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commune de l’histoire et du roman. Les deux genres se dégagèrent du genre générateur, prirent
conscience d’eux-mêmes et évoluèrent, chacun de son côté3.
Sans trancher ici la question de savoir si l’épopée a bel et bien été « le genre
générateur », il faut retenir qu’au XVIIe siècle, ce genre constituait souvent le
point de référence des réexions dénitionnelles concernant le roman et, à un
moindre degré, l’histoire.
Le mot histoire apparaît pour la première fois chez Hérodote. Le terme grec
historia utilisé alors pouvait signier, selon le contexte, « l’enquête », « la connais-
sance acquise par l’enquête », ou bien le récit-même. Hérodote a tenté de donner
une relation objective d’événements survenus dans un passé récent. Cependant,
il cherchait aussi à plaire: le style de sa narration est fréquemment poétique et
son discours abonde en éléments ctifs4. Xénophon également orne de fragments
romanesques la Cyropédie5. Le but didactique, auquel il visait principalement, l’a
poussé aussi à transformer sensiblement les faits historiques. Ainsi, la frontière
séparant le récit historique du ctionnel a été, dès l’Antiquité, mince et souvent
transgressée. L’ambiguïté du terme histoire a persisté jusqu’aux temps modernes.
Simultanément, le roman grec ancien existait en tant que genre non dé-
ni, désigné par des noms disparates tels que syntagma (« œuvre »), dramaticon
(« œuvre dramatique »), historian érôtos (« histoire d’amour ») ou d’autres6.
Après une vague de popularité à l’époque hellénistique, les romans antiques sont
tombés dans l’oubli jusqu’à la Renaissance. La traduction des Ethiopiques par
Jacques Amyot en 1547 a réintroduit ce genre dans les belles lettres. Cette réap-
parition du roman grec classique s’est accompagnée d’une redénition du concept
d’histoire. On voit au XVIe siècle la naissance de l’historiographie moderne, avec
la publication en 1566 du Methodus ad facilem historiarum cognitionem de Jean
Bodin et de La vraye et entière histoire des troubles et choses mémorables ave-
nues tant en France qu’en Flandres, et pays circonvoisins depuis l’an 1562 ou
bien de l’Histoire des Histoires de Henri Lancelot Voisin de La Popelinière, pa-
rues respectivement en 1571 et en 1599.
Au début du XVIIe siècle, avec l’Astrée, une nouvelle catégorie de récit ro-
manesque s’installe en France. La parution de l’Astrée correspond à l’époque, à
3 Ibidem, p. 155.
4 Comme le remarque Marie-Paule Caire-Jabinet : « Hérodote fonde ainsi le récit historique,
qu’il essaie de détacher du mythe, et fait également œuvre de géographe et d’ethnologue. Écrit dans
une langue agréable, son récit est avant tout celui d’un conteur chez qui le plaisir de narrer l’emporte
souvent sur la précision des faits ». M.-P. Caire-Jabinet, Introduction à l’historiographie, Nathan,
Paris 2002, p. 5.
5 Voir, par ex., A. Billault, « La Source grecque du Romanesque », [dans :] G. Declercq,
M. Marat (dir.), Le Romanesque, Presses Sorbonne Nouvelle, Paris 2004, p. 16.
6 Cf., par ex., M. Pawłowska, « Histoire, fable, ction : les désignations du roman au XVIIe
siècle dans l’œuvre de Jean-Pierre Camus », [dans :] S. Kaufman (dir.), Les Choses, les notions, les
noms: le terme dans tous ses états, Wydawnictwo Uniwersytetu Wrocławskiego, Wrocław 2010, p.
83.
Rom. wrat.indb 14 2014-07-09 09:11:03
Romanica Wratislaviensia LXI, 2014
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