est encore augmentée par
le constat de régulations exercées non par une seule
phytohormone mais par plusieurs signaux qui agissent
ensemble. Les régulations sont ainsi le fait de balances
hormonales plus que d’une seule molécule.
mones, peut être conjugué, par exemple à un glucose,
rendant l’hormone inactive.
L’existence de ces signaux complexes a été identifiée
très tôt dans l’histoire de la culture in vitro des végétaux. Il est possible d’induire l’organogenèse à partir
d’explants issus de différents tissus végétaux et l’orientation de cette organogenèse dépend essentiellement
de la balance hormonale auxine/cytokinines. Lorsque
cette balance est en faveur de l’auxine, il se forme des
racines alors que lorsque les cytokinines sont majoritaires, des méristèmes apicaux caulinaires et des bourgeons apparaissent. Enfin, en présence de très fortes
concentrations des deux hormones dans le milieu de
culture, la multiplication cellulaire entraîne la formation de massifs de cellules indifférenciées, les cals
(Taiz et Zeiger, 2006). Cette même balance hormonale
auxine/cytokinines est responsable du contrôle de la
ramification par le bourgeon apical dans le phénomène de dominance apicale. L’auxine produite par le
bourgeon apical inhibe la synthèse et induit la dégradation des cytokinines au niveau des nœuds de la tige.
Lorsque les concentrations d’auxine diminuent, au
niveau des nœuds les plus bas ou après décapitation de
la tige, la synthèse de cytokinines est induite par l’intermédiaire de l’enzyme Isopentenyl adénine transférase et leur dégradation inhibée. L’augmentation locale
des concentrations de cytokinines entraîne le développement du bourgeon axillaire (Shimizu-Sato et al.,
2009). Les autres phytohormones agissent également
dans le cadre de balances hormonales comme c’est
le cas pour la balance acide abscissique/gibbérellines
dans le contrôle de la germination. L’effet inducteur de
la lumière rouge clair dans ce processus consiste en
un déplacement de la balance en faveur de l’hormone
inductrice, les gibbérellines, alors que l’effet inhibiteur
de la lumière rouge sombre est dû à un équilibre en
faveur de l’acide abscissique (Seo et al., 2009).
Cependant les teneurs globales de la plante en une
phytohormone ne sont pas le seul paramètre de la
modulation de son action. Les teneurs locales, au
niveau des organes cibles, constituent une variable
majeure des contrôles hormonaux. C’est en particulier
le cas des régulations du développement par l’auxine
qui dépendent étroitement du transport de l’hormone
dans la plante. Le gravitropisme positif des racines
représente un modèle de cet aspect de la physiologie
de l’auxine. Une racine placée à l’horizontale perçoit
la gravité exercée de façon perpendiculaire à son axe
et répond à ce stimulus par l’accumulation d’auxine
dans la moitié inférieure de la racine. Dans ce cas, la
forte accumulation d’auxine inhibe la croissance de
la partie inférieure, ce qui entraîne la courbure de la
racine vers le bas. Cette accumulation de l’auxine vers
le bas est le résultat du contrôle de son transport par
des transporteurs transmembranaires d’efflux, qui,
d’un transport polarisé apico-basal, redirigent le flux
d’auxine de façon latérale (Friml et al., 2002).
Les leviers de la régulation
hormonale
Les régulations hormonales de la croissance et du
développement dépendent de plusieurs facteurs
parmi lesquels le contrôle des teneurs dans la plante
occupe une place importante. De façon générale, le
métabolisme des phytohormones est finement régulé
à différents niveaux. Les teneurs en acide abscissique
augmentent par exemple de façon importante suite à la
perception d’un stress hydrique du fait de l’induction
de l’activité de la majorité des enzymes impliquées
dans sa synthèse. Mais ces teneurs sont régulées également au niveau de sa dégradation qui est fortement
induite en cas de réhydratation de la plante. Enfin, bien
que son rôle ne soit pas entièrement élucidé, l’acide
abscissique, comme de nombreuses autres phytohor-
La circulation de signaux peut représenter en tant
que tel un mécanisme complexe comme c’est le cas
dans l’induction de la résistance systémique acquise.
Une plante met en place des réactions de défense de
façon plus rapide et plus massive lors d’une infection
si celle-ci fait suite à une attaque antérieure par un
pathogène. Les défenses induites lors de la première
comme lors de la seconde infection dépendent de la
synthèse d’acide salicylique, mais le signal qui circule
du site d’infection initial vers les autres parties de la
plante est constitué à la fois par de l’acide salicylique
méthylé et une protéine de transport liée à un composé de nature lipidique (Liu et al., 2011). Il s’agit donc
ici d’un signal complexe qui module les capacités de la
plante à répondre à l’attaque d’un pathogène.
Enfin, comme nous l’avons évoqué avec le mécanisme
de la dominance apicale, les régulations hormonales
peuvent mettre en jeu des régulations très locales du
métabolisme hormonal, et la circulation au sein de la
plante n’avoir lieu que sur de très petites distances.
En ce qui concerne les cytokinines, cette absence de
circulation sur de grandes distances peut être mise en
évidence par des expériences de greffe. Les teneurs en
cytokinines d’un génotype sauvage ne sont pas modifiées par la greffe d’un génotype surproducteur, quel
que soit le sens de la greffe (Faiss et al., 1997).
Le troisième niveau de modulation de l’effet des phytohormones concerne la sensibilité des cellules effectrices. Un des exemples significatifs de l’importance
de ce phénomène est de nouveau l’effet de l’auxine sur
l’allongement cellulaire dans les gravitropismes. Les
racines présentent, comme nous l’avons déjà décrit, un
gravitropisme positif alors que les tiges ont un gravi-
11
tropisme négatif qui permet l’orientation de leur croissance vers le haut, particulièrement importante pour
l’émergence hors du sol des jeunes plantules après
la germination. L’auxine et son accumulation vers le
bas sont impliquées dans les deux cas, mais alors que
cette accumulation inhibe la croissance dans la racine,
elle la stimule dans les tiges permettant le redressement de ces dernières. Les effets opposés observés
dans ces deux organes correspondent à une sensibilité très différente de leurs cellules. Les courbes de la
réponse d’élongation à l’auxine montrent un optimum
pour la stimulation et des concentrations plus fortes
deviennent inhibitrices. Les cellules racinaires ayant
une sensibilité à l’hormone environ mille fois plus
grande que les cellules caulinaires, les concentrations
atteintes localement sont inhibitrices dans la racine,
alors qu’elles induisent la croissance dans les tiges
(Petrasek et Friml, 2009).
La connaissance des mécanismes de perception des
signaux hormonaux au niveau cellulaire, clef de la sensibilité des cellules cibles, a progressé de façon spectaculaire ces dix dernières années. Les récepteurs des
phytohormones et leur mode d’action sont désormais
connus dans de nombreux cas. Il n’est pas question ici
de les décrire tous mais il est frappant de constater que,
souvent, l’induction des réponses aux phytohormones
repose sur l’inhibition de protéines inhibitrices de ces
réponses. Ainsi, la liaison de l’acide abscissique à son
récepteur entraîne l’inactivation d’une phosphatase
inhibitrice. La conséquence de cette interaction est le
maintien de l’état phosphorylé d’une protéine kinase
qui active alors différentes protéines responsables des
réponses à l’hormone, aussi bien au niveau de la membrane plasmique que dans le noyau cellulaire. Dans
ce cas, les différentes protéines impliquées appartiennent à des familles multigéniques dont le nombre
assez important de membres permet d’imaginer des
régulations fines de la sensibilité cellulaire (Hubbard
et al., 2010). Dans le cas de la perception de l’auxine,
du jasmonate (dont la forme active est la molécule
conjuguée à de l’isoleucine), des gibbérellines ou des
strigolactones, la liaison de l’hormone à son récepteur
entraîne l’ubiquitination et la dégradation de protéines
inhibitrices des facteurs de transcription dont l’activité déclenche les réponses hormonales (Vierstra et al.,
2009). Ici encore la diversité des protéines impliquées
doit participer aux variations de la sensibilité cellulaire aux signaux correspondants.
12
Des signaux qui sortent des
plantes : la communication
interspécifique
Cette présentation a beaucoup mis l’accent sur la
communication hormonale au sein des plantes dans la
mesure où elle présente des caractéristiques propres
aux végétaux. L’exposé de ces caractéristiques permet
de comprendre les principes des régulations de la croissance et du développement des plantes, en particulier
en réponse aux signaux de l’environnement biotique
et abiotique, qui seront développés au cours de ce colloque. Mais les plantes émettent également des signaux
dans leur environnement qui pourront être perçus par
d’autres organismes et qui seront déterminants dans
les interactions interspécifiques au sein des écosystèmes. Ces interactions pourront être bénéfiques au
développement végétal, comme F. Marion-Poll nous
l’exposera dans le cas des composés organiques volatiles impliqués dans les interactions entre les plantes et
leurs insectes pollinisateurs. Ces composés, de nature
chimique extrêmement variée, sont émis au niveau des
feuilles ou des fleurs et facilitent la reconnaissance des
plantes de façon spécifique par un insecte. Cette spécificité peut même exister au niveau d’une population et
mener à son isolement reproducteur et à la spéciation
(Dudareva et al., 2013). Les plantes sécrètent également de très nombreuses molécules dans leur environnement par les racines. Ces exsudats racinaires
modifient les propriétés physicochimiques du sol
autour des racines et constituent des signaux perçus
en particulier par les microorganismes du sol, bactéries et champignons. La sphère d’influence des racines
ou rhizosphère constitue ainsi un écosystème riche et
particulier. F. Martin détaillera les interactions entre
les racines et les champignons symbiotiques qui aboutissent à la formation des mycorhizes. À l’origine de
ces interactions, la sécrétion par les racines de molécules telles que les strigolactones entraîne la ramification des champignons qui en perçoivent la présence,
augmentant ainsi les chances de contact entre les deux
partenaires (Akiyama et al., 2005). Philippe Delavault
montrera que ce signal, nécessaire à la mise en place
d’une symbiose, peut être détourné par un parasite
et les strigolactones sont également inductrices de la
germination des plantes parasites comme les strigas et
les orobanches.
Les signaux émis par les végétaux ne sont pas tous
constitués de molécules sécrétées dans le milieu mais
peuvent également être de nature physique. Ainsi,
les interactions des plantes avec leurs pollinisateurs
dépendent également des signaux lumineux que
constitue la couleur des fleurs. Il est intéressant de
noter que les insectes, sensibles aux lumières de courte
longueur d’onde dans le proche ultraviolet, perçoivent
des signaux lumineux issus des fleurs auxquels l’œil
humain est insensible. Un signal sonore peut également participer aux interactions entre les plantes et
leurs pollinisateurs. Certes, les végétaux ne possèdent pas d’organe vocal mais ils peuvent renvoyer un
écho particulier perçu par un animal. Ainsi la liane
tropicale Marcgravia evenia, dont la pollinisation est
assurée par une espèce de chauve-souris nectarivore,
développe une feuille en coupelle particulière au-dessus de son inflorescence qui permet l’écholocalisation
de la fleur par le pollinisateur (Simon et al., 2011).
Conclusion
Cette revue rapide des différents signaux impliqués
dans le développement des plantes et dans leurs interactions avec leur environnement a permis, je l’espère,
de montrer la grande richesse des outils de la communication végétale, qu’elle soit interne ou interspécifique. Les phytohormones, du fait de la très grande
pléiotropie de leurs effets et par l’importance de leurs
interactions, ne sont pas exactement équivalentes aux
hormones animales. Leurs actions sont ainsi régulées
non seulement au niveau de leur métabolisme mais
aussi par leur transport et par la sensibilité des cellules
cibles, aspect important de la différenciation cellulaire
chez les plantes. Les exposés de ce colloque nous permettront de détailler plus précisément certaines de ces
régulations dans le cadre du développement végétal,
des réponses aux signaux de l’environnement et des
interactions avec les organismes de l’environnement
dans un contexte de mutualisme ou de parasitisme.
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13
Signaux d’un développement harmonieux
Arnould Savouré, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie
Résumé
Les plantes sont des organismes fi xés. Derrière
cette vérité simple se cachent une complexité de
fonctionnement et une nécessité d’adaptation,
puisque les plantes sont en interaction directe
avec leur environnement. Au cours de l’évolution,
les plantes ont développé des mécanismes de perception de nombreux signaux. Ainsi, les plantes
perçoivent des signaux de natures abiotique et biotique en provenance de leur environnement afin
d’adapter leur métabolisme, leur physiologie et leur
développement. L’intégration de ces signaux et leur
traduction en réponses biologiques leur permettent
d’avoir un développement harmonieux en relation
avec leur environnement. Les plantes sont capables
de moduler leur capacité de croissance et de reproduction en fonction de facteurs physico-chimiques
de l’environnement démontrant ainsi leur extraordinaire plasticité phénotypique. Dans le cadre de
cet exposé, plusieurs exemples de perception de ces
facteurs de l’environnement tels que la lumière, la
température et l‘eau seront développés, qui souligneront la grande diversité de ces mécanismes et le
potentiel qu’ils représentent pour l’agriculture et
l’horticulture.
Les animaux sont capables de percevoir leur environnement, et si celui-ci est défavorable, ils réagissent en
conséquence, souvent par un déplacement. A contrario, les plantes sont fi xées au sol par leurs racines et
paraissent immobiles. Les plantes sont donc dépendantes des ressources de leur environnement immédiat pour pouvoir se développer et fructifier. Pour faire
face à l’extrême dilution de leurs ressources nutritives,
elles ont dû augmenter leur surface d’échanges aux
niveaux aérien et racinaire. La plante et la plupart de
ses cellules sont directement exposées aux changements des conditions environnementales qui peuvent
être de deux natures distinctes : facteurs abiotiques
(ou physico-chimiques) et/ou facteurs biotiques.
Parmi ces facteurs abiotiques, on peut citer le manque
d’eau, la salinisation des sols, la pollution de l’air ou les
températures infra- ou supra-optimales. Ces facteurs
deviennent alors des contraintes pour le développement de la plante.
14
On a longtemps cru les plantes incapables de percevoir
leur environnement. Ce sont les travaux précurseurs
de Charles Darwin avec son fi ls Francis au XIXe siècle,
qui ont montré que des jeunes graminées se courbent
vers la source lumineuse. Depuis, de nombreux travaux
ont mis en évidence la capacité des plantes à percevoir
des stimuli de natures diverses tels que la lumière,
la température, la gravité... C’est probablement cette
capacité des plantes mise en place au cours de l’évolution qui leur a permis, notamment les plantes à fleurs
(Angiospermes), de coloniser l’ensemble des biotopes
présents sur la terre.
Quels sont les mécanismes
impliqués dans la perception de
facteurs environnementaux ?
Les plantes sont capables de moduler leur capacité de
croissance et de reproduction en fonction de facteurs
physico-chimiques de l’environnement démontrant
ainsi leur extraordinaire plasticité phénotypique.
L’intégration de ces signaux et leur traduction en
réponses biologiques leur permettent d’avoir un développement harmonieux en relation avec leur environnement. Dans le cadre de cet exposé focalisé sur les
plantes à fleurs ou angiospermes, plusieurs exemples
de perception de ces facteurs de l’environnement tels
que la lumière et la température seront développés
après quelques rappels sur la spécificité du développement végétal pour souligner la grande diversité de
ces mécanismes et le potentiel qu’ils représentent pour
l’agriculture et l’horticulture.
Spécificités du développement
végétal versus développement
animal
Le développement animal et végétal passe dans les
deux cas par la formation d’un embryon provenant
du développement d’un zygote issu lui-même de la
fécondation : fusion d’un gamète mâle et d’un gamète
femelle. Cependant, le développement chez ces deux
groupes d’organismes présente des différences fondamentales dans leur déroulement.
Chez les animaux, les différents tissus et organes sont
formés au cours de l’embryogénèse. L’ensemble conduit
à la formation d’un embryon représentant une version
miniature de l’organisme adulte. Le plan d’organisa-
tion se met en place au cours de ce développement
embryonnaire. En effet, l’embryon possède sous une
forme simplifiée la plupart des futurs organes et tissus
de la forme adulte. Le développement postembryonnaire consiste essentiellement en une augmentation de
la taille des organes et leur maturation.
À la différence du développement animal qui est prédéterminé, les plantes, grâce à la persistance de tissus
embryonnaires appelés méristèmes, peuvent adapter
leur développement et leur croissance en fonction de
leur environnement tout au long de leur vie. Le développement de la plante est donc caractérisé par un
développement postembryonnaire.
Le développement embryonnaire des végétaux conduit
à la mise en place d’un certain nombre de structures
architecturales incontournables. La première division du zygote est asymétrique et conduit à la formation d’un axe apico-basal nécessaire à l’initiation
des organes. L’embryon formé situé dans la graine
est relativement simple, avec une morphologie bien
conservée entre espèces. Il comprend un axe racinetige avec des feuilles primordiales, les cotylédons (un
chez les monocotylédones et deux chez les dicotylédones). Il possède en particulier 2 méristèmes dits
primaires : le méristème apical caulinaire et le méristème apical racinaire. Cette structure ne présage en
rien de l’organisation de la plante adulte. En effet,
chez les végétaux, la morphogenèse se poursuit durant
toute la vie de la plante. La phase du développement
embryonnaire est réduite et le développement postembryonnaire est complexe. Après la germination de la
graine, l’embryon se développe selon un mode itératif qui va consister à mettre en place de façon répétée
des modules identiques (phytomères pour la partie
aérienne) pour donner naissance à la forme adulte de
la plante. Le méristème apical caulinaire va donner
naissance à la partie aérienne de la plante, alors que
le méristème racinaire donnera naissance au système
racinaire. Ce développement itératif va se poursuivre
tout au long de la phase végétative. Puis, lorsque la
plante atteint un stade de développement adulte avec
des conditions environnementales favorables, l’apex
de la plante entame sa transition florale pour que la
plante entre dans une phase reproductive. C’est pendant ces phases végétatives et reproductives que se fait
la mise en place de nombreux organes (feuilles, racines
et rameaux secondaires, fleurs…).
En ce qui concerne la gamétogenèse, il n’y a pas chez
les plantes une lignée germinale dont les cellules pourraient être suivies depuis l’embryon jusqu’à la plante à
l’état reproducteur.
Des cellules apicales (situées aux sommets ou apex)
qui participent à la croissance de la plante changent de
potentialité en donnant des organes reproducteurs de
structures variées, mais contenant une ou des cellules
qui subissent une maturation sexuelle avec notamment la réduction du gamétophyte.
Le processus de migration cellulaire joue un rôle
important dans le développement chez l’animal. Ce
phénomène est important pendant le développement
embryonnaire durant des processus incluant la morphogenèse, l’angiogenèse et l’agencement des neurones dans le système nerveux. La migration cellulaire
n’existe pas chez les plantes.
Le développement de la plante est sous le contrôle de
facteurs externes et internes. Il est essentiel pour la
plante de percevoir les fluctuations de son environnement, même infimes, pour qu’elle puisse moduler son
développement en fonction.
Les signaux chez les plantes
Au cours de l’évolution et de la conquête du milieu
terrestre il y a environ 470 millions d’années, les
plantes ont mis en place de remarquables mécanismes
d’adaptation aux variations des facteurs du milieu. La
perception des stimuli d’origine interne (phytohormones) ou externe (nature physico-chimique), c’està-dire l’identification de leur nature, de leur durée et
de leur intensité, s’effectue par des récepteurs qui les
traduisent en signal biochimique. Ces récepteurs sont
localisés dans les membranes ou bien dans le cytosol. Après sa perception, le signal reçu est amplifié et
redirigé vers d’autres effecteurs cibles pour déclencher
la réponse appropriée. Ce transfert de l’information
dans la cellule est effectué par l’intermédiaire de
relais qui peuvent être de nature hormonale, protéique
(protéines kinases, protéines phosphatases…) ou lipidique (phosphoinositides, acide phosphatidique…)
ou par des seconds messagers (calcium, phospholipides, espèces réactives de l’oxygène…). Ces effecteurs
ont pour cibles des protéines de réponse comme des
aquaporines, des canaux ioniques, des éléments du
cytosquelette ou bien des facteurs de transcription
impliqués dans la mise en place d’un programme de
réponse qui se manifeste par un ensemble de modifications biochimiques, physiologiques et moléculaires
(expression ou répression de certains gènes).
À la différence des récepteurs hormonaux dont beaucoup ont été identifiés et caractérisés récemment,
très peu de connaissances sont disponibles sur les
récepteurs impliqués dans la perception de facteurs
de l’environnement. Les plantes possèdent la capacité
de percevoir des modifications, parfois infimes, d’une
caractéristique de l’environnement qui constitue le
signal qui déclenche une cascade de réactions moléculaires aboutissant au franchissement d’une étape de
leur cycle de développement ou la mise en place d’une
adaptation.
15
Chez les animaux, les stimuli physiques ou chimiques
sont captés par des cellules particulières et traduites
en signaux électriques : l’influx nerveux. Ce dernier
est acheminé jusqu’à un système nerveux central,
le cerveau ou la moelle épinière, où il est intégré à
d’autres informations pour former une perception de
l’environnement extérieur. Chez les plantes, les scientifiques ont montré que les perceptions et les réactions
qui s’ensuivent reposent à la fois sur des mécanismes
locaux et sur la circulation d’hormones et de signaux
électriques comparables, dans une certaine mesure, à
l’influx nerveux.
Comme nous le verrons par la suite, certains des
mécanismes en jeu ont été élucidés au cours des dernières années.
La lumière
La lumière joue un rôle essentiel dans le contrôle du
développement de la plante. La lumière, en plus d’être
une source d’énergie, est perçue en tant que signal
qui va entraîner une réponse biologique de la plante.
L’action de la lumière sur le contrôle du développement de plante est appelée photomorphogénèse. Les
quantités d’énergie mises en jeu sont très faibles, de
l’ordre de 0,1 μmol.m-2.s-1, 10 à 50 fois moins que
celles impliquées pour la photosynthèse. Les plantes
sont capables de capter la lumière en fonction des différentes longueurs d’ondes de celle-ci. Les premiers
photorécepteurs impliqués dans la perception de la
lumière ont été découverts il y a plus de 30 ans.
