Paudex, le 30 novembre 2016
Politique climatique de la Suisse post-2020 :
Accord de Paris sur le climat de fin 2015
Accord avec l’UE sur le couplage des deux systèmes d’échange de
quotas d’émission de gaz à effet de serre (SEQE)
Révision totale de la loi fédérale sur le CO
2
Réponse à la consultation
Madame la Conseillère fédérale,
Nous nous référons à votre courrier du 1
er
septembre 2016 relatif à la politique climatique de
notre pays après 2020 ainsi qu’aux trois objets de nature législative qui fondent cette
dernière.
Nous vous prions de trouver, ci-après, notre prise de position, dans le délai imparti, à la suite
des votations populaires fédérales du 25 septembre et du 27 novembre 2016, du vote final
des Chambres fédérales sur la Stratégie énergétique 2050 (1ère étape), le 30 septembre
2016, ainsi que de l’élection présidentielle américaine du 8 novembre 2016 et de la clôture
de la 22
e
Conférence des Nations Unies sur le climat (COP 22), le 19 novembre 2016. Par
ailleurs, nous transmettons également la présente, ce jour, par courrier électronique, à
l’adresse clim[email protected]in.ch, comme demandé.
D’emblée, nous soulignons que la politique climatique impacte l’ensemble de la société et de
l’économie suisses, ce qui motive de notre part – en tant que représentants d’une Fédération
interprofessionnelle regroupant 32'000 affiliés - une prise de position globale. Or, la
consultation mentionnée en titre fait l’objet d’un questionnaire de 12 pages de votre
département (DETEC) visant à faciliter les évaluations des différentes réponses, sous la
forme de questions parfois fermées.
En conséquence notre prise de position se décline en trois parties, à savoir :
1. Remarques générales relatives à la politique climatique (et énergétique) /
Lignes directrices du Centre Patronal en matière de politique climatique (page 6)
2. Réponses au questionnaire du DETEC (intégré tel quel dans le présent document)
3. Conclusions politiques
Pour la bonne règle, nous relevons que le projet de révision de la loi fédérale sur le CO
2
qui transpose l’accord de Paris en droit suisse - est de facto le seul des trois objets soumis à
la présente consultation qui peut faire l’objet de demandes de modifications substantielles de
la part des milieux consultés.
Département fédéral de l’environnement,
des transports, de l’énergie et de
la communication
Mme Doris Leuthard
Conseillère fédérale
Kochergasse 6
3003 Berne
2
En effet, conformément au droit international public, notre pays (Chambres fédérales) n’a le
choix que de ratifier l’accord de Paris sur le climat, de rejeter ce dernier ou de décider de
modifier notre objectif de réduction provisoire (INDC), indiqué notamment lors de la
signature de ce traité. Par ailleurs, l’accord avec l’UE sur le couplage des deux systèmes
d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (SEQE) sera publié ultérieurement,
sur la base de l’évolution des relations de notre pays avec l’UE.
1. Remarques générales relatives à la politique climatique (et énergétique)
1.1 Accord de Paris sur le climat
Suite au refus des Etats-Unis, du temps de l’administration Bush junior, de ratifier le
Protocole de Kyoto de 1997 sur la protection du climat, ainsi qu’au fiasco historique de la
15e Conférence des Nations Unies sur le climat (COP 15), en 2009, à Copenhague, les
représentants de la quasi-totalité des pays du monde ont signé, six ans plus tard, fin 2015, à
l’occasion de la 21
e
Conférence des Nations Unies sur le climat (COP 21), l’accord dit de
Paris. Ce dernier est en fait constitué de deux documents de portée juridique différente, à
savoir l’accord proprement dit (traité international composé de 28 articles) et une déclaration
juridiquement non contraignante.
L’accord proprement dit (cf. article 2, alinéa 1 de la version française) : «vise à renforcer la
riposte mondiale à la menace des changements climatiques, dans le contexte du
développement durable et de la lutte contre la pauvreté, notamment en:
a) Contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous
de 2 C par rapport aux niveaux préindustriels (…) ;
b) Renforçant les capacités d’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques
et en promouvant la résilience à ces changements (…) ;
c) Rendant les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement
à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques.»
Il est ensuite précisé à l’alinéa 2 du même article 2, que «Le présent Accord sera appliqué
conformément à l’équité et au principe des responsabilités communes mais différenciées et
des capacités respectives, eu égard aux contextes nationaux différents.»
