Séquence 2 La participation politique « Le droit de vote permet aux citoyens d’un État de voter pour exprimer leur volonté, à l’occasion d’un scrutin, et ainsi d’élire leurs représentants et leurs gouvernants ou de répondre à la question posée par un plébiscite ou un référendum. C’est un droit civique fondamental dans une démocratie. » Wikipedia La participation politique des citoyens ne se résume pas au fait de glisser un bulletin dans l’urne. Il existe une pluralité de façons de participer à la vie politique, étymologiquement à la vie de la cité. L’apparition de nouveaux canaux d’information, le développement de nouvelles formes de prise de parole dans le débat public vient relativiser la place du vote dans la société. Cela dit, la majorité des citoyens continue de se déplacer régulièrement pour participer aux élections. Ce comportement électoral a été abondamment étudié par la science politique : pourquoi s’abstient-on ? Peut-on expliquer le vote pour tel candidat ? Pourquoi les individus continuent-ils de voter alors qu’ils croient de moins en moins au pouvoir d’un bulletin de vote ? Voici quelques-unes des questions auxquelles nous allons nous efforcer de trouver des réponses dans cette partie. Sommaire 1. Influence de la culture politique sur les attitudes politiques 2. Comment expliquer le comportement électoral ? 3. Quels sont les répertoires de l’action politique ? Séquence 2 – SE02 1 © Cned - Académie en ligne 1 Influence de la culture politique sur les attitudes politiques Les attitudes politiques sont liées à la culture politique des individus. Comme toute forme de culture, la culture politique fait l’objet d’une socialisation, c’est-à-dire d’un processus d’acquisition et de réinterprétation par l’individu d’un certain nombre de règles, de valeurs, de pratiques propres aux groupes auxquels il appartient. Nous allons voir dans ce chapitre que les groupes qui influencent les individus sont multiples, et que les effets du contexte historique, social, médiatique doivent être appréhendés avec précautions. Notions à acquérir Culture politique/civique, socialisation politique, comportements politiques (socialisation primaire, socialisation secondaire). Sensibilisation Document n° 1 Qu’est-ce qui influe sur la culture politique des individus ? Comment démêler les effets entrecroisés de la période et de la génération, comment traiter l’imbrication de données relevant du contexte social et politique et de données concernant les dynamiques individuelles ou familiales ? Sont-ce les individus qui changent ou bien le contexte politique lui-même ? Les mutations sociales et politiques en cours obligent à réviser les attendus mêmes de la socialisation politique et à s’interroger sur ses fonctions comme sur ses contenus. Anne Muxel, « Les temporalités et les instances de la socialisation politique », Cahiers Français, n° 350, La Documentation Française, mai-juin 2009. Séquence 2 – SE02 3 © Cned - Académie en ligne Document n° 2 Jeunes manifestant contre la présence de J.-M. Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, mai 2002 © Marcel Mochet/AFP. Document n° 3 Enfant accompagnant ses parents dans l’isoloir © Pierre Verdy/AFP. Réflexion : d’après vous, qu’est-ce qui détermine les comportements politiques ? 4 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02 A La socialisation politique : vote-t-on comme ses parents ou comme ses amis ? La socialisation est ce processus complexe et illimité qui conduit les individus à intérioriser les normes, les valeurs, les pratiques sociales de leurs groupes d’appartenance, tout au long de leur existence. On admet cependant deux phases de socialisation : la socialisation primaire se déroule pendant l’enfance et la jeunesse dans les cadres éducatifs que sont la famille d’abord et l’école ensuite. La seconde phase prend le relais de la première pour durer toute la vie, c’est la socialisation secondaire qui concerne les adultes. Les pratiques politiques, comme d’autres pratiques sociales, et les opinions politiques, comme d’autres valeurs, font partie de l’identité des individus, comme partie de leur identité sociale. Il y a une socialisation politique qui s’opère lors de la socialisation primaire, dans le cadre familial, et qui continue pendant la socialisation secondaire tout au long du parcours de vie des individus. a. Le rôle de la famille dans la socialisation politique Les premiers sociologues considéraient la socialisation comme une transmission des agents socialisateurs vers des agents passifs qui intériorisaient, parfois sous la contrainte, les normes et valeurs. Les théories de la socialisation politique s’en sont inspirées pour expliquer le rôle de la famille dans la transmission des attitudes et des comportements politiques. Du coup, les premières interprétations ont penché vers un modèle de reproduction et de stabilité des opinions politiques au sein d’une même famille. Les enquêtes allaient d’ailleurs plutôt dans ce sens, démontrant que les comportements politiques paraissaient déterminés par la transmission familiale et que les orientations politiques des individus étaient fixées relativement tôt, vers la fin de l’enfance. Document n° 4 L’influence de la famille dans la transmission du choix politique [La famille] reste un vecteur efficace dans la transmission des choix idéologiques et un creuset indéniable de l’identité politique des individus. Et cette transmission se fait d’autant mieux lorsque les choix des parents sont visibles et homogènes. Chaque famille n’a pas nécessairement les mêmes capacités à organiser une transmission, et la socialisation politique peut emprunter des chemins de traverse. Celle-ci peut se construire dans des logiques d’opposition et de réaction, ou encore au travers de références non explicitement politiques. Mais la famille fournit les premiers repères ou les premières absences de repères et, par là même, joue un rôle décisif sur la formation des choix ultérieurs. Quatre Français Séquence 2 – SE02 5 © Cned - Académie en ligne sur dix (41 %) s’inscrivent dans la continuité des choix de gauche ou de droite de leurs parents. Si l’on rajoute ceux qui reconnaissent une filiation apolitique, et refusent donc comme leurs parents de se classer entre la gauche et la droite, ce sont alors les deux tiers des Français (65 %) qui se présentent comme des héritiers politiques. Les cas de vraies ruptures restent marginaux. Seuls 8 % des Français ont changé de camp politique par rapport à leurs deux parents, passant à gauche alors qu’ils ont deux parents à droite (le cas le plus fréquent), ou passant à droite alors que leurs deux parents sont positionnés à gauche. Anne Muxel, « Les temporalités et les instances de la socialisation politique », Cahiers Français, n° 350, La Documentation Française, mai-juin 2009. Résumez ce qui explique que la famille « reste un vecteur efficace dans la transmission des choix idéologiques ». Dans les années 1960, à l’Université du Michigan, aux États-Unis, une équipe de chercheurs va montrer que les électeurs américains s’identifient à l’un des deux partis politiques américains, et que cette identification remonte à l’enfance et à l’éducation reçue dans les différentes catégories sociales. En France, quelques années plus tard, les travaux d’Annick Percheron vont, en améliorant les méthodes américaines, montrer que le clivage entre gauche et droite est relativement bien respecté par la reproduction sociale : près d’un enfant sur deux voit ses opinions être en accord avec celles de ses parents, si ce n’est sur la même sensibilité au moins du même côté de l’échiquier politique. Cette proportion augmente si les deux parents partagent les mêmes orientations. Elle augmente également si le reste de l’environnement social est homogène du point de vue des préférences politiques. Mais d’autres études sont venues mettre en avant la complexité de cette transmission intergénérationnelle apparente. Il ressort que bien d’autres agents de socialisation que les parents jouent un rôle dans la socialisation politique des individus. De même que les transformations sociales rapides viennent bouleverser la transmission de systèmes de valeurs d’une génération à une autre, la transmission politique est aussi affectée. On peut ainsi se reconnaître dans le même bord politique que ses parents, la droite ou la gauche, sans pour autant voter comme eux : 43 % des Français reconnaissent ne pas voter pour la même organisation politique ou le même candidat que leurs parents, et la proportion est identique à droite comme à gauche. Ce modèle de l’identification partisane (on s’identifierait à l’appartenance partisane de ses parents) a donc progressivement été réfuté. La socialisation politique dans la famille serait en fait plus un mécanisme d’intériorisation des principes de base de l’organisation politique plutôt que des orientations partisanes à proprement parler. Par l’interaction, par le rôle d’autres instances comme l’école, par la confrontation avec le groupe de pairs, l’individu construit son rapport au politique de façon progressive. 