16
Cependant c’est aux XIXe et début du XXe siècles que
les travaux de Charles Darwin et de son fi ls Francis
(1880) sur l’avoine (Avena sativa L.), le Français
Tournois (1912) sur le chanvre (Cannabis sativa) et de
l’Allemand Klebs (1913) sur la joubarbe (Sempervirum
tectorum) ont montré l’importance de la lumière
sur le développement des plantes. C’est en 1946 que
Borthwick (phytomorphologiste) et Hendricks (physicien), sur la base des expériences des Américains
Garner et Allard sur la floraison du soja (Glycine max)
et du tabac (Nicotiana), et de Flint et McAlister sur
la germination d’akènes de laitue, ont admis que le
mécanisme en jeu était similaire et sous la dépendance
d’un seul pigment qu’ils ont appelé phytochrome. Ce
pigment ne sera identifié que 40 ans plus tard. Le phytochrome est une apoprotéine sur laquelle se fixe un
chromophore. Le chromophore des phytochromes
est constitué d’une chaîne ouverte de tétrapyrrole qui
absorbe dans la partie rouge/rouge lointain du spectre
lumineux. Il existe deux formes d’un même pigment,
l’une active à la suite d’une exposition en lumière
rouge clair (besoin de très peu d’énergie) appelée PFR,
qui induit une cascade de phosphorylations activement étudiée, l’autre inactive qui prend naissance sous
l’action du rouge sombre appelée Pr. Les deux formes
sont photoconvertibles.
Plusieurs phytochromes ont été identifiés chez les
plantes : Arabidopsis possède par exemple cinq phytochromes. Les phytochromes sont des photorécepteurs de type histidine kinase dérivant des systèmes
de régulation dits « à deux composants » très représentés chez les bactéries. Ces phytochromes jouent
un rôle important dans l’adaptation des plantes à leur
environnement, et en particulier dans une diversité de
processus tels que la germination de graines de nombreuses espèces, l’élongation de la plantule et la mise
en place de l’appareil photosynthétique se manifestant
par le verdissement des cotylédons et le contrôle de la
floraison de certaines espèces photosensibles.
Il existe une deuxième classe de photorécepteurs, les
cryptochromes, découverts en 1994. Ils interviennent
dans de nombreux processus liés au cycle circadien
(jour/nuit) et dans le processus d’élongation de la
plantule. Ils absorbent dans la partie bleue du spectre
lumineux. Les cryptochromes présentent des similitudes de séquence avec les photolyases bactériennes et
les cryptochromes présents chez les vertébrés.
Enfin, troisième classe de photorécepteurs, les phototropines ont été plus récemment mis en évidence : ils
sont impliqués dans le phototropisme ou courbure de
la plante vers la source lumineuse et dans l’ouverture
des stomates.
La régulation des flux d’eau
dans la plante
Les stomates correspondent à des petites ouvertures
situées sur la face supérieure et/ou inférieure des
feuilles, qui permettent de réguler les pertes d’eau
par transpiration mais aussi de contrôler les échanges
gazeux entre O2 et CO2 pour la photosynthèse. Chez
les dicotylédones, ils sont constitués par une paire de
cellules en forme de rein appelées cellules de garde, qui
délimitent un pore ou ostiole, au travers de l’épiderme.
Quand la turgescence des cellules de garde augmente,
le diamètre de l’ostiole grandit, ce qui entraîne l’ouverture de l’ostiole (environ 10 μm chez A. thaliana). Les
stomates, lorsqu’ils sont ouverts, mettent en relation
les espaces intercellulaires (méats, lacunes) des parenchymes avec l’atmosphère.
L’ouverture des stomates est en partie sous le contrôle
de la lumière bleue par l’intermédiaire des phototropines (Goyal et al., 2013). L’activation de celles-ci
entraîne une stimulation des pompes à protons. Le
gradient de protons ainsi formés permet l’entrée de K+
et d’anions dans la cellule qui conduit à un abaissement de potentiel hydrique. L’entrée massive d’eau est
alors favorisée, entraînant la turgescence de la cellule
de garde et donc l’ouverture de l’ostiole.
Le contrôle de l’ouverture et de la fermeture des stomates est donc essentiel pour la physiologie et le développement de la plante. Il fait appel à des mécanismes
finement régulés permettant ainsi à la plante de limiter ses pertes en eau, tout en conservant une activité
photosynthétique.
La perception du froid
Les plantes ont développé la capacité de percevoir des
températures froides et élevées mais très peu d’informations est disponible à l’heure actuelle sur ces systèmes de perception. Plusieurs études indiquent que la
rigidification ou l’état physique de la membrane plasmique serait l’événement premier qui déclencherait le
processus de transduction du signal froid.
Chez certaines espèces des régions tempérées telles
que le blé d’hiver, ou l’épinard, une exposition au
froid modérée permet la mise en place d’un programme d’adaptation aussi appelé endurcissement.
L’endurcissement a pour but de préparer la plante à
subir le stress des températures basses ; c’est un processus qui est déclenché par la perception du froid et
qui est mis en place rapidement (de l’ordre de la minute
à quelques heures).
Conclusions
Bien que quelques-unes des réponses adaptatives des
plantes à des facteurs de l’environnement soient bien
caractérisées aux niveaux moléculaire et physiologique, l’étude des voies de signalisation impliquées
dans la perception de ces stimuli est beaucoup plus
récente et fait actuellement l’objet de recherches
intensives. Les plantes apparaissent posséder des
mécanismes de perception multiples, originaux et
très sophistiqués, qui leur permettent d’avoir un développement harmonieux en fonction des facteurs de
l’environnement et de leurs fluctuations. La compréhension de ces mécanismes est une étape essentielle
pour améliorer la production et la qualité des plantes
pour l’agriculture mais également pour l’horticulture.
Références
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response in Arabidopsis. Cell 140, 136–147
Les plantes sont également capables de percevoir
des variations de température de moins de un degré
! Cette sensibilité leur permet de se développer et de
fleurir dans des conditions optimales. Récemment, S.
Vinod Kumar et P. Wigge ont décrypté les mécanismes
de la thermosensibilité d’Arabidopsis thaliana (Vinod
Kumar et al., 2010). Ils ont mis en évidence que cette
thermosensibilité est liée aux variations d’enroulement de l’ADN (chromatine) sur lui-même contrôlées
par la présence d’une protéine, l’histone H2A.Z. Cet
enroulement varie selon la température et agit comme
un régulateur de l’expression de dizaines de gènes. Le
même effet a été observé chez la levure, indiquant que
ce mécanisme a été conservé au cours de l’évolution.
Ces travaux constituent une piste intéressante pour
augmenter la faculté d’adaptation d’espèces de culture
aux variations climatiques.
17
La communication interne chez les plantes en
réaction aux stress environnementaux
Thierry Améglio, INRA, UMR 547 PIAF - Clermont Université, Université Blaise
Pascal, UMR 547 PIAF
Résumé
Les plantes sont sensibles aussi bien aux informations extérieures qu’à celles, intérieures, qui
les renseignent sur leur état. Elles perçoivent les
variables physiques de leur environnement (eau,
gravité, température, lumière, vent) et en retirent
de nombreuses informations afin d’adapter leur
croissance face à la présence de leurs congénères,
des déformations mécaniques, vis-à-vis de la sécheresse ou des saisons. Ces contraintes environnementales sont autant de facteurs de stress auxquels
elles s’adaptent pour survivre et se développer. En
sachant les « écouter » ou les canaliser, nous arrivons parfois à en tirer un bénéfice pour nos activités
horticoles ou industrielles. Sans chercher l’exhaustivité des réponses, cette présentation donnera
quelques exemples de perception de ces variables
environnementales et leur traduction sous forme
d’action biologique ou physiologique à l’intérieur
de la plante et entre ses différents organes. Elle
cherchera également à montrer quelques exemples
pratiques de l’utilisation de cette perception dans
le cadre horticole (alternative au tout chimique en
production sous serre ; agriculture de précision
et pilotage de l’irrigation) et industrielles (mécanismes de défense des plantes et production de
latex).
Introduction
Les plantes peuvent percevoir leur environnement
proche. Elles disposent de capacités de perception
comparables à celles des animaux mais beaucoup plus
diff uses (Lenne et al. 2013). Leurs cellules sont sensibles aux variables de l’environnement (eau, lumière,
gravité, pression mécanique, température, vent), qui
contrôlent de nombreux aspects de la physiologie des
plantes et en tout premier leur croissance. La croissance cellulaire est donc la résultante de flux internes
(eau, sucres) associée à ces variables de l’environnement qui orientent aussi bien la vitesse de croissance,
la localisation de la croissance, que les arrêts de
croissance.
18
Ainsi, pour l’orientation de la croissance d’un organe
(racines, tiges, feuilles, fleurs…) en réaction à une
anisotropie du milieu pour la lumière ou la gravité,
on parle de tropisme. Ces tropismes (phototropisme,
héliotropisme ou gravitropisme) correspondent aux
résultats d’une croissance inégale des deux côtés d’un
organe, ce qui entraîne une courbure de celui-ci.
Croissance cellulaire et croissance orientée
Les cellules végétales possèdent généralement une
grande vacuole favorisant les échanges osmotiques,
c’est-à-dire une diff usion de l’eau à travers la membrane cellulaire du milieu le moins concentré en composés divers (l’extérieur de la cellule) vers le milieu le
plus concentré (l’intérieur de la cellule). Elles sont également entourées d’une paroi pecto-cellulosique qui
leur confère un cadre semi-rigide et les maintient sous
pression. Cette pression dite de turgescence, qui peut
atteindre jusqu’à dix fois la pression atmosphérique,
est le moteur hydro-osmotique de la croissance cellulaire. Ce moteur fonctionne grâce à divers mécanismes
agissant sur la concentration des cellules en composés ayant un rôle osmotique. On parle de composés
osmotiques (ou osmoticum), qui modifient cette pression hydrostatique interne, comme peut le faire par
exemple le fonctionnement de pompes ioniques qui
transportent des ions à travers la membrane cellulaire.
Lors de la réponse phototropique, pour permettre à la
plante d’accéder au meilleur ensoleillement possible
pour assurer la photosynthèse, la lumière agit sur des
photorécepteurs en déclenchant, par un mécanisme
qui reste à préciser, la relocalisation des transporteurs
membranaires d’auxine sur les faces latérales des
cellules, du côté opposé à la lumière. Cette hormone
induit ainsi l’élongation des cellules du côté le moins
illuminé, pour provoquer une incurvation du tissu
végétal vers la source lumineuse. Mais les plantes sont
aussi capables de voir leurs voisines. Ainsi, lorsqu’elles
reçoivent une lumière caractéristique de celle réfléchie
par les tissus chlorophylliens des végétaux, les plantes
situées à proximité s’en écartent (leur croissance
s’oriente dans la direction opposée) ou parfois elles
accélèrent leur croissance en hauteur afin d’éviter que
leurs voisines ne leur fassent trop d’ombre.
Les plantes sont aussi sensibles aux sollicitations
mécaniques naturelles comme le vent qui agit en
ralentissant la croissance en hauteur au profit de la
croissance racinaire (ex. meilleur ancrage d’un arbre
de plein champ par rapport à un arbre en forêt ;
Coutand et al. 2008) ou la croissance secondaire (ex.
plante plus trapue et moins élancée). Ces facultés de
modifier la croissance en réaction aux sollicitations
« mécaniques » se nomment la thigmomorphogénèse (modification de la forme par le toucher) et sont
aujourd’hui des propriétés utilisées pour le tuteurage
des arbres en ville (système souple, non rigide, permettant une certaine sollicitation de l’arbre par le vent) ou
dans des productions horticoles comme alternatives
aux « raccourcisseurs » chimiques (ex. potée florale de
mini-rosier ; Morel et al. 2012).
Dans les cas de gravitropisme, comme pour le
tronc d’un arbre mature poussant dans une pente
et s’arquant lentement par la base pour retrouver la
verticale, le moteur n’est plus hydro-osmotique. La
dimension des cellules à la base du tronc ne varie plus
et seule une croissance secondaire différentielle entre
les 2 faces du tronc peut alors provoquer l’incurvation.
Ainsi, chez les feuillus, le redressement est provoqué
par la fabrication d’un bois spécial, dit de tension, dont
les fibres se rétractent peu à peu. Comme ce bois spécial ne se dépose que d’un côté, il forme une sorte de
hauban interne, qui entraîne la flexion de l’arbre. Là
encore, comme dans le phototropisme, la croissance
différentielle pour former ces bois spéciaux est liée à la
distribution différentielle des transporteurs d’auxine,
mais les mécanismes qui provoquent cette migration
restent à élucider. Néanmoins, ils doivent être liés à
la capacité des plantes à percevoir la verticale par des
cellules spécialisées, les statocytes, qui contiennent
des grains d’amidon, les statolithes, plus denses que
le cytoplasme environnant. D’une taille de l’ordre du
micromètre, ces grains se déposent sous l’action de
la gravité sur le fond de la cellule. Lenne et al. (2014)
imagent le rôle de ces statolithes comme de « petits
sabliers cellulaires qui indiquent le sens de la gravité » aux plantes analogues à la perception humaine
de la gravité par « de petites concrétions minérales de
carbonate de calcium, aussi nommées statolithes (ou
otolithes), inclus dans le liquide visqueux des canaux
de l’oreille interne » et qui déclencheraient un signal
électrique en pesant sur les cellules ciliées excitables
de l’oreille interne. Ce signal électrique transmis au
cerveau renseignerait ce dernier sur la position du
corps dans l’espace.
Des perceptions coordonnées
des signaux chez les plantes
Les biomécaniciens des plantes considèrent que le
poids des statolithes (ex. grains d’amidon) sur le fond
des cellules, ainsi que celui de la cellule appuyant sur
la paroi qui l’entoure, provoqueraient l’ouverture de
canaux mécano-sensibles, la modification de courants
ioniques locaux et in fine la redistribution des transporteurs d’auxine. Cependant, les récents travaux de
Bastien et al. (2013) ont montré que cette sensibilité à
la gravité ne suffit pas à expliquer les caractéristiques
exactes du redressement gravitropique des tiges. Dans
cette étude, ces chercheurs ont simulé le redressement
sur ordinateur, en supposant que le mouvement n’était
piloté que par la perception de l’écart angulaire de la
tige par rapport à la verticale. Pour obtenir l’alignement sur la direction de la gravité observée dans la
nature, il leur a fallu supposer que la courbure est rectifiée en continu et en tout point de la tige, c’est-à-dire
Figure 1 : Exemple de stimulation mécanique à l’aide d’une barre en pvc qui fléchit 5 fois par jour les apex de jeunes plants
de rosiers et résultat final après 95 sollicitations mécaniques sur le port plus trapu des plants de rosier par comparaison aux
plants témoins (Morel et al. 2012).
19
qu’un mécanisme correcteur permettant à la plante de
contrôler sa posture doit exister en tout point de la tige.
Il s’agirait donc d’un phénomène de proprioception
(perception de la configuration géométrique du corps)
fondé chez les plantes sur des mécanismes locaux et
non sur un traitement nerveux central comme chez
les animaux. Ainsi, après avoir incorporé cette caractéristique de proprioception à leur modèle, les chercheurs ont simulé le redressement de 11 espèces de
plantes à fleurs terrestres, qu’ils ont fi lmé et quantifié
par ailleurs. Leur simulation a reproduit fidèlement le
redressement de toutes les tiges, de la minuscule germination du blé aux troncs de peupliers (Bastien et al.,
2013). Ainsi, la coordination de millions de cellules
motrices est possible par la combinaison d’une perception locale de l’inclinaison et de la déformation (la
courbure) des cellules. C’est une nouvelle preuve que
les plantes sont capables d’intégrer plusieurs signaux
et ne se contentent pas d’une réponse réflexe déclenchée par un stimulus unique, comme on le pensait
récemment encore.
Ainsi, les plantes réajustent leur posture en permanence, en réponse à plusieurs types de signaux, telles
la lumière, la gravité et la déformation. L’ensemble
des signaux perçus sont intégrés pour conduire à une
coordination des mouvements. L’étude des mécanismes en jeu demande des analyses allant de l’échelle
moléculaire à celle de la plante entière, et associant
biologistes, mécaniciens et physiciens. On commence
seulement à comprendre les réseaux de signalisation et
de régulation impliqués dans la coordination des mouvements végétaux. En particulier, l’auxine qui semble
jouer un rôle important pour traduire les perceptions
en croissance orientée en interaction avec d’autres
signaux (courants ioniques, potentiels d’action, hormones). Lenne et al. (2014) soulignent « l’originalité et
l’élégance des mécanismes développés par l’évolution
végétale » où un nombre restreint de types cellulaires
disposés dans l’ensemble de la plante assurent à la fois
la fonction de « squelette » et de « moteur » et où les «
influx nerveux » sont transportés par voies vasculaires.
20
Flux interne et état
physiologique
Ces flux internes qui véhiculent l’information et traversent le végétal en irrigant l’ensemble de ses cellules
sont des flux vasculaires. On parle de flux ascendant
de sève brute ou sève xylémienne, très diluée (eau et
sels minéraux) et de flux descendant de sève élaborée
ou sève phloémienne, chargée en sucres issus de la
photosynthèse foliaire.
Le moteur de ce flux ascendant et l’évaporation de
l’eau au niveau des feuilles : la transpiration. Cette
transpiration dépend des conditions climatiques :
plus il y a de soleil (c’est lui la source majeure d’énergie de ce moteur ascensionnel), plus l’air est sec, plus
il y a de vent, plus la température est élevée, plus la
transpiration « potentielle », celle qui dépend seulement des facteurs climatiques, sera élevée. La figure 2
ci-dessous montre, pour deux journées différentes, la
relation entre la courbe d’énergie lumineuse du soleil
qui arrive sur les feuilles et la transpiration foliaire.
La transpiration foliaire dépend aussi du degré
d’ouverture des stomates. Ces minuscules pores
(quelques centièmes de mm) à la surface des feuilles
sont les ouvertures par lesquelles la vapeur d’eau
quitte les feuilles. En dehors d’eux, la feuille est
complètement isolée de l’air extérieur par une couche
particulière, la cuticule, quasiment imperméable. S’il
n’en était pas ainsi, l’intérieur de la feuille qui est très
humide (de l’ordre de 98 % d’humidité) se dessècherait
en quelques minutes. L’ouverture des stomates varie
d’une part en fonction des conditions climatiques,
d’autre part en fonction de nombreux facteurs
biologiques. Ils s’ouvrent à la lumière, restent ouverts
si l’humidité de l’air ou du sol est satisfaisante, si la
concentration de gaz carbonique de l’air est élevée.
Ils ont tendance à se fermer quand l’humidité de l’air
ou du sol décroît, quand la température est élevée,
quand il fait nuit ou encore lorsque l’état hydrique des
feuilles se détériore. Ils se ferment également en cas de
Figure 2 : montrant pour deux journées, l’une sans
nuage (à gauche), l’autre avec passage nuageux,
à quel point la transpiration d’un jeune arbre
(exprimée en grammes d’eau évaporée par minute)
est dépendante du rayonnement solaire (exprimé
en watts par m-2) ; Améglio et al. (1992).
nutrition minérale très déficiente, ou en présence de
pollution atmosphérique.
Par ailleurs, les stomates servent de porte d’entrée au
gaz carbonique de l’air nécessaire à la photosynthèse.
Ainsi, la photosynthèse foliaire, qui conduit à
fabriquer les sucres de la sève descendante, ne peut se
faire que si les stomates sont ouverts. De ce fait, selon
les conditions climatiques, mais aussi les réserves en
eau du sol et l’étendue de son feuillage, la plante va
transpirer de quelques litres à quelques centaines de
litres d’eau par jour dans le cas d’un arbre.
La mesure continue de la
croissance à l’« écoute » des états
physiologiques d’une plante
Mais la plante n’a presque pas d’autonomie hydrique.
Elle doit tirer du sol des quantités d’eau voisines de celles
qu’elle perd au même moment par la transpiration.
Si la quantité d’eau qu’elle peut absorber dans le sol
n’est pas voisine de la quantité d’eau qu’elle perd par
transpiration, la plante ne pourra pas longtemps
combler la différence en puisant dans ses réserves en
eau que représente l’ensemble de ses cellules. Elle sera
donc contrainte de fermer ses stomates pour éviter
de se dessécher de façon irréversible. Les stomates
constituent donc et de loin le mécanisme le plus
efficace et le plus rapide dont dispose la plante pour
lutter contre la sécheresse.
Ainsi, la transpiration dépend principalement, on l’a
dit, de la quantité d’énergie qui arrive sur les feuilles en
provenance du soleil. Comme cette quantité augmente
régulièrement avec l’ascension du soleil dans le ciel, les
variations de la transpiration « potentielle » suivent
celles de la hauteur du soleil. L’absorption, quant à elle,
suit la transpiration mais avec un certain décalage (dû
aux effets des réserves d’eau de la plante). On a donc
pour une journée ensoleillée, une première partie le
matin, durant laquelle l’absorption reste inférieure à la
transpiration, entraînant une perte d’eau des cellules
de la plante se traduisant notamment par une réduction
de dimension des organes (ex. diamètre du tronc dans
la figure 3). L’après-midi au contraire, l’absorption
dépasse à chaque instant la transpiration qui décline :
la plante se réhydrate jusqu’en fin de nuit et présente
pour de belles journées une croissance apparente
corrélée à son fonctionnement photosynthétique.
a)
b)
Figure 3 : Mesure continue de croissance en diamètre
à partir du biocapteur PépiPIAF (Forest Future, Nancy,
France) - a) la figure 1a présente le téléchargement à
distance des données du biocapteur PépiPIAF. Celuici est installé sur le tronc d’un hévéa « industriel » et
les données sont récupérées grâce à une transmission
sans fil entre un PC portable équipé d’un boîtier USB
receveur et le biocapteur. Les données (figure 3b) sont
présentées sur quatre journées successives, où l’on
peut visualiser une croissance journalière apparente
(CJ) pour chaque journée avec un cumul de 200 cm de
croissance apparente pour ces 4 journées. On visualise
également une amplitude maximale de contraction
(AMC) pour chaque journée, d’autant plus importante
que la demande climatique est importante. Cette AMC
traduit l’utilisation des réserves hydriques de l’écorce
pour soutenir la transpiration (Daudet et al. 2004).
21
(létal au-delà de 45 °C pour la majorité des espèces)
peut entraîner rapidement l’apparition de brûlures du
feuillage et la chute précoce des feuilles. La plante, ne
pouvant plus photosynthétiser, puise donc dans ses
réserves de carbone pour vivre, au moment même où,
dans le cas des pérennes, elle devrait au contraire les
accroître pour passer l’hiver. Là encore, l’expert ou le
chercheur, qui sait analyser à temps ces « appels au
secours » donnés par la plante, comme l’élévation de
la température de son feuillage, pourra intervenir à
temps pour déclencher une irrigation salvatrice.
Figure 4 : Impact de la saignée sur la croissance radiale
de l’hévéa (Silpi et al. 2006).
Le suivi en continu de la croissance et des déformations
d’un organe est un enregistrement très fin des interactions entre la plante et son environnement physique
(stress hydriques, thermiques, physiologiques…) voire
biotique (défoliateurs, maladies foliaires…). Ce type de
mesures largement répandu en recherche aujourd’hui
est une clé de communication très intégrative de la vie
du végétal et de son développement. La technologie
moderne sans fi l, autonome et miniaturisée (Henno
J., 2009) permet de suivre ce développement et ses
contraintes dans des environnements divers et variés,
en particulier au service de l’arbre urbain ou industriel
et ses applications potentielles sont donc multiples et
concernent tout type de plante.