L’accord de Paris, comme l’a déclaré Mme la Conseillère fédérale Leuthard, n’est pas
parfait, mais constitue un bon compromis. Il comprend certes (voir l’article 2 susmentionné)
l’objectif consistant à contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement
en dessous de 2 , mais cet objectif volontariste dépend de la volonté des Etats parties, de
surcroît sans leur fixer de délai précis pour y parvenir (cf article 4 du Traité). En ce sens et
surtout, à la différence du Protocole de Kyoto sur la protection du climat, le respect des
objectifs n’est pas juridiquement contraignant et aucun mécanisme de sanction n’est fixé (cf
page 15 du rapport explicatif de la présente consultation). La seule contrainte pour chaque
pays consiste en la nécessité de communiquer à la communauté internationale des objectifs
de réduction des émissions, puis de rapporter sur leur mise en œuvre.
Sur un autre plan, et contrairement à ce que certaines déclarations d’organisations
écologistes pouvaient laisser supposer, l’accord de Paris ne signifie pas la fin des énergies
fossiles (pétrole, charbon et gaz), notamment parce que l’adjectif « fossile » n’existe pas
dans l’accord. De même, il n’y a aucune mention relative à la taxation internationale du
carbone. Enfin, si les pays développés s’engagent bien à fournir des ressources financières
pour venir en aide aux pays en développement, le chiffre de 100 milliards de dollars US
3
d’aide annuelle à ces derniers d’ici à 2020 ne figure que dans la «décision» susmentionnée
et non dans l’accord. Sans parler du fait que des versements au titre d’indemnisation des
pays du Sud par les pays du Nord sont exclus.
En résumé, le principal avantage de l’accord de Paris pour notre pays consiste dans
le fait qu’il a été signé par les représentants des principaux émetteurs de gaz à effet
de serre, à savoir notamment la Chine (29% des émissions mondiales de CO
2
en 2013)
et les Etats-Unis (15%). Ainsi, il existe une perspective d’application – différenciée - de
normes de protection du climat ne s’appliquant plus seulement - après la sortie du Protocole
de Kyoto du Canada, du Japon, de la Russie et de la Nouvelle-Zélande - à l’UE (9% des
émissions après la sortie Brexit du Royaume-Uni), à l’Australie (1%), à la Norvège et à la
Suisse (un peu plus de 1 pour mille des émissions mondiales de CO
2
).
Par ailleurs, comme le soulignait l’Office fédéral de l’environnement (OVEV) dans un
communiqué de presse le 12.12.2015 «(…) un mécanisme sera créé qui contribue à la
réduction des émissions et encourage le développement durable par le biais d’incitations
liées à l’économie de marché (par ex. l’établissement et l’échange de certificats de réduction
des émissions.»
1.2 Prise en compte d’une redistribution des rôles au niveau mondial
Jusqu’au 8 novembre dernier, date de l’élection de M. Trump à la présidence des Etats-
Unis, pour la période 2017-2020, rien ne semblait pouvoir enrayer la dynamique politique de
l’accord de Paris, étant par ailleurs entendu que ce dernier n’est juridiquement guère
contraignant, comme relevé ci-dessus. A l’évidence, ne serait-ce que compte tenu des
échos médiatiques - y compris le communiqué de presse «petits pas» du 19.11.2016 publié
par le DETEC – relatifs à la COP 22 qui vient de se terminer à Marrakech, le contexte
politique international a changé et ce même si, sans les Etats-Unis, mais avec un premier
feu vert de l’UE, l’accord de Paris est entré en vigueur le 4 novembre 2016.
En ce sens, on soulignera que le candidat Trump s’est prononcé contre l’accord de Paris,
que le Congrès (Sénat) américain n’a pas ratifié ce dernier et que plusieurs pays
d’importance comme la Russie, l’Iran et la Turquie, ne l’avaient pas ratifié non plus le
19 novembre dernier, date de la clôture de la COP 22. Sans parler des 11 pays membres de
l’UE que sont la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, l’Espagne, la Lettonie, la Lituanie,
les Pays-Bas, la République tchèque, la Roumanie et la Slovénie, qui n’avaient pas déposé
non plus leur ratification à la date susmentionnée et ce alors que l’accord de Paris n’entrera
définitivement en vigueur pour l’UE que lorsque ses encore 28 pays membres de l’UE
l’auront ratifié, processus qui ne semble plus aller de soi après la récente contestation d’un
accord commercial UE-Canada.
Quoi qu’il en soit, le monde change avant tout au plan économique. L’importance
économique de l’UE, même avant le Brexit, décline, alors que les Etats-Unis demeurent
certes la première puissance économique, politique et militaire mondiale, mais font face à la
concurrence croissante non seulement de la Chine, d’ores et déjà 2
e
ou 3
e
économie
mondiale (si l’on prend ou non en compte l’UE post Brexit en tant qu’ensemble
économique), mais également de l’Inde, qui a ravi la place de 7
e
économie mondiale à l’Italie
et talonne désormais la France.