6 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02 b. Le rôle des autres instances de socialisation L’école en tant qu’institution, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne joue pas un rôle prépondérant dans la socialisation politique des individus. Aucune étude n’a montré que les membres de cette institution, notamment les enseignants, pouvaient avoir une influence sur la politisation des élèves. Sur le contenu enseigné, les résultats des enquêtes sont divergents, ce qui ne permet pas de conclure dans un sens ou dans un autre. Par contre, des études sociologiques montrent que le choix de l’établissement scolaire et les préférences politiques des lycéens peuvent être liés. Mais, dans ce cas, ce sont plutôt les effets de l’expérience familiale qui sont révélés, et surtout l’influence du groupe de pairs. Groupe de pairs Individus qui partagent le même statut social au sein d’un groupe plus large ou d’une institution. On qualifie souvent le groupe d’amis ou le réseau d’interconnaissance des jeunes comme groupe de pairs. Si la famille transmet un cadre général, des attitudes, des orientations politiques, c’est dans la confrontation avec le groupe d’amis que la politisation des jeunes se construit. L’influence des pairs est en effet plus directe que celle des autres instances de socialisation sur les comportements politiques actifs. Anne Muxel a étudié justement les moments de socialisation politique des jeunes générations, et plus particulièrement la place que prend l’expérience de la manifestation de rue. Un jeune sur deux a déjà participé à une mobilisation collective, laquelle joue le rôle d’initiation quasi rituelle au monde politique. En effet, participer à une action politique crée une expérience concrète d’engagement qui laisse des traces sur les attitudes et comportements politiques ultérieurs. La socialisation politique par la famille conduit à une certaine reproduction des grandes orientations politiques des parents par leurs enfants : droite, centre, gauche. Cela dit, il est rare que des enfants se situent exactement sur la même sensibilité politique. Il apparaît que la famille, comme l’école, transmet plus le cadre général dans lequel se développent les attitudes politiques que des orientations. Celles-ci se forment dans la confrontation avec les pairs, dans les premières expériences politiques, souvent des formes non conventionnelles de participation telles que les manifestations. Séquence 2 – SE02 7 © Cned - Académie en ligne B Quel rôle pour les médias ? Depuis l’avènement des médias de masse (radio, télévision et aujourd’hui Internet), la science politique cherche à mesurer l’effet des campagnes électorales – et leur relais dans les médias – sur les électeurs. a. Un effet limité sur les électeurs Les premières recherches ont eu lieu aux États-Unis, effectuées par une équipe de l’Université de Columbia menée par Paul Lazarsfeld au milieu des années 1940. Elles ont montré que l’influence directe de la campagne et de ses relais médiatiques était en fait assez limitée. En effet, il ressort de ces recherches que ce sont avant tout l’origine et le milieu social d’appartenance qui déterminent le vote (« On pense politiquement comme on est socialement »), les campagnes électorales ne modifiant que faiblement l’orientation des votes. Lorsque Lazarsfeld étudie les élections présidentielles américaines de 1940, il remarque que seuls 8 % des électeurs changent leurs intentions de vote entre mai et novembre 1940. En réalité, les médias avaient peu de prise sur le vote des électeurs, et ce sont surtout les « leaders d’opinion » qui faisaient preuve d’efficacité pour activer les convictions politiques le temps d’une campagne électorale. Ces leaders d’opinion sont des individus qui, dans chaque groupe social, sont plus proches des débats politiques et plus exposés aux médias que la moyenne des individus qui composent le groupe. On estime leur part à 10 % d’une population observée. Ce sont eux qui peuvent influencer leurs proches, selon cette théorie du « two-step flow of communication », la communication à deux étages. Les organisations ont rapidement compris cela. Elles appliquent d’ailleurs toujours des techniques de recrutement de ces leaders au sein des groupes sociaux, afin de faire pencher les électeurs volatils vers leur candidat. Il est d’ailleurs assez intéressant de remarquer que les campagnes se focalisent souvent sur ce faible pourcentage d’électeurs susceptibles de changer leur vote, notamment entre les deux tours d’une élection. Ce sont donc les électeurs qui sont justement les plus éloignés de la sphère politique, et donc les moins susceptibles de recevoir les messages énoncés pendant les campagnes, qui sont visés par celles-ci. Document n° 5 La mobilisation électorale des minorités aux États-Unis En 2008, [les Noirs] ont été deux millions de plus à se rendre aux urnes que lors des scrutins précédents. En Caroline du Nord, par exemple, où 300 000 électeurs noirs étaient allés voter pour la première fois, Barack Obama l’avait emporté avec moins de 14 000 voix d’avance. Les sondeurs ne doutent pas que plus de 80 % des électeurs noirs soient derrière le Président, même s’ils lui reprochent de ne pas faire assez pour 8 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02 une communauté touchée par un taux de chômage (16 %) supérieur à celui des Blancs. La Maison Blanche a entrepris de « vendre » son bilan grâce à un rapport de 44 pages et une « opération vote » qui va cibler en priorité les Noirs, les femmes et les Latinos pour laquelle elle a recruté des personnalités connues dans chaque communauté. Corine Lesnes, « État des lieux de l’électorat ayant voté démocrate en 2008 », Le Monde, 24-26 décembre 2011. En quoi ce document illustre-t-il la mise en application de la théorie du two-step flow of communication ? Un peu plus tard, des travaux s’étant penchés sur l’effet plus particulier de la télévision vont également conclure sur un effet limité de l’information de masse, et de l’information politique en particulier. Dans les années 1960, des psychologues ont montré que les individus sélectionnent parmi les informations reçues celles qui viennent alimenter leurs positions politiques d’origine. On peut citer trois éléments : la sélection éditoriale, la réception différenciée et la mémorisation sélective. Tout d’abord, les études ont montré que les individus ont tendance à choisir des médias dont les traitements éditoriaux vont dans le sens de leurs convictions politiques. Ensuite, les individus ne perçoivent pas de la même manière le même programme qui fait intervenir des responsables politiques : il est rare de voir quelqu’un reconnaître que l’adversaire de son candidat a été meilleur dans le débat. Enfin, les individus ne mémorisent pas de la même manière les informations reçues de la télévision : on a plus de mal à retenir des éléments qui viennent contredire notre façon de penser que les éléments qui viennent la confirmer. b. Un effet important sur le champ politique Si les premières études ont montré un effet limité des médias et des campagnes électorales sur les électeurs, d’autres ont mis en avant l’impact négatif des médias sur la forme que prennent les débats politiques, sur le type d’information relayée et le contenu de celle-ci. Des politistes américains ont relevé le fait que le traitement médiatique du politique tendait souvent à réduire l’actualité aux rivalités de personnes et aux scandales. L’accent serait mis sur le superficiel et non sur l’essentiel du discours politique, sur les « petites phrases » plutôt que sur les idées de fond. Cela viendrait expliquer une tendance à l’abstention observée aux États-Unis depuis les années 1970-80, qui ne serait que la concrétisation d’une distance toujours plus grande entre les citoyens et leurs représentants politiques, distance entretenue par un traitement médiatique poussant au cynisme. En France, le sociologue Pierre Bourdieu a montré que la télévision diffuse, de par le format de ses émissions, une vision déformée de la réalité. Les sujets courts, les effets de cadrage et les choix journalistiques, Séquence 2 – SE02 9 © Cned - Académie en ligne l’uniformisation des informations sur les différents supports mettent l’accent sur des événements qui ont parfois une faible portée politique, et au contraire réduisent au minimum les informations qui seraient pourtant nécessaires aux citoyens pour faire un choix éclairé et exercer leurs droits démocratiques. Plus récemment, des travaux ont mis l’accent sur la couverture médiatique des élections. Il apparaît que les médias ont le pouvoir d’attirer l’attention des spectateurs et des responsables politiques sur un enjeu, de le transformer en un enjeu politique et d’imposer son traitement dans l’agenda des réformes et des campagnes en période électorale. Du coup, les médias jouent un rôle important, et tout l’enjeu des campagnes électorales peut se résumer en une lutte pour hiérarchiser les thèmes et problématiques abordés et les faire évoluer vers ceux qui sont les plus favorables à tel ou tel candidat. Des politistes ont ainsi étudié la focalisation médiatique sur le thème de l’insécurité pendant la campagne présidentielle de 2002. Celle-ci a permis d’avantager Jean-Marie Le Pen, candidat de l’extrême droite française, qui a fait de l’insécurité un de ses thèmes de prédilection. Si les médias ne font pas l’élection, et n’influencent pas les opinions politiques des individus, ils ont tendance à restreindre et à imposer les acteurs et les enjeux du champ politique. L’influence n’est donc pas directe, mais diffuse. Quoi qu’il en soit, l’impact des médias sur la formation des opinions individuelles reste difficile à mesurer. C Quelle place pour le contexte social et historique ? La socialisation politique poursuit son œuvre tout au long de la vie des individus, dans les différents groupes auxquels ils appartiennent. Elle n’est pas le seul fait de la famille, de l’école et du groupe de pairs ou encore des médias, comme nous l’avons déjà vu. La socialisation politique est en réalité renouvelée, confirmée ou remise en cause, par d’autres groupes d’appartenance tels que les étudiants dans l’enseignement supérieur, les collègues au travail, les membres des associations et partis auxquels on peut appartenir. Le contexte social joue donc un rôle important dans la réception des informations politiques. À la différence des informations qui passent par le filtre médiatique et qui font l’objet d’une sélection par l’individu qui les reçoit, des études ont montré que l’interaction avec l’entourage était plus efficace, l’information était mieux mémorisée. Le fait que l’échange soit continu, et dans les deux sens, que cet échange soit connoté affectivement, car reposant sur un lien d’interconnaissance (amical, familial, militant, professionnel), donne du poids à l’information politique échangée. 