Sécheresse et température
Lorsque l’eau du sol vient à manquer, le végétal ferme
alors ses stomates. Il stoppe progressivement sa transpiration et, si la transpiration diminue, c’est aussi le
cas de l’activité photosynthétique, puisque le CO₂ de
l’air pénètre également par ces stomates. Les croissances primaire et radiale se trouvent alors affectées.
Lorsque le phénomène de sécheresse est ponctuel et
que les apports d’eau recommencent après quelques
jours, le végétal peut s’hydrater à nouveau et reprendre
sa croissance. Si la sécheresse s’accompagne de températures élevées, les conséquences seront plus dommageables pour la plante. En effet, la baisse de la
transpiration permet de juguler les pertes en eau, mais
elle ne permet plus une bonne régulation thermique
du végétal. La température des feuilles augmente de
plusieurs degrés par rapport à ce qu’elle serait si les
stomates restaient ouverts. L’échauffement des tissus
22
La sécheresse extrême et la création d’embolie gazeuse
Mais d’autres dommages plus irréversibles guettent
la plante si la sécheresse se prolonge. Les risques
d’embolie gazeuse deviennent alors particulièrement
importants. En effet, la sève xylémienne étant tirée
par le haut par l’évaporation foliaire, et non poussée
par le bas (ce qui ne peut arriver que pendant les rares
périodes où la pression racinaire peut s’exercer : air
saturé ou période avant le débourrement pour certains
arbres ou la vigne), elle est sous « tension » c’est-à-dire
sous pression négative. Grâce aux forces capillaires qui
s’exercent au niveau des minuscules surfaces d’évaporation, dans les feuilles, la sève xylémienne monte sans
problème jusqu’au sommet des plus grands arbres (110
m environ). Mais le risque majeur de cet état de tension est l’entrée d’air par cavitation dans les vaisseaux
du bois, qui conduit à l’embolie gazeuse du système
vasculaire. Cette entrée d’air bloque la circulation de
la sève brute dans le vaisseau embolisé. Plus le nombre
de vaisseaux embolisés est grand, plus la circulation
de la sève peut être affectée. Ce risque est d’autant plus
grand que les conditions climatiques conduisent à une
transpiration potentielle forte et que le sol est pauvre
en eau. Cependant, la vulnérabilité à l’embolie varie
selon les espèces : les peupliers, les saules, les noyers
sont bien plus vulnérables à l’embolie estivale que les
chênes méditerranéens ou les cèdres. Entre ces extrémités se trouvent le hêtre, le frêne et des conifères
comme le pin sylvestre. Les chercheurs ont trouvé des
méthodes pour phénotyper les espèces sur ce critère
de vulnérabilité à l’embolie gazeuse (Cochard et al.
2005) en reproduisant la sécheresse et l’état de tension
des colonnes d’eau dans le végétal par la centrifugation progressive des rameaux et en mesurant simultanément la perte de conductivité de ces rameaux
(vaisseaux du xylème remplis d’air : système Cavitron).
a)
b)
Figure 5 : -a) Création d’un nouvel outil : le Cavitron, permettant de créer et mesurer l’embolie par centrifugation et de
reproduire en quelques minutes l’effet d’une sécheresse édaphique sur la formation de l’embolie. Cochard et al. 2005. -b)
Exemple de détermination au Cavitron du P50 (pression négative de la sève provoquant 50 % d’embolie) chez différentes
espèces classées selon un indice d’aridité de leurs milieux (Rameau et al., 1989, 1993). Compilation de travaux d’Hervé
Cochard (UMR PIAF, INRA).
« Ecouter » les cris d’alarme
des plantes lors de leurs
dépérissement : la détection
acoustique de la cavitation
Ainsi les risques de cavitation et d’embolie sont les
stades à ne pas franchir afin d’éviter le dépérissement
du végétal. Ces stades ultimes sont d’ailleurs les seuls
où la plante rentre en communication directe avec
l’expérimentateur. Les végétaux dans ces conditions
nous « parlent », en émettant des sons, des ultrasons que
nous pouvons écouter avec des appareils acoustiques
dédiés à ces mesures. Cette technologie n’est pas si
récente que cela (Milburn & Johnson, 1966), mais
les progrès technologiques récents, là encore nous
donnent un nouveau regard sur ses mesures et devrait
nous conduire à de nouvelle découverte dans un futur
proche. Nous venons en particulier, de monter que ces
émissions acoustiques se produisent également lors de
la prise en glace de l’eau dans les arbres soumis à des
cycles gel-dégels (Charrier et al. 2014 ; Figure 6) qui
provoquent également la création d’embolie gazeuse,
encore appelée embolie hivernale. Ce mécanisme de
dépérissement est le processus majeur qui limite la
progression en altitude des arbres et qui varie selon
les espèces. En fait les ultra-sons émis par la plante
ne sont mesurés que pendant le gel, lors de la prise en
glace de la sève du xylème et non durant le dégel. Le
blocage des vaisseaux du xylème par embolie gazeuse
à l’opposé se produirait uniquement au dégel (CharraVaskou et al., non encore publié).
Figure 6 : -a) Dynamique d’accumulation des émissions
ultrasoniques au cours d’un cycle gel-dégel jusqu’à -40
°C (ligne noire par paliers de 5 °C). Les ultrasons ne sont
émis que durant le gel (Charrier et al. 2014).
Ainsi, il y aurait création des bulles d’air lors du gel et
expansion de cet air dans les vaisseaux au dégel. Les
mécanismes qui produisent l’embolie estivale liée à la
sécheresse et l’embolie hivernale liée au cycle gel-dégel
seraient de même ordre. Là encore, le progrès technologique associé à la recherche multidisciplinaire
(physique, physiologie et biologie) nous permet de
repousser un peu plus les limites de nos connaissances
fondamentales dans un premier temps, et devrait
conduire in fine à de nouveaux détecteurs acoustiques
pour écouter la « langue » des plantes et aider les chercheurs et professionnels à sélectionner des espèces
adaptées aux conditions climatiques du futur.
23
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Le dialogue porte-greffe – greffon
Sarah Jane Cookson, Philippe Vivin, Jean Pascal Tandonnet,
Virginie Lauvergeat, Nathalie Ollat
Résumé
Malgré la longue histoire du greffage, nous avons
très peu de connaissances sur les processus moléculaires impliqués dans le greffage et les signaux
échangés entre le porte-greffe et le greffon. S’il est
connu que chaque partenaire conserve son identité
génétique dans la plante nouvelle qui résulte de
l’association, la réussite du greffage chez les plantes
est le résultat de processus biochimiques et structuraux complexes qui commencent par une réponse
à la blessure suivie par la formation du cal de jonction. Un processus de reconnaissance et/ou de communication se manifeste alors, mais sa nature n’est
pas connue. Notre expérience chez la vigne montre
que pendant la formation du cal, à l’interface
porte-greffe/greffon, l’hétérogreffe peut induire
une réponse de défense, ce qui suggère un type de
reconnaissance self/non self entre les cellules à
l’interface de deux génotypes différents. Dans les
cas favorables, c’est au sein du cal de jonction que
vont être élaborés de nouveaux tissus vasculaires de
connexion entre les deux partenaires greffés.
Dans un certain nombre d’hétérogreffes, une
incompatibilité de greffage peut se manifester soit
assez rapidement après le greffage (entre quelques
jours et jusqu’à 5 ou 6 mois), soit de manière différée
après quelques années. Diverses hypothèses liées à
ces incompatibilités de greffage ont été travaillées,
mais les processus n’ont pas été à ce jour totalement
élucidés. Le praticien est en principe bien averti
des associations potentiellement incompatibles, et
cherche à les éviter.
Après ces communications initiales qui assurent la
bonne formation du cal, les deux génotypes d’une
plante greffée doivent continuer à communiquer
pour coordonner l’acquisition et la circulation des
ressources (eau, éléments minéraux, photosynthétats, etc.), la croissance des parties aérienne et souterraine, et les réponses aux pathogènes. Plusieurs
hypothèses concernant la communication entre
porte-greffe/greffon ont été proposées dans la littérature scientifique et seront présentées.
Introduction
Le greffage est utilisé en horticulture en Chine
depuis au moins 2000 ans (Liu, 2006 ; Mudge et al.,
2009) et il est couramment utilisé aujourd’hui pour
la multiplication et la culture de la vigne, des arbres
fruitiers et de certaines espèces maraîchères (voir par
exemple, Lee et al., 2010 ; Gregory et al., 2013). Malgré
la longue histoire du greffage, les connaissances sur
les processus moléculaires et biochimiques qui se
mettent en place lors du greffage entre le porte-greffe
et le greffon sont extrêmement limitées.
Après greffage, chaque partenaire conserve son
identité génétique dans la plante nouvelle qui résulte
de l’association. Exceptionnellement, on peut observer
des «hybrides de greffe». Cependant, les hybrides de
greffe ne sont pas de vrais hybrides mais des chimères
périclines, issues de bougeons adventifs développés
à partir des tissus des deux partenaires. Bien que les
cellules à l’interface porte-greffe / greffon conservent
leur identité génétique (l’ADN des noyaux des deux
génotypes greffés ensemble restent séparés), l’ADN
des plastes peuvent être échangés entre le porte-greffe
et le greffon (Stegemann et Bock, 2009).
Le manque de connaissances est aussi notoire en ce qui
concerne les mécanismes précoces qui se mettent en
place au moment même du greffage et qui auront pour
résultat l’obtention d’une plante composite, viable ou
non (Pina et Errea, 2005). Ce manque de connaissances
fondamentales constitue un frein à l’amélioration
génétique des porte-greffes, puisque de nombreuses
propriétés de l’assemblage ne peuvent être déduites
des propriétés individuelles des deux partenaires
(Rives, 1971). Il constitue également une limite à une
maîtrise optimisée de la production de plants. Un
effort doit donc être réalisé si l’on souhaite proposer
des solutions intégrées aux défis auxquels doit faire
face l’horticulture du XXIe siècle, i.e. les changements
climatiques et la mise en œuvre d’itinéraires culturaux
à bas intrants plus respectueux de l’environnement.
Il est ainsi important d’évaluer dans quelle mesure
le porte-greffe pourra contribuer à ces évolutions,
puisqu’il off re une réponse complémentaire aux
solutions uniquement fondées sur le changement de
variétés.
25
Le greffage chez la vigne
L’incompatibilité
Depuis l’invasion phylloxérique en Europe dans
la deuxième moitié du XIXe siècle, la majorité des
vignes cultivées sont greffées et résultent donc de la
combinaison de deux génotypes (un cépage et un
porte-greffe), tous deux contribuant potentiellement
à la réponse de la plante aux variations de
l’environnement (May, 1994). Le choix du porte-greffe
est un élément important de la gestion technique
du vignoble, qui permet notamment d’adapter le
matériel végétal au type de sol (tolérance au calcaire
actif, à la sécheresse…), et de contrôler la phénologie,
la vigueur conférée au greffon, le rendement et la
qualité des raisins (Jones et al., 2009). Cependant,
malgré leur utilisation généralisée en viticulture, et
leur rôle capital d’interface entre le sol et la variété,
les porte-greffes sont peu étudiés et les mécanismes
physiologiques impliqués dans le déterminisme des
interactions avec le greffon sont encore mal connus
(Ollat et al., 2003 ; Smith, 2004). Il apparaît de manière
statistique que les interactions porte-greffe / greffon
expliquent les résultats agronomiques pour une part
au moins équivalente à celle du porte-greffe utilisé
seul (Lefort et Législe, 1977 ; Tandonnet et al., 2010)
et que les processus se mettent en place à un stade très
précoce (Tandonnet et al., 2010).
Dans un certain nombre d’hétérogreffes, surtout chez
les arbres fruitiers, une incompatibilité de greffage peut
se manifester soit assez rapidement après le greffage
(Prunus spp.), soit de manière différée après quelques
années (par exemple poirier sur cognassier). Diverses
hypothèses liées à ces incompatibilités de greffage ont
été travaillées, mais les processus n’ont pas été à ce jour
totalement élucidés (par exemple Ermel et al., 1997 ;
Pina et Errea, 2005). Les travaux récents montrent
que l’incompatibilité de greffe pourrait être associée
à un stress oxydatif (Nocito et al., 2010 ; Zarrouk et
al., 2010), à une diminution de l’activité de UDPglucose pyrophosphorylase (Pina et Errea, 2008a) ou
à l’accumulation de composés phénoliques solubles
(par exemple Pina et Errea, 2008b). Le praticien est en
principe bien averti des associations potentiellement
incompatibles, et cherche à les éviter.
Le greffage
La réussite du greffage chez les plantes est le résultat
de processus biochimiques et structuraux complexes
qui commencent par une réponse à la blessure
suivie par la formation d’un cal de jonction. La
conséquence primaire du greffage est le remplacement
du système racinaire du greffon par celui du portegreffe. Cependant, des différences anatomiques entre
génotypes porte-greffes peuvent freiner les échanges
entre la partie aérienne et la partie racinaire (Giorgessi
et al., 1997). Même si, chez la vigne, les phénomènes
d’incompatibilité totale sont beaucoup plus limités
que chez les arbres fruitiers, différents niveaux de
compatibilité entre les porte-greffes et les greffons
de Vitis vinifera (Todic et al., 2005) pourraient être à
l’origine de l’hétérogénéité de développement. De plus,
certains géniteurs possibles de porte-greffes ayant des
caractéristiques intéressantes en matière de résistance
aux maladies et d’adaptation à l’environnement
(Muscadinia spp., V. berlandieri, V. monticola, etc.)
sont connus pour présenter des difficultés à être
associés avec des greffons de V. vinifera. L’origine de
ces difficultés reste méconnue.
26
La vigueur conférée
Les plantes vasculaires sont constituées d’organes
répartis dans les deux compartiments souterrain
et aérien, reliés par des vaisseaux conducteurs. Les
racines permettent l’ancrage de la plante dans le sol et
fournissent les ressources hydriques et minérales à la
partie aérienne, alors que les tiges feuillées effectuent
la photosynthèse et sont donc essentielles pour la
nutrition carbonée de la partie souterraine. Ce sont les
méristèmes apicaux, formés pendant l’embryogénèse,
qui sont responsables de la formation (organogénèse)
des organes racinaires et des phytomères végétatifs.
Le développement des racines est influencé par celui
des feuilles et réciproquement, ceci afin d’équilibrer
l’équilibre fonctionnel entre racines et feuilles, et
permettre un développement coordonné de la plante.
Différents facteurs externes et internes régulent cet
équilibre de développement (Gedroc et al., 1996).
Les porte-greffes peuvent influencer cet équilibre et
conférer au greffon un niveau de vigueur différent de
son niveau propre (par exemple Tandonnet et al., 2010
; Cookson et al., non publié). Cette vigueur est appelée
vigueur conférée et peut être supérieure ou inférieure
à celle du greffon sur ses propres racines.
Le déterminisme de la vigueur conférée par le portegreffe n’est pas clairement élucidé. L’architecture, la
morphologie et l’anatomie des systèmes racinaires
varient selon les génotypes de porte-greffes (Smart
et al., 2006). Le développement du système racinaire
affecte directement l’absorption de l’eau et des
minéraux, ce qui modifie en retour la vigueur et la
physiologie du système aérien (Zerihun et Treeby,
2002). Le porte-greffe peut affecter également
indirectement la photosynthèse du système aérien
(During, 1994) et la répartition de biomasse entre
les parties végétative et reproductive. Chez certains
arbres fruitiers, l’architecture hydraulique joue un
rôle déterminant dans l’interaction entre partie
aérienne et partie racinaire (Solari et DeJong, 2006).
Par ailleurs, des différences de phénologie entre les
deux partenaires de l’association porte-greffe / greffon
pourraient contribuer aux effets du porte-greffe sur la
croissance des greffons (Clearwater et al., 2007).
Les échanges entre porte-greffe et greffon
Récemment, les progrès de la biologie moléculaire
ont permis de renouveler l’étude des mécanismes par
lesquels le porte-greffe interagit avec son greffon (et
vice versa). Nous avons réalisé des analyses de type
«transcriptomiques» pour comprendre la cinétique
des changements moléculaires (expression des
gènes) qui se produisent pendant le développement
à l’interface entre partenaires, dans la zone greffée.
Dans le cas des homogreffes (cépage Cabernetsauvignon greffé sur lui-même), la formation du cal est
associée à une augmentation d’expression des gènes
de développement du phloème, du xylème, des parois
cellulaires, et du métabolisme secondaire en réponse à
la blessure, dès le premier mois après greffage (Cookson
et al., 2013). Dans le cas des hétérogreffes (Cabernetsauvignon greffé sur un porte-greffe), la formation du
cal induit une réponse de stress et/ou de défense en
plus des réponses déjà observées sur les homogreffes
(Cookson et al., 2014). Les gènes du stress oxydatif, de
la signalisation du jasmonate et de l’accumulation des
composes phénoliques sont induits.
Les nutriments (minéraux, acides aminés, sucres) circulant entre partie aérienne et partie racinaire jouent
un rôle important en tant que substrats mais également
en tant que signaux (Stitt et Scheible, 1998 ; Dodd,
2005). D’autres molécules régulent les mécanismes de
développement et de croissance du système végétatif et
reproducteur, en contrôlant de façon directe ou indirecte l’expression des gènes impliqués dans la différenciation et l’élongation cellulaire dans les méristèmes
végétatifs ou inflorescentiels (Golecki et al., 1998). La
nature de ces signaux endogènes est diverse. Il s’agit
de molécules de type hormonal (auxines, cytokinines,
gibbérellines, etc.) mais également d’acides nucléiques
et/ou de protéines. Ces molécules circulent dans la
plante sur de plus ou moins longues distances grâce
aux flux des sèves xylémienne ou phloémienne (RuizMedrano et al., 2001). Ainsi, les auxines, synthétisées
dans les parties aériennes, contrôlent la formation et la
croissance des racines, alors que les cytokinines, synthétisées principalement dans les racines, contrôlent
la formation et la croissance des tiges feuillées (Werner
et al., 2003 ; Shimizu-Sato et al., 2009).
Des travaux de plus en plus nombreux sur plante
modèle montrent également que des acides nucléiques,
tels que les «petits ARNs», sont impliqués dans de
nombreux processus biologiques comme par exemple
le développement, la régulation de la croissance, le
contrôle de la floraison et les réponses aux stress (Chen,
2009). Ces petits ARNs sont des séquences spécifiques
qui permettent l’extinction des gènes (silencing), la
régulation de l’architecture de la chromatine (phénomènes épigénétiques), la dégradation des ARN messagers et l’inhibition de la traduction des protéines. De
façon tout à fait intéressante, il a été récemment mis
en évidence qu’ils peuvent circuler entre les racines et
les tiges via le phloème et ainsi véhiculer une information permettant d’activer ou de réprimer l’expression
des gènes dans différents organes cibles (Buhtz et al.,
2008 ; Pant et al., 2008). Chez la vigne, l’existence d’un
transport à longue distance de tels signaux de part et
d’autre du point de greffe et leur implication éventuelle
dans le déterminisme des interactions porte-greffe /
greffon restent encore à démontrer. Nous avons étudié
l’expression des gènes dans l’apex de vignes Cabernetsauvignon greffées sur porte-greffes 1103 Paulsen et
Riparia Gloire de Montpellier (hétérogreffes), et le
témoin Cabernet-sauvignon auto-greffé (Cookson et
Ollat, 2013). L’hétérogreffe a induit une augmentation de l’expression des gènes liés à la régulation de
la structure de la chromatine dans l’apex, qui suggère
que de petits ARNs sont échangés entre le porte-greffe
et le greffon chez la vigne.
Conclusion
Finalement, la complexité des échanges entre le portegreffe et le greffon au niveau de la zone de greffage ou
à distance entre les racines et les organes aériens reste
à démontrer et à expliquer. Le challenge est désormais
de comprendre comment les aspects génétiques et
environnementaux interagissent pour contrôler les
processus physiologiques complexes qui coordonnent
le développement et la croissance des parties aériennes
avec ceux des parties racinaires chez une plante
greffée.
27
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29
Impact de la nutrition azotée et de la variété
du porte-greffe sur la croissance végétative de
la vigne
Julien Lecourt, UMR 1287 Écophysiologie et Génomique fonctionnelle de la
Vigne, INRA, Institut des Sciences de la Vigne et du Vin, Bordeaux
Résumé
Les recherches sur les interactions portegreffe/greffon chez la vigne en relation avec
l’environnement perdurent depuis plusieurs
décennies, mais les mécanismes physiologiques
à l’origine de la modification de la vigueur des
rameaux par le porte-greffe sont toujours très
imparfaitement appréhendés. L’objectif de ce
travail est de comprendre par une approche de
biologie intégrative couplant expérimentation et
modélisation comment le porte-greffe interagit
spécifiquement avec son greffon (et réciproquement)
pour modifier, dès les premières étapes du greffage,
les caractéristiques physiologiques de la plante
entière afin de coordonner le développement et
la croissance des parties aériennes avec ceux des
parties racinaires. L’azote étant considéré comme
un élément clef de contrôle de la croissance d’une
plante, un accent particulier a été porté sur le
rôle de la nutrition azotée dans le contrôle de la
croissance du couple porte-greffe/greffon. Cette
étude a permis de démontrer que la mobilisation
des réserves et le transport de l’azote au sein de
la plante sont les principaux déterminants de la
croissance d’une vigne greffée.
30
Depuis la fin du XIXe siècle et l’invasion du vignoble
européen par le phylloxera, la vigne Vitis vinifera est
cultivée greffée sur des porte-greffes d’origine nordaméricaine, tolérants aux piqûres racinaires de cet
insecte. L’utilisation de porte-greffes est connue pour
fortement modifier la croissance annuelle des rameaux
encore appelée vigueur. Le contrôle de la vigueur est
essentiel en viticulture (mais aussi en horticulture et
arboriculture), cette dernière ayant un impact majeur
sur les rendements et la qualité des fruits, donc de
la baie dans le cas du raisin. Dans les vignobles de
cru, le viticulteur cherche à obtenir une vigueur
modérée afin d’accroître la qualité de la récolte tout
Figure 1: Effet du porte-greffe (1103P ou RGM) sur la
croissance du greffon (CS), 60 jours après débourrement.
en conservant des rendements acceptables, alors que
certains vignobles de grande production recherchent
plutôt des rendements forts, au détriment d’une
certaine qualité. Le choix du porte-greffe revêt donc
une importance cruciale pour le viticulteur, mais
malgré cette importance, les mécanismes à l’origine
du contrôle de la vigueur par le porte-greffe sont mal
connus, ce qui constitue un frein à la sélection de
nouveaux porte-greffes. Il est cependant admis que
l’effet du porte-greffe sur la croissance du greffon
est d’autant plus fort que la disponibilité en azote
dans le sol est faible. Au cours de ce travail de thèse,
nous avons cherché à identifier les mécanismes
physiologiques à l’origine de l’effet de l’azote sur la
croissance du couple porte-greffe/greffon. Pour ce
faire, deux combinaisons porte-greffe/greffon modèles
ne différant que par le porte-greffe ont été étudiées :
un même greffon, Cabernet Sauvignon (CS) a été greffé
sur 1103 Paulsen (1103P) qui confère une forte vigueur
au greffon ou sur Riparia Gloire de Montpellier (RGM)
conférant une vigueur faible à son greffon (figure 1).