Il est donc temps de sortir d’une vision eurocentrée, héritage des XIXe et XXe siècles, et de
penser le monde du XXIe siècle, marqué par une redistribution des rôles et une concurrence
accrue, à laquelle notre pays – qui gagne un franc sur deux à l’extérieur – doit pouvoir
s’adapter. En ce sens, il est exclu qu’une interprétation maximale d’une politique
climatique internationale minimale mette en danger la prospérité de notre pays.
4
1.4 Contexte énergétique mondial
Il y a une interaction entre le climat et l’énergie, notamment parce que la consommation
d’énergies fossiles génère la plus grande part des émissions de gaz à effet de serre.
Comme le changement climatique est un problème mondial, il faut donc se pencher sur le
contexte énergétique mondial actuel et sur les scénarios en la matière d’ici 2040, ce que fait
en particulier l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) dans sa dernière édition du World
Energy Outlook, parue en novembre 2016. Selon l’AIE, même si les énergies renouvelables
(destinées à la production d’électricité) vont connaître la plus forte croissance ces vingt-cinq
prochaines années (parallèlement à un développement du nucléaire en Chine), tout indique
que la demande de pétrole va augmenter, mais moins que celle du gaz naturel, qui devrait
croître de pas moins de 50%. En d’autres termes, le monde de 2040 fonctionnera encore en
premier lieu avec des énergies fossiles, seule la consommation de charbon étant
susceptible de diminuer de manière significative (en Chine).
Cela posé, les objectifs nationaux des différents pays parties à l’Accord de Paris semblent
atteignables, mais cela ne suffira pas à limiter la hausse de la température moyenne de la
planète à moins de 2 C: «The 2
0
C pathway is very tough: the road to
1.5
0
C goes through uncharted territory ». Par ailleurs, la consommation mondiale d’énergie
se joue de plus en plus dans des pays comme l’Inde et la Chine, la demande d’énergie des
pays de l’OCDE (pays industrialisés) diminuant pour sa part. En ce sens, il est illusoire de
penser qu’une «Suisse modèle» en matière énergétique aura un impact significatif sur
le climat, d’autant que notre pays émet un peu plus de 1 pour mille des émissions
mondiales de gaz à effet de serre.
Enfin, nous nous devons de souligner à nouveau à quel point les estimations du DETEC par
rapport au prix du baril de pétrole - variable essentielle de toute politique climatique et
énergétique - sont éloignées du prix réel de ce dernier, qui demeure en dessous de
50 dollars US (USD) en moyenne mensuelle en 2016, contre un peu plus de 50 USD en
moyenne annuelle 2015. En ce sens, nous mettons en cause la plausibilité du prix du baril
indiqué dans le rapport explicatif de la présente consultation (cf page 32), estimé à
116 dollars US en 2020 selon le bureau Infras, soit plus du double du prix actuel. Cette
estimation nous semble d’autant plus illusoire que le président élu Trump a annoncé un
effort marqué de prospection pétrolière et de construction de pipelines sur le sol des USA.
1.3 Politique énergétique suisse
Comme mentionné au point précédent, il y a une interaction entre le climat et l’énergie.
Ainsi, comme le fait le DETEC dans la présente consultation, il est judicieux de mettre en
parallèle les politiques énergétique et climatique, en commençant par la politique
énergétique, qui occupe le devant de la scène depuis au moins cinq ans. Suite à l’accident
nucléaire de Fukushima, au Japon, en 2011, le Conseil fédéral puis les Chambres fédérales
ont décidé l’arrêt à terme des centrales nucléaires suisses et leur non remplacement par de
nouvelles centrales. La question d’un arrêt précipité des quatre centrales nucléaires suisses
restantes, après l’arrêt décidé par son exploitant de la centrale de Mühleberg, est désormais
réglée par le résultat net (54% de NON) de la votation populaire fédérale du 27 novembre
2016. De ce fait, la Suisse continuera à bénéficier, pendant encore probablement des
dizaines d’années, d’une importante production de courant sans émissions de CO
2
.
La votation populaire fédérale de ce mois fait elle-même suite à la votation populaire
fédérale du 25 septembre 2016, lors de laquelle près de 64% des votants et 25 cantons
sur 26 ont clairement rejeté –sans aucun contre-projet – l’initiative populaire dite « économie
verte », qui aurait transformé la Suisse en mettant en place une économie planifiée
correspondant aux vœux des ONG actives notamment en matière de politique climatique.
