JUIN 2010 VOL. 57 N° 3 QUÉBEC PHARMACIE 11
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Quels antibiotiques privilégier en pédiatrie
dans le traitement de la conjonctivite bactérienne ?
Généralement causée par Hæmophilus influenzæ, Streptococcus pneumoniæ, Moraxella catarrhalis et Staphylococcus aureus, la conjoncti-
vite bactérienne se distingue d’une infection virale ou d’une allergie par la présence d’un écoulement purulent. Autres signes présents :
hypérémie, œdème des paupières et cils collés au réveil1. Des méthodes non pharmacologiques, comme éviter l’exposition à la fumée de
cigarette, au vent et aux autres irritants, et l’application de compresses humides tièdes plusieurs fois par jour contribuent à en diminuer les
symptômes incommodants.
Comme une résolution spontanée survient
fréquemment en 10 à 14 jours et que l’utilisa-
tion des antibiotiques ophtalmiques n’a pas
été entièrement documentée chez les nourris-
sons, on peut s’interroger sur la pertinence du
traitement1. Or, le traitement a plusieurs buts :
atténuer le risque de contagion, minimiser les
répercussions pour l’enfant (retrait de la gar-
derie ou de l’école, apparition d’une otite
moyenne), diminuer les cts engendrés pour
les parents (gardienne, congé du travail) et
permettre d’établir un nouveau diagnostic si
aucune amélioration n’est notée dans un délai
de 48 heures1.
Les classes thérapeutiques utilisées sont
nombreuses et puisqu’une analyse de culture
est rarement faite, un bon traitement doit
avoir un spectre d’action large, peu de résis-
tance et une faible toxicité oculaire, et permet-
tre un horaire d’administration simple. La
pommade est une forme pharmaceutique à
privilégier en pédiatrie puisqu’elle a l’avantage
de ne pas être diluée par les larmes.
Traitement sans ordonnance
Cette section inclut la polymyxine B avec gra-
micidine (PolysporinMD gouttes et généri-
ques) et la polymyxine B et bacitracine (Polys-
porinMD onguent et génériques).
Options de traitement en vente libre peu
dispendieuses, ces associations offrent l’avan-
tage d’une protection intéressante contre les
bactéries Gram-négatives grâce à la poly-
myxine B et contre les Gram-positives grâce à
la gramicidine et à la bacitracine (plus effi-
cace). Elles permettent dans plusieurs cas
d’éviter les consultations non nécessaires en
clinique médicale.
Sulfacétamide sodique
(Bleph 10MD, DiosulfMD)
C’est la première classe d’antibiotiques à
avoir é utilisée, mais compte tenu de la
résistance marquée des bactéries Gram-posi-
tives, la sensation de brûlure à l’instillation et
les cas d’allergie qui lui sont associés, elle
n’est plus employée en première ligne1. Il
existe une formulation mixte contenant aussi
de la prednisolone, le BlephamideMD, mais
son usage, tout comme celui de toutes les
formulations associant un antibiotique et un
stéroïde, est déconseillé en pédiatrie, sauf
dans certains cas, à la suite de l’examen par
un ophtalmologiste. En effet, si l’infection est
d’origine virale, il pourrait y avoir augmen-
tation des symptômes2.
Polymyxine B/triméthoprime
(PolytrimMD)
Une étude réalisée en 2008 comparant la rapi-
dité d’action du PolytrimMD avec celle du
VigamoxMD a démontré qu’après 48 heures de
traitement, seulement 44 % des enfants traités
par le Polytrim quatre fois par jour, compara-
tivement à 81 % de ceux traités par le Viga-
mox trois fois par jour, présentaient une
résolution complète des symptômes oculai-
res3. Ainsi, bien que peu coûteux, on emploie
rarement le Polytrim, sauf peut-être en cas
d’affection très légère.
Chloramphénicol (PentamycetinMD)
Malgré une excellente efficacité, selon certai-
nes études, et peu de résistance associée, il
n’est pas un premier choix de traitement, sur-
tout chez le nouveau-né, en raison de sa toxi-
cité potentielle4,5. Entre autres, il peut provo-
quer une aplasie médullaire et un « gray baby
syndrome », phénomène rare mais sérieux
s’expliquant par le fait que les enzymes hépa-
tiques nécessaires à son métabolisme sont
immatures et qu’il y a un risque d’accumula-
tion de l’antibiotique pouvant occasionner,
entre autres, hypotension, cyanose et collap-
sus cardiovasculaire6.
Aminoglycosides
Cette classe thérapeutique inclut : Garamy-
cinMD, To b r e x MD, Optimyxin PlusMD, Neospo-
rinMD et SoframycineMD.
Elle jouit d’un large spectre antimicrobien,
mais, pourtant, sa popularité diminue au pro-
fit d’autres agents (p. ex., fluoroquinolones),
étant donné une augmentation de la résis-
tance des bactéries Gram-positives. Contrai-
rement aux formulations orales qui ont un
potentiel toxique (neuro/oto/néphrotoxicité),
les préparations ophtalmiques sont générale-
ment bien tolérées1. Cependant, dans l’opti-
que d’une utilisation en néonatalité, la vigi-
lance est de mise étant donné le métabolisme
immature de l’enfant.
Texte rédigé par Joëlle Rhéaume-Majeau,
B. Pharm., Pharmacie Vandergoten
et Zaccara, Saint-Eustache.
Texte original soumis le 18 février 2010.
Texte final remis le 1er mars 2010.
Révision : Geneviève Duperron, B. Pharm.,
et Élyse Desmeules, B. Pharm.