Ces deux combinaisons ont été soumises à une gamme
de concentrations en azote proche de celles retrouvées
au vignoble. Deux expérimentations, menées en pots
en 2011 et 2012, ont permis d’étudier les réponses
physiologiques (croissance, métabolisme, expression
des gènes) des deux combinaisons modèles en réponse
aux traitements azotés.
la première hypothèse, les deux combinaisons ont
présenté une absorption d’azote équivalente quel que
soit le traitement azoté (fort azote (N+), azote moyen
(N) et faible azote (N-)). Ce résultat est original puisqu’il
est admis que les plantes ont une croissance d’autant
plus forte qu’elles absorbent de l’azote en quantité.
Cependant, nos expérimentations ont montré qu’à
disponibilité azotée équivalente, les plantes greffées sur
1103P transportaient plus d’azote issu de l’absorption
vers les parties aériennes que celles greffées sur RGM.
L’analyse de croissance a permis de confirmer les
effets attendus des porte-greffes sur la croissance du
greffon : les plantes greffées sur RGM présentent une
croissance végétative plus faible que celles greffées sur
1103P. Cependant, l’effet du porte-greffe RGM s’est
révélé d’autant plus fort que la disponibilité en azote
était plus faible, alors que les plantes greffées sur 1103P
étaient moins affectées par la concentration externe
en azote. Ces résultats suggèrent que les porte-greffes
modulent l’efficacité d’utilisation de l’azote disponible
dans le milieu (ou NUE, de l’anglais Nitrogen Use
Efficiency). Les différents porte-greffes pourraient
agir sur différentes composantes de cette NUE et les
différents porte-greffes pourraient ainsi présenter
(figure 2) :
i.) des capacités contrastées d’absorption de l‘azote :
les porte-greffes absorbant plus d’azote entraîneraient
une plus forte croissance de la plante.
ii.) des capacités contrastées de transport de l’azote
absorbé vers les parties aériennes de la plante : les
porte-greffes transportant plus d’azote vers les tiges
et feuilles provoqueraient une croissance plus forte de
ces dernières.
iii.) des capacités plus ou moins fortes de mobilisation
des réserves azotées : les porte-greffes possédant le
plus de réserves ou étant capables de les mobiliser plus
efficacement seraient ainsi en mesure de soutenir une
croissance aérienne plus forte.
Afin de tester ces trois hypothèses, la quantité d’azote
absorbé puis transporté vers les parties aériennes et la
quantité d’azote issu de la mobilisation des réserves ont
été mesurées chez les combinaisons testées (CS/RGM,
faible vigueur et CS/1103P, forte vigueur). Concernant
Figure 2 : Différentes composantes de l’efficacité
d’utilisation de l’azote (NUE)
Alors même que les deux combinaisons absorbent la
même quantité d’azote, le génotype du porte-greffe
modifie la répartition de l’azote au sein de la plante et
module ainsi sa croissance. Enfin, l’étude de l’origine
de l’azote (réserves ou absorption, par une approche
d’isotope stable 15N) composant les rameaux en
croissance a révélé que les plantes greffées sur le portegreffe conférant une forte vigueur (1103P) mobilisent
plus leurs réserves azotées que celles greffées sur RGM,
et qu’une grande majorité de l’azote retrouvé dans les
organes en croissance a pour origine le compartiment
des réserves (racines, tronc). Ce processus permet aux
plantes greffées sur 1103P de découpler en partie leur
croissance de la disponibilité en azote dans le sol.
31
Figure 3: concentration en acides aminés chez RGM et 1103P, en fonction des traitements azotés N+ (rouge) et N- (bleu) et
du temps.
Chez les plantes, les réserves azotées sont
majoritairement représentées par les acides aminés et
les protéines. Leur dosage dans les deux combinaisons
modèles étudiées a permis de confirmer la plus forte
mobilisation des acides aminés chez 1103P, mais a
aussi montré des quantités de réserves plus fortes chez
1103P, par comparaison avec RGM (figure 3).
Aucune mobilisation des protéines (de réserve) n’a
été observée. L’étude de l’expression des gènes liés
au métabolisme de l’azote a confirmé ces différences
puisque les plantes greffées sur 1103P présentaient
une surexpression des gènes associés à la dégradation
des acides aminés et à la mobilisation de réserves, en
comparaison à RGM.
Les résultats expérimentaux présentés précédemment
ont été utilisés pour l’élaboration d’un modèle
mathématique capable de simuler la croissance de
vignes greffées. Ce modèle permettra à terme de
disposer d’un outil de prédiction de la croissance d’une
vigne, en fonction de différentes variables d’entrée
telles que la disponibilité en azote, l’ensoleillement,
la température, le mode de conduite… et de mieux
prévoir, sur le long terme, le comportement de vignes
dans différents milieux.
32
L’étude du lien azote/porte-greffe a permis d’identifier
des processus clés à l’origine de la vigueur de la vigne,
et plus largement des plantes greffées. Les résultats
obtenus au cours de cette thèse sont en concordance
avec d’autres études portant sur les arbres greffés
ou non (voir par exemple les travaux de Millard sur
l’importance des réserves azotées dans la croissance
des arbres) et peuvent être extrapolés à d’autres
plantes pérennes greffées telles que le rosier et les
arbres fruitiers (dont pommiers, poiriers et cerisiers).
Il apparaît ainsi que la sélection de porte-greffes
accumulant plus ou moins de réserves azotées, et
capables de les remobiliser au profit de la partie
aérienne, permettrait de moduler la croissance
végétative de la plante. De plus, l’identification
des acides aminés comme forme de réserve azotée
mobilisée permet d’imaginer d’utiliser l’accumulation
de ces derniers comme critère de sélection pour des
porte-greffes conférant des vigueurs plus ou moins
fortes.
De plus, les résultats obtenus permettent de suggérer
des itinéraires de nutrition minérale pour le pilotage
de la croissance des plantes pérennes. La gestion
de la fertilisation des plantes pérennes se révèlerait
diamétralement opposée à celle des plantes annuelles :
en début de saison, les plantes annuelles ne disposent
comme seule source d’azote et de minéraux que des
faibles réserves présentes dans la graine et dépendent
donc largement de l’absorption pour établir leur
croissance. En revanche, les pérennes et vivaces,
inféodées à leur milieu et disposant d’organes de réserve
capables de passer la saison hivernale, peuvent compter
sur d’importantes réserves pour leur croissance, ce
qui leur permet de découpler leur croissance de la
disponibilité en minéraux dans le sol, qui fluctue
entre les saisons et les années. Chez les pérennes,
l’établissement des réserves débute en période estivale
et culmine pendant la saison automnale, et une
fertilisation appliquée en début d’automne apparaît
comme idéale pour augmenter les réserves et donc la
vigueur de la plante à la saison suivante. En revanche,
les apports azotés printaniers n’auraient qu’un effet
limité pour une éventuelle correction de la vigueur,
l’absorption printanière n’ayant qu’un impact mineur
sur la croissance végétative immédiate, en regard de
l’importance de la mobilisation des réserves.
L’exploitation des plantes par les plantes
Philippe Delavault, Université de Nantes
Résumé
Les plantes parasites sont considérées le plus
souvent de par leurs formes et leurs couleurs comme
des curiosités botaniques. Cependant dans certains
cas, celles-ci s’avèrent être aussi de redoutables
bioagresseurs capables d’exploiter d’autres plantes.
Ainsi, au sein des plantes parasites dites obligatoires,
les hémiparasites qui sont encore aptes à réaliser
la photosynthèse, comme les holoparasites qui
sont dépourvus de chlorophylle, sont tributaires
de leurs hôtes pour leur alimentation en eau, sels
minéraux et nutriments, que ce soit partiellement
ou totalement. Ce processus de spoliation
trophique, régi par un dialogue moléculaire fin
entre les deux partenaires, est ainsi un exemple
extraordinaire d’adaptation végétale opérée par les
plantes parasites au cours de l’évolution. Les faits
majeurs de cette adaptation sont :
- la nécessité pour les graines de ces plantes
parasites de percevoir un signal, des stimulants de
germination produits par les racines de l’hôte pour
initier leur germination,
- le développement d’un organe unique aux plantes
parasites, l’haustorium, qui pénètre l’hôte et forme
alors un pont trophique entre le parasite et l’hôte,
- l’établissement d’une force de puits nécessaire au
prélèvement par le parasite de ses nutriments chez
l’hôte.
Dans la nature, les interactions entre les organismes
sont la règle plutôt que l’exception. De nombreuses
interactions entre les plantes et les micro-organismes
passent souvent inaperçues car elles se déroulent sous
terre. En effet, un gramme de sol fertile peut contenir
jusqu’à 1 milliard de bactéries, cent mille champignons et quelques centimètres de racines. Les plantes
ne sont cependant pas des cibles passives face à cette
cohorte de micro-organismes, puisqu’elles affectent
leur répartition dans la rhizosphère en libérant dans
le milieu des substances attractives ou répulsives. Il
est ainsi établi de longue date que la mise en place des
interactions entre les plantes et les micro-organismes
est régie par des molécules « signal ». Lorsqu’une telle
interaction présente un caractère permanent, notamment du point de vue nutritionnel, elle est appelée
symbiose. Douglas (1994) définit deux types de symbioses, les symbioses mutualistes, dans lesquelles tous
les partenaires concernés tirent profit de leur association, et les symbioses parasites, où un organisme tire
bénéfice de l’association au détriment de l’autre partenaire appelé hôte.
Chez les végétaux, il existe ainsi une catégorie de
plantes peu connue du grand public de par l’originalité et la rareté de ses représentants et ayant un mode
de vie parasitaire : il s’agit des plantes parasites. Dans
la plupart des cas, elles ont besoin d’une plante hôte
qu’elles vont exploiter grâce à un processus efficace de
spoliation trophique pour se développer et se multiplier. On dénombre quelque 4 500 espèces de plantes
parasites, soit 1 % des 260 000 plantes à graines
connues, réparties en 28 familles et 273 genres, présentes des pôles jusqu’aux régions tropicales sèches
et humides. Les plantes parasites ont été capables de
s’adapter à tous les types de communautés végétales
et ce dans tous les environnements où sont présentes
les plantes à fleur, à l’exception du milieu aquatique.
Mis à part Parasitaxus usta de Laub. (Podocarpaceae),
seul représentant du clade des gymnospermes au
sein du monde des plantes parasites, l’intégralité des
espèces connues appartient à la classe des dicotylédones. Une première clé de classification des angiospermes parasites concerne le site de fi xation sur l’hôte
(Figure 1) ; on distingue ainsi les parasites de tige ou
épiphytes (Viscaceae, Convolvulaceae, Lauraceae,
Loranthaceae…), des parasites de racine ou épirhizes
(Orobanchaceae, Hydnoraceae, Balanophoraceae,
Rafflesiaceae…). Le second critère de classification des
plantes parasites repose sur leur niveau de dépendance
trophique vis-à-vis de leur hôte. On différencie tout
d’abord les parasites facultatifs des parasites obligatoires, de par la capacité ou l’incapacité de ces derniers
Figure 1 : Illustration classique des différents types de
plantes parasites.
33
à achever leur cycle de vie indépendamment de celui
de leur hôte. De même on différencie les holoparasites,
non ou très peu chlorophylliens, qui prélèvent tous les
nutriments (carbone et azote réduits) nécessaires à leur
croissance chez la plante hôte via des connexions majoritairement phloèmiennes, des hémiparasites, chlorophylliens, censés limiter leur prélèvement à l’eau et les
sels minéraux présents dans le xylème de leur hôte, et
donc capables de subvenir, au moins en partie, à leurs
besoins nutritionnels de façon autotrophe (Figure 1).
Cependant, ces définitions ne rendent pas toujours
compte de situations intermédiaires. Par exemple au
sein du genre Cuscuta, certaines formes intermédiaires
entre hémi et holoparasites contiennent de la chlorophylle et peuvent, dans certaines conditions, effectuer
une photosynthèse d’appoint. Les hémiparasites de
racine tels que Striga spp. commencent leur développement à l’état d’holoparasites souterrains et le poursuivent quelques semaines après sous forme d’une tige
chlorophyllienne.
34
Si la plupart des plantes parasites sont considérées de
par leurs formes et leurs couleurs comme des curiosités botaniques, dans certains cas, celles-ci s’avèrent
être aussi de redoutables bioagresseurs capables de
dommages majeurs dans les écosystèmes anthropisés
(agrosystèmes). Ainsi, les plantes parasites des genres
Orobanche et Phelipanche représentent une catégorie
de mauvaises herbes parmi les plus destructives pour
les plantes de grandes cultures et de cultures maraîchères du pourtour méditerranéen et d’Europe. Leur
impact a significativement augmenté ces dernières
années en raison du réchauffement climatique, de
l’accroissement des échanges commerciaux et de la
mondialisation. Ces plantes se connectent au système
vasculaire de leur plante hôte de sorte que les deux
partenaires, l’hôte et le parasite, sont physiquement
et physiologiquement associés tout au long du cycle
de développement du parasite. Les premières phases
de l’interaction se déroulent sous terre où le parasite
soutire de son hôte eau, sels minéraux et composés
organiques. Ce n’est qu’après s’être totalement établi et
avoir développé une tige aux dépens de son hôte que
le parasite émerge ; il a alors déjà causé des dommages
importants qui réduisent significativement et irréversiblement le rendement de la culture. L’orobanche cause
ainsi des dégâts pouvant aller jusqu’à une perte totale
de rendement au cœur des foyers d’attaque. Dotée, en
plus, d’un pouvoir exceptionnel de dissémination et
d’une capacité extrême d’adaptation, sa propagation
est impossible à contrôler. Malgré d’intenses efforts,
des méthodes de lutte efficaces (pratiques culturales
notamment) sont quasi inexistantes. En Europe et en
Asie, plusieurs espèces d’Orobanche et de Phelipanche
sont des menaces pour des cultures d’intérêt économique. Ainsi, plus d’un million d’hectares de cultures
légumières sont infestés ou menacés en région méditerranéenne et en Asie occidentale par Orobanche crenata.
Phelipanche aegyptiaca est un parasite majeur de plusieurs cultures appartenant aux Fabacées, Brassicacées,
Solanacées, Apiacées et Asteracées au sud-est de l’Europe, au Moyen-Orient et en Asie. Phelipanche ramosa
s’attaque aux Cucurbitacées, Solanacées et Brassicacées
et est largement répandu en Europe, devenant un problème majeur pour le colza en France et la tomate dans
les pays d’Europe du sud. Orobanche cumana est une
menace pour le tournesol dans toute l’Europe (à terme,
60 à 70 % de la production européenne de tournesol
sont menacés par l’orobanche), alors que Orobanche
minor infeste les légumineuses fourragères en Europe
centrale et du sud. D’autres espèces appartenant aux
genres Striga et Alectra ne sont pas encore présentes en
Europe, mais sont des contraintes biologiques majeures
pour l’agriculture africaine et asiatique, qui pourraient
être introduites en Europe si des mesures appropriées
ne sont pas prises, comme cela a été le cas dans le passé
aux USA.
Le processus de spoliation trophique mis en place par
ces plantes parasites ravageuses est régi par un dialogue moléculaire fin entre les deux partenaires et est
ainsi un exemple extraordinaire d’adaptation végétale
opérée au cours de l’évolution. Les faits majeurs de
cette adaptation sont :
• la nécessité pour les graines de ces plantes parasites
de percevoir un signal, des stimulants de germination, produits par les racines de l’hôte pour initier leur
germination,
• le développement d’un organe unique aux plantes
parasites, l’haustorium, qui pénètre l’hôte et forme
alors un pont trophique entre le parasite et l’hôte,
• l’établissement d’une force de puits nécessaire au prélèvement par le parasite de ses nutriments chez l’hôte.
La germination atypique des
plantes parasites
Les graines de la majorité des plantes parasites obligatoires sont uniques en raison des modalités particulières de leur germination. Ces espèces ont toutes une
capacité extraordinaire de dissémination car chaque
plante peut produire jusqu’à 500 000 graines extrêmement petites (entre 200 et 400 μm), facilement transportées par le vent, l’eau de ruissellement, le matériel
agricole, l’agriculteur ou encore le bétail (Figure 2).
On estime qu’un champ infesté peut contenir jusqu’à
10 millions de graines/m2 et que la longévité de ces
graines peut être supérieure à 15 ans. La dispersion
de ces graines est aussi causée par le commerce local,
national et international via des lots de semences
contaminées.
Figure 2 : Comparaison des tailles des graines de
tournesol, de colza et de P. ramosa.
En général, les graines des plantes autotrophes germent lorsqu’elles sont exposées à des conditions d’humidité, de température et d’oxygène appropriées. En
plus de ces facteurs environnementaux, la lumière joue
un rôle capital dans la régulation de la germination de
nombreuses espèces. À l’inverse, la germination des
graines des plantes parasites obligatoires ne nécessite
pas de lumière mais en revanche n’est induite qu’après
perception de signaux chimiques appelés les stimulants de germination. Ces molécules sont exsudées
en quantité infime dans la rhizosphère par les racines
de la plante hôte et conduisent à l’émergence d’une
radicule qui se fi xera alors à la surface des racines.
Ce point est crucial pour les plantes parasites obligatoires puisqu’elles sont incapables de survivre plus
de quelques jours après leur germination sauf si elles
atteignent un hôte. Ainsi, ces graines ne vont germer
qu’au voisinage d’un hôte, de sorte qu’après leur germination, elles ont toutes les chances de rapidement se
fi xer à ses racines.
Actifs à des concentrations infiniment petites (de
l’ordre du picomolaire), la plupart des stimulants de
germination identifiés à ce jour appartiennent à la
famille des strigolactones. Ainsi plus d’une quinzaine
de strigolactones différentes ont été identifiées et dérivent toutes de la voie de biosynthèse des caroténoïdes.
Il est intéressant de noter que les strigolactones sont
aussi des signaux de reconnaissance de l’hôte par les
champignons mycorhiziens à arbuscules avec lesquels
plus de 80 % des plantes terrestres peuvent avoir des
relations symbiotiques. Les strigolactones induisent
ainsi la ramification des hyphes chez ces champignons, un processus qui précède la colonisation des
racines de l’hôte et augmente les chances de contact
avec celles-ci. De plus, il a été récemment découvert
que ces molécules sont aussi des hormones végétales
impliquées dans la régulation de la ramification des
tiges, ce qui signifie probablement que les strigolactones sont présentes dans tout le règne végétal.
D’autres stimulants de germination chimiquement
différents des strigolactones ont été identifiés. Il s’agit
par exemple du déhydrocostus lactone produit par le
tournesol, qui induit spécifiquement la germination
des graines d’Orobanche cumana. On citera aussi les
isothiocyanates qui induisent spécifiquement la germination de Phelipanche ramosa, un pathogène en
pleine expansion dans les champs de colza. De façon
intéressante, les isothiocyanates sont des produits de
dégradation par des bactéries du sol des glucosinolates,
des molécules secrétées par les racines de certaines
Brassicacées comme le colza. Cependant, quelle que
soit la nature des stimulants de germination, plusieurs
processus préparatoires doivent se mettre en place lors
d’une phase dite de conditionnement et ce, avant que
la réponse aux stimulants ne soit possible. Cette phase
correspond à des conditions d’humidité et de températures spécifiques à chaque espèce. Alors que le rôle
clé notamment des strigolactones est connu depuis des
décennies, rien ou presque n’est connu quant aux événements moléculaires gouvernant la germination des
plantes parasites de racine en réponse aux stimulants
germination. Ce n’est que récemment qu’un acteur clé
a été identifié. Il s’agit du gène CYP707A1 qui code
pour une enzyme de dégradation de l’acide abscissique
ou ABA, une phytohormone impliquée dans l’inhibition de la germination. Après stimulation par un stimulant de germination, CYP707A1 est rapidement et
fortement activé, déclenchant alors une dégradation
suffisante de l’ABA, et donc la levée de dormance.
L’haustorium, un organe clé
La principale caractéristique commune à l’ensemble
des plantes parasites est une fi xation directe sur une
autre plante hôte, via un appareil parasitaire endophytique spécialisé appelé haustorium (du latin haurire,
puiser). Une fois stimulée, la graine des holoparasites
émet un tube germinatif ressemblant à une radicule, appelé procaulôme. Ce tube germinatif croît et
s’allonge en direction des racines de la plante hôte,
probablement guidé par un chimiotropisme positif vis-à-vis des stimulants de germination émis par
l’hôte. Lorsque le procaulôme atteint la racine de
l’hôte, l’apex de celui-ci se différencie alors en papilles
sécrétrices d’une substance mucilagineuse qui favorise
l’adhésion du parasite. Il forme alors un renflement
appelé appressorium qui permet d’une part l’adhésion
à la racine, mais aussi l’intrusion de cellules dans celleci. La progression des cellules de l’appressorium se fait
par l’intermédiaire de pressions mécaniques couplées
à une dégradation enzymatique des parois des cellules
de l’hôte. Une fois l’endoderme franchi, les cellules du
parasite vont mettre en place l’organe le plus important
de l’interaction, l’haustorium, qui forme alors un pont
35
morphologique et physiologique entre le parasite et
son hôte. C’est cet organe endophytique, souvent comparé à une sorte de suçoir spécialisé, qui permet ainsi
l’établissement d’une jonction entre le système vasculaire de l’hôte et celui du parasite, rendant possible le
prélèvement des ressources nutritives nécessaires au
développement de l’organisme parasite. L’apparition de
l’haustorium invasif chez les plantes fut l’événement
évolutif clef qui permit la transition vers le mode de vie
parasitaire. On distingue ainsi les haustoria latéraux
des haustoria terminaux ou primaires. Les premiers,
caractéristiques des hémiparasites et des parasites
facultatifs (cas des genres Tryphisaria et Rhinantus
notamment), se développent sur le côté des racines de
la plante parasite en contact avec celles d’une plante
hôte. Les seconds sont, quant à eux, caractéristiques
des holoparasites (cas des genres Orobanche ou Striga
notamment) et se développent à l’apex de la radicule
peu de temps après la germination.