5
Il s’agit maintenant de voir si la double sortie voulue d’ici 2050 du nucléaire et des énergies
fossiles - Stratégie énergétique 2050 (1
ère
étape) - sera confirmée politiquement en votation
populaire fédérale, probablement le 21 mai 2017 ; et, surtout, si cette Stratégie énergétique
2050 atteindra les objectifs visés, même si ces derniers ont d’ores et déjà été abaissés par
le Parlement fédéral. Par ailleurs, nous relevons que la 2
e
étape de la Stratégie énergétique
2050, dite SICE, n’a toujours pas été traitée par le 1
er
Conseil du Parlement et que les
chances de succès de cette dernière en votation populaire fédérale obligatoire sont
illusoires, compte tenu notamment des résultats référendaires susmentionnés et du rejet,
par 92% des votants, de la taxe sur l’énergie des Verts libéraux, le 8 mars 2015.
Enfin, nous soulignons une nouvelle fois que la consommation finale d’énergie en Suisse n’a
diminué que de 4,5%, en onze ans, entre 2005 et 2015, tandis que la consommation de gaz
a augmenté de 6% et celle d’électricité de 1,6% pendant la même période. Ces résultats, qui
attestent les progrès de l’efficience énergétique, compte tenu du fait que notre pays comptait
près de 900'000 habitants de plus en 2015 qu’en 2005, sont cependant loin des valeurs
indicatives finalement retenues dans le cadre de la Stratégie énergétique 2050 (1
ère
étape).
Par ailleurs, nous relevons que les objectifs de production de (nouvelles) énergies
renouvelables (photovoltaïque et éolien) ont été abaissés de pas moins de 3 milliards de
kilowattheures par le Parlement fédéral 2015-2019, qui a ainsi probablement pris en compte
l’impossibilité juridico-politique de construire les 800 éoliennes prévues. En ce sens, le
double objectif consistant à sortir du nucléaire et des énergies fossiles d’ici 2050 est
à la fois illusoire et économiquement dangereux.
1.4 Politique climatique suisse 2030: des différences essentielles par rapport à l’UE
Pour ce qui concerne la politique climatique suisse proprement dite, nous soulignons que
cette dernière a d’ores et déjà permis d’atteindre les objectifs fixés par le Protocole de Kyoto
- jamais ratifié par les Etats-Unis et dont la plupart des pays industrialisés hors Europe sont
sortis entre 2011 et 2012 – pour la première période d’engagement 2008-2012, comme le
soulignait de la manière suivante le communiqué du 10.04.2014 de l’OFEV :
«La Suisse a atteint l’objectif 2008-2012 fixé dans le Protocole de Kyoto, majoritairement
grâce aux mesures de réduction prises sur son territoire.»
Nous relevons par ailleurs que cette politique climatique a été durcie (obligation de
compenser s’appliquant aux importateurs de carburants) afin d’atteindre un objectif de
réduction de gaz à effet de serre de 20% par rapport à 1990, au titre de la deuxième et
dernière période d’engagement 2013-2020 du Protocole de Kyoto susmentionné. Cette
politique 2013-2020 donne manifestement des résultats, puisque le rapport explicatif
mentionne (cf page 9) : «Malgré la croissance démographique et économique et
l’accroissement de la surface habitable, les émissions de gaz à effet de serre de la Suisse
ont globalement reculé de 9,3%, soit de 7,6 à 5.9 tonnes par an par habitant entre 1990
et 2014.» A ce titre, on rappellera la contribution significative des entreprises – dont le
Centre Patronal – qui ont conclu une convention d’objectif (de réduction de leurs émissions
de gaz à effet de serre) avec l’Agence de l’énergie pour l’économie (AEnEC / EnAW). En
effet, les mesures d’amélioration mises en œuvre par les
participants à cette dernière ont
entraîné une réduction de 290 000 tonnes d’émissions de CO
2
entre 2013 et 2015, en tirant
parti de l’innovation technologique.
Le projet soumis à la présente consultation vise quant à lui, suite à la signature par le
Conseil fédéral de l’accord de Paris sur le climat, la mise en place de la politique climatique
suisse après 2020, de manière coordonnée avec la Stratégie énergétique 2050. D’emblée,
nous soulignons avec les auteurs du rapport explicatif (cf page 29) que, si les objectifs
climatiques définis sont en ligne avec l’UE, principal partenaire commercial de la
Suisse (mais dont le poids tend à se réduire), la Suisse n’est pas membre de l’UE.
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