Paysage de crise : les trois événements « mentaux » de 2003
Bien que nos deux expressions soient solidaires, c’est plutôt la
référence à la santé mentale qui est employée par la multitude d’ins-
titutions et d’acteurs investis dans cette nouvelle question sociale. Si
le thème est ancien4, son ancrage s’amorce à partir du début des
années 1980. Depuis plus de vingt ans en France, rapports adminis-
tratifs (le premier date de 1981), lois, décrets, ordonnances, circu-
laires insistent peu ou prou sur le nécessaire déplacement de la psy-
chiatrie vers la santé mentale, pour reprendre le titre du rapport des
docteurs Éric Piel et Jean-Luc Rœlandt5. En dépit des intenses
controverses dont il a fait l’objet parmi les psychiatres, notamment
sur l’objectif de diminution des lits en milieu hospitalier, il a large-
ment inspiré le Plan santé mentale. L’usager au centre d’un dispositif
à rénover du ministre de la Santé, Bernard Kouchner, en 2001. La
plupart des professionnels et des associations de patients et de
famille de patients se revendiquent de cette référence.
Trois événements « mentaux » de l’année 2003 peuvent servir de
point de départ pour décrire le paysage de crise : les états généraux
de la psychiatrie, qui se sont tenus en juin, le rapport de la mission
Cléry-Melin, remis en septembre, et l’amendement Accoyer sur les
psychothérapies déposé en octobre.
Les états généraux de la psychiatrie ont été l’occasion de mettre en
scène la crise de la profession qui porte sur tous les sujets. Sur les
moyens, car le nombre de psychiatres diminue, les financements
affectés aux institutions publiques sont insuffisants et l’offre de soins
très inégalement répartie sur le territoire national. Sur la clinique : de
nouvelles pathologies, pathologies du lien ou narcissiques, comme les
dépressions, les addictions ou le traumatisme (l’état de stress post-
traumatique), sont aujourd’hui des problèmes massifs. Derrière la
nouvelle clinique, se profile le problème des conceptions du patient :
on a hautement affirmé la nécessité de ne pas oublier le Sujet parlant
face à une médecine et une recherche universitaires préoccupées
essentiellement du Sujet cérébral6. Les limites du domaine de la psy-
chiatrie, les relations entre le normal et le pathologique ou les par-
tages et alliances entre social et médical sont interrogés par tous les
acteurs. Si crise de la psychiatrie il y a – le thème est récurrent7–,
elle est multiforme, mais il faut souligner, parce qu’on l’oublie trop
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Les changements de la relation normal-pathologique
4. Voir, par exemple, R. H. Ahrenfeld, « La notion de santé mentale », Encyclopédie médico-
chirurgicale, 37960 A10, novembre 1966.
5. É. Piel et J.-L. Rœlandt, De la psychiatrie vers la santé mentale, rapport de mission,
ministère de l’Emploi et de la Solidarité, ministère délégué à la Santé, juillet 2001.
6. Un colloque « Autisme et cerveau », qui s’est tenu au Collège de France à la fin du mois
de juin 2003, en est le miroir inversé.
7. Du Livre blanc des années 1965-1967 à aujourd’hui, sous la houlette d’Henri Ey.