Comme nous l’avons vu précédemment, ce sont des
signaux chimiques provenant de l’hôte qui permettent
la germination des graines des plantes parasites obligatoires. Dans le cas de la mise en place de l’haustorium,
ce sont aussi des signaux chimiques dérivés de l’hôte
qui vont induire et initier son développement : ils sont
appelés xenognosins ou Hautorium-Inducing Factors
= HIFs. Le processus de génération de ces signaux
chimiques semble être induit par la radicule du parasite. En effet, une activité péroxydase induisant l’émission d’espèces réactives de l’oxygène (ROS), comme
le péroxyde d’hydrogène (H202), a été démontrée au
niveau de l’apex de la radicule. Ces ROS entraînent
alors une dégradation des parois cellulaires de l’épiderme de la racine hôte, provoquant une production
de molécules de type composés phénoliques, quinones,
pectines et acides organiques (tel que l’acide syringique). Une partie de ces composés est alors oxydée
par le biais de péroxydases et de leur cofacteur, l’H202,
en benzoquinones qui sont à leur tour oxydées par des
quinones oxydoréductases produites par le parasite en
semi-quinones du type 2,6-dimethoxybenzoquinone
(DMBQ), connues pour leur activité HIF.
Une fois mis en place et fermement fi xé à la surface des
racines de l’hôte, l’haustorium désorganise ses tissus
et pénètre la racine en direction des tissus vascularisés.
De cette fi xation et de l’établissement de connections
vasculaires dépend alors le développement d’une tige
ou d’un tubercule, qui donnera finalement naissance à
la structure aérienne de la plante.
Un organe puits surnuméraire
Une fois que la jonction vasculaire entre le parasite
et l’hôte est fonctionnelle, le parasite dévie l’eau et
les composés organiques et minéraux dont il a besoin
(Figure 3). L’haustorium se développe tout d’abord en
une masse qui distend les tissus de la racine de l’hôte
puis devient rapidement un petit tubercule. Au fur et à
mesure de sa croissance, ce tubercule, à la morpholo-
Figure 3 : Relation sources/puits au sein d’une interaction plante hôte – Orobanche.
36
gie encore mal définie, finit par constituer un organe
de réserve transitoire, accumulant principalement des
hexoses, des polyols (mannitol, inositol…), des aminoacides et de l’amidon. Cette accumulation, qui doit
être considérée comme une véritable spoliation trophique, est opérée grâce à la mise en œuvre d’une force
de succion, appelée force de puits, qui s’accompagne
d’un flux d’eau. Ce flux d’eau est le résultat d’un gradient de potentiel hydrique entre l’hôte et le parasite.
Les parasites maintiennent ainsi un potentiel hydrique
inférieur à celui de l’hôte, grâce à une accumulation
de composés osmotiquement actifs, une transpiration
non régulée ou une combinaison des deux phénomènes en fonction du type de parasite. Le tubercule
émet d’autre part des racines adventives courtes sans
zones pilifères, ce qui les rend inefficaces dans le prélèvement de l’eau et des sels minéraux. Néanmoins,
chacune de ces racines est un organe en croissance et
contribue ainsi à accroître la force de puits du tubercule. Pour illustrer cette incroyable force de succion
mise en œuvre, les travaux réalisés sur l’interaction
Orobanche cernua / tabac ont montré par mesure
directe de la concentration en solutés du xylème et par
l’estimation des flux d’eau que 99 % du carbone, 95 %
de l’azote, 77 % du soufre, 90 % du potassium et 80 %
du sodium quantifiés dans les tissus du parasite provenaient du phloème de la plante hôte, et que 90 % du
calcium, 62 % du magnésium et de l’eau étaient issus
du xylème de l’hôte. Le tubercule possède également
un ou plusieurs méristèmes caulinaires qui, lorsque le
parasite percevra les signaux adéquats provenant de
l’hôte (nutriments, phytohormones), formeront alors
des tiges.
sa source de nutriments. L’infestation a également
un impact sur l’architecture de la plante hôte. Plus
globalement, la ponction des nutriments par le parasite, lorsqu’elle est importante, cause une diminution
de la biomasse du système racinaire, de la tige et des
organes reproducteurs, et donc de la fécondité de la
plante hôte. À l’échelle de la parcelle, l’infestation
provoque ainsi une perte de rendement pouvant être
totale suivant l’espèce ou la variété d’hôte ainsi que le
parasite et le degré d’infestation. Il est important de
noter que la phase de développement souterrain des
plantes parasites de racines est la plus dommageable
pour la culture. Aussi, lorsque l’infestation devient
visible avec l’émergence des tiges, il est déjà trop tard
pour la culture. L’étude des mécanismes biologiques
impliqués dans la mise en place et le développement de
cette interaction est donc un des passages obligatoires
à toute tentative de lutte ciblée. En effet, toute particularité développementale ou métabolique du parasite
pourrait être considérée comme une source de vulnérabilité potentiellement exploitable. Cependant, à
ce jour, malgré d’intenses efforts pour développer des
méthodes de luttes respectueuses de l’environnement,
qu’elles soient physiques, chimiques, génétiques ou
encore biologiques, aucune ne s’avère efficace en terme
de durabilité. Le développement de méthodes de lutte
efficaces et peu coûteuses contre les plantes parasites
reste donc la quête du Graal pour les pathologistes, les
agronomes et les biotechnologues.
Cette spoliation trophique effectuée par le parasite
impacte la physiologie de la plante hôte à plusieurs
niveaux. D’un point de vue global, l’infestation réduit
fortement la biomasse de la plante hôte. On note également une augmentation nette de la transpiration et
de la photosynthèse de l’hôte, ainsi qu’un délai de la
sénescence des feuilles sources, l’objectif étant ainsi de
maintenir fonctionnel et en survie le plus longtemps
Je tiens à remercier ici Christina Vieira Dos Santos
(2003), Patricia Letousey (2005), Axel de Julien de
Zélicourt (2008), Thomas Péron (2010), Mathieu
Gauthier (2012), Zachary Gaudin (2013) et MarcMarie Lechat (2014), tous doctorants au Laboratoire
de Biologie et Pathologie Végétales de l’Université
de Nantes, pour leur contribution à une meilleure
connaissance des interactions plante – plante parasite.
Remerciements
37
La symbiose, un échange gagnant-gagnant :
Évolution de la symbiose mycorhizienne et dialogue
moléculaire entre plantes et champignons symbiotiques
Francis Martin, Laboratoire d’Excellence ARBRE, UMR Interactions Arbres/
Micro-organismes
Résumé
Dans le monde complexe de la rhizosphère –
la zone d’influence de la racine – des milliers
d’espèces de bactéries, de champignons et
d’animaux microscopiques évoluent et entrent en
compétition pour les ressources carbonées libérées
par la plante. Les champignons symbiotiques se
frayent un chemin vers la racine afin d’entrer en
contact avec leur partenaire et établir la symbiose.
Comment le champignon symbiotique reconnaît-il
son partenaire végétal dans cet entrelacs
souterrain de racines ? Comment la plante hôte
distingue-t-elle le champignon bénéfique du
champignon parasite ? Tout est question de
dialogue… chimique. Le vocabulaire moléculaire
employé par les partenaires de la symbiose
mycorhizienne est maintenant décrypté grâce à
une série de travaux remarquables des équipes
de recherche françaises. Il repose sur un échange
de molécules : strigolactones, oligosaccharides,
protéines effectrices sécrétées. Elles sont perçues
par des récepteurs membranaires et nucléaires de
la plante et induisent une cascade de mécanismes
conduisant à des changements dans l’expression de
centaines de gènes indispensables à la mise en place
de l’interaction symbiotique. Certains des facteurs
fongiques sécrétés sont capables de contrôler la
réponse immunitaire de la plante colonisée. C’est
la variété des molécules de communication, ainsi
que leur concentration, qui semblent déterminer
la spécificité des interactions établies entre les
partenaires fongiques et les racines des différentes
espèces de plantes colonisées.
38
La forêt est, par définition, formée d’arbres ou dominée par ces derniers. Elle constitue le stade climacique
de la dynamique des associations végétales. Les arbres
constituent des mondes complexes où interagissent
des milliers d’organismes : mammifères, insectes,
oiseaux, plantes épiphytes, lichens et une microflore
abondante, dont les champignons. Chacun sait que
l’on trouve des champignons dans les sous-bois à
proximité des arbres. Mais ce qui reste méconnu, c’est
pourquoi ils sont si abondants en forêt et quels rôles
ils y jouent. Les champignons présents dans la litière
et le bois favorisent la décomposition – la métabolisation – des feuilles, des aiguilles, des branches mortes,
des troncs abattus et des souches et la réintégration de
leurs éléments constitutifs dans la chaîne alimentaire
qui irrigue la forêt. Les champignons mycorhiziens
vivent en symbiose mutualiste avec les arbres et jouent
un rôle aussi fondamental dans le bon fonctionnement de l’écosystème forestier. La mycorhize (du grec
múkês, champignon et rhiza, racine) est l’association
symbiotique d’un champignon du sol avec la racine
d’une plante. Le mycélium du champignon mycorhizien colonise la racine et modifie sa morphologie.
Cette biocénose est bénéfique aussi bien à l’arbre qu’au
champignon.
La symbiose ectomycorhizienne
On sait aujourd’hui que l’association symbiotique
mycorhizienne entre arbres et champignons est une
règle quasi générale et qu’elle contribue à l’établissement et à la pérennité de l’écosystème forestier, de
même qu’à sa productivité. Le mode de vie symbiotique
adopté par la truffe est partagé par des milliers d’espèces de champignons dont les cèpes, les chanterelles,
les bolets et les lactaires ; cette symbiose, dite ectomycorhizienne, est apparue une vingtaine de fois au cours
de l’évolution des mycètes car la symbiose présente
des avantages sélectifs indéniables, tel que l’accès aux
sucres simples produits par la plante hôte via la photosynthèse. Les champignons ectomycorhiziens sont
associés surtout aux arbres, par exemple pins, sapins,
chênes, hêtres, eucalyptus ou peupliers. Les arbres qui
dépendent de cette symbiose ne représentent pas plus
de 3 % des taxa végétaux, mais ils constituent cependant les essences dominantes des forêts des régions
boréales, tempérées et montagneuses. Les champignons ectomycorhiziens sont des ascomycètes (truffes,
terfez) et des basidiomycètes (amanites, chanterelles,
cortinaires). Au niveau anatomique, l’ectomycorhize
est constituée des hyphes extramatricielles se propageant dans le milieu extérieur et assumant un rôle
essentiel d’exploration et d’absorption, des hyphes
étroitement agglomérées, formant un pseudoparenchyme et constituant le manchon mycélien gainant
la racine, les hyphes du réseau de Hartig qui s’insi-
nuent entre les cellules du cortex racinaire sans jamais
pénétrer dans les cellules de l’hôte ; c’est à leur niveau
que sont supposés s’effectuer les échanges d’éléments
nutritifs (sucres, acides aminés, éléments minéraux),
un commerce équitable.
Les champignons symbiotiques
sont adeptes du commerce
équitable
Depuis plus de 450 millions d’années, les champignons symbiotiques pratiquent plutôt le troc. Plante
et champignon réalisent une opération économique
par laquelle chaque participant cède la propriété d’un
bien (glucose cédé par la plante) et reçoit un autre
bien (nitrate et phosphate cédés par le champignon).
L’absence de monnaie circulante n’empêche pas
l’usage d’unités de compte. En effet, il a été démontré
que la quantité de sucres donnés aux fi laments mycéliens colonisant la racine était strictement dépendante
de la quantité de phosphate transféré du champignon
à la plante. L’interruption du flux de phosphate entre
le champignon symbiotique et la plante hôte provoque
un arrêt rapide du transfert de sucres en provenance
de la plante. Plus surprenant, cet arrêt des échanges
équitables provoque la digestion par la plante des
structures d’échange mises en place par le champignon à arbuscules au sein de la cellule. Les relations
commerciales entre les partenaires souff rent donc mal
la tricherie !
Le réseau d’hyphes extramatricielles joue un rôle
primordial dans l’alimentation minérale (azote,
phosphate, micro-éléments) de la plante ; en retour,
le champignon mycorhizien bénéficie d’un apport
constant en sucres simples, tels que le glucose et le
fructose. L’ensemble des mycorhizes consomme entre
10 et 40 % des sucres produits par la photosynthèse des
parties aériennes de la plante. Ce prélèvement considérable des ressources carbonées – le combustible –
de la plante est largement compensé par l’amélioration
de la nutrition minérale qui stimule la croissance de
la plante hôte. L’intérieur de la racine constitue une
niche qui confère un avantage certain au champignon
symbiotique dans la compétition avec les millions
d’autres microbes entourant les racines. Outre les
formes minérales phosphatées et azotées solubles, le
champignon mycorhizien peut exploiter une partie des
ressources organiques du sol, notamment en sécrétant
des protéases et des phosphatases.
Le mycélium est nettement plus efficace pour prélever l’azote, minéral et organique (protéines, acides
aminés), que les racines non mycorhizées de sa plante
hôte. Pour une espèce fongique donnée, il s’établit
un équilibre entre la croissance mycélienne qui va
dépendre à la fois des ressources en azote du milieu
et des composés carbonés fournis par la plante hôte,
ces deux facteurs pouvant aussi avoir des interactions
entre eux. En particulier, il semble que l’ampleur du
développement mycélien à l’extérieur de la racine
pour coloniser le milieu soit un facteur très important
de l’effet du partenaire fongique sur la croissance de
la plante hôte. L’efficacité d’un partenaire fongique
dépendra en grande partie de sa capacité à transférer
à sa plante hôte l’azote et le phosphore qu’il aura préalablement mobilisés, prélevés et/ou assimilés. Cette
capacité de transfert est sans aucun doute un des éléments «clef» de la compréhension du fonctionnement
symbiotique.
Évolution de la symbiose
ectomycorhizienne
La symbiose ectomycorhizienne entre arbres et
champignons du sol a été sélectionnée de façon indépendante plus d’une vingtaine de fois au cours de
l’évolution des champignons. Des fossiles attestent
l’existence de racines de pin mycorhizées par l’ancêtre
des bolets actuels il y a plus de 50 millions d’années
et les reconstructions phylogénétiques basées sur la
douzaine de génomes de champignons mycorhiziens
disponibles suggèrent que la symbiose ectomycorhizienne est apparue il y a 150 millions d’années, lors
de l’apparition d’immenses massifs forestiers sur notre
planète. Ce sont vraisemblablement des pourritures
brunes et des dégradeurs de litière qui ont inventé le
langage leur permettant de dialoguer avec les racines
d’arbres afin d’établir des relations à bénéfice mutuel.
Quasiment toutes les familles de champignons forestiers du groupe des agaricales, à l’exception des polyporales, ont opté pour cette interaction symbiotique.
Les champignons ectomycorhiziens bénéficient ainsi
directement des sucres assimilables de leur hôte végétal, plutôt que de dégrader les polymères du bois pour
en disposer. Quels sont les mécanismes génétiques –
les articles du contrat de mariage – nécessaires pour
mettre en place une symbiose mycorhizienne équilibrée profitant aux deux partenaires ?
La symbiose est-elle inscrite
dans les gènes ?
Une hypothèse, partagée par de nombreux scientifiques, évoquait une convergence évolutive des
facteurs symbiotiques chez tous les champignons
mycorhiziens et l’existence d’une « boîte à outils
moléculaires » commune – un vocabulaire unique
– à l’ensemble des champignons symbiotiques mycorhiziens permettant l’établissement du dialogue avec
la plante hôte, la colonisation de la racine et le fonctionnement harmonieux de la symbiose. La comparaison des génomes des champignons symbiotiques,
dont le laccaire (Laccaria bicolor) et la truffe noire du
Périgord (Tuber melanosporum), révèle que les champignons symbiotiques partagent de nombreuses pro-
39
priétés génétiques communes. En particulier, ils ont
perdu la capacité de produire les enzymes dégradant
la cellulose et la lignine de la paroi végétale. Incapables
de se nourrir à partir de la matière morte végétale
qui abonde sur les sols forestiers, ils n’ont pas d’autre
issue que de marchander avec la plante afin de s’approvisionner en sucres. Ils activent alors de nombreux
transporteurs membranaires lors de l’interaction afin
d’assurer l’échange massif des éléments nutritifs au
sein de l’organe symbiotique.
Toutefois, on observe des divergences notables dans
les mécanismes moléculaires déployés afin d’établir
la symbiose. Certains champignons ectomycorhiziens, comme le laccaire, injectent dans la racine une
panoplie de messagers protéiques chargés d’établir
un dialogue moléculaire entre les deux partenaires.
Ces protéines contrôlent les défenses immunitaires
de l’arbre de façon à éviter le rejet du champignon par
son partenaire végétal. D’autres champignons, comme
la truffe, n’utilisent pas les protéines de signalisation
employées par le laccaire pour dialoguer avec son
hôte. Au contraire, la truffe sécrète de nombreuses
enzymes dégradant la pectine qui « colle » les cellules
de la racine les unes aux autres et se fraye un passage
« en force » dans la racine. Il semblerait même que la
truffe puisse digérer les racines qui l’hébergent après
les avoir bien exploitées. En d’autres termes, là où le
laccaire favorise le dialogue diplomatique avec son
hôte, la truffe aurait un comportement plus guerrier.
Ces premières études de génomique comparative
suggèrent donc qu’au cours de l’évolution des champignons, différentes « boîtes à outils moléculaires » ont
été sélectionnées afin de permettre l’établissement de
la symbiose entre des groupes de champignons et de
plantes très diversifiés sur le plan taxonomique.
Les champignons symbiotiques
dialoguent-ils avec leurs partenaires ?
40
Dans le monde complexe de la rhizosphère – la zone
d’influence de la racine – des milliers d’espèces de bactéries, de champignons, et d’animaux microscopiques
évoluent et entrent en compétition pour les ressources
carbonées libérées par la plante. Les champignons
symbiotiques se frayent un chemin vers la racine afin
d’entrer en contact avec leur partenaire et de s’établir dans cette niche confortable où gîte et couvert
sont fournis. Comment le champignon symbiotique
reconnaît-il son partenaire végétal dans cet entrelacs souterrain de racines ? Comment la plante hôte
distingue-t-elle le champignon bénéfique (le Bon) du
champignon parasite (le Méchant) ? Tout est question
de dialogue… chimique. Le vocabulaire moléculaire
employé par les partenaires de la symbiose endomycorhizienne à arbuscules est maintenant décrypté grâce
à des travaux remarquables des équipes de recherche
françaises qui ont duré plus de 20 ans.
Les racines de la plante, apte à contracter la symbiose,
libèrent dans le milieu qui les entoure des quantités
infinitésimales d’une hormone, les strigolactones.
Ces molécules, dérivées des caroténoïdes, sont perçues par les spores dormantes du champignon, un
Glomeromycota, présentes dans le sol. La perception
de ce signal déclenche la germination de la spore, la
croissance d’un fi lament mycélien issu de celle-ci et sa
ramification intense. Le mycélium, métaboliquement
très actif, secrète en direction des racines des sucres
complexes, appelés lipo-chitooligosaccharides (LCO),
qui provoquent dans les cellules racinaires une série de
processus moléculaires préparant l’arrivée du fi lament
mycélien. Ces signaux moléculaires sont des glycoconjugués bioactifs, regroupés sous le terme générique de
« facteurs Myc » (Myc pour mycorhization). Les facteurs Myc appartiennent à la même famille chimique
que d’autres signaux symbiotiques diff usibles, les
« facteurs Nod » (Nod pour nodulation), synthétisés
par les Rhizobium, des bactéries fi xatrices d’azote qui
vivent en symbiose avec les légumineuses, comme
la luzerne. Les facteurs Myc et Nod sont construits
autour d’une chaîne d’oligosaccharides à base de
N-acetylglucosamine. Les facteurs Myc stimulent la
formation de mycorhizes à arbuscules chez de nombreuses plantes et la croissance et la ramification des
racines latérales chez la luzerne. Le champignon favorise ainsi ses chances d’interagir avec les racines de
son hôte potentiel. Ils sont perçus par des récepteurs
membranaires de la plante et induisent une cascade
de mécanismes moléculaires impliquant des changements dans la signalisation calcique dans le noyau des
cellules hôtes et l’expression de plusieurs gènes indispensables à la mise en place de l’interaction symbiotique. Des recherches sont en cours afin de déterminer
si des mécanismes de signalisation similaires sont à
l’œuvre dans les autres symbioses mycorhiziennes.
Le dialogue entre les champignons symbiotiques
et leurs plantes hôtes est très complexe et implique
d’autres molécules diff usibles de concert avec les
facteurs Myc. Par exemple, des hormones végétales,
comme les auxines et les cytokinines, et des petites
protéines sécrétées, capables de contrôler la réponse
immunitaire de la plante colonisée, sont libérées par
le mycélium colonisant la racine. C’est la variété des
molécules de communication, ainsi que leur concentration, qui semblent déterminer la spécificité des interactions établies entre les partenaires fongiques et les
racines des différentes espèces de plantes colonisées.
Le développement des approches à haut débit (génomique, transcriptomique, métabolomique), couplées
à l’étude écophysiologique in situ, devrait permettre
de décrypter le fonctionnement de ces associations
mycorhiziennes complexes et de mieux comprendre
leur rôle fondamental dans le bon fonctionnement des
écosystèmes forestiers.
Les composés (organiques) volatiles donnent
l’alerte chez les plantes
Xavier Daire, UMR Agroécologie INRA-Université de Bourgogne. Dijon
Résumé
Les plantes possèdent différents moyens de
défense contre les pathogènes et les ravageurs
(bioagresseurs), certains, comme la production
localisée de composés antimicrobiens, étant
déclenchés en réaction à l’attaque.
Les composés organiques volatils (COV) synthétisés
par les plantes, parmi lesquels les terpènes sont les
plus abondants, sont connus pour jouer un rôle
important dans la pollinisation mais aussi dans la
protection contre les stress abiotiques (oxydatifs)
et les bioagresseurs, en particulier les insectes.
Leur caractère volatil leur confère la propriété
remarquable de messager aérien de plante à plante.
Que les COV puissent jouer un rôle dans la défense
des plantes contre les pathogènes est moins bien
connu, mais a été récemment démontré dans
diverses études, dont nous présenterons les
principaux résultats.
Les plantes ne peuvent se mouvoir et fuir un agresseur
ou des conditions adverses. C’est peut-être pour cela
qu’elles sont de véritables usines chimiques comme
nous le montre la grande variété de métabolites
secondaires qu’elles sont capables de synthétiser. En
effet, ces métabolites ne jouent pas de rôle dans les
fonctions métaboliques primaires : énergie, croissance,
reproduction… mais ont des fonctions écologiques de
première importance pour l’adaptation des plantes à
leur environnement et leur dissémination : attraction
des pollinisateurs, compétition avec les autres plantes
(allélopathie), protection contre les agressions
abiotiques (UV, ozone…) et biotiques (arthropodes
phytophages et agents pathogènes). L’homme les
utilise depuis longtemps comme parfums, colorants,
tanins, insecticides, poisons, médicaments, etc. Trois
grandes classes de composés - les phénylpropanoïdes
(composés phénoliques : tanins, lignine, pigments),
les alcaloïdes (toxines, insecticides…) et les terpènes
(parfums, antioxydants) - comprennent l’essentiel des
métabolites secondaires.
