REVUE MÉDICALE SUISSE Nouveaux traitements biologiques et synthétiques de fond pour les spondylarthropathies Dr PASCAL ZUFFEREY a Rev Med Suisse 2016 ; 12 : 512-6 Les seuls traitements biologiques reconnus et remboursés pour l’instant dans les spondylarthrites sont les anti-TNF. Les autres agents biologiques efficaces dans la polyarthrite rhumatoïde se sont avérés peu utiles dans cette indication. Heureusement, ces dernières années sont apparues des molécules biologiques bloquant les cytokines impliquées dans de nouvelles voies de l’inflammation, en particulier celle de l’IL-17. Elles se sont montrées très efficaces contre le psoriasis et à fort potentiel dans l’arthrite psoriasique et les spondylarthrites. Parallèlement, des molécules synthétiques de petite taille capables de moduler la production de cytokines intracellulaires commencent à être commercialisées. Elles aussi sont potentiellement actives dans les mêmes pathologies rhumatismales. Le but de cet article est de passer en revue ces nouveaux médicaments, en particulier de faire le point sur l’état d’avancement de leur développement et leur commercialisation. New synthetic and biologic treatments for spondyloarthritis The only biological treatments recognized and reimbursed for spondylarthritis in Switzerland are anti TNF. Other effective agents in rheumatoid arthritis were found to be of little use in this indication. Fortunately, in recent years appeared biological molecules blocking cytokines involved in new pathways of inflammation in particular that of IL17. They have been very effective against psoriasis and have a high potential in psoriatic arthritis and spondylarthritis. In parallel, synthetic small molecules capable of modulating the production of intracellular cytokines begin to be marketed. They also are potentially active in the same rheumatic diseases. The purpose of this article is to review these new drugs, in particular to review the progress of their development and commercialization status. Introduction Avant l’ère des biologiques, les traitements de fond des spondylarthrites étaient extrêmement limités. Lorsque les patients ne répondaient pas aux AINS, seule la salazopyrine pouvait être utile, et encore, essentiellement en cas d’atteinte périphérique. Les anti-TNF ont changé la donne. Ils demeurent néanmoins, jusqu’à récemment, les seuls traitements biologiques reconnus comme efficaces et remboursés dans la spondylarthrite.1 En effet, les biologiques visant les autres cibles de l’inflammation, utilisés avec succès dans le traitement de la polyarthrite a Service de rhumatolgie, Département de l’appareil locomoteur, CHUV, 1011 Lausanne [email protected] 512 32_36_39045.indd 512 rhumatoïde comme les anti-IL-6 tocilizumab (Actemra), les anti-CD20 (rituximab / Mabthera) ou les inhibiteurs de la co­ stimulation (abatacept / Orencia), n’ont pas prouvé leur effica­ cité lors des études initiales et n’ont donc pas été développés dans cette indication. De plus, même si les anti-TNF ont révolutionné le traitement de la spondylarthrite permettant à de nombreux patients de vivre avec cette maladie plus facilement, ils ne sont, soit pas toujours efficaces d’emblée, soit perdent leur efficacité au cours du temps. Dès lors, il est souhaitable d’obtenir de nouveaux traitements agissant sur des autres cibles afin d’augmenter le pourcentage de patients répondeurs et de pallier la perte d’efficacité des anti-TNF lorsque celle-ci survient. Depuis quelques années, plusieurs autres cibles susceptibles d’être impliquées dans l’inflammation liée aux spondylarthrites ont été précisées, permettant le développement de nouvelles thérapeutiques et donc de nouveaux médicaments. Certains sont déjà commercialisés.2 Ils sont obtenus soit par des voies