10 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02 En ce qui concerne le contexte historique, historiens et sociologues montrent que l’événement politique peut socialiser de deux manières. D’abord dans la pratique : la participation à une période pendant laquelle se déroule un fait marquant de l’histoire politique conduit les individus – en particulier les jeunes générations – à combler leur retard en terme d’expérience politique. Ensuite dans les représentations, puisque ces événements font l’objet de redéfinitions et de commémorations, et parfois de débat autour de cette mémoire collective. Il faut donc avoir à l’esprit que certains événements peuvent accélérer la socialisation politique, tout en relativisant les effets « de génération ». Si, aux États-Unis, on retient la Seconde Guerre mondiale, la guerre du Vietnam, l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy ou, plus récemment, les événements du 11 septembre 2001 comme des moments de socialisation politique intense, en France, il ressort des enquêtes la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’Algérie, Mai 68 ou le 21 avril 2002. Parfois certains journalistes généralisent les effets potentiels d’un événement jusqu’à dénommer une génération par rapport à ce dernier (la « génération 68 », la « génération 21 avril », la « génération CPE »). C’est le fait que de multiples événements d’ampleur nationale ou internationale surviennent au cours de l’existence qui façonne l’identité politique plutôt qu’un effet mécanique lié à l’exposition à un événement en particulier. Conclusion La socialisation politique perçue comme la formation d’un rapport à la politique qu’entretient un individu est un processus complexe, comme tout processus de socialisation. Il doit être compris comme une succession de relations interindividuelles, entre un individu et un groupe, entre un individu et un événement. On est socialisé à la fois par ses parents, par l’école, mais surtout par ses amis et connaissances, en particulier ceux de notre génération qui partagent une expérience des événements politiques en même temps que nous. Ces événements passent par le prisme des médias dont l’impact sur les individus va lui-même varier en fonction du degré de socialisation politique de ceux-ci. Bref, cet enchevêtrement de relations doit être pensé dans sa complexité, et pas uniquement comme le produit d’une éducation, d’un seul événement ou d’un traitement médiatique particulier. Séquence 2 – SE02 11 © Cned - Académie en ligne 2 Comment expliquer le comportement électoral ? Depuis que les scrutins existent, on cherche toujours à anticiper leurs résultats, d’où l’omniprésence des sondages dans les médias, et à les expliquer après qu’ils se sont produits. Les politistes ont multiplié les modèles pour tenter d’expliquer les comportements électoraux et savoir comment les électeurs font leur choix. Mais avant d’expliquer pourquoi et pour qui les électeurs votent, il convient de chercher à comprendre pourquoi certains ne votent pas. Notions à acquérir Participation et abstention électorale, variables lourdes du comportement électoral, vote sur enjeu. Sensibilisation Document n° 6 Participation systématique aux élections de 2007 (présidentielle et législatives) 70,0 60,0 50,0 40,0 30,0 20,0 10,0 0,0 4 8-2 1 s s s s s s s s s s s s s an 9 an 4 an 9 an 4 an 9 an an 9 an 4 an 9 an 4 an 9 an t plu 4 e 4 2 3 3 4 5 5 6 6 7 7 s 45 25 30 35 40 50 55 60 65 70 75 an 80 Cned, d’après Insee. 12 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02 Clé de lecture : en France, en 2007, 31 % des électeurs de 18 à 24 ans ont voté aux deux tours des élections, présidentielle et législatives. Décrivez : quel phénomène est illustré par cette courbe ? Imaginez : quelles hypothèses peuvent expliquer ce phénomène ? A Pourquoi ne se sert-on pas de son droit de vote ? a. L’inscription sur les listes électorales On comptait 43,2 millions d’inscrits sur les listes électorales en France en février 2011, d’après les chiffres de l’Insee. Pour être électeur lors d’un scrutin en France, il faut avoir 18 ans à la veille du scrutin, jouir de ses droits civils et être inscrit sur les listes électorales. Depuis 1997, l’inscription sur les listes électorales est réalisée d’office pour les jeunes qui atteignent l’âge de la majorité. En effet, lors des Journées défense et citoyenneté, passage obligé pour tout jeune Français, le ministère de la Défense collecte des données qu’il transmet à l’Insee. Celui-ci vérifie le lieu de résidence et la date de naissance de chaque jeune disposant de ses droits civils et politiques, et transmet aux services de sa commune ces informations de manière à être inscrit d’office sur les listes électorales. Toutefois, tout le monde n’est pas inscrit. La population des non-inscrits comprend deux catégories de personnes : celles qui ont eu plus de 18 ans avant 1997 et qui ne se sont jamais inscrites sur les listes, et celles qui ont déménagé et ne se sont pas réinscrites auprès de leur nouvelle commune de résidence. Tous les ans, une commission administrative est chargée dans chaque commune de mettre à jour les listes électorales. On estime à 10 % la part des non-inscrits dans le corps électoral potentiel (c’est-à-dire toutes les personnes majeures, françaises et jouissant de leurs droits civils et politiques). Lorsque l’inscription n’était pas d’office, on remarquait une très forte disparité dans la population en fonction de l’âge. En effet, les jeunes étaient très majoritaires parmi les non-inscrits. Cette tendance s’atténue de fait en raison de l’inscription d’office décrite plus haut. En revanche, il y a toujours deux types d’explications à la non-inscription qui recoupent partiellement les explications de l’abstention (les électeurs inscrits ne votant pas). La première est d’ordre sociologique, la non-inscription s’expliquant par les caractéristiques sociales des individus comme leur degré d’insertion sociale, leur niveau d’études, leur position sociale. La seconde explication est d’ordre politique, la non-inscription pouvant être perçue comme une partie de l’abstention ou encore le vote blanc. Il s’agit alors d’une volonté de ne pas s’exprimer, de refuser le jeu poli- Séquence 2 – SE02 13 © Cned - Académie en ligne tique ou de montrer son désintérêt. Ainsi, moins on se sent proche d’un parti politique, moins on est inscrit. Les individus qui ne parviennent pas à se situer sur l’échiquier politique (gauche, droite, centre, extrêmes) s’inscrivent en général moins que ceux qui parviennent à donner leur sensibilité politique. Mais la non-inscription s’explique aussi par des causes sociologiques. Les individus qui changent de domicile régulièrement doivent faire la démarche de s’inscrire sur les listes électorales. Or la socialisation politique dans un univers social est souvent lente, et il n’est pas rare de voir des personnes conserver leur ancienne inscription ou tout du moins ne pas s’inscrire sur les listes de leur nouvelle commune de résidence, comme pour garder des attaches avec l’ancienne. C’est ici l’insertion sociale dans son environnement qui détermine l’inscription sur les listes électorales. Par exemple, les propriétaires de leur logement ont une probabilité de changer de résidence beaucoup plus faible que les locataires, et cela se confirme dans leur plus grande probabilité de s’inscrire sur les listes : en effet la probabilité de ne pas être inscrit décroît à mesure que la durée d’occupation d’un logement augmente. À l’époque où l’inscription des jeunes n’était pas automatique, on observait une différence entre les jeunes cohabitant avec leur parents et ceux qui étaient en situation de décohabitation. Au même âge, les enfants majeurs vivant encore chez leurs parents avaient une probabilité de ne pas être inscrits plus importante que ceux vivant dans leur propre ménage : c’est bien la preuve que ce n’est pas tant l’âge biologique qui compte mais l’âge social et l’insertion progressive dans le monde des adultes. Les autres explications sociologiques à la non-inscription se rapprochent de celles de l’abstention : un faible niveau d’études entraîne plus souvent une non-inscription et une abstention lors des scrutins. Le niveau d’études doit être rapproché du sentiment de compétence politique : Pierre Bourdieu a ainsi montré qu’en fonction du niveau d’études les individus intériorisent leur compétence ou incompétence personnelle à s’exprimer sur des sujets politiques. Ce sentiment d’incompétence politique se retrouve plus souvent chez les individus faiblement diplômés. Ainsi on retrouve une proportion d’inscrits sur les listes et de participants systématiques très importante dans la population très diplômée. À l’inverse, l’abstention systématique décroît avec le niveau d’études, comme le montre le document 7, page suivante. 