Les composés organiques volatiles (COV), transportés
par l’air, constituent des signaux chimiques envoyés
par la plante vers les autres plantes ou les animaux.
On connaît depuis assez longtemps leur rôle dans
l’attraction des pollinisateurs, mais leur rôle dans la
défense contre les arthropodes phytophages n’a été
découvert que dans les années 1990 et celui contre les
agents pathogènes, une dizaine d’années plus tard.
Les COV végétaux sont essentiellement des composés
terpéniques, benzénoïques, des alcools et aldéhydes,
ces 2 derniers constituant les « green leaf volatiles »
(GLV).
Les
terpènes constituent un vaste groupe de
métabolites : on en compte plus de 20 000
différents, tous formés à partir de 2 isomères à
5 carbones (isopentényl diphosphate et diméthylallyl
diphosphate), ensuite transformés et assemblés par
diverses enzymes, les terpènes synthases, en une
infinité de combinaisons. Parmi les terpènes les
plus communs, citons l’isoprène, le limonène, le
caryophyllène, le linalool, le farnésène, le géraniol, etc.
(existant chacun sous forme de différents isomères.)
Les terpènes sont les principaux composés d’arômes
des parfums de fleurs et de fruits.
Le COV benzénique le plus abondant chez les plantes
est le salicylate de méthyle, qui fait partie de leur
réponse générale au stress. Ce composé peut-être
synthétisé selon plusieurs voies métaboliques, la plus
courante étant celle des phénylpropanoïdes.
Enfin les GLV, comme le (Z)-3-hexenol, proviennent
de l’oxydation des lipides cellulaires lors de blessures ;
ils contribuent à l’odeur d’herbe coupée.
Les COV diff usent de la plante à l’atmosphère selon
différentes voies. Ils peuvent être accumulés dans des
glandes à la surface des organes et être libérés lorsque
ces glandes sont rompues par l’agresseur (par ex. chez
la tomate), diff user librement depuis une blessure
(GLV) ou bien depuis les stomates. Dans ce dernier
cas, le rythme d’émission est superposé au rythme
circadien d’ouverture et de fermeture des stomates.
En outre, la production de terpènes est diurne, car elle
dépend de la photosynthèse.
On dose ces composés par chromatographie gazeuse,
éventuellement couplée à un spectromètre de masse
pour leur identification. Les méthodes de prélèvement
des COV sont très variables ; il existe maintenant
des dispositifs d’échantillonnage assez simples, non
destructifs, utilisables en routine (fibres SPME).
Dans ce qui suit, nous décrirons le rôle des COV dans
la défense des plantes contre les ravageurs (arthropodes phytophages), puis contre les agents pathogènes, à l’aide de divers exemples tirés de la littérature
scientifique.
41
Les COV : appel au secours
contre les ravageurs et moyens
de dissuasion
Dès qu’une chenille, une araignée phytophage se
nourrit aux dépens d’un organe végétal, celui-ci émet
presque instantanément des GLV par suite de la blessure, puis quelques heures plus tard apparaissent terpènes, salicylate de méthyle, synthétisés de novo par
suite de la reconnaissance spécifique par la plante
de composés contenus dans la salive de l’agresseur
(peptides, acides gras particuliers). Cette perception
déclenche des cascades de signalisation cellulaire,
conduisant à l’expression de gènes de biosynthèse de
COV. La principale voie de signalisation cellulaire
conduisant à la synthèse de COV passe par l’acide
jasmonique (l’application exogène de cette phytohormone peut éliciter un bouquet de COV voisin de
celui élicité par des ravageurs). L’augmentation de production de COV est souvent systémique, c’est-à-dire
qu’outre les feuilles attaquées, sur une plante donnée,
les feuilles intactes émettent davantage.
Les ravageurs sont la proie d’ennemis naturels : acariens prédateurs et parasitoïdes, ces derniers étant
souvent de petites guêpes qui pondent leurs œufs dans
les larves de ravageurs. À la fin des années 1990, les
chercheurs ont découvert que les COV émis en réponse
à une attaque phytophage étaient perçus par ces carnivores comme signaux de présence de leurs proies (ou
hôtes). Par exemple, une expérience sur cotonnier en
plein champ a montré que 95 % des « atterrissages » de
guêpes parasitoïdes avaient lieu sur des plantes infestées de chenilles contre 5 % pour les plantes intactes.
Les bouquets de COV émis varient selon l’espèce végétale, mais aussi selon l’agresseur, et les guêpes peuvent
distinguer les bouquets émis à la suite de l’attaque par
leur hôte de ceux causés par des ravageurs non-hôtes.
On admet que l’effet attractif des COV sur les insectes
carnivores porte sur au moins plusieurs mètres.
Cela se passe aussi sous terre : les racines de maïs
attaqués par les larves de Diabrotica (un coléoptère)
émettent du (E)-α-caryophyllène qui attire des nématodes parasites des larves.
Mais les COV peuvent être aussi des défenses directes.
Le (Z)-3-hexenol émis par le tabac après attaque dissuade la femelle de Heliothis virescens d’y déposer ses
œufs. Un autre GLV, l’hexenal, semble jouer un rôle
dans la défense de la pomme de terre contre les pucerons, du fait que les lignées transgéniques à production réduite de ce composé sont plus infestées. Dans ce
cas, il s’agit vraisemblablement d’une toxicité directe.
42
Les COV : messagers de la communication de plante à plante
Les composés produits par une plante ont non seulement la capacité d’influencer le comportement des animaux, mais aussi celui des autres plantes du voisinage.
Cette hypothèse a longtemps été l’objet de scepticisme
jusqu’à ce que l’équipe de G. Felton aux Etats-Unis en
effectue la vérification en 2000. Ces chercheurs ont
montré, dans une expérience en conditions naturelles,
que les plants de tabac croissant à proximité de plants
d’armoise artificiellement blessés étaient moins attaqués par des ravageurs, en même temps qu’ils avaient
des teneurs en polyphénol oxydase (une enzyme de
défense) plus élevées.
À la même époque, des Japonais apportèrent une
démonstration supplémentaire en utilisant un dispositif assez simple où des plants de haricots sont exposés à un courant d’air ayant passé sur d’autres plants,
infestés d’araignées jaunes. Les plants « receveurs »
deviennent plus résistants à l’acarien (apporté après
exposition à l’air) et ceci est concomitant avec une augmentation de l’activité lipoxygénase (cette enzyme est
à l’origine de la synthèse de l’acide jasmonique) et de
l’expression de gènes de défense. Enfin, ils identifient 3
terpènes dans l’air provenant des émetteurs, qui sont
nécessaires et suffisants pour induire les modifications
observées dans les « receveurs ». Ainsi la preuve était
faite que les COV pouvaient être des messagers de
plante à plante.
Références
Arimura et al. 2000. Nature
Pichersky and Gershenzon. 2002. Curr. Op. Plant Biol.
Dicke et al. 2009. Nature
Rasmann et al. 2005. Nature
Les COV : messagers de la
défense des plantes contre les
agents pathogènes
Ce qui est vrai pour les interactions plante-insecte,
l’est aussi pour les relations plante-pathogène. En
2006, Kishimoto et coll. montrent que des plants
d’arabette exposés à des vapeurs d’allo-ocimène, un
monoterpène bien connu, deviennent plus résistants
au champignon nécrotrophe Botrytis cinerea, agent de
la pourriture grise. Ce traitement induit la surexpression de gènes de défense, connus pour être activés par
l’acide jasmonique, un accroissement de la lignification
cellulaire dans les zones attaquées et de la synthèse de
camalexine, composé végétal antimicrobien (phytoalexine) produit en réponse aux agressions des pathogènes. De plus, l’allo-ocimène se comporte dans cette
étude comme potentialisateur de certaines défenses
de la plante. La potentialisation (priming) correspond
à la capacité d’accroître par un traitement le niveau
d’une réponse d’un organisme à un stimulus ultérieur
à ce traitement. C’est un phénomène assez courant en
pathologie animale et végétale, souvent associé à une
défense intense contre un agresseur. Le mécanisme
de la potentialisation n’est pas parfaitement connu, il
pourrait s’expliquer par l’accumulation de messagers
cellulaires, par exemple des protéines kinases, et par
des changements de configuration de l’ADN permettant une transcription plus rapide des gènes de défense
au moment de l’interaction avec le pathogène. Dans
le cas présent, la potentialisation se traduit par une
production de camalexine par l’arabette plus élevée
après traitement avec l’allo-ocimène et inoculation
par botrytis qu’après traitement ou inoculation seul.
Un autre exemple de potentialisation de réactions de
défense par les COV a été publié à la même période,
mais dans le cas d’une interaction plante-insecte : chez
les plantes exposées à des COV provenant de plantes
attaquées par des chenilles, les gènes de défense observés s’expriment plus rapidement, la production de COV
est plus abondante que dans les témoins attaqués non
exposés et ces plantes sont finalement plus résistantes.
Si l’importance des COV dans la défense des plantes
contre les arthropodes phytophages, même au champ,
n’est plus à démontrer, la situation est moins claire en
ce qui concerne les pathogènes. Néanmoins, certaines
études réalisées à l’air libre, sur le terrain, tendent à
montrer qu’ils peuvent jouer un rôle non négligeable.
Nous rapportons ici les principales conclusions d’une
expérience originale menée en 2009 par Yi et coll.
mettant en jeu trois acteurs : le haricot, la bactérie
phytopathogène Pseudomonas syringae et un inducteur de résistance, le benzothiadiazole (BTH). Ce produit est un analogue synthétique de l’acide salicylique,
phytohormone qui déclenche des défenses des plantes
contre les agents pathogènes. Le BTH est ainsi considéré comme éliciteur (to elicit : provoquer) de réactions
de défense et il accroît efficacement la résistance de la
plante lorsque le pathogène est sensible aux défenses
élicitées via l’acide salicylique (ce qui n’est pas toujours
le cas). Dans le pathosystème haricot-Pseudomonas, le
BTH peut de surcroît être considéré comme inducteur
de résistance car les défenses qu’il élicite (ex. la production de glucanase, une protéine PR) procure une
protection significative contre la bactériose.
Ainsi, les auteurs traitent des plantes par le BTH, les
placent à côté de plantes non traitées puis inoculent
la bactérie aux 2 lots. Quelques jours plus tard, ils
observent que les plantes traitées directement sont
moins infectées que les témoins ainsi que les plantes
placées à côté d’elles. Ils vérifient que cela n’est pas dû
à des émanations du BTH et trouvent que l’expression
de gènes de défense est potentialisée chez les plantes
exposées non traitées, c’est-à-dire que l’expression de
ces gènes est accrue seulement après inoculation (par
rapport au témoin inoculé non exposé). Ils analysent
ensuite les COV élicités par le BTH et les comparent
à ceux élicités par un traitement avec l’acide jasmo-
nique, qui n’induit pas de résistance, et trouvent le
nonanal comme seul COV induit par le BTH et non
par l’acide jasmonique. Les vapeurs de ce produit s’avérant capables d’induire les mêmes effets protecteurs
que le BTH, ils le considèrent comme le messager de
la résistance…
Références
Jansen et al. 2011. Ann. Rev. Phytopathol.
Kishimoto et al. 2006. Phytochemistry
Ton et al. 2006. Plant physiol.
Yi et al. 2009. Plant physiol
Quelle est la spécificité de
l’émission de COV par les
plantes ?
Le bouquet de COV émis par une plante lors d’un stress
biotique comporte souvent plusieurs dizaines de composés détectables. Quelques-uns se retrouvent chez de
très nombreuses espèces : (Z)-3-hexenol (GLV), salicylate de méthyle (phénylpropanoïde), (E)-β-ocimène,
α-farnésène,
linalool,
(E)-diméthylnonatriene,
α-caryophyllène (terpènes), accompagnés de dizaines
d’autres, surtout des terpènes, plus ou moins caractéristiques de l’espèce végétale ou du stress subi. Le
bouquet est donc caractérisé par la nature des COV
et leur proportion à un temps donné. Il semble qu’une
même espèce émette des bouquets similaires mais
légèrement différents selon l’agresseur et que parfois
différentes espèces répondent de façon similaire à un
même stress. Ainsi, des chercheurs néerlandais soumettent la pomme de terre à différents stress biotiques,
pathogène (Phytophthora), acariens, thrips, pucerons
et chenilles, et trouvent dans tous les cas quelques
composés majeurs mais aussi de légères différences,
spécifiques de chaque situation.
Les COV donnent-ils l’alerte aux
maladies ?
Le progrès technologique constant dans la sensibilité
des appareils d’analyse et leur miniaturisation font que
la détection des COV pour connaître l’état sanitaire
de cultures commerciales n’est plus un rêve. On envisage par exemple d’équiper des serres de capteurs de
COV (salicylate de méthyle, ocimène…) pour y déceler
automatiquement et avant l’apparition de symptômes
la présence de maladies. Ces méthodes ont l’avantage
d’être non destructrices. Au-delà, il semble de plus
en plus évident que les émissions de COV traduisent
un état physiologique de la plante et on peut imaginer
l’intérêt que représenterait leur analyse au champ à
l’aide d’outils portatifs.
Références
Jansen et al. 2011. Ann. Rev. Phytopathol.
43
Induction de résistances chez le blé lors d’une
interaction compatible avec Blumeria graminis
Christine Tayeh
Résumé
La tendance européenne et plus particulièrement
française pour la protection des cultures évolue
vers une réduction de l’usage des pesticides
pour des raisons à la
fois
agronomiques,
environnementales, sanitaires et sociétales. À cet
égard, l’étude des inducteurs de résistance des
plantes contre les agents pathogènes constitue une
voie prometteuse. Ainsi, l’induction de résistances
chez le blé sensible lors d’une attaque par l’oïdium
est possible après application de tréhalose (TR) et
d’heptanoyl d’acide salicylique (HSA). Les taux
de protection atteints (38 et 95 % respectivement)
passent par une bonne biodisponibilité de ces
inducteurs appliqués de façon exogène et par
une signalisation interne qui met en alerte les
mécanismes de défense de la plante. Dans les
deux cas, la voie de synthèse des oxylipines dont
l’acide jasmonique, molécule signal des réactions
de défense des plantes, semble être un marqueur
de résistance induite par les produits chez le
blé contre l’oïdium. Les travaux présentés ici
permettent d’envisager l’usage des inducteurs de
défense comme moyens de lutte alternatifs pour
la protection des cultures, sachant que l’approche
moléculaire et biochimique menée ici est par
ailleurs également transposée en horticulture.
Le texte suivant présente une synthèse des travaux de
thèse effectués au laboratoire Unité de Chimie environnementale et Interactions sur le Vivant (UCEIV) à
l’Université du Littoral Côte d’Opale (ULCO) à Calais.
Ces travaux, présentés en décembre 2012 et déjà valorisés sous forme de deux publications (Tayeh et al.,
2013 et 2014), ont porté sur l’induction de résistances
chez le blé (Triticum aestivum L.) lors d’une interaction
compatible avec Blumeria graminis (DC. E.O speer )
et plus spécifiquement sur les mécanismes mis en jeu
après application de tréhalose et d’heptanoyl d’acide
salicylique, dérivé fonctionnalisé de l’acide salicylique.
44
Écophyto 2018 est le plan national d’action français
dont le but est de réduire de 50 % si possible l’usage des
pesticides en France d’ici 2018 avec un maintien, à haut
niveau, de la qualité et de la quantité de production.
En France, le marché des fongicides est très développé,
la plaçant au 4e rang mondial d’utilisateur de pesticides. Cependant, l’usage systématique des fongicides
conventionnels entraîne l’apparition de populations de
champignons phytopathogènes résistant à leur mode
d’action. Par ailleurs, la lutte génétique, basée sur la
sélection de variétés résistantes, est souvent contournée par l’apparition de nouveaux gènes de virulence
qui permettent de surmonter la résistance variétale.
Par conséquent, de nouvelles stratégies sont mises en
place et reposent sur l’usage de molécules ou mélange
de molécules qui stimuleraient la résistance naturelle des plantes contre les agents pathogènes. Leurs
principes reposent sur les mécanismes généraux des
réactions de défense qui ont lieu lors des interactions
plantes-agents pathogènes. En effet, avant que ne
s’établissent ces mécanismes de défense naturelle, a
lieu une étape de perception qui met en jeu des motifs
moléculaires, qui peuvent être soit des éliciteurs exogènes dérivés de l’agent pathogène (comme la chitine),
soit des éliciteurs endogènes dérivés de la plante ellemême (comme les oligogalacturonides végétaux).
Suite à cette reconnaissance, un dialogue moléculaire
s’établit, qui déclenche les réactions de défense chez la
plante attaquée. Les cascades de réactions de défense
susceptibles d’être déclenchées sont d’une complexité
élevée et mettent en jeu des défenses antiparasitaires
directes (comme les chitinases qui hydrolysent les
parois fongiques) et des voies de signalisation (avec les
molécules signal comme l’acide salicylique ou l’acide
jasmonique) qui véhiculent l’information de l’infection. La rapidité et l’amplitude de ces réactions de
défense suite à la reconnaissance de l’agent pathogène
déterminent l’issue de cette interaction (réussite de
l’infection ou résistance de la plante).
Les stratégies de lutte alternative présentées ici
consistent donc en l’application de produits qui
mimeront les motifs moléculaires impliqués et ces
molécules sont appelées stimulateurs des défenses
des plantes (SDP). Leur application exogène peut
résulter en une résistance induite (IR). L’application
préventive de ces SDPs permet l’accélération et/ou le
renforcement des réponses de la plante mise ainsi en
alerte, conduisant à sa protection contre une éventuelle attaque par un agent pathogène. Dans le secteur
horticole, l’efficacité du Milsana®, du Iodus2CS® et du
Stifenia®, produits à base d’extrait éthanolique brut,
de laminarine et de broyat de graines de Trigonella
foenum-graecum respectivement, est reconnue sous
serre sur l’oïdium du concombre, du fraisier et de la
vigne respectivement (in Présentation des Principaux
SDPs, Philippe Reignault, Elicitra. juin 20131). Le bion®,
produit à base d’acibenzolar-S-methyl (ASM) protège la banane contre la cercosporiose et les haricots
contre les virus des aleurodes. Des essais français ont
montré des résultats encourageants dans la protection
des tomates de plein champ contre les bactérioses
et des melons contre la fusariose (Laure de Bastard,
Syngenta, Elicitra, juin 20132). Dans le secteur de la
floriculture, des efficacités importantes des SDPs sont
déjà mises en évidence tels que l’acibenzolar-S-methyl
ou le benzothiadizole (ASM ou BTH) contre la rouille
blanche du chrysanthème et la rouille de la pâquerette
et le Sémafort® contre le mildiou de l’hébé. Ces réussites s’expliquent sans doute par le fait qu’il s’agit de
cultures hors sol sous abri, pour lesquelles les conditions environnementales, et donc l’écophysiologie de
la plante, cible des SDPs, sont bien maîtrisées (Stapel,
Astredhor, Elicitra 20133).
Pour assurer la protection de la quatrième culture
mondiale, le blé, peu de produits sont déjà homologués contre l’oïdium. Cette maladie est causée par
un champignon (Blumeria graminis f.sp. tritici, Bgt)
biotrophe dont la survie dépend de la plante hôte qu’il
attaque au niveau aérien. Les symptômes se présentent
sous formes de pustules blanchâtres au niveau des
tiges, feuilles et épis (Figure 1). Les pertes de rendement peuvent atteindre les 30 %.
C’est sur ce pathosystème que deux SDPs, le tréhalose
(TR) et l’heptanoyl d’acide salicylique (HSA), ont été
testés au cours de nos travaux.
La recherche d’une activité antifongique directe a
été menée en premier lieu sur le processus infectieux
du champignon in vitro, afin de constater un éventuel effet direct de ces molécules. Nos résultats ont
confirmé ceux de Renard-Merlier et al. (2007), qui
n’ont décrit aucune altération de la germination des
spores de Bgt in vitro sous l’effet du TR et du HSA.
Cette première étape est cruciale pour déterminer le
mode d’action des SDPs comme véritables inducteurs
des réactions de défense des plantes. En effet, certains
SDPs sont aussi antifongiques comme le Milsana® sur
l’oïdium du blé (Randoux et al., 2006) et les rhamnolipides sur le botrytis de la vigne (Fabienne Baillieul,
Elicitra, juin 20134).
Une approche intégrée (moléculaire, biochimique et
cytologique) a été mise en œuvre pour avoir une vue
globale des réactions de défense mises en jeu après
le traitement avec le TR et le HSA. Au niveau moléculaire, l’expression d’un ensemble de 10 gènes de
défense a été étudiée en cinétique couplée à la mesure
des activités enzymatiques correspondantes.
Dans le cadre de nos expériences, c’est le cultivar de blé
Orvantis qui est utilisé. Il s’agit d’un cultivar sensible à
l’oïdium qui est intensément cultivé en Nord-Picardie
et dans le Bassin parisien. Les plantes sont cultivées en
conditions contrôlées (photopériode, température et
humidité régulées), similaires à celles rencontrées au
champ. Les plantes de blé âgées de 10 jours sont pulvérisées avec une solution de TR (44 mM) ou de HSA
(5 mM). L’inoculation d’une suspension sporale de Bgt
est effectuée 48 h après le traitement.
Le tréhalose (TR) est un dimère de glucose (Figure 2).
Après une pulvérisation, le TR confère un taux de pro-
Figure 1. Oïdium sur feuilles de blé
Figure 2. Molécule de tréhalose
1
http://www.elicitra.org/vars/fichiers/Colloque/Elicitra%20juin%202013%20Reignault.pdf
http://www.elicitra.org/vars/fichiers/Colloque/5%20-%20Elicitra%20juin%202013%20-%20De%20Bastard.pdf
3
http://www.elicitra.org/vars/fichiers/Colloque/Elicitra%20juin%202013%20-%20Stapel.pdf
4
http://www.elicitra.org/vars/fichiers/Colloque/Elicitra%20juin%202013%20-%20Baillieul%20-%20Aveline.pdf
2
45
tection de 38 % du blé contre l’oïdium, 5 à 8 jours après
inoculation. Ce taux est doublé après 2 pulvérisations.
En présence de TR, une augmentation précoce de l’expression du gène chitinase4 est observée les premières
heures après inoculation (hai) (Figure 3A). La chitinase fragmenterait la chitine de la paroi fongique et les
produits qui en résultent véhiculeraient l’information
de l’infection, serviraient à stimuler l’activité d’autres
chitinases et amplifieraient ainsi le signal de base.
