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indiquer une véritable irritabilité, comme les
mouvements singuliers des sensitives (mimosa
pudica, oxalis sensitiva, etc.) dans les articula-
tions de leurs rameaux ou de leurs feuilles, et
celui des étamines de l’épine-vinette (berberis
vulgaris), etc. Lorsqu’on touche ces parties ou
qu’on les ébranle d’une manière quelconque ; je
suis persuadé que ces mouvements sont dus à
une cause mécanique, et non à l’irritabilité des
parties.2 »
Le philosophe attribue ainsi à l’irritabilité un rôle cru-
cial dans la distinction entre les deux règnes et elle est
donc éliminée chez les végétaux.
Pour les observateurs naturalistes, le problème de la
limite animal-végétal s’est posé à maintes reprises aux
XVIIe et XVIIIe siècles, notamment dans le cadre de
la classifi cation. C’est ainsi que les zoophytes, par leur
apparence, semblent de part et d’autre de cette fron-
tière et leur dénomination entretint longtemps l’ambi-
guïté. En 1801, Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829)
rappelait ce débat, qui a perduré, par un commentaire
tranché :
« La connaissance de ces animalcules et la
considération des masses3 ordinairement
rameuses et dendroïdes qui leur servent de
réceptacle et d’habitation, fi rent ensuite don-
ner à ces mêmes masses le nom de zoophytes,
qui veut dire animaux-plantes, comme si les
objets dont il s’agit participaient de la nature
de l’animal et de celle de la plante. On a même
prétendu, dans des ouvrages très modernes,
que les polypiers rameux croissaient par
intussusception4 , en sorte que le tronc et les
branches étaient de véritables végétations et
leurs auteurs ont donné le nom de fl eur-animal
au polype même qui habite chaque cellule de
ces polypiers. Mais cette opinion est une erreur
évidente. Il n’y a dans le polypier le plus rami-
fi é rien qui tienne de la nature d’un végétal ; si
l’on en excepte l’apparence ou la confi guration
extérieure. Tout y est animal ou production
animale. Chaque polype est un être vivant,
doué du mouvement volontaire et muni d’un
canal intestinal, aucun végétal connu n’off re
rien de semblable. »5
Qu’en est-il de la parole ? Elle n’est présente que chez
l’homme au terme d’une échelle de la complexité des
façons de communiquer.
« S’étant ainsi répandu presque partout, et
ayant pu se multiplier considérablement, ses
besoins s’accrurent progressivement par suite
de ses relations avec ses semblables, et se
trouvèrent infi niment diversifi és. Or, ceux des
animaux qui jouissent comme lui des facultés
d’intelligence, mais dans des degrés fort infé-
rieurs, n’ayant qu’un petit nombre de besoins
comparativement aux siens, n’ont aussi qu’un
très petit nombre d’idées ; et, pour communi-
quer entre eux, quelques signes leur suffi sent
entièrement. Il en est bien autrement à l’égard
de l’homme ; car ses besoins s’étant infi niment
accrus et diversifi és, et le forçant à multiplier
et à varier proportionnellement ses idées, il fut
obligé d’employer des moyens plus compliqués
pour communiquer sa pensée à ses semblables.
De simples signes ne lui suffi rent plus. Il lui
fallut non seulement varier les sons de sa voix,
mais en outre les articuler ; et selon le déve-
loppement particulier de l’état intellectuel de
chaque peuple, les sons articulés, destinés à
transmettre les idées, reçurent une complica-
tion plus ou moins grande. La faculté de for-
mer des sons articulés, qui, par convention,
expriment des idées, constitue donc celle de la
parole que l’homme seul a pu se procurer ; et la
nature des conventions admises, pour attribuer
à ces sons articulés des idées usuelles, constitue
aussi les diverses langues dont il fait usage. »6
Retenons donc que les débats naturalistes et philo-
sophiques du XVIIIe et du début du XIXe siècles ont
délimité les deux règnes. La distinction établie pou-
vait porter sur un très large ensemble de caractères, la
communication apparaissant alors comme l’apanage
des animaux et la parole comme celui de l’homme.
2 J.B. Lamarck, Mémoires de physique et d’histoire naturelle, établis sur les bases de raisonnement indépendantes de toute théorie ; avec
l’explication de nouvelles considérations sur la cause générale des dissolutions ; sur la matière de feu ; sur la couleur des corps ; sur la
formation des composés ; sur l’origine des minéraux, et sur l’organisation des corps vivants, lus à la première classe de l’Institut national
dans ses séances ordinaires, suivis de Discours prononcé à la Société Philomatique le 23 fl oréal an V, 1797, p. 12.
3 Masse : Groupe d’organismes
4 Intussusception : Pour les auteurs de l’époque, mode d’accroissement par pénétration des éléments nutritifs au sein des êtres organisés.
5 J.B. Lamarck, Système des Animaux sans vertèbres, ou Tableau général des classes, des ordres et des genres de ces animaux ; présentant
leurs caractères essentiels et leur distribution d’après les considérations de leurs rapports naturels et de leur organisation, et suivant
l’arrangement établi dans les galeries du Muséum d’Histoire naturelle, parmi leurs dépouilles conservées ; précédé du Discours d’ouver-
ture de l’an VIII de la République, Paris, Deterville, 1801, pp. 366-367.
6 J.-B. Lamarck, Système analytique des connaissances positives de l’homme, restreintes à celles qui proviennent directement ou indirec-
tement de l’observation, Paris, Chez l’Auteur et Belin 1820, pp. 151-152.