Cahier du CIEL 2005-2006
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placer dans un cadre théorique adéquat l'interface entre lexique et syntaxe telle qu'elle est mise en lumière par le
travail de Michel Simon.
1. La syntaxe au coeur du lexique et le lexique au coeur de la syntaxe
L'interrelation entre lexique et syntaxe est tellement essentielle que certains modèles syntaxiques ont été
précisément conçus pour en rendre compte. Ces modèles relèvent de la grammaire de dépendance et se réclament
tous plus ou moins explicitement du modèle de Lucien Tesnière ("Éléments de syntaxe structurale" (1954)) qui
met au centre du dispositif la rection caractéristique de certaines catégories lexicales.
La syntaxe de dépendance trouve en effet ses fondements dans la dépendance des classes lexicales les unes par
rapport aux autres; elle attribue aux noeuds lexicaux un potentiel syntaxique de rection qu'elle dénomme par la
métaphore chimique de la valence, elle construit des règles fondées sur les relations sémantico-syntaxiques de
rection entre régissant(s) et éléments régis et elle attribue une valeur structurale, fondamentale pour le modèle,
aux relations ainsi mises au jour. Pour reprendre un exemple célèbre, la phrase "Alfred dort" se compose de trois
éléments : dort , Alfred et la relation entre les deux qui est une relation de dépendance. Par conséquent, dans ce
modèle, deux noeuds lexicaux sont reliés directement en fonction de leur valence, qui est en quelque sorte le
programme syntagmatique qu'ils imposent aux éléments qu'ils régissent, influant ainsi directement sur la
structure de la phrase dans laquelle ils sont employés, et Lucien Tesnière (1954) ne voit aucune nécessité à
construire des noeuds intermédiaires du type SN ou SV, réservés à la grammaire de constituance, qui, elle, est
fondée sur la notion de constituants immédiats.
Les classes de catégories lexicales ne jouent pas toutes le même rôle au sein du modèle de dépendance et Lucien
Tesnière (1954) retient quatre classes principales de catégories lexicales : I verbe, O substantif, A adjectif, E
adverbe. Chaque noeud lexical principal se voit ainsi attribuer, en plus de sa composante phonématique et
sémantique, une troisième composante essentielle, de nature syntagmatique.
Le modèle de Lucien Tesnière (1954) a servi de fondement à de nombreux travaux de syntaxe très fructueux,
comme l'étude de la valence des verbes en Allemagne notamment, mais on observe, me semble-t-il, de nouvelles
convergences avec les travaux consacrés à la morphologie lexicale de Mel'cuk et, plus récemment de Fradin, qui
reconnaissent systématiquement à chaque unité lexicale principale trois "faces" : le phonématique, le sémantique
et le syntactique (Mel'cuk (1993) et Fradin (2003)).
Ce "syntactique" véhiculé par les unités lexicales fait l'objet d'un large consensus sur le fond, même si chaque
modèle développe sa terminologie à ce sujet. Ainsi le modèle Aspects of a theory of syntax (Chomsky 1965), qui
est explicitement un modèle de constituance et non de dépendance, prévoit néanmoins déjà la sous-catégorisation
stricte, qui permet de rendre compte de la valence verbale par un système de traits (Pour un verbe trivalent : [-N,
+V], valence syntaxique : [N0, _, N1, N2]). A cela s'ajoute la sous-catégorisation sélectionnelle, qui permet de
préciser les propriétés sémantiques de N0, N1, N2 imposées par le régissant verbal (Pour un verbe trivalent
comme donner, offrir ou transmettre : [N0 [+humain]], _,[N1 [-animé]], [N2 [+humain]]). Dans les modèles plus
récents, et en particulier dans les modules X-barre, ces informations sont soigneusement maintenues sous forme
de traits. Chez les tenants plus traditionnalistes de la valence, notamment en Allemagne, ces mêmes propriétés
sont reprises sous le terme de "valence sémantique" (Fleischer, Helbig, Lerchner 2001).