La pulvérisation préventive de TR induit ensuite
une augmentation de l’expression du gène ltp à deux
reprises, alors que son expression est complètement
stable chez les feuilles témoins (Figure 3B). Les protéines qui en découlent serviraient à transférer les
lipides et les monomères de cutine impliqués dans la
réparation des parois végétales du blé.
La pulvérisation des feuilles de blé avec le TR induit
enfin une forte augmentation de l’expression du gène
lox, les dernières hai simultanément avec une augmentation de l’activité LOX, pendant au moins 24 h lors
des dernières étapes du processus infectieux (Figure
3C-D). La stimulation de la lipoxygénase LOX, enzyme
clé de la voie des octadécanoïdes, pourrait conduire à
la synthèse de l’acide jasmonique (AJ), messager secondaire des réactions de défense des plantes.
En somme, les trois réactions de défense induites précocement et amplifiées par le TR mettent en jeu des
molécules signal qui assurent une communication
interne de l’information de l’infection et une amplifi-
46
cation du signal permettant des réactions de défense
efficaces contre l’oïdium (attaque directe du champignon, circulation du message et consolidation de la
paroi végétale). L’étude de l’expression des gènes en
cinétique a permis de dresser le profil du mode d’action
de ce SDP et de comprendre quelles voies de défense
sont sollicitées pour assurer une protection efficace
chez le blé contre l’oïdium. Une telle étude en cinétique est primordiale lors de la caractérisation d’un
SDP sur une plante, d’autant plus qu’elle démontre les
caractéristiques temporelles (rapidité de la réponse)
et qualitatives (amplitude et nature) des réactions de
défenses mises en jeu.
De plus, une telle cinétique de prélèvement, avec des
observations effectuées toutes les 3 heures, permettrait de constater un éventuel effet du rythme circadien sur l’expression des gènes induits par le SDP, bien
qu’aucun effet de ce genre n’ait été relevé sur notre
modèle.
Enfin, la capacité du TR à induire une telle cascade de
réactions de défense serait due à sa reconnaissance par
le blé comme molécule du non-soi, voire un facteur
de virulence, vu qu’il s’agit d’un sucre naturellement
accumulé dans un grand nombre de spores fongiques.
Cependant, le TR est une molécule hydrophile et sa
capacité à traverser la cuticule et pénétrer au sein des
tissus foliaires est fortement questionnée. Ce qui suggère qu’une meilleure efficacité du TR, dans la protection du blé contre l’oïdium, serait atteinte en présence
Figure 3. Expression de gènes (3A-B-C) et activité LOX (3D) chez le blé inoculé après traitement avec le TR
trait plein = TR ; trait coupé = témoin (H2O)
* = différence significative par rapport au témoin
d’une forte quantité de TR dans la plante. En effet,
l’infi ltration directe du TR, qui assure l’administration d’une grande quantité de TR dans les feuilles de
blé (Figure 4A), entraîne une augmentation largement
plus importante et plus précoce de l’expression des
gènes tels que chitinase4, par rapport à la pulvérisation
(Figure 4B). Une telle approche d’infiltration est purement fondamentale et non envisageable en conditions
de production intensive. Toutefois, il s’agit là d’une
piste importante qui montre que l’interaction plante/
agent pathogène est dépendante de caractéristiques
morphologiques et de mécanismes physiologiques
(ouverture des stomates, épaisseur de la cuticule,
stabilité de la molécule, pénétration, reconnaissance
grâce à un éventuel récepteur…) qui conditionnent la
bonne mise en place des réactions de défense du blé
et la réussite des stratégies de défense induites par les
SDPs.
Il serait ainsi tout à fait envisageable d’entamer des
démarches de fonctionnalisation des molécules SDPs
en leur greffant des fonctions chimiques qui faciliteraient leur pénétration après pulvérisation sur la
plante et augmenteraient a priori leur effet. Ce qui
permettrait de réduire les doses de SDPs utilisées lors
des programmes de traitements des cultures. Dans
cet esprit, le Iodus 2Céréales®, homologué sur orge et blé,
fait suite à Iodus40® avec une nouvelle formulation.
L’innovation dans la formulation du Iodus 2Céréales permet une biodisponibilité accrue de la laminarine. La
pénétration optimisée de la laminarine permet une
réduction du dosage utilisé par hectare par rapport à
Iodus40®, permettant un gain économique (Goëmar,
http://www.goemar.org).
La deuxième molécule étudiée dans le cadre de notre
travail est de nature complètement différente de celle
du TR. Il s’agit du HSA, un dérivé fonctionnalisé de
l’acide salicylique (AS) obtenu par estérification de
l’acide benzoïque par un acide heptanoïque (Figure 5).
Lors de l’interaction blé-oïdium, le HSA confère un
taux de protection deux fois plus élevé (95 %) par rapport à celui assuré par l’AS (50 %), après une pulvérisation. Ce taux atteint 100 % après 2 pulvérisations de
HSA.
Une augmentation de l’expression du gène PI-PLC2 par
rapport aux plantes contrôles est observée chez le HSA
(Figure 6). Ce gène code pour une phospholipase qui
participe à la synthèse de l’acide phosphatidique, autre
molécule signal de stress chez les plantes capables
d’induire plusieurs réactions de défense.
Figure 4. Infiltration (4A) et expression du gène chitinase4 (4B) chez le blé après infi ltration ou pulvérisation avec
le TR - Pulv = pulvérisation; Inf = infiltration
à gauche : Figure 5. Molécule de HSA
à droite : Figure 6. Expression du gène PI-PLC2 chez le blé noculé après traitement avec le HSA ; trait plein = HSA ; trait
coupé = témoin ; * = différence significative par rapport au témoin
47
Par rapport aux plantes contrôles, le HSA induit, chez
les feuilles de blé traitées, des augmentations très
importantes et continues de l’expression du gène lox
et de l’activité enzymatique LOX qui en résulte (Figure
7 A-B).
Ces résultats montrent que les voies de signalisation
sont principalement ciblées par le HSA plutôt que des
réactions de défense directes contre le champignon.
Enfin, la comparaison de l’effet du HSA sur tous les
marqueurs moléculaires testés par rapport à celui
du SA (molécule d’origine) montre que le SA induit
des modifications plus nombreuses et variées que
celles dues au HSA (Tableau 1). Néanmoins, son effet
protecteur reste moins important (50 % contre 95 %
respectivement). Chez le blé, la fonctionnalisation du
HSA facilite probablement sa perception par la plante
(soit par une reconnaissance plus ciblée, soit par une
traversée facilitée des parois). Ceci permet au HSA de
cibler les réactions de défense qu’il induit et donc de
mobiliser moins d’énergie tout en étant plus performant dans la protection contre l’oïdium.
Néanmoins, ces SDPs étant mis au point pour un usage
préventif, il était primordial de s’intéresser à leurs
effets sur la plante même en l’absence de champignon,
ce cas de figure pouvant avoir lieu dans la nature. Les
résultats ont montré que certains SDPs tels que le HSA
induisent également et de façon continue l’expression
des gènes de défense des plantes hors contexte infectieux, notamment la voie de signalisation de l’acide
jasmonique. Nos travaux hors contexte infectieux
(approche très peu appliquée dans d’autres modèles)
nous amènent à poser la question du coût physiologique de l’élicitation des réactions de défense des
plantes en l’absence d’agent pathogène. Les réactions
observées ici pourraient se traduire par des conséquences physiologiques telles qu’une forte réduction
48
de la croissance et de la formation des grains de blé,
observée suite au traitement par le benzothiadizole
BTH hors contexte infectieux. Ceci serait le résultat du
coût de l’allocation des ressources énergétiques, associé à l’élicitation observée dans ce type de contexte
(Heil et al., 2000). Il serait donc important d’évaluer
l’incidence du TR, du HSA et aussi d’autres éventuels
SDPs sur la physiologie du blé ou de la plante par la
mesure de la biomasse de la plante, mais aussi de sa
performance photosynthétique.
En conclusion, nos travaux soulignent l’importance
du dialogue moléculaire qui s’établit en premier lieu
entre la plante et son environnement (SDP et agent
pathogène) puis dans la plante suite à la perception
d’un signal extérieur.
Par ailleurs, dans le cas du TR et du HSA, la voie de
synthèse des oxylipines dont l’acide jasmonique,
messager secondaire signal des réactions de défense
des plantes, semble être un marqueur commun de
résistance induite par ces produits chez le blé contre
l’oïdium. Cette voie de défense efficace mise en évidence sur notre modèle pourra être utilisée comme
marqueur lors du criblage de potentielles molécules
SDPs sur le blé par des outils de criblage de SDP
comme la qPFD, outil dont le principe est justement
de cibler des gènes considérés et validés comme marqueurs de la résistance induite. La qPFD (puce faible
densité quantitative) est un dispositif original de criblage et d’évaluation de molécules à effet SDP (Brevet
WO/2011/161388), basé sur l’analyse de l’expression
de 28 gènes de défenses par qPCR développée chez le
pommier contre la tavelure. Cet outil devrait être prochainement développé sur d’autres cultures telles que
la pomme de terre, la tomate, la vigne et le blé (MarieNoëlle Brisset, INRA IRHS, Elicitra, juin 20135). Nos
travaux fourniront la nature des gènes marqueurs de
Figure 7. Expression du gène lox (7A) et activité LOX (7B) chez le blé inoculé après traitement avec le HSA
trait plein = HSA; trait coupé = témoin (éthanol Ethi)
* = différence significative par rapport au témoin
Tableau 1. Comparaison des effets du SA et du HSA sur l’expression des gènes chez le blé inoculé
la résistance induite chez le blé mais aussi le timing
auquel l’expression de ces gènes doit être examinée par
cet outil.
de défense induits par chacun des éliciteurs et ainsi
procurer au blé, ou toute autre culture, une protection
maximale et durable contre l’agent pathogène.
Une des principales perspectives à examiner est aussi
la capacité du TR et du HSA dans la protection du blé
contre d’autres agents pathogènes. En effet, certains
inducteurs de résistance possèdent la capacité de protéger la plante hôte contre plusieurs agents pathogènes
tels que le BTH qui assure une protection du blé contre
Blumeria graminis, Septoria spp. et Puccinia recondita
(Görlach et al., 1996). Cette approche est aussi valable
pour la laminarine chez le fraisier contre l’oïdium, la
tache commune, les taches pourpres et Phytophthora
sp. (Jean-Marie Joubert, Astredhor, Elicitra, juin
20136). Il serait donc pleinement justifié de tester l’efficacité des SDP - tréhalose, HSA - déjà étudiés contre
d’autres champignons pathogènes du blé tels que ceux
de la septoriose et de la fusariose, qui diffèrent de l’oïdium par leur mode de vie, à savoir hémibiotrophe et
nécrotrophe respectivement.
Enfin, l’approche moléculaire qui a permis de mettre
en évidence dans notre modèle l’importance des voies
de signalisation, désormais marqueur de la résistance
induite efficace chez le blé, serait d’autant plus envisageable chez d’autres cultures à intérêt économique
national telles que la vigne, la betterave sucrière et le
pommier, dont la quasi-totalité du génome est déjà
séquencée. Ceci permettra d’explorer d’autres pistes
de défense, ce qui fut laborieux dans le cas du blé
compte-tenu de son hexaploïdie et de la faible disponibilité des données de séquençage de son génome.
Raupach et Kloepper (2000) ont montré que des
mélanges de souches de bactéries, Plant Growth
Promoting Rhizobacteria PGPR, assurent une plus
grande protection du concombre contre la maladie de
la tache angulaire causée par Pseudomonas syringae
pv. lachrymans, en comparaison avec un traitement
à base d’une seule souche ; et ce, en aboutissant à la
mise en place de combinaisons de mécanismes de
défense. Dans le même esprit, une association des
différents SDPs permettrait éventuellement l’établissement d’une synergie entre les différents mécanismes
5
6
En complément des travaux de thèse présentés ici, le
dosage des molécules signal chez le blé pulvérisé par
des SDPs, notamment l’acide jasmonique et l’acide
phosphatidique par chromatographie en phase
gazeuse et liquide respectivement, ont été menés. Les
premiers résultats ont montré une accumulation de
ces produits de signalisation suite à l’induction des
réactions de défense par les SDPs. La complémentarité des marqueurs moléculaires et biochimiques mise
en évidence ici rappelle l’approche « BioMolChem »
développée en viticulture pour évaluer l’efficacité d’un
SDP et son niveau de protection du gène au champ visà-vis du mildiou et de l’oïdium (Marie-France CorioCostet, Elicitra, juin 20136). Cette approche permet en
trois étapes de (i) dresser des courbes doses-réponses
montrant l’efficacité des défenses sur différentes
populations d’agents pathogènes, (ii) analyser en PCR
http://www.elicitra.org/vars/fichiers/Colloque/Elicitra%20juin%202013%20-%20Brisset.pdf
http://www.elicitra.org/vars/fichiers/Colloque/4%20-%20Elicitra%20juin%202013%20-%20Joubert.pdf
49
quantitative des gènes impliqués dans les défenses qui
renseignent sur l’état de défense de la plante, et (iii)
identifier et quantifier des molécules (en l’occurrence
des polyphénols) partiellement impliquées dans les
mécanises de défense de la vigne.
En somme, de tels inducteurs de résistance ont une
importance croissante sur le marché agricole, car ils
permettent d’améliorer les défenses des plantes face
aux agresseurs des cultures et constituent un domaine
de recherche important face à l’impasse chimique
contre certaines maladies fongiques et à la rareté des
produits homologués pour les cultures florales par
exemple (Oscar Stapel, Astredhor, Elicitra, juin 2013).
Leur intégration dans les programmes classiques de
protection des cultures est envisageable et permettra éventuellement de réduire l’usage des produits
phytosanitaires. Chez le pois, une association par
mélange du fongicide hexaconazole et du BTH ainsi
qu’une intégration de ce dernier dans le programme
de lutte chimique augmentent le rendement en poids
sec (Sharma et Sharma, 2011), bien que la plupart des
études montrent une augmentation des rendements en
contexte infectieux plutôt qu’une diminution directe
de la sévérité des maladies. Dans le même sens, la
laminarine utilisée en complément et même en substitution à deux traitements fongicides (sur un total
de 4 traitements) sur fraisier contre botrytis, permet
de réduire les résidus de pesticides dans les fruits, de
réduire la sélection de souches résistantes aux fongicides et d’augmenter légèrement la récolte (Jean-Marie
Joubert, Goëmar, Elicitra, juin 2013 ).
L’ensemble des travaux présentés ici permet d’envisager l’usage des inducteurs de défense comme moyens
de lutte alternatifs pour la protection des cultures
horticoles, tout en tenant compte de l’importance des
étapes de reconnaissance du SDP et de l’activation des
signaux moléculaires (étapes de communication du
message d’infection) qui préparent la mise en place
des réactions de défense proprement dites et dont la
coordination est assurée par une transmission interne
efficace du signal, suite à la reconnaissance externe de
l’agent pathogène. De tels travaux fondamentaux sont
indispensables pour établir les stratégies de transfert
de l’usage des SDPs en horticulture, du laboratoire au
champ.
50
Références bibliographiques
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Insectes et plantes : je t’aime, moi non plus
Frédéric Marion-Poll, AgroParisTech, Département Sciences de la Vie et Santé CNRS, Laboratoire Évolution, Génomes et Spéciation
Résumé
Plantes et insectes coexistent pour le meilleur et le
pire. Comme les plantes ne se déplacent pas, elles
représentent une ressource alimentaire intéressante pour les herbivores, en particulier les insectes.
En même temps, elles ont besoin d’échanger des
gamètes pour se reproduire. Beaucoup d’entre elles
se sont associées à des insectes qui transportent
leurs gamètes. Les plantes ont donc à la fois besoin
de repousser les insectes et les herbivores qui les
consomment, et d’attirer des insectes pollinisateurs qui vont leur permettre de se reproduire.
Cette ambivalence se retrouve exacerbée au niveau
des organes reproducteurs, car c’est dans les fleurs
que l’on retrouve à la fois la plus grande concentration de substances de défense afin de protéger leur
cellules reproductrices contre la prédation, et des
signaux attractifs olfactifs et visuels associés à du
nectar afin d’attirer les pollinisateur. Nous examinerons quelques exemples de cette ambivalence qui
a conduit les plantes à « inventer » des méthodes
extrêmement sophistiquées pour s’attacher les services de certains insectes tout en se protégeant des
autres.
Les angiospermes se sont extraordinairement diversifiées depuis le crétacé. Ces plantes représentent actuellement environ 80 % des espèces végétales. Les raisons
de leur succès et de leur diversité font encore débat,
mais une de leurs caractéristiques est d’avoir développé considérablement leurs modes de reproduction,
d’une part en inventant des modes de dissémination
extrêmement variés, d’autre part en s’appuyant sur
d’autres organismes comme les insectes pour se reproduire. Dans cette relation mutualiste, la plante apporte
à ses partenaires de la nourriture, sous forme de nectar, et en échange, ses partenaires transportent leurs
gamètes mâles à d’autres fleurs qu’ils pourront féconder. Seulement 10 % des espèces d’angiospermes s’appuient sur le vent pour disséminer leurs gamètes. Ces
espèces, que l’on appelle anémophiles, se rencontrent
surtout dans des milieux tempérés et ouverts, avec une
diversité spécifique relativement faible. À l’opposé, la
pollinisation entomophile se rencontre particulièrement en zone intertropicale, où la diversité spécifique
est élevée et les milieux (en particulier forestiers) peu
exposés au vent. Un tel succès de la pollinisation entomophile suppose tout une série de mécanismes évolutifs qui ont conduit à une coévolution entre les plantes
et certains insectes.
Nectar et pollen
L’un des premiers éléments de l’attractivité des fleurs
pour les insectes pollinisateurs est la présence de
nectaires, où les insectes trouvent un liquide sucré,
riche en éléments nutritifs, où ils peuvent s’alimenter. Les nectaires floraux sont généralement situés à
la base des corolles des fleurs. Le liquide présent dans
ces nectaires est assez proche de la composition de la
sève phloémienne et son rythme d’excrétion est lié
assez étroitement à la phénologie de la fleur. Certaines
plantes utilisent par ailleurs des nectaires extrafloraux
et s’assurent ainsi de la protection d’insectes comme
les fourmis qui, en patrouillant à leur surface, les
débarrassent de beaucoup d’herbivores.
Afin d’accéder à cette ressource mise à leur disposition, beaucoup d’insectes ont développé des pièces
buccales qui leur permettent de pomper les liquides.
La longueur de cette trompe est en relation directe
avec la morphologie de la fleur. En 1891, Alfred
Russel Wallace découvrait une orchidée malgache,
Angraecum sesquipedale, dont les nectaires sont situés
au fond d’un éperon nectarifère de 25 cm, prédisant en
s’appuyant sur les écrits de Darwin et sa propre expérience, qu’il existait un papillon capable de féconder
ces fleurs, avec une trompe d’une longueur d’environ
30 cm. Plusieurs années plus tard, un collègue entomologiste, H. Jordan, découvrait effectivement une
espèce de papillon, un sphinx, adapté à cette fleur possédant une trompe de 30 cm !
En échange de ce nectar, les insectes qui se fraient un
chemin vers les nectaires se chargent en grains de pollen. La structure de ces grains de pollen est très différente des grains de pollen de plantes anémophiles. Ces
grains de pollen portent souvent des spicules et sont
enrobés de substances huileuses qui leur permettent
d’adhérer à la cuticule et aux soies des insectes. Afin
d’améliorer le transfert du pollen vers les pollinisateurs, certaines plantes, comme les labiées, ont des
étamines qui s’appliquent sur l’insecte au moment où
51
il pénètre dans la fleur. Certaines orchidées utilisent
même des pollinies qui sont « collées » sur la tête ou le
thorax de leur visiteur.
Une grande partie de l’attrait que représentent les
fleurs pour l’homme réside dans l’extraordinaire
variété de formes, de couleurs et d’odeurs qu’elles
sont capables d’émettre. Cette variété est directement
liée à la nécessité pour les fleurs d’être visibles pour
les insectes qui vont transporter leur pollen, et de les
attirer à distance. Afin d’attirer des insectes qui vont
transporter les gamètes vers des plantes de la même
espèce, certaines orchidées émettent des odeurs
sexuelles attirant des abeilles mâles qui vont essayer
de s’accoupler avec la fleur ! D’autres plantes émettent
des odeurs alimentaires, particulièrement attractives
pour des mouches nécrophages. Ce ne sont certainement pas des fleurs recherchées par l’homme !
Les insectes pollinisateurs
adaptent leur comportement
aux fleurs
Les insectes pollinisateurs n’ont pas forcément la tâche
facile car les plantes ne se reproduisent pas de manière
continue et les individus sexuellement matures sont
dispersés dans l’environnement. Ils se sont donc
adaptés pour détecter les signaux visuels et olfactifs
envoyés par les fleurs. Par exemple, chez l’abeille,
outre deux yeux proéminents capables de détecter les
couleurs vives des pétales ainsi que des motifs visibles
seulement dans les UV, on trouve des antennes couvertes de neurones olfactifs, disposés à la surface de
la cuticule dans des unités sensorielles appelées sensilles. Ce système olfactif est particulièrement étudié
par les neurobiologistes, car il est capable de détecter
des odeurs à faible concentration et surtout, de discriminer et d’identifier des molécules odorantes et des
mélanges d’odeurs très nombreux. La structure de ce
système est particulièrement bien connue et comporte
différents étages de traitement des informations, comportant de nombreuses ressemblances fonctionnelles
avec le traitement des informations olfactives chez
l’homme.
Ce qui est le plus fascinant chez l’insecte, c’est sa capacité à associer une odeur à une récompense sucrée,
car cela évoque, aux yeux d’un biologiste, les expériences célèbres de Pavlov, qui montraient que l’on
pouvait apprendre à un chien à saliver en réponse au
1
52
son d’une cloche ! Chez l’abeille domestique, au laboratoire, il suffit d’associer une à deux fois une odeur à
une récompense sucrée (par exemple du nectar), pour
que l’insecte se souvienne plusieurs heures durant que
cette odeur est associée à une récompense. Les neurobiologistes étudient actuellement le fonctionnement
de ce cerveau et montrent que les odeurs sont analysées d’abord au niveau du lobe antennaire puis des
corps pédonculés1.
Très récemment, des collègues anglais et américains
ont montré que les fleurs sont susceptibles de manipuler les capacités cognitives des abeilles grâce à des
substances qui se trouvent dans le nectar. En étudiant
les fleurs de café, ils se sont aperçus que le nectar contenait de la caféine dans des quantités non négligeables.
De manière étonnante, les abeilles à qui l’on donnait
un repas sucré additionné de caféine retenaient l’odeur
apprise beaucoup plus longtemps que des abeilles auxquelles on avait donné seulement du sucre2.