14 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02 Document n° 7 Taux de participation aux scrutins de 2002 selon le diplôme, au même âge Taux de participation moyen Abstentionnistes systématiques Aucun diplôme 62 % 20 % Certificat d’études primaires 68 % 16 % BEPC, Brevet 72 % 11 % CAP, BEP 70 % 13 % Bac général 75 % 10 % Bac technologique ou professionnel 75 % 9% 1er cycle, BTS, DUT 77 % 8% 2e ou 3e cycle, Grandes écoles 80 % 5% Patrick Lehingue, « Un débat complexe et dérangeant : la volatilité électorale », Cahiers Français, n° 350, La Documentation Française, mai-juin 2009. Enfin la position sociale, qui découle souvent du niveau d’études et qui détermine le degré d’insertion sociale, n’est pas sans effet. Les chômeurs et les personnes issues d’un ménage modeste s’inscrivent généralement moins que le reste de la population. De même, ils sont plus souvent abstentionnistes que les autres. b. La participation aux scrutins Si certaines causes sociologiques semblent se recouper pour expliquer à la fois la non-inscription et la non-participation aux scrutins, il ne faudrait pas pour autant confondre les phénomènes. Il y a en effet des différences importantes entre les deux : – L’abstention est le plus souvent ponctuelle (les individus qui s’abstiennent ne le font pas systématiquement, pour tous les scrutins). À l’inverse, et par définition, un individu non inscrit ne peut participer à aucun scrutin. – La non-inscription sur les listes électorales est stable : on l’évalue entre 8 et 10 % du corps électoral potentiel. L’abstention connaît, elle, pour certains scrutins, une baisse tendancielle depuis plusieurs décennies. – La nature des élections fait varier fortement la participation électorale, alors qu’on n’observe pas le même phénomène en ce qui concerne l’inscription sur les listes (à l’exception peut-être de certaines élections présidentielles qui voient l’année qui les précède enregistrer un record d’inscription, comme en 2006 ou en 2011). Séquence 2 – SE02 15 © Cned - Académie en ligne Document n° 8 Taux de participation aux premiers tours des élections législatives depuis 1910 85,0 80,0 75,0 70,0 65,0 60,0 55,0 2007 1993 1997 2002 1988 1978 1981 1986 1973 1962 1967 1968 1958 1946 1951 1956 1946 1932 1936 1946 1928 1910 1914 1919 1924 50,0 Cned, d’après Insee. Illustrer : en utilisant les données de ce graphique, mesurez la baisse tendancielle de la participation électorale aux législatives sur la période récente. On observe une baisse tendancielle de la participation politique depuis quelques décennies, et plus particulièrement depuis le début des années 1990. Ce phénomène abstentionniste est souvent jugé comme étant la conséquence d’une crise de la représentation politique. Les Français n’ont jamais manifesté envers les hommes et les femmes politiques une grande confiance, laquelle s’est en fait complètement effritée. En 2002, des sondages réalisés à l’occasion des élections présidentielles montraient que seul un tiers des personnes interrogées jugeait leurs élus honnêtes, et plus de la moitié considérait que les hommes politiques ne se préoccupaient pas de ce qu’elles pensaient. Pour reprendre une explication déjà donnée à la non-inscription sur les listes électorales, une forte abstention peut être le signe d’une intégration politique insuffisante. Mais d’autres causes peuvent être mises en avant pour expliquer ce phénomène. L’action de voter a changé de sens, notamment parce que les valeurs se sont individualisées. Document n° 9 Le sens du vote a changé Le sens du vote est en train de changer. Il était autrefois perçu comme un devoir impératif du citoyen. Un bon Français se devait d’aller voter. Ce sentiment existe toujours mais il s’est effrité et relativisé. La force de l’obligation s’est altérée. Le vote est aujourd’hui davantage perçu comme un droit que l’on exerce si l’on en saisit l’intérêt. Autrefois on allait voter 16 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02 par principe, même si on ne savait pas très bien le sens de son choix. Aujourd’hui, avant de déposer un bulletin dans l’urne, on veut avoir de bonnes raisons de le faire, on veut être sûr de voter « utilement ». Dans le doute, on préfère s’abstenir. Le vote est donc devenu plus raisonneur, plus inquiet, plus fragile, moins constant et moins fidèle à une tendance politique. (…) La montée de l’abstentionnisme intermittent renvoie en fait au grand mouvement d’individualisation des valeurs dans les sociétés occidentales. Le vote se rationalise et s’individualise, ce qui fait à la fois sa grandeur mais aussi sa fragilité. Lorsque les gouvernants donnent l’impression de tous proposer le même genre de programme, ce qui est fréquent dans un univers politique mondialisé et où les groupes de pression ont un poids grandissant, il est très difficile de convaincre quasiment tous les citoyens qu’il est utile d’aller voter. Ils ne le font plus seulement pour attester leur appartenance à la collectivité, sans comprendre le sens de leur vote, comme ils le faisaient parfois autrefois. Pierre Bréchon, « La participation politique : crise et/ou renouvellement », Les nouvelles dimensions de la citoyenneté, Cahiers Français, n° 316, La Documentation Française, 2003. La montée de l’abstention doit donc être relativisée, car celle-ci est surtout due à une montée de l’abstentionnisme intermittent. Les scrutins importants aux yeux du corps électoral voient toujours une participation importante. Ainsi dans notre système politique où le président de la République est élu au scrutin universel direct, la participation au second tour est toujours importante (environ 80 %). Une exception confirme la règle, les élections de 1969 : elles ont vu s’affronter au deuxième tour deux candidats du même camp (droite modérée), conduisant une partie du camp opposé à appeler à l’abstention. Par contre, lorsqu’il s’agit d’élire des représentants locaux, la proximité géographique et la taille de la circonscription jouent à plein. Ainsi les électeurs se déplacent plus pour les élections municipales que pour les cantonales, pour les élections cantonales que pour les régionales, pour les élections régionales que pour les européennes. Une autre raison de l’abstention est le manque d’intérêt pour l’objet du scrutin. C’est particulièrement vrai pour les référendums : lorsque les questions posées aux électeurs les intéressent, ou lorsqu’ils en perçoivent l’enjeu politique, alors la mobilisation est massive. À l’inverse, lorsque la question posée est très secondaire dans la vie quotidienne ou dans les préoccupations politiques, alors l’abstention est grande. Séquence 2 – SE02 17 © Cned - Académie en ligne B Les variables lourdes du comportement électoral Les premiers modèles de sociologie électorale étaient assez sommaires : ils étaient basés sur le constat de certaines régularités statistiques dans les comportements politiques des individus. On peut citer les études d’André Siegfried, à la fois sociologue, géographe et historien français de la première moitié du XXe siècle. Il a tenté de démontrer que certains aspects géographiques pouvaient avoir une influence sur les modes de vie, certains favorisant le vote à droite, d’autres le vote à gauche. Il expliquait ainsi la tendance au vote conservateur dans l’ouest de la France. Depuis, les politistes n’ont de cesse de chercher à isoler les variables qui permettent d’expliquer le comportement électoral. a. L’enquête fondatrice de l’École de Columbia Nous avons évoqué plus haut certains enseignements tirés des enquêtes menées dans les années 1940 par Paul Lazarsfeld, de l’Université de Columbia, aux États-Unis. Si celles-ci ont apporté beaucoup sur l’étude de la réception des messages médiatiques et l’effet des campagnes électorales sur les électeurs, elles ont aussi été au fondement de bon nombre d’études qui ont mis en évidence l’importance des variables sociologiques pour expliquer les comportements électoraux. En effet, il ressort de ces premières études que les électeurs « pensent politiquement comme ils sont socialement ». Sans parler d’un déterminisme absolu dont les individus ne pourraient se sortir, Lazarsfeld et son équipe montrent que le milieu social des électeurs a tendance à préorienter le vote. À partir de cela, la connaissance du groupe d’appartenance d’un individu permet de prédire de manière relativement efficace son vote. En 1940, lors de l’élection présidentielle américaine, dans l’échantillon observé par les chercheurs, seuls 24 % des électeurs ruraux, protestants, appartenant aux classes supérieures de la société ont voté démocrate. Cette proportion s’élevait à 86 % pour les catholiques, urbains et appartenant aux classes défavorisées. À l’époque, l’appartenance sociale et surtout la religion étaient les attributs sociaux les plus influents pour expliquer le vote. De plus, d’autres enquêtes portant plus spécifiquement sur les individus ayant des appartenances contradictoires (catholiques et upper class, ou protestant et lower class) ont confirmé que ces derniers votaient moins, hésitaient plus longtemps et pouvaient plus facilement changer d’avis. Cela viendrait ainsi confirmer que certaines variables lourdes permettent d’expliquer le comportement électoral. Ainsi un acte éminemment individuel tel que le vote peut-il être perçu, dans une certaine mesure, comme une pratique de groupe. 18 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02 b. Les suites aux États-Unis et en France Cette vision pour le moins déterministe va être critiquée par les chercheurs de l’Université du Michigan, cités également plus haut (voir Chapitre 1, partie 1.a). Pour eux, le vote est avant tout expliqué par des données psychologiques individuelles, plus que par les caractéristiques sociales dont les individus héritent. Il ressort de leurs enquêtes que les électeurs se prononcent en fonction de leur identification partisane, c’est-à-dire d’un sentiment de proximité affective avec l’un des deux grands partis qui structurent la vie politique américaine. Ainsi ceux qui se définissent comme démocrates seront plus réceptifs aux discours des candidats démocrates, et inversement pour ceux qui se définissent comme républicains. Ces études sont d’ailleurs assez rudes car elles insistent sur le fait que la grande majorité des électeurs n’est pas forcément capable d’une réflexion abstraite et idéologique. Cela dit, même pour ces chercheurs, l’identification à un parti prend souvent sa source dans un « héritage » familial. En France, on doit à Guy Michelat et Michel Simon d’avoir mené une enquête sur la place de la classe sociale et de la religion dans l’explication du comportement politique. Ils observaient la France des années 1970 et affirmaient que les variables lourdes jouaient encore leur rôle. En effet, le clivage gauche/droite est toujours très fortement structuré autour de l’appartenance sociale et confessionnelle. Ainsi le monde ouvrier était encore très majoritairement tourné vers le Parti communiste. À l’inverse, les classes moyennes catholiques, qu’elles soient rurales ou urbaines, étaient toujours acquises aux valeurs défendues par les partis de droite. Aujourd’hui le déclin de l’industrie, la montée du