Vendredi 07 septembre 2012 | Stratégie & management L’intelligence émotionnelle, quelle influence sur la performance ? Le sport revêt la particularité de mettre fréquemment en exergue des vécus émotionnels intense. La joie et l’euphorie des handballeurs français lors de leur victoire au dernier mondial illustrent ainsi la particularité de la compétition sportive d’un point de vue émotionnel. Néanmoins, si la pratique sportive s’accompagne d’émotions intenses, celles-ci sont avant tout inhérentes à la vie de tous les jours. Elles varient selon les situations rencontrées, elles jouent sur notre façon d’être et sur notre comportement, elles immortalisent dans nos mémoires des moments vécus, qu’ils aient étés merveilleux ou bien traumatisants. Les influences émotionnelles sont alors, sans hasard, l’un des champs principaux de recherche et d’intervention en psychologie du sport. Au vu des parallèles établis dans le premier volet de cette série d’articles [1] entre le sport de haut niveau et la performance d’entreprise, nous souhaitons, ici, mettre en avant les connaissances fondamentales liées aux émotions en sport à destination de tout manager souhaitant optimiser les performances de son entreprise. Que sont les émotions ? Différents termes sont employés pour parler des émotions. Ainsi, lorsque certains parleront d’affects, d’autres parlerons de sentiments ou bien encore d’états d’humeur. Sans rentrer dans une distinction théorique, les plus importantes différences à retenir concernent l’intensité et la durée du ressenti, ainsi que la singularité de la situation le provoquant. Dès lors on parlera essentiellement d’états d’humeur lorsque le ressenti est général, peu intense et assez prolongé, et d’émotions lorsque celui-ci est intense, bref, et provoqué par une situation bien identifiée. Ainsi, être angoissé relève davantage de l’état d’humeur alors qu’être anxieux relève de l’émotion. Dans le cadre de cet article, nous engloberons ces deux notions sous le terme d’ « émotions », sans faire de distinction ici. Les émotions font donc référence au ressenti affectif d’un individu. Fréquemment, en sport, l’approche d’une compétition peut amener un athlète à être anxieux alors qu’un autre sera joyeux. Le but d’un joueur peut faire ressentir de la joie comme de la jalousie chez des partenaires de la même équipe. Ces différences sont alors également présentes dans une entreprise ou certains collaborateurs pourront exprimer de la lassitude vis à vis d’une tâche professionnelle alors que d’autres seront enjoués. Un manager doit alors prendre en compte que pour une même situation, deux collaborateurs pourront ressentir des émotions différentes. Cela est du au fait que chaque individu évalue plus ou moins consciemment la situation qu’il est en train de vivre ou à laquelle il devra faire face. Il évalue son degré d’importance en fonction de ses buts personnels ainsi que sa capacité à y faire face. Et c’est de cette évaluation cognitive de la situation que naissent les émotions [2]. Ainsi, un manager doit, selon nous, prendre en considération ce processus afin d’adapter au mieux son management en fonction de ces différences individuelles. Quels sont les impacts des émotions sur la performance ? Pourquoi un manager devrait prendre en compte ce facteur émotionnel ? En quelques mots : parce que c'est le facteur principal de toute performance à réaliser. Le management par le stress a été l’une des premières approches, malheureusement encore utilisée parfois de nos jours, ayant tenté de prendre en compte les émotions dans l’optimisation de la performance au travail. Néanmoins, si l’induction d’un stress quotidien au travail permet quelque fois de donner un "coup de boost" à très court terme, il s’avère très souvent désastreux sur le moyen et long terme, avec parfois des répercussions traumatisantes d’un points de vue psychologique. Ainsi, d’un statut « providentiel » dans le monde du management, le stress revêt désormais une étiquette négative, problématique étant même qualifiée de maladie professionnelle. Ainsi, du management par le stress, la tendance ira vers un management du stress. Cette tendance a notamment été comprise depuis de nombreuses années dans le domaine de la performance sportive et il y a pléthore d’études ayant investigué la relation entre les émotions et la performance sportive. Depuis plus de trente ans, les recherches sur les émotions (auparavant axée principalement sur l’anxiété) ont fait naitre différents modèles montrant que les émotions influençaient les performances sportives. Tout d’abord, il a été