Attirer les insectes est à double
tranchant : il faut aussi s’en
défendre
Dans cette belle histoire d’amour entre les fleurs et
les insectes, tout n’est pas toujours rose. Les insectes
pollinisateurs ne représentent qu’une toute petite fraction du nombre d’espèces d’insectes. Beaucoup d’entre
eux n’ont aucune affinité pour la poésie des fleurs, et
certains profitent des nectaires pour s’alimenter mais
sans polliniser. Par exemple, de nombreux coléoptères sont capables de découper la base des pétales
pour se frayer un chemin jusqu’aux nectaires. Même
les pollinisateurs comme l’abeille ne sont pas neutres
dans l’histoire. Si le chemin vers les nectaires leur
est facilité, ils prendront volontiers un raccourci !
Certains pollinisateurs prélèvent d’ailleurs leur dîme
sur le pollen, en le récoltant et en le stockant pour le
consommer ultérieurement. Les abeilles domestiques
et d’autres apioidea possèdent des « paniers » sur les
pattes postérieures qu’elles remplissent de grains de
pollen pour les rapporter à la ruche.
Tout ceci ne serait qu’un moindre mal si les insectes
n’étaient pas phytophages. Les plantes sont la cible
d’attaques répétées de la part de nombreux herbivores,
ainsi que d’un nombre impressionnant de microorganismes, de champignons, de bactéries, etc. Elles
doivent se défendre et elles le font en développant tout
Sandoz JC (2011) Behavioral and neurophysiological study of olfactory perception and learning in honeybees. Frontiers in Systems
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un ensemble de stratégies, dont on découvre actuellement combien elles peuvent être sophistiquées.
L’une de ces stratégies est bien sûr d’être équipées de
défenses morphologiques comme les épines chez les
roses, les framboisiers, et de nombreux arbustes.
Les défenses les plus polyvalentes et les plus sûres à la
fois, sont sans doute les défenses chimiques. L’homme
et les animaux y ont été confrontés depuis la nuit des
temps, et une partie de l’héritage que nous avons reçu
de nos ancêtres, c’est la sélection d’espèces de plantes
dépourvues de ces défenses et poisons afin que nous
puissions les cultiver et les consommer sans craindre
de passer de vie à trépas. Ces poisons sont ce que nous
appelons des composés secondaires, qui sont des molécules produites par les plantes qui ne sont pas essentielles à la vie comme les composés primaires, dans
lesquels se retrouvent des sucres, des acides aminés et
des lipides qui sont les briques élémentaires de la vie.
Ces substances secondaires sont très nombreuses
et l’homme en utilise beaucoup pour confectionner
des médicaments ou des poisons. Ces molécules sont
compliquées, mettent du temps à être synthétisées et
sont souvent stockées par les plantes dans des formations anatomiques spécialisées. La plupart des plantes
produisent ces composés dans les feuilles qui sont
photosynthétiquement actives pour les transporter et
les concentrer ensuite dans les organes reproducteurs
(les fleurs par exemple), les graines et les bourgeons.
Chez les plantes pérennes, ces composés sont stockés dans les organes de réserve à l’approche de l’hiver
(dans les tubercules, les rhizomes ou même l’écorce du
bois) pour être exportés à nouveau vers les tissus en
formation au retour du printemps.
La plupart de nos fleurs d’appartement et de jardin sont très
toxiques
Alors que les plantes utilisées pour notre alimentation
sont peu dangereuses pour l’homme et contiennent
des niveaux modérés de substances secondaires, les
fleurs que nous utilisons pour la décoration de notre
environnement sont parfois très toxiques, à la fois
pour l’homme et pour les animaux domestiques, ou
les animaux d’élevage.
Par exemple, le laurier-rose est extrêmement toxique
et des accidents sont répertoriés chaque année. Les
azalées, le lierre, la glycine et le muguet sont également connus pour leur toxicité. Les fruits du gui
contiennent un poison dangereux, les anémones ne
sont pas en reste, les œillets vous feront vomir et provoqueront des diarrhées, les tulipes contiennent des
composés qui agiront sur votre système nerveux et les
giroflées vous donneront des palpitations cardiaques.
Il en est de même pour les animaux d’intérieur,
comme les chiens et chats qui peuvent s’intoxiquer
en consommant des plantes de décoration qui ne sont
pas vraiment toxiques pour l’homme. Par exemple, les
chats sont très sensibles aux lis, qui contiennent des
substances non identifiées à ce jour, qui attaquent leur
système rénal. Sur internet, on trouve de nombreux
sites qui donnent des conseils aux propriétaires de
ces animaux et la liste des plantes à éviter est impressionnante. Si l’on regarde en détail quels sont les composés responsables de ces intoxications, on retrouve
une grande variété de composés parmi lesquels de
nombreux alcaloïdes, voire même des substances dont
l’homme s’est inspiré pour confectionner des poisons
à usage militaire comme la ricine.
Les fleurs sont des organes
aposématiques
Ce qui est frappant dans cette galerie de portraits de
fleurs destinées à la décoration et à l’agrément, c’est
qu’il existe apparemment une corrélation entre les
couleurs éclatantes, les formes surprenantes et les
fragrances de ces fleurs, avec la production de toxines
puissantes. Cette association n’est pas étonnante aux
yeux d’un écologiste. De nombreux cas similaires ont
été décrits chez des batraciens, chez des insectes ou
chez des serpents. Il s’agit d’aposématisme, mot qui
est formé de deux racines grecques, respectivement
« apo » qui veut dire « loin de » et « sêma » qui signifie
« signal ».
Les biologistes pensent que l’aposématisme est
une stratégie adaptative qui permet à des animaux
d’émettre un signal d’avertissement clairement perceptible pouvant être visuel (des couleurs vives, des
motifs à bandes répétées alternant des couleurs vive
et sombre), un signal sonore ou chimique. Ce signal
constitue un moyen de défense et avertit les prédateurs
éventuels que ces animaux représentent un danger
qu’ils doivent éviter. Pour une bonne efficacité, les
animaux qui sont très visibles doivent être particulièrement bien défendus, par exemple par un poison
puissant. En l’absence de défense, cette visibilité est
contre-productive, car les prédateurs vont pouvoir utiliser ces signaux pour trouver leur proie.
À l’aune de cette définition, les fleurs sont typiquement
des organes aposématiques. Ces organes sont assurément très visibles et ils sont toxiques, à la fois pour
assurer la protection des cellules reproductives contre
les prédateurs et des microorganismes. Peut-être faudrait-il considérer les odeurs de fleurs non seulement
comme des signaux attractifs mais aussi comme des
molécules de défense. Après tout, les terpènes que l’on
trouve si souvent dans les odeurs de fleurs sont des
molécules toxiques à haute dose.
53
En guise de conclusion à cette journée :
quelques perspectives pour comprendre la
spécificité des signaux végétaux
Yvan Kraepiel, Institut d’Écologie et des Sciences de l’Environnement de Paris Université Pierre et Marie Curie, Sorbonne Universités
Résumé
Les très nombreux exemples de communication au
sein de la plante, développés lors de ce colloque,
illustrent son importance dans le développement
coordonné des différents organes du végétal et
dans son adaptation à l’environnement, biotique
et abiotique. Les signaux émis par les plantes
vers l’extérieur participent également à cette
adaptation des végétaux à leur environnement
biotique. Dans cette conclusion, je voudrais
revenir sur la pléiotropie des phytohormones,
singularité des régulateurs de croissance végétaux.
Les fonctions multiples d’une phytohormone,
déterminées essentiellement au niveau des cellules
cibles, peuvent apparaître comme une évolution
complexe des réponses à une signalisation simple.
Mais cette particularité est peut-être à relier à
l’importance majeure des interactions hormonales
dans le contrôle de la physiologie de la plante. Le
végétal, ou certaines de ses cellules, se comporte
en effet comme un commutateur qui intègre un
signal hautement complexe et module les réponses
physiologiques. Enfin, cette complexité est apparue
progressivement au cours de l’évolution. À partir
d’un rôle ancestral d’un régulateur, des fonctions
dérivées seraient apparues et dessinent aujourd’hui
un réseau de régulations que les chercheurs
commencent tout juste à démêler.
Introduction
54
Les présentations de ce colloque nous ont montré la
multiplicité des signaux impliqués dans la communication chez les végétaux. La circulation de signaux
concerne aussi bien les signaux internes à la plante permettant la coordination de la croissance, du développement et du fonctionnement des différents organes,
que les signaux émis par les végétaux qui déterminent
les interactions interspécifiques au sein des écosystèmes. Nous avons vu que la très grande diversité des
molécules sécrétées par les plantes et perçues par les
insectes, les champignons ou les bactéries, permet-
tait d’établir des interactions très spécifiques avec ces
organismes. À l’opposé de cette spécificité de la communication externe, il apparaît que les mêmes signaux
circulant dans la plante peuvent être impliqués dans
la structuration de l’architecture de la plante, dans
l’adaptation du végétal aux caractéristiques de son
environnement, dans les réponses de la plante aux
stress biotiques et abiotiques. Cette pléiotropie des
phytohormones est très fréquente, même si la découverte récente de signaux peptidiques plus spécifiques
montre qu’elle ne constitue pas une règle absolue.
Ainsi, les végétaux semblent majoritairement réguler
l’ensemble de leur développement et de leur physiologie à partir d’un nombre limité de signaux internes
dont les fonctions sont multiples.
L’auxine est un excellent exemple de phytohormone
dont les effets sont nombreux et dépendent du contexte
physiologique où elle agit. Cette hormone est indispensable à l’allongement des cellules et régule l’élongation des tiges en fonction des conditions lumineuses
dans lesquelles la plante se trouve ou en réponse au
signal gravitropique. L’auxine régule également le
cycle cellulaire et constitue le signal majeur d’entrée
en division cellulaire dans les racines, par exemple
lors de l’initiation de la ramification racinaire. Elle
participe à l’orientation organogénétique, par exemple
lors de la formation des feuilles à partir du méristème
apical caulinaire, et à la différenciation cellulaire. Son
rôle dans le développement de la galle du collet due à la
bactérie phytopathogène Agrobacterium tumefaciens
a été décrit depuis de nombreuses années, mais des
études récentes montrent qu’elle participe également
aux régulations des réactions de défense contre les
agents pathogènes. Cet inventaire peut raisonnablement laisser perplexe tout lecteur souhaitant garder
une idée claire du rôle des différentes phytohormones
dans le développement végétal, d’autant qu’une liste
semblable peut être établie pour à peu près toutes :
l’acide abscissique régule les réponses des plantes au
stress hydrique, inhibe la germination et participe aux
réponses de défense des plantes contre leurs pathogènes ; les gibbérellines participent à la structuration
du méristème caulinaire, stimulent l’élongation, la
floraison et la germination ; le jasmonate induit les
réactions de défense et la différenciation des organes
reproducteurs…
À partir de ce constat de l’étonnante pléiotropie de
la majorité des phytohormones, je voudrais centrer
la conclusion de ce colloque sur deux questions qui
constituent des axes majeurs de la recherche scientifique actuelle. La première concerne l’origine de cette
diversité d’effets des phytohormones et donc l’identification des fonctions originelles dont pourraient
dériver les nombreux rôles observés aujourd’hui. La
seconde oriente la compréhension des régulations hormonales chez les végétaux vers l’étude des interactions
entre hormones et suggère que les véritables signaux
régulateurs ne sont pas constitués d’une molécule
mais d’une balance hormonale complexe.
La quête d’une fonction
ancestrale : l’exemple des
strigolactones
Comme nous l’avons vu au cours de la journée, les strigolactones sécrétées par les racines dans les exsudats
racinaires induisent la croissance et la ramification
des champignons mycorhiziens à arbuscules, mais
aussi la germination des graines de plantes parasites.
Ces molécules sont également des phytohormones qui
stimulent l’élongation cellulaire dans les racines et
inhibent la ramification des tiges (de Saint-Germain et
al., 2013). Ces fonctions sont très diverses et l’élucidation des liens évolutifs entre elles permettrait de comprendre comment s’est mise en place cette pléiotropie
et, peut-être, d’aborder la complexité de leur mode
d’action. Il s’agit donc de rechercher la fi liation entre
ces différentes fonctions.
Ce type d’étude, initié récemment pour les strigolactones (Delaux et al., 2012), est rendu possible par
la connaissance des gènes impliqués dans le métabolisme des hormones et dans le déclenchement de leurs
effets. La recherche et l’identification des homologues
de ces gènes dans les différentes branches de l’arbre
phylogénétique, combinées à l’analyse des effets de
l’hormone dans les différents organismes, permettent
d’établir l’ordre d’apparition des différentes fonctions
et de connaître les mécanismes moléculaires associés
à chacune. Les strigolactones sont présentes chez tous
les Embryophytes qui regroupent les mousses, les fougères, les conifères et les Angiospermes, mais aussi
chez les Charales, algues vertes considérées comme
le groupe frère des Embryophytes. Actuellement les
strigolactones n’ont pas été détectées dans d’autres
organismes de la lignée verte, ce qui suggère qu’elles
sont apparues chez le plus récent ancêtre commun aux
Charales et aux Embryophytes. Chez ces algues vertes
comme chez les hépatiques et les mousses, on trouve
un gène homologue au récepteur des strigolactones
appelé D14-like et il a été mis en évidence que l’hormone induit l’élongation des rhizoïdes de ces organismes, structures simples ayant, comme les racines,
un rôle d’ancrage et d’absorption. Ces données suggèrent que la fonction ancestrale des strigolactones
serait une fonction hormonale, impliquée dans la
régulation du développement des systèmes d’absorption et associée au système de perception D14-like.
Il est intéressant de noter que les Charales sécrètent
dans le milieu des strigolactones mais cette propriété,
qui apparaît donc comme ancestrale, n’a (jusqu’à présent) pas été associée à une fonction biologique. En
revanche, chez les hépatiques, les mousses et la plupart des autres Embryophytes, la sécrétion des strigolactones peut être reliée au dialogue moléculaire qui
s’établit entre les plantes et les champignons endomycorhiziens à arbuscules du groupe des Glomeromycota.
Cette fonction ancienne a probablement été importante dans la colonisation du milieu terrestre, dans
la mesure où l’apparition de ces associations symbiotiques est concomitante de l’apparition des premières
plantes terrestres.
Le phénotype très ramifié d’un mutant déficient en
strigolactones chez la mousse Physcomitrella patens
(Proust et al., 2011) semble indiquer que, chez les
mousses, les strigolactones inhibent la ramification
des fi laments qui assurent l’extension de l’individu.
Ceci constitue une nouvelle fonction hormonale des
strigolactones. La ramification des mousses se fait
sur la base d’une modification du plan de la division
cellulaire. Le mode d’action des strigolactones dans
ce contrôle de la division cellulaire n’a pas été associé
à l’apparition de nouveaux gènes impliqués dans leur
perception et pourrait donc dériver des mécanismes
préexistants au niveau des rhizoïdes.
L’intense ramification des plantes de pois déficientes
en strigolactones (Gomez-Roldan et al., 2008) indique
que, chez les Angiospermes, les strigolactones exercent
une fonction d’inhibiteur de la ramification de la tige
feuillée. Dans ce cas, les strigolactones agissent sur le
développement des bourgeons axillaires et leur mode
d’action est probablement différent et plus complexe
que lors du contrôle de la division cellulaire chez les
mousses. Chez les Angiospermes, les réponses aux strigolactones, en particulier en ce qui concerne l’inhibition de la ramification, sont associées à un récepteur
différent (mais proche de D14-like), D14. Ainsi cette
action sur le fonctionnement du méristème axillaire
pourrait s’être mise en place à partir de la spécialisation d’un récepteur particulier. Ce récepteur est également présent chez les Gymnospermes et il est légitime
de supposer que les strigolactones contrôlent également le développement des bourgeons chez ce groupe.
55
Enfin les strigolactones, sécrétées par les plantes hôtes
dans leurs exsudats racinaires, stimulent la germination des graines de plantes parasites épirhizes comme
dans le genre Striga de la famille des Scrophulariaceae
et dans le genre Orobanche de la famille des
Orobanchaceae. Cette fonction qui ne concerne que
des groupes restreints d’Angiospermes est apparue
tardivement au cours de l’évolution et correspond à
une fonction de communication interspécifique permettant à la plante parasite de détecter la présence
de son hôte. Les bases moléculaires de cette dernière
fonction restent à élucider mais son apparition peut
être reliée à la sécrétion ancestrale des strigolactones
par les plantes et à son maintien au cours du temps
chez les Embryophytes du fait de son importance dans
la fitness des végétaux qui établissent des symbioses
avec les champignons endomycorhiziens à arbuscules.
Les plantes, comme des commutateurs, intègrent des signaux
complexes
La mise en évidence des origines des différentes fonctions d’une hormone fournit des indications sur la
mise en place des mécanismes impliqués dans chacune de ces fonctions. Mais la compréhension globale
de la régulation hormonale du développement végétal
nécessite également de décortiquer les nombreuses
interactions entre les différentes molécules impliquées. Il est possible de schématiser la plante dans
son ensemble, ou chaque organe cible, comme un
commutateur, soumis à un signal complexe constitué de plusieurs signaux hormonaux, qui intègre les
différentes informations et répond dans son développement à la combinaison de ces signaux. Dans cette
vision mécanistique, la pléiotropie des phytohormones
recouvrirait en fait une multiplicité de signaux complexes composés à partir de quelques molécules signal
élémentaires, dont les concentrations globale ou locale
peuvent changer et auxquelles la sensibilité cellulaire
peut être modulée dans le temps ou en fonction du
type cellulaire.
56
L’étude de l’intégration de tels signaux complexes est
très difficile et je vais juste essayer, à partir de deux
exemples simples, d’illustrer cette idée qui fait l’objet
de nombreuses investigations depuis quelques années.
Le premier exemple est assez global et concerne les
différents rôles de l’acide abscissique. Cette hormone
agit au niveau des cellules de garde des stomates et
permet de limiter les pertes d’eau en condition de
stress hydrique. Mais cette action permet également
de bloquer l’entrée par les stomates de pathogènes
foliaires, essentiellement bactériens. L’ABA apparaît
alors comme une hormone de défense. Mais parallèlement à son action au niveau des épidermes, l’ABA
inhibe globalement les réponses de défense induites
dans les parenchymes foliaires par l’acide salicylique
et le jasmonate. Dans les tissus internes de la feuille,
la présence d’ABA favorise donc le développement de
maladies. Ces deux rôles antagonistes de l’ABA dans
les réactions de défense, dont l’un fait intervenir des
interactions avec d’autres hormones, peut s’interpréter comme un moyen de favoriser, lorsque les pathogènes sont entrés dans la plante, l’adaptation au stress
hydrique, indispensable à la survie de la plante entière,
par rapport à la protection d’un organe, ici une feuille.
En cas d’infection par un pathogène, la mise en place
des défenses s’accompagne toujours d’un ralentissement très significatif de la croissance. Le deuxième
exemple est issu d’une étude récente des interactions
entre les gibbérellines et le jasmonate qui permet de
comprendre comment une plante module l’allocation
de ses dépenses énergétiques pour la croissance ou
pour ses réactions de défense (Yang et al., 2012). La
hiérarchisation des réponses de la plante entre croissance et défense place les protéines DELLA au cœur
d’une interaction entre les effets des gibbérellines et du
jasmonate. Sous l’effet de signaux de l’environnement
(lumière par exemple) ou au cours du développement
de la plante, les gibbérellines, produites par la plante
et perçues au niveau des cellules cibles par des récepteurs spécifiques, entraînent la fi xation des protéines
DELLA sur le complexe d’ubiquitination et leur dégradation, ce qui déclenche l’expression de gènes nécessaires à la croissance. En l’absence de stress biotique,
les protéines JAZ favorisent la dégradation des protéines DELLA et participent ainsi à la stimulation de
la croissance. Mais lorsque la plante perçoit un stress
biotique ou une blessure, la synthèse de jasmonate et
sa fi xation sur son récepteur COI1 induit l’ubiquitination des protéines JAZ et la dé-répression des réactions
de défense. Dans ce processus, non seulement les protéines JAZ ne stimulent plus la croissance en favorisant
la dégradation des protéines DELLA mais le complexe
COI1-JAZ semble également bloquer la croissance en
stabilisant les protéines DELLA. Ainsi, l’interaction
des voies de signalisation des gibbérellines et du jasmonate permet de donner la priorité aux réactions de
défense par rapport à la croissance qui reste inhibée
tant qu’une infection persiste.
Conclusion
Ces exemples permettent d’envisager comment la
croissance et le développement des plantes résultent
d’interactions hormonales par l’intermédiaire de protéines clefs participant à différentes voies de signalisation. Mais les études de balances hormonales telle
que la balance gibbérellines/jasmonate ne permettent
de décrypter qu’une maille dans un réseau d’interactions très complexe où chaque hormone régule le
métabolisme d’une ou plusieurs autres, l’auxine étant
en interaction avec toutes (Jaillais et Chory, 2010), et
où chaque aspect du développement est régulé par de
très nombreuses hormones (Vanstraelen et Benkova,
2012). Au vu de cette complexité, il apparaît évident
que la modélisation et la simulation informatique
seront nécessaires à une compréhension intégrée de
toutes les connaissances moléculaires accumulées
au cours des études du mode d’action des différentes
hormones.
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75007 Paris
58
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Réf. publi 122
Quand les plantes se parlent
colloque scientifique
La communication dans le monde végétal a longtemps été tenue pour marginale voire inexistante
quand elle n’a pas été raillée. Depuis quelques décennies, cette vision a évolué. C’est en premier lieu
la communication entre les cellules et les organes de la plante qui a été étudiée pour comprendre sa
croissance notamment. Les chercheurs ont ensuite constaté que la communication chez les plantes
pouvait se faire sous terre, par le biais des racines, comme dans les parties aériennes.
Les plantes disposent par exemple de récepteurs sensibles aux composés organiques volatils émis
par d’autres plantes. Elles sont ainsi capables de repérer leurs congénères, ce qui leur évite de les
confondre avec des concurrentes et de dépenser inutilement des ressources à lutter contre elles. Les
récepteurs de lumière des plantes sont assez perfectionnés pour qu’elles reconnaissent les longueurs
d’ondes renvoyées par les plantes qui les côtoient, et ainsi recueillir des informations sur leur environnement. En cas d’attaque par des herbivores, certains végétaux envoient des signaux chimiques
qui, une fois captés par leurs voisins, les aident à mettre en place des stratégies de défense. Par
exemple : brouté par une antilope, le koudou - l’acacia de la savane - augmente considérablement la
teneur en tanin de ses feuilles, qui deviennent, alors, impropres à leur consommation. Et il en est de
même pour les arbres situés dans un rayon de plusieurs mètres.
Les plantes sont aussi capables de communiquer entre elles par leurs racines. En cas de sécheresse,
les feuilles des plantes de petits pois se ferment pour limiter la perte d’eau et les pieds des plantes
avoisinantes qui ne sont pas exposées à la sécheresse réagissent comme s’ils l’étaient.
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