chômage, un certain nombre d’éléments ont partiellement gommé la spécificité du monde ouvrier. Le vote ouvrier est moins éloigné de celui de l’ensemble des salariés. Par contre on observe d’autres clivages, comme par exemple entre salariés du privé et salariés du secteur public. Les premiers sont plus tournés vers la droite, les seconds vers la gauche. Document n° 10 Intentions de vote pour le second tour de l’élection présidentielle de 2007, en fonction de l’appartenance religieuse Ensemble des Français (%) Catholiques pratiquants (%) Catholiques non pratiquants (%) Sans religion (%) Ségolène Royal 49 28 43 67 Nicolas Sarkozy 51 72 57 33 D’après une enquête d’opinion, février 2007. Illustrer : en quoi peut-on dire que la variable religieuse peut encore expliquer le comportement électoral ? Séquence 2 – SE02 19 © Cned - Académie en ligne Les dernières enquêtes montrent ainsi que le vote de classe tend à s’estomper sans être complètement effacé pour autant. Le comportement électoral des ouvriers s’est dispersé. Le vote ouvrier est d’abord un « non-vote », puisque l’abstention est devenue le premier parti ouvrier. Mais c’est toujours vers la gauche que les ouvriers se tournent lorsqu’ils votent, puis vers la droite et l’extrême droite. Le clivage gauche/droite en fonction de la position sociale est toujours une réalité. La variable religieuse est également toujours explicative des choix électoraux. Pour autant, certains modèles explicatifs du vote s’éloignent des explications sociologiques pour préférer expliquer les comportements électoraux par le calcul rationnel des électeurs. C Vers un vote « sur enjeu » ? Aux États-Unis, les électeurs « mobiles » ont progressivement pris une part de plus en plus grande dans le corps électoral. Cela remettrait donc en question les modèles qui expliquent le vote à partir de l’appartenance sociale ou de la psychologie des individus. En effet, ces dernières ne changent pas entre deux tours ou entre deux élections rapprochées ; comment expliquer dès lors la volatilité électorale ? Cela a favorisé l’éclosion d’une nouvelle théorie, basée cette fois sur la rationalité supposée des individus, empruntant largement cette hypothèse aux théories économiques qui commençaient à s’imposer dans les années 1970. a. Un Homo œconomicus en politique Les enquêtes montrant une instabilité plus grande dans le vote des électeurs (« floating vote »), les sociologues vont réviser leurs modèles explicatifs du vote. Les variables lourdes semblent ne plus pouvoir expliquer les comportements électoraux, en particulier pour les plus jeunes, et on en conclut que l’électeur devient plus rationnel et plus stratège. Il serait devenu capable de s’autonomiser vis-à-vis de ses groupes d’appartenance pour réaliser des calculs coûts/avantages à la manière du modèle de l’Homo œconomicus des économistes néoclassiques. On observerait ainsi une montée du vote « sur enjeu », c’est-à-dire sur des questions et problématiques importantes aux yeux des électeurs au moment du scrutin. Ce n’est pas le contenu idéologique ou l’étiquette qui compte, mais la réponse apportée à tel ou tel problème qui concerne l’électeur. Ainsi celui-ci serait prêt à voter pour untel parce qu’il apporte telle réponse à tel problème, pas pour sa couleur politique et le fond des idées qu’il défend. La montée de l’individualisme en tant que valeur dans la société expliquerait donc que les variables sociales « lourdes » perdraient de leur pouvoir explicatif. C’est en relisant tardivement un ouvrage qu’Anthony Downs avait rédigé à la fin des années 1950 (Une théorie économique de la démocratie) que 20 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02 les politistes américains ont défendu cette théorie de l’électeur stratège. Comme dans la théorie économique orthodoxe, l’individu est doté d’une capacité de calcul qui lui permet de faire des choix électoraux rationnels et d’adapter son vote en fonction du but auquel il tend. Il choisit l’offre politique qui correspond le mieux à ses intérêts, qui maximise son utilité. Dans ce modèle les changements politiques s’expliquent exclusivement par le changement de l’offre, le renouvellement des candidats et des programmes. Document n° 11 Le paradoxe du vote dans la théorie du choix rationnel L’universalisation du calcul coûts/avantages à cette espèce à peine singulière d’Homo œconomicus qu’est l’électeur conduit à poser une question par ailleurs pertinente : pourquoi les électeurs votent-ils ? Mais, dans les limites étroites de la rationalité instrumentale* du modèle, la réponse à cette question est qu’en toute logique, l’électeur rationnel devrait s’abstenir, les coûts de sa participation (informations à recueillir, perte de temps liée au déplacement dans les bureaux de vote, etc.) l’emportant largement sur l’utilité (bénéfices personnels attendus de la victoire de M. X), laquelle est lourdement pondérée par la probabilité, a priori infinitésimale, pour qu’un vote singulier décide de l’issue du scrutin. Or, même si l’on assiste depuis le milieu des années 1980 à une baisse tendancielle des taux de participation, une majorité relative de citoyens persiste à voter. D’où l’existence d’un « paradoxe du vote », que plusieurs dizaines de recherches inspirées du même auteur ne parviendront pas à réellement résoudre. *Rationalité instrumentale : il s’agit de la rationalité en finalité qui consiste à choisir le moyen, l’instrument, le plus efficace pour atteindre la fin, le but désiré. Patrick Lehingue, « Les explications du vote », Nouveau manuel de science politique, La Découverte, 2009. www.editionsladecouverte.fr En quoi le vote apparaît-il comme paradoxal si on suppose la rationalité parfaite des électeurs ? b. Une rationalité limitée ? Dans ces modèles du vote sur enjeu qui fait de l’électeur un individu pleinement rationnel, qui ne voterait pas en fonction de son histoire sociale ou d’un attachement affectif à tel parti ou tel candidat, les chercheurs qui les défendent rencontrent un problème. Toutes les enquêtes montrent que le niveau de connaissance du système politique n’augmente pas. Or, pour pouvoir être rationnel et faire des choix en conscience, encore faut-il être bien informé sur l’enjeu du scrutin, les propositions des différents candidats, etc. Certaines théories affirment que les électeurs, s’ils ne font pas preuve d’une rationalité totale, sont néanmoins capables d’une rationalité limitée, qui leur suffit à faire des choix raisonnables. L’expérience per- Séquence 2 – SE02 21 © Cned - Académie en ligne sonnelle passée permettrait ainsi de lire un certain nombre de microinformations (la façon de se présenter d’un candidat, les slogans, la conformité à des stéréotypes, etc.) et de se décider alors sans avoir une parfaite connaissance des enjeux. On rompt alors avec la représentation première de l’électeur mobile, un individu plutôt bien informé, intéressé par la politique, qui fait des choix rationnels allant dans le sens de ses intérêts. Et on rejoint la réalité mesurée par les enquêtes : les électeurs qui font des allers-retours entre la droite et la gauche ont en moyenne un patrimoine et un niveau d’études moins élevés que le reste des électeurs. Trois explications permettent de comprendre pourquoi ces électeurs naviguent facilement entre les deux côtés du clivage politique communément admis. En étant faiblement informés sur l’organisation du champ politique, ces individus ne parviennent pas forcément à percevoir les lignes de force qui le traversent. Ensuite, il se peut que, moins intéressés par la politique, ils ne s’efforcent pas d’apporter des réponses politiquement cohérentes lors des enquêtes menées par les chercheurs, alors que les plus informés et les plus intéressés cherchent à montrer un profil politique cohérent, à droite ou à gauche. Enfin, la montée des populismes ces dernières années, en particulier à l’extrême droite, vient troubler les modèles traditionnels qui répartissent les électeurs en deux blocs. En effet, par exemple en France, une frange des classes populaires vote pour l’extrême droite lors des premiers tours des élections présidentielles pour émettre un vote de protestation, mais se tourne finalement vers la gauche lors du second tour. En revanche, en ce qui concerne les électeurs mobiles à l’intérieur d’un camp politique (la gauche ou la droite), on retrouve des catégories de population correspondant mieux à la théorie de l’électeur rationnel. Des profils au niveau de diplôme plus élevé que la moyenne, et se déclarant intéressés par la politique, sont plus souvent mobiles ou en tout cas envisagent une volatilité de leur vote sur des sensibilités différentes à l’intérieur d’un camp idéologique. Conclusion La sociologie électorale montre une certaine diversité dans ses approches. Empruntant parfois aux disciplines voisines telles que la psychologie ou l’économie, les multiples théories permettent de rendre compte de la complexité nécessaire pour comprendre les comportements électoraux des individus. Même si elles résultent souvent de la rivalité entre chercheurs souhaitant imposer leurs modèles, ces explications apparaissent aujourd’hui plus comme complémentaires. Ainsi les théories plus déterministes expliquent encore, même aujourd’hui, la répartition globale de la population en deux blocs, la droite et la gauche, en fonction de variables sociologiques assez bien identifiées. Mais les théories individualistes permettent également de comprendre les comportements à la marge des électeurs se déclarant plus indépendants des appartenances partisanes, mais plus attachés à la conjoncture politique. 