montré que le vécu émotionnel pouvait avoir des répercussions au niveau intra-personnel , comme par exemple, sur la concentration, la motivation et le comportement. Ensuite, il a été également souligné que les émotions s’accompagnaient aussi d’impacts interpersonnels comme le sentiment identification (au club ou à l’entreprise), l’investissement dans l’atteinte d’un but collectif, les relations sociales, etc. Ainsi, le facteur émotionnel agit comme un catalyseur fondamental pour optimiser les autres ressources nécessaires à la performance. Ainsi, un joueur de rugby pourra être fort comme un roc, très habile de ses mains, et avoir une vision de jeu hors du commun, il n’arrivera jamais à être performant s’il rentre sur le terrain avec la peur au ventre. Cette métaphore sportive que nous avons utilisée doit permettre au lecteur de comprendre cette notion de facteur optimisant les capacités de l’individu. La Figure 1 schématise les facteurs de la performance et permet de comprendre l’importance des émotions. Aussi, le manager qui comprendra cette importance du domaine émotionnel sera à même d’entrevoir des perspectives nouvelles de management entrepreneurial, à l’image de ce qui se fait actuellement dans le sport de haut niveau. Pour cela, de nombreuses approches sont employées, mais actuellement, un concept permet d’avoir une vue intégrative des points fondamentaux à prendre en compte pour optimiser la Performance , et ce, quel que soit le domaine de prédilection : l’intelligence émotionnelle. L’intelligence émotionnelle (I.E) Comme bien d’autres notions, le concept d’intelligence émotionnelle a été au départ un concept empirique qui a été théorisé par la suite. Dans le monde de la performance sportive, ce champ d’investigation est relativement novateur, mais son approche intégrative des émotions mêlant aussi bien les perspectives intra- qu’interpersonnelles suggèrent un avenir certain au sein du secteur de la haute performance sportive. L’intelligence émotionnelle est un concept qui a pris son essor dans les années 1990. L’intelligence émotionnelle est alors définie comme la capacité à identifier, exprimer, générer et réguler ses émotions et celles des autres [3]. L’I.E peut alors être évaluée par le quotient émotionnel (Q.E.). Un haut niveau de Q.E est alors généralement corrélé à de meilleures performances chez l’individu. Ce concept reprend alors les bases essentielles de toute intervention basée sur l’optimisation du facteur émotionnel dans une recherche d’accroissement de la performance. Plus encore, il avance des perspectives connue dans le champ de la psychologie sociale, mais relativement avant-gardistes dans celui de l’optimisation de la performance, faisant référence à l’inclusion de « l’autre » dans le processus émotionnel. Sans aller précisément dans les détails théoriques, il sera alors utile pour le lecteur de comprendre que l’I.E. est une habileté que chaque individu dispose qui peut être développée. Développer l’intelligence émotionnelle pour optimiser les performances des collaborateurs Nous cherchons, au travers de cette dernière partie de l’article, à partager les modes d’interventions utilisées par le monde sportif destinées à développer l’I.E. Ainsi, l’entraineur, le consultant en psychologie du sport, comme le manager d’entreprise, pourra axer son intervention sur plusieurs niveaux. Prendre conscience de ses émotions et de leur importance Cette phase constitue généralement une base nécessaire à tout travail sur la dominante émotionnelle en sport. En effet, puisque l’intelligence émotionnelle se fonde sur le fait que l’individu ait la capacité à reconnaître son état émotionnel, il semble fondamental d’initier à cette notion les personnes ayant des contraintes de performance. Dès lors, si une intervention directe auprès des collaborateurs concernant leur sensibilisation aux émotions et leur impact sur leurs performances paraît nécessaire, le manager, à l’image de l’entraîneur, devra jouer sur le climat de performance. On entend par là, le fait qu’un manager cherche à développer un climat de travail favorisant un vécu émotionnel positif en instituant un cadre et une ambiance de travail prenant en compte les attentes des collaborateurs. On rappellera alors ici que les émotions positives sont facilitées par la convergence de la situation de travail avec les buts de l’individu. Partager et réguler ses émotions La régulation des états émotionnels revêt une importance capitale dans la bonne gestion de l’équilibre émotionnel. Un modèle nouvellement appliqué dans le sport [3] apporte des voies