PLACE AUX QUESTIONS
12 QUÉBEC PHARMACIE VOL. 57 N° 3 JUIN 2010
Macrolides (érythromycine en
onguent)
L’érythromycine 0,5 % est une solution de
traitement sécuritaire et elle est d’ailleurs uti-
lisée dans les hôpitaux comme prophylaxie
contre l’ophtalmie néonatale à Neisseria
gonorrhoea1. Son spectre d’action contre les
bactéries Gram-positives et certains atypi-
ques, son faible coût et sa forme pharmaceu-
tique en font un choix de traitement intéres-
sant pour les cas bénins7.
Acide fusidique (FucithalmicMD)
Couvrant S. aureus, S. pneumoniae et
H. influenzae, ce collyre visqueux est souvent
prescrit en pédiatrie. Bien que des études
quantitatives de bactériologie n’aient pas été
menées chez des enfants de moins de deux ans,
l’administration biquotidienne, son spectre
d’action et sa forme pharmaceutique en font
un agent intéressant5. Les effets indésirables
chez les enfants de moins de deux ans seraient
semblables à ceux qui se produisent chez les
enfants plus vieux (sensation de brûlure pas-
sagère et irritation lors de l’administration)8.
Fluoroquinolones
Parmi les fluoroquinolones, on retrouve :
OcufloxMD, CiloxanMD,VigamoxMD, ZymarMD
et BesivanceMD.
Depuis les années 1990, les fluoroquinolo-
nes de deuxième génération, l’ofloxacine et
la ciprofloxacine, sont utilisées dans le traite-
ment des infections ophtalmiques. Ces anti-
biotiques au large spectre (Gram-positives et
négatives) sont plus dispendieux, mais ils ont
l’avantage de protéger contre Pseudomonas
et Hæmophilus, en plus d’être disponibles en
onguents dans le cas du Ciloxan 0,3 %.
Quant aux fluoroquinolones de quatrième
génération, la moxifloxacine (la seule fluoro-
quinolone qui soit exempte de chlorure de
benzalkonium comme agent de conserva-
tion, donc moins irritante) et la gatifloxa-
cine, elles disposent du meilleur spectre anti-
microbien contre S. aureus, contre les
infections résistantes aux macrolides et aussi
contre Chlamydia et Hæmophilus. Parmi les
rares études d’innocuité menées chez les
nouveau-nés, il s’en trouve une qui démon-
tre que le Vigamox est parfaitement toléré9.
Cette classe thérapeutique devrait être réser-
vée au traitement des infections sévères,
comme celles à Pseudomonas. Par ailleurs, la
bésifloxacine, une autre quinolone, a été lan-
cée sur le marché en janvier dernier et elle
s’est révélée efficace et sécuritaire lors des
études cliniques menées chez les enfants
d’un an et plus10 .
Discussion
Les fluoroquinolones de quatrième généra-
tion sont recommandées par certains experts
comme traitement de premier recours, sur-
tout dans le cas des infections sévères, étant
donné leur grande efficacité, mais, dans le cas
d’une infection mineure prise au début des
symptômes, le PolysporinMD, l’érythromycine
ou le FucithalmicMD seraient des options de
traitement valables.
Conclusion
Quel que soit l’antibiotique privilégié, puis-
que l’absorption systémique présente un plus
grand risque chez le nourrisson en raison de
l’immaturité de ses voies métaboliques, un
enseignement adéquat sur son administration
doit être offert aux parents. Ainsi, une seule
goutte doit être instillée à la fois directement
dans l’œil ou, si l’enfant est agité, il peut être
couché sur le dos et l’on mettra alors une ou
deux gouttes dans le coin intérieur de son œil
fermé. L’occlusion du conduit naso-lacrymal
durant trois à quatre minutes réduira l’ab-
sorption systémique et la toxicité jusqu’à
40 %. Quant aux doses à utiliser, il est suggéré
de réduire celle pour adulte de moitié chez les
enfants de 0 à 2 ans, d’un tiers chez les 2 à
3 ans, puis d’administrer la dose adulte chez
les 3 ans et plus7. n
PLACE AUX QUESTIONS
Références
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cape; juin 2005 (document consulté le 14 février
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8. Monographie du Fucithalmic dans le CPS.
9. Silver LH, Woodside AM, Montgomery DB. Clinical
Safety of Moxifloxacin Ophthalmic Solution 0.5 %
(VIGAMOX) in Pediatric and Nonpediatric Patients
With Bacterial Conjunctivitis. Surv Ophthalmol 2005;
50:S55–S63.
10. Monographie du Besivance dans le CPS.
QUESTION DE FORMATION CONTINUE
Veuillez reporter votre réponse dans le formulaire de la page 78
2) Laquelle des affirmations suivan-
tes est fausse ?
A. La conjonctivite bactérienne se
résout généralement en 10 à
14 jours sans traitement, mais le
risque de contagion, ainsi que les
conséquences pour les parents
justifient souvent l’essai d’un
antibiotique.
B. Le chloramphénicol est utilisé
fréquemment pour traiter les
conjonctivites bactériennes chez les
jeunes enfants étant donné le peu de
résistance des bactéries à son endroit.
C. L’onguent d’érythromycine apparaît
comme un excellent choix de
traitement de la conjonctivite
bactérienne peu sévère chez le
nourrisson, vu son innocuité établie
chez cette clientèle.
D. Pour traiter les infections plus
sévères chez les jeunes enfants,
le Vigamox est un choix intéressant,
car il semble très bien toléré et peu
de bactéries y sont résistantes.
E. Puisque l’absorption systémique peut
avoir des répercussions plus
importantes chez l’enfant, il convient
de bien expliquer aux parents
comment administrer les gouttes
ophtalmiques.
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