22 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02 3 Quels sont les répertoires de l’action politique ? La forme traditionnelle de participation politique depuis l’avènement de la démocratie électorale est bien évidemment le vote. Qu’il s’agisse de la participation à des scrutins visant l’élection de candidat ou bien de répondre à une question (référendum), le vote est considéré comme la forme de participation conventionnelle. Il existe toutefois d’autres formes de participation, dites non conventionnelles, que nous allons étudier dans ce chapitre. Notions à acquérir Répertoires d’action politique. Sensibilisation Document n° 12 Statut de Barack Obama sur Facebook le 31 décembre 2011 Traduction : « Nous atteignons la date limite ce soir à minuit. Pouvezvous mettre 5 $ ou plus pour nous aider à construire cette campagne pour 2012 ? » Séquence 2 – SE02 23 © Cned - Académie en ligne Document n° 13 Un vote à bulletin secret lors d’une élection en France © Philippe Huguen/AFP. Document n° 14 Mise en place d’un appel au boycott de produits alimentaires © Rémy Gabalda/AFP. En quoi ces trois documents illustrent-ils des formes de participation politique ? 24 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02 A Le vote et les formes conventionnelles de participation Lorsqu’on se demande comment les citoyens peuvent intervenir directement sur la politique, on pense immédiatement au vote. L’exercice du droit de vote est en effet une des façons d’exprimer ses idées, de faire valoir un avis sur les décisions collectives à prendre, d’exprimer son accord (ou son désaccord) sur les réponses apportées par les organisations politiques. a. La désignation de représentants Comme nous l’avons déjà vu précédemment, les Français sont régulièrement appelés aux urnes pour élire leurs représentants dans presque toutes les assemblées politiques. Le conseil municipal, le conseil général (département), le conseil régional, l’Assemblée nationale, le Parlement européen sont les cinq assemblées pour lesquelles tout citoyen doit choisir son ou ses représentants. À cela on doit ajouter l’élection du président de la République. Il n’y a finalement qu’une assemblée qui ne fait pas l’objet d’une élection directe par le peuple : le Sénat. Enfin, il faut rappeler que le gouvernement n’est pas élu : dans la Ve République, le Premier ministre est nommé par le président de la République, qui nomme également les ministres sur proposition du Premier ministre. La France est ainsi la première démocratie en nombre d’élus. On dénombre environ 600 000 positions électives (et non pas 600 000 élus puisque certains ont plusieurs mandats) lorsque l’on additionne toutes les assemblées politiques que compte la France. C’est surtout dû au grand nombre de communes en France (36 782 exactement– par comparaison, c’est environ trois fois plus qu’en Allemagne qui compte pourtant plus d’habitants). La première forme de participation conventionnelle est donc la désignation de ces représentants. b. Les référendums Le référendum est une procédure de vote par laquelle tous les citoyens sont appelés à se prononcer en même temps sur une question précise. Celle-ci doit être posée de façon qu’il n’y ait pas de confusion possible pour l’électeur. Il n’y a donc que deux réponses possibles : oui ou non. Le premier référendum en France remonte à la période révolutionnaire, en 1793. À l’époque, il est alors organisé sur deux mois ; on doute de son caractère réellement démocratique. Il appelait les Français à se prononcer sur une Constitution. Finalement, celle-ci ne sera jamais appliquée. Au XIXe siècle, le référendum est utilisé sous la forme de plébiscite pour permettre à Napoléon Ier puis Napoléon III d’accéder au pouvoir et de transformer le régime politique français en Empire. Du coup, lorsque la Séquence 2 – SE02 25 © Cned - Académie en ligne IIIe République arrive, on se méfie du référendum, et il ne figure pas dans la Constitution. Sous la IVe République, le référendum n’a pas beaucoup plus de succès puisqu’il ne sert qu’à titre très exceptionnel. En réalité, après les référendums de 1945 et 1946 qui, après la guerre, ont permis d’instaurer la IVe République, il n’y aura pas de référendum jusqu’à la Ve République, en 1958. Dans la Constitution de la Ve République, il est actuellement prévu quatre types de référendums différents : – le référendum national qui permet d’adopter une loi ; – le référendum national qui permet de modifier la Constitution ; – le référendum local qui porte sur une question ne concernant qu’une collectivité territoriale ; – et enfin le référendum qui permet de répondre à une question d’intérêt européen. À chaque fois c’est au président de la République de décider de recourir ou non au référendum, à l’exception du référendum local qui est décidé par le conseil d’une collectivité locale (conseil municipal, conseil général ou régional). Le référendum est toujours facultatif : il n’existe pas de situation qui ne puisse être réglée que par le référendum. En revanche, à l’exception de certains référendums locaux consultatifs, il a toujours une valeur décisionnelle : le vote des citoyens est toujours suivi de la décision qui correspond au résultat. Mais une décision prise par référendum peut tout à fait être revue par d’autres moyens législatifs. c. La participation à la vie des partis politiques Les individus entretiennent une proximité plus ou moins grande avec les organisations politiques, les partis. Cela permet de distinguer différents niveaux de participation. En premier lieu, il y a l’électeur, l’individu qui vote plus ou moins régulièrement en faveur d’un parti politique en particulier. Ensuite, on nomme « sympathisants » les individus qui ne sont pas membres d’un parti mais s’en considèrent relativement proches. Ils peuvent occasionnellement participer à certaines activités organisées par le parti. Le simple adhérent limite sa participation politique au paiement d’une cotisation. Le militant est un adhérent qui participe à l’organisation concrète du parti politique, aux réunions internes, aux processus de désignation des candidats, aux divers actes militants visant à convaincre les autres de voter en faveur de son parti. On estime qu’en France seuls 5 % de la population adhèrent à un parti politique. On ne retrouve pas les mêmes types de militants dans tous les partis politiques car ceux-ci peuvent être sommairement classés en deux catégories. Les partis dits « de gouvernement » ou « institutionnalisés » sont ceux dont les membres les plus impliqués ont vocation à prendre le pouvoir. Ils sont rarement plus de deux ou trois, et représentent chaque bord de l’échiquier politique : en France, on pense d’abord à l’UMP et au PS, puis aux autres partis disposant d’élus à l’Assemblée nationale et dans 26 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02 les assemblées locales. Mais il existe une multitude de partis « outsiders », des petits partis sans représentant. Dans les premiers, on va trouver deux types de militants : d’abord le militant « de base », bénévole, ensuite l’auxiliaire politique professionnel, rémunéré pour seconder les élus. Il s’agit des assistants parlementaires, des chargés de missions, des collaborateurs de cabinet, tous recrutés pour seconder les élus dans leurs tâches politiques. Dans les seconds, l’investissement partisan étant entièrement bénévole, il est davantage soumis aux aléas de la vie sociale : l’engagement politique vient alors concurrencer d’autres engagements (dans la sphère familiale, professionnelle ou associative), ce qui explique les fluctuations individuelles dans l’investissement des militants. Autre explication, le cycle de vie des individus. On dispose de plus de temps à consacrer au militantisme à certains moments de sa vie : par exemple pendant les études, la retraite, ou les moments sans évolution de carrière importante. Les investissements politiques dans ces organisations sont donc plus souvent temporaires et susceptibles d’être interrompus dès que le militant révise ses priorités. En ce qui concerne les partis « institutionnalisés », leurs capacités à mobiliser les ressources de l’État ou des collectivités locales pour nommer et rémunérer des auxiliaires politiques leur permettent d’assurer une certaine constance dans l’investissement partisan de ces militants. Document n° 15 Les auxiliaires politiques, des militants professionnels Au total on peut estimer à 15 000 le nombre d’auxiliaires politiques disposant de positions salariées à plein temps en France. Ces professionnels subalternes de la politique permettent aux élus de contrôler leur parti, mais aussi d’assurer le travail politique permanent indispensable à leur réélection. On comprend, dans ces conditions, que la pérennité de certains partis, comme le PCF, soit étroitement dépendante de la préservation de certaines municipalités. Les succès municipaux (comme ceux de 1977 ou 2008 pour le PS, ou ceux de 1983 pour le RPR et l’UDF) favorisent la promotion et la professionnalisation de milliers d’auxiliaires qui, en retour, constituent autant de ressources pour assurer le contrôle électoral de la municipalité et la notoriété électorale de l’élu. Philippe Juhem, « Investissements et désinvestissements partisans », Nouveau manuel de science politique, La Découverte, 2009. www.editionsladecouverte.fr Séquence 2 – SE02 27 © Cned - Académie en ligne B Les formes non conventionnelles de participation politique a. Une mutation de l’engagement politique ? La participation politique ne se résume pas aux seuls événements de l’agenda électoral et à la vie des partis politiques. En effet, les mouvements sociaux, compris comme des mobilisations d’individus qui se rassemblent dans des actions visant à modifier la société, peuvent être considérés comme des formes de participation politique. Il s’agit bien d’intervenir en politique, de transformer la vie de la cité. Document n° 16 Conflits sociaux et action collective Les conflits et « mouvements » sociaux sont inscrits dans l’histoire et le quotidien. 