d’intervention intéressantes permettant d’apprendre aux sportifs 5 façons de réguler leurs émotions : 1- choisir des situations favorisant des émotions positives. Ex : travailler avec des collaborateurs appréciés ; 2- lorsque le choix de la situation n’est pas ou plus possible, chercher à la modifier pour ressentir les émotions positives, diminuer ou supprimer les émotions handicapantes . Ex : élever ses objectifs lorsqu’un d’entre eux a été atteint afin d’augmenter son sentiment de fierté / chercher un soutien informationnel et technique sur une tâche professionnelle qui met le collaborateur en difficulté afin d’en diminuer la difficulté ; 3- accroitre son effort d’attention afin de renforcer le sentiment de contrôle de collaborateur. Ex : prendre un maximum d’informations sur la tâche professionnelle à réaliser ; 4- modifier sa perception de la situation. Ex : dédramatiser une situation pour chercher à diminuer l’anxiété liée ou se donner un défi sur une tâche pour accroître la détermination ; 5- jouer sur la réponse émotionnelle elle-même. Ex : s’accorder un « break-time * » pour évacuer le stress / partager son ressenti pour chercher un support de la part des collaborateurs ou du manager. Ces différents types de régulation sont alors très efficaces s’ils sont employés à bon escient, et notamment de façon adaptée aux différents types de situations rencontrées. Néanmoins, leur utilisation reste quelque peu conditionnée par l’ambiance de performance. Ainsi, si le manager coupe court à toute conversion permettant aux collaborateurs de partager ce qu’ils ressentent, s’il se veut ultra-contrôlant en ne laissant aucune marge d’autonomie dans le vécu professionnel, s’il reste encore sur des modèle archaïque de management basé sur le stress, etc., il sera alors difficile pour ses collaborateurs d’envisager d’améliorer leur I.E et d’optimiser ainsi leurs performances au travail. Prendre en compte l’autre dans l’optimisation du climat de performance A l’instar de notre article sur l’importance du groupe [4], l’autre entretient une relation incontournable avec le vécu émotionnel individuel. Il est alors fondamental de prendre en compte la dimension interpersonnelle dans l’optimisation du climat de performance au travail. Il est alors nécessaire de comprendre que les actes d’un collaborateur, ou du manager lui même, influencent le ressenti des autres collaborateurs. Ainsi, l’entraîneur qui, par son discours, arrive à faire pleurer ou enrager ses joueurs juste avant un match, exerce bel et bien une influence sur ceux-ci. De même, un manager en colère à la sortie d’une réunion délicate qui évacue son ressenti négatif en hurlant sur chacun des membres de son équipe, induira un état émotionnel négatif inutile et handicapant chez ces derniers. Cet exemple illustre la notion d’induction émotionnelle faisant référence au fait qu’une personne induise une émotion chez une autre. Une application pratique directe vise alors à ce que chacun cherche à induire des états émotionnels positifs (ex : au travers d’encouragements, de valorisations, du droit à l’erreur, etc.) chez ses collaborateurs tout en tentant de contrôler les inductions émotionnelles négatives. De la sorte, optimiser le climat de performance en contrôlant l’influence de l’autre permettra alors d’améliorer le vécu émotionnel des collaborateurs et ainsi, leur productivité. Cette approche fait alors finalement référence à la capacité de compréhension du ressenti d’autrui, appelée également empathie, afin de pouvoir prendre l’initiative de chercher, non plus à réguler ses propres émotions, mais à réguler les émotions du collaborateur. De la sorte, le manager pourra, par exemple, venir de lui même valoriser un membre de son équipe pour l’aider à diminuer son anxiété ou augmenter son sentiment de compétence. Résumé 1. Les émotions sont inhérentes à la vie de tous les jours 2. Le vécu émotionnel influence les performances 3. L’intelligence émotionnelle est une capacité qui peut être développée 4. Le manager doit réfléchir sur la mise en place d’un climat de performance axé sur le développement de l’intelligence émotionnelle et la prise en compte de la dimension interpersonnelle au travail. Anne-Lise Desgeorges Mickaël Campo, CRIS, Université Lyon 1, Préparateur Mental Entraîneur Rugby -------------------------------------------------------------------------------* Break-time : temps personnel de coupure d’activité destiné agir comme une « soupape de décompression » au cours d’une journée. C’est un temps de calme et de repli sur soi, destiné au bien-être de l’individu.