1848, 1936,1968 constituent des dates de mobilisations majuscules, entrées dans les programmes d’histoire. À une échelle plus modeste et plus récente, on évoquera les grandes grèves de décembre 1995 contre le « plan Juppé », la longue mobilisation des enseignants de Seine-Saint-Denis, en 1998, contre le sous-encadrement scolaire, les barrages de routes répétés des chauffeurs routiers, les actions des ouvriers de Moulinex contre la fermeture de leurs usines, les occupations d’églises par des « sans-papiers », le refus concerté de certains chasseurs de respecter les calendriers relatifs au tir des oiseaux migrateurs, l’action de médecins libéraux en 2002 pour augmenter le prix de leurs consultations sans l’accord de la Sécurité sociale. Erik Neveu, « Conflits sociaux et action collective », Les mutations de la société française, La Découverte, 2007. www.editionsladecouverte.fr Quels sont les points communs à toutes les actions décrites dans ce texte ? Si les formes traditionnelles d’engagement telles que l’adhésion à un parti politique ou à un syndicat semblent en déclin, on voit d’autres formes se développer. Il existe des organisations militantes différentes des partis qui se structurent autour d’une problématique précise, plus à même de motiver des individus que les partis qui ont vocation à intervenir sur tous les champs du débat politique. Ainsi des organisations se sont constituées autours de certains enjeux de société comme le chômage, l’immigration, les inégalités sociales, la place des femmes, ou encore l’environnement. Elles proposent des mobilisations locales, impliquant une proximité permettant aux militants de se rendre plus facilement disponibles pour y participer. Mais elles participent aussi à des réseaux plus larges, à des 28 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02 actions d’échelle nationale, européenne voire internationale pour certaines causes qui dépassent le cadre des États-nations. De la même manière les modalités d’action évoluent. Certaines protestations prennent la forme de manifestations, de forums, d’occupation de lieux symboliques (entreprises, préfectures, lieux publics très visibles), mais également de pétitions, de boycotts. Les formes que prend la participation politique se diversifient et constituent ce qu’on appelle la participation non conventionnelle, en opposition à la participation aux élections. Si elles existaient déjà par le passé, leur nombre et donc leur fréquence ont fortement augmenté ces quarante dernières années. b. Quelques explications théoriques de la participation aux actions collectives Le sociologue américain Charles Tilly a montré que les mobilisations collectives en France ont connu deux grands types d’action. Dans un premier temps (du début du XVIIe siècle au milieu du XIXe siècle), les mobilisations étaient très locales, liées à la situation particulière dans une entreprise, une région. Puis ce n’est qu’à partir du milieu du XIXe siècle, dans un contexte de nationalisation de la vie politique, que les mobilisations vont devenir à la fois plus ciblées et plus autonomes : elles ne dépendent plus toujours d’un contexte conflictuel local mais peuvent être menées sur tout le territoire (comme en 1936, en 1968 ou en 1995). Ces initiatives peuvent prendre des formes diverses mais, historiquement, c’est l’institutionnalisation du conflit (la création d’organisation, les syndicats, pour encadrer des manifestations et des protestations, etc.) qui a permis de pacifier les actions et de protéger les protagonistes. Ainsi la loi autorisant les salariés à se réunir sous la forme de syndicats date de 1884. Il n’en reste pas moins que les groupes sociaux disposent de répertoires d’actions collectives divers comme la grève, la manifestation, l’occupation de bâtiments, les grèves de la faim, les pétitions, les boycotts, etc. Le choix de telle ou telle forme dans le répertoire à la disposition des militants dépend de la culture des groupes qui protestent, de l’époque, mais également de la lutte avec les autorités qui cherchent à les encadrer au maximum par la loi. Il n’en reste pas moins qu’on peut se demander pourquoi les individus se mobilisent collectivement alors qu’à première vue ils n’ont pas forcément intérêt à le faire. En effet, si l’on part du principe que les individus sont rationnels et qu’ils calculent ce que leur coûte l’action collective par rapport à ce qu’elle leur rapporte, alors ils ont intérêt à ne rien faire car l’action collective, lorsqu’elle produit des résultats, profite à tous. Elle produit un bien collectif qui n’est pas, par définition, individualisable : si un syndicat parvient à négocier de meilleures conditions de travail ou une meilleure rémunération pour les salariés, cet avantage sera distribué à tous les salariés et pas seulement à ceux qui ont conduit la négociation ou qui sont syndiqués. Séquence 2 – SE02 29 © Cned - Académie en ligne Des individus rationnels (par exemple des salariés) ne devraient théoriquement pas souscrire à l’action collective (par exemple l’action syndicale). En effet, ils devraient craindre le blâme, la perte de temps qu’il faut consacrer à l’action, la perte d’argent en cas de grève. Par ailleurs, même s’ils ne participent pas, ils peuvent bénéficier de son éventuel succès, ils ont donc intérêt à adopter un comportement de « passager clandestin » (free rider). Le comportement de free rider consiste à ne rien faire, donc à ne pas payer le coût individuel de l’action collective, tout en bénéficiant du résultat de celle-ci. L’agrégation de tous ces comportements individuels fondés sur la même rationalité devrait alors rendre impossible l’action collective puisque chaque individu a intérêt à ne rien faire. C’est pour cela que l’hypothèse d’Olson est qualifiée de paradoxale. Alors pourquoi y a-t-il mobilisation plutôt que rien ? Ce paradoxe explique déjà la faible implication des Français dans les organisations politiques et syndicales, alors que dans les pays d’Europe du Nord le fort taux de syndicalisation peut s’expliquer par le fait que l’adhésion à un syndicat procure des avantages certains. Ensuite, certains réfutent cette vision instrumentale de la rationalité des acteurs. Les individus peuvent être rationnels en valeur, et leur action s’explique alors par l’attachement à ces valeurs plus que par la poursuite d’intérêts particuliers. Enfin, la rétribution que tire un individu de sa participation à une action collective n’est pas uniquement matérielle. Elle peut être également symbolique, et le militant peut tirer satisfaction dans l’acte même de sa protestation. Le militant peut se satisfaire de défendre ses idées et ses convictions : il améliore son estime sociale, son estime de soi. Mais il peut également trouver dans l’action collective une certaine sociabilité (des relations sociales) et des éléments structurants de son identité. C Nouveaux médias, nouvelles formes d’action politique ? Cela fait une quinzaine d’années que les chercheurs en sciences sociales s’intéressent à l’effet d’Internet sur la démocratie. Comme nous l’avons vu précédemment avec l’impact des médias traditionnels, il n’est pas plus facile de démontrer les effets d’Internet sur la participation politique. Si certaines recherches révèlent que les individus qui utilisent Internet pour s’informer ont déjà une connaissance politique plus importante que la moyenne des individus et une probabilité plus grande de participer aux élections, la question est de savoir si c’est le recours à Internet qui explique cela, ou bien plus vraisemblablement si les personnes qui s’intéressaient déjà à la politique se mettent à utiliser le net pour continuer de s’informer. De fait, Internet, en diversifiant l’information politique, accentue l’écart entre les citoyens hyperinformés qui utilisent pleinement ces nouveaux 30 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02 canaux d’information et ceux qui ne s’intéressent pas à la politique et s’en détournent encore plus. En tout cas, il ressort de certaines enquêtes que les discussions politiques sur Internet ont souvent lieu entre personnes qui partagent déjà des opinions politiques relativement proches. On est alors davantage, en ce qui concerne la discussion politique en ligne, dans l’entretien d’une certaine sociabilité que dans le domaine de la participation politique. Quant à l’action collective, il est clair qu’Internet favorise l’organisation d’événements politiques en réduisant les coûts liés à la coordination des acteurs. Ainsi, des mobilisations locales comme internationales de protestation peuvent être organisées sans que personne n’ait besoin de se déplacer avant l’événement. Cela permet également au citoyen de se passer de certaines institutions et de se mobiliser plus facilement sous la forme de collectif regroupant les personnes intéressées par les mêmes problématiques. Il est plus facile de trouver d’autres personnes sensibles aux mêmes causes que soi avec des outils comme les réseaux sociaux (page Facebook, blog, forum, etc.). Autrement dit, Internet est venu agrandir le répertoire d’actions collectives à la disposition des militants de toutes causes. Enfin, Internet permet un nouveau type d’engagement politique dans les structures traditionnelles que sont les partis politiques. Document n° 17 L’utilisation d’Internet dans la campagne de Barack Obama Si la campagne numérique d’Obama a suscité autant d’attention, c’est parce que le candidat démocrate a su faire converser la société américaine. Son utilisation très agile des réseaux sociaux à travers le site mybarackobama.com a permis de capter et de canaliser ces conversations pour en faire un outil de mobilisation locale. À la différence du projet de Ségolène Royal, désireuse de construire une plateforme programmatique participative (projet qui a échoué devant la difficulté d’établir une synthèse entre points de vue contradictoires), le candidat Obama n’a pas demandé aux internautes américains de faire son programme. Il s’est attaché ses supporters en leur permettant de valoriser auprès de leurs réseaux sociaux leurs contributions à la campagne. Mobilisant largement les organisations de terrain qui maillent la société civile américaine, les outils numériques ont été mis à profit par les responsables de la campagne, dont Chris Hugues, ex-numéro 2 de Facebook. Ils permettaient aux participants d’exposer, comme un badge sur la page de leur réseau social, les gestes, distributions de tracts, séances de porte-àporte et réunions qu’ils avaient effectués pour participer à la campagne électorale. Dominique Cardon, La démocratie Internet, La République des Idées, Le Seuil, 2010. Séquence 2 – SE02 31 © Cned - Académie en ligne Dominique Cardon met en avant le fait qu’Internet peut permettre à un nombre plus important de personnes de s’impliquer dans une campagne électorale, sans se plier aux exigences du militantisme traditionnel. Ainsi il permet un engagement plus flexible, s’adaptant aux contraintes de chacun. Certains dirigeants politiques s’inquiètent d’ailleurs du fait que les partis politiques pourraient perdre leur rôle d’instance de débat et de décision collective, pour ne devenir que des organisations supports pour quelques individualités souhaitant imposer leur leadership. Conclusion L’arrivée de nouveaux médias renouvelant partiellement les fondements de l’action politique et la montée des actions non conventionnelles ne doivent pas masquer le fait que la participation conventionnelle (le vote) a toujours une place très importante dans la vie politique des pays démocratiques. En effet, les personnes qui utilisent Internet pour s’informer sur la vie politique ou pour agir et organiser l’action, mais aussi celles qui se déclarent prêtes à participer à des mobilisations collectives empruntant leurs actions dans des répertoires non conventionnels, sont aussi celles qui sont le plus enclines à participer aux différents scrutins de l’agenda politique. En clair, plutôt que de disperser l’action politique, les formes de participation non conventionnelles et Internet ont plutôt tendance à renforcer la politisation de la population, et in fine sa participation à la désignation des représentants politiques. 32 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02 Autoévaluation Remplissez le texte ci-dessous avec les termes suivants : attitudes politiques, socialisation politique, les manifestations, la famille, l’école, reproduction, le groupe de pairs. par la famille conduit à une certaine .............. des grandes orientations politiques des parents par leurs enfants : droite, centre, gauche. Cela dit, il est rare que des enfants se situent exactement sur la même sensibilité politique. Il apparaît que ............................................ , comme ............................................ , transmet plus le cadre général dans lequel se développent les ............................................ que des orientations. Celles-ci se forment dans la confrontation avec ............................................ , dans les premières expériences politiques, souvent des formes non conventionnelles de participation telles que ............................................ . La ............................................ ............................. Questions à choix multiples a. En ce qui concerne la formation des opinions politiques, les médias jouent un rôle : ¨ très important, ils conditionnent les électeurs en diffusant les programmes des candidats. ¨ assez limité, ils ne sont efficaces que si les informations sont relayées par une personne de confiance. ¨ quasi inexistant, les individus ne sont pas réceptifs aux messages diffusés par les médias de masse. b. En France, l’inscription sur les listes électorales est : ¨ obligatoire sous peine d’amende. ¨ automatique la première fois lorsqu’on devient majeur. ¨ automatique dès qu’on change d’adresse. c. La participation politique évolue en fonction de l’âge : ¨ plus on vieillit et plus on participe aux élections. ¨ plus on est jeune, plus on vote. ¨ il n’y a pas de grandes différences entre les générations. d. L’appartenance religieuse : ¨ n’explique plus le vote. ¨ joue encore un rôle dans l’explication du clivage gauche/droite. ¨ n’a jamais été un indicateur très pertinent pour expliquer le comportement électoral. Séquence 2 – SE02 33 © Cned - Académie en ligne e. En France, les électeurs mobiles sont plutôt : ¨ issus des classes populaires. ¨ plus diplômés, intéressés par la politique. Classez ces actions politiques dans les deux catégories suivantes : forme conventionnelle de participation / forme non conventionnelle. Distribuer un tract, signer une pétition, séquestrer son employeur, occuper la préfecture, voter lors d’une élection, manifester, se présenter comme candidat à une élection, faire une grève de la faim, créer une page Facebook de soutien à une cause, participer à un boycott. 34 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02 Corrigés des questions Documents nos 1, 2 et 3 Les comportements politiques sont liés à la culture politique des individus. Comme tout élément culturel, la culture politique fait l’objet d’une socialisation (doc. 1). La socialisation est un processus qui commence dès l’enfance, au sein de la famille puis de l’école. Elle se prolonge tout au long de la vie. On peut alors se demander si nos comportements politiques s’expliquent par un « héritage » familial (doc. 3) ou bien par les personnes que nous rencontrons et qui nous socialisent à divers moments de notre existence (doc. 2). Document no 4 La famille « reste un vecteur efficace dans la transmission des choix idéologiques » car celle-ci « fournit les premiers repères » dans le monde politique. De plus, les deux tiers des Français sont les héritiers politiques du positionnement de leurs parents ; on est rarement en rupture complète avec l’orientation politique de ses parents. Document no 5 La dernière phrase du document nous indique que les équipes de campagne de Barack Obama préparent les élections de 2012 en recrutant dans chaque communauté des « leaders d’opinion » qui pourront relayer les positions du candidat auprès de leurs entourages. C’est bien une illustration de la théorie de la communication à deux étages. Document no 6 Cette courbe illustre la relation entre l’âge et la participation aux élections : plus on vieillit, plus la participation aux élections est systématique. Les personnes âgées de plus 55 ans ont été plus de 60 % à voter à toutes les élections en 2007. Document no 8 On passe de 82 % de participation aux élections législatives de 1978 à 60 % en 2007, ce qui veut dire que l’abstention a plus que doublé sur cette période. Document no 10 On peut dire que la variable religieuse est toujours prédictive en matière de vote dans la mesure où près des 3/4 des catholiques pratiquants se sont prononcés en faveur du candidat de droite lors d’un sondage d’opinion réalisé à quelques mois de l’élection présidentielle de 2007. À l’inverse, on remarque que deux tiers des personnes interrogées se disant sans religion avaient une préférence pour la candidate de la gauche. Document no 11 L’acte de voter peut apparaître comme paradoxal dans la mesure où un individu pleinement rationnel devrait considérer que son vote est insignifiant dans une élection où plusieurs millions de personnes sont appelées à voter. À partir de ce constat, un individu rationnel devrait considérer qu’il a sûrement mieux à faire qu’à perdre son temps pour s’informer, décider du candidat pour qui voter et se rendre au bureau de vote. Documents nos 12, 13 et 14 Ces documents illustrent trois façons différentes de participer à la vie de la cité. La première illustration montre l’émergence des réseaux et d’Internet dans la vie politique, notamment dans la propagande réalisée par les partis politiques et les candidats aux élections. La deuxième photo- Séquence 2 – SE02 35 © Cned - Académie en ligne graphie rappelle que la forme traditionnelle de participation à la vie politique n’est autre que le vote. Enfin, la troisième nous montre qu’il y a bien d’autres actes qui permettent aux individus d’intervenir dans les décisions politiques : ici, le cas du boycott de certains produits pour forcer des entreprises à appliquer des lois. Document no 16 1. Ils reposent sur une action en commun, concertée et coordonnée. 2. Ils mettent en avant des revendications (hausse de rémunération, maintien d’un site industriel) ou la défense d’une « cause ». 3. Ces revendications sont adressées à un adversaire bien identifié (employeur, caisses de Sécurité sociale, gouvernement) dans une logique de conflit. Cette action « contre » sépare un mouvement social d’autres mobilisations dans lesquelles les personnes agissent pour résoudre entre elles le problème rencontré. Ce serait le cas, par exemple, si de jeunes couples préféraient s’organiser pour faire fonctionner entre eux une crèche parentale plutôt que de demander l’ouverture d’un tel service à la mairie. 4. La prise de parole que matérialise un mouvement social n’est pas enfermée dans les procédures d’expression et de représentation organisées par les pouvoirs publics ou l’autorité hiérarchique. Elle s’exprime au-delà des seuls moments d’élection, elle peut court-circuiter les lieux et porte-parole officiels de concertation, lorsqu’ils existent. Corrigé de l’autoévaluation Dans l’ordre : socialisation politique, reproduction, la famille, l’école, attitudes politiques, le groupe de pairs, les manifestations. a. En ce qui concerne la formation des opinions politiques, les médias jouent un rôle assez limité, ils ne sont efficaces que si les informations sont relayées par une personne de confiance. b. En France, l’inscription sur les listes électorales est automatique la première fois lorsqu’on devient majeur. c. La participation politique évolue en fonction de l’âge : plus on vieillit et plus on participe aux élections. d. L’appartenance religieuse joue encore un rôle dans l’explication du clivage gauche/droite. e. En France, les électeurs mobiles sont plutôt plus diplômés, intéressés par la politique. Forme conventionnelle : distribuer un tract, voter lors d’une élection, se présenter comme candidat à une élection. Les autres réponses sont des formes non conventionnelles de participation politique. 36 © Cned - Académie en ligne Séquence 2 – SE02