biologiques et agissent alors essentiellement à l’extérieur ou à la surface des cellules effectrices de l’inflammation, soit par voie synthétique. Il s’agit alors plutôt de nouvelles petites molécules qui modulent les mécanismes intracellulaires. La voie la plus prometteuse en termes de cibles thérapeuti­ ques est celle de la différenciation des lymphocytes CD4 en lymphocytes TH17 (figure 1). Ces lymphocytes, une fois stimulés après rencontre avec un antigène, sécrètent une cytokine, l’IL-17, impliquée dans la réponse aux bactéries et aux virus. Cette voie peut être perturbée lors de certaines maladies auto-immunes. C’est particulièrement le cas dans le psoriasis cutané et / ou articulaire et probablement également dans la spondyl­arthrite. La différenciation des lymphocytes CD4 en lymphocytes TH17 est elle-même dépendante d’autres cytokines, notamment l’IL-23, alors que la différenciation en lymphocytes TH1 est en grand partie responsable de la production de TNF et est modulée par des cytokines différentes, en particulier l’IL-12 (figure 1). Ustékinumab Le premier médicament testé avec succès dans le psoriasis est un anticorps monoclonal bloquant à la fois l’lL-12 et l’IL-23. Son nom générique est l’ustékinumab, son appellation commerciale le Stelara. Des études de phase III ont également confirmé son efficacité dans l’arthrite psoriasique, permettant WWW.REVMED.CH 9 mars 2016 03.03.16 09:01 REVUE MÉDICALE SUISSE fig 1 Voie d’activation des TH17 avec des cibles pouvant être bloquées par des médicaments biologiques Th1 Th1 IFN-γ IL-12 Th1 IFN-γ TNFa Th1 T-bet IL-12 Th0 IL-62 TGF-b IL-1b P40 antibodies Ustekinumab (briakinumab) Th17 Th17 Th17 IL-23 Th17 IL-17A IL-17F CCL20 TGF-a IL-21 IL-22 IL-17 and IL-17R antibodies Brodalumab Brekizumad Secukinimab IL-21 ____ p40 antibodies Ustekinumab (briakinumab) (Modifiée d’après réf.14). son utilisation en Suisse dans cette indication. La dose recom­ mandée est de 45 mg sous-cutanés initialement à quatre semaines, puis tous les trois mois. Une sous-analyse de 256 patients, avec une atteinte axiale incluse dans ces études de phase III, a également démontré son efficacité sur les paramètres d’activité clinique utilisés au cours des spondylarthrites, validant dès lors son utilisation dans le rhumatisme psoriasi­ que avec manifestations axiales. Une première étude de phase II, ouverte avec un seul bras, a évalué son efficacité dans les spondylarthrites axiales pures.3 Le nombre de patients était faible, mais les objectifs, à savoir une diminution significative du BASDAI (Bath Ankylosing Spon­ dylitis Disease Activity Index), ont été obtenus de sorte que la firme pharmaceutique a décidé de poursuivre le développement de ce médicament dans cette indication. Actuellement, trois études de phase III sont en cours. Si elles s’avèrent positives, elles valideront l’indication de ce médicament dans les spondylarthrites. Sécukinumab Trois molécules ciblant l’anti-17, qui sont toutes des anticorps monoclonaux, sont en cours d’évaluation. Le premier est un anticorps monoclonal qui se lie à l’IL-17 lui-même, le sécukinumab, commercialisé sous le terme de Cosentyx. Il s’est avéré extrêmement efficace dans le psoriasis cutané et l’arthrite psoriasique. Par contre, les études de phase II ont abouti à un échec aussi bien dans la polyarthrite rhumatoïde que dans les maladies inflammatoires du tube digestif. Dans le rhumatisme psoriasique, plusieurs études de phase III ont été publiées avec des résultats à 16, 52 et 104 semaines.4 Elles ont démontré une efficacité significative en termes d’ACR 514 32_36_39045.indd 514 20, à 16, 52 et 104 semaines, aussi bien chez les patients TNF naïfs qu’après anti-TNF. Parallèlement, deux études de phase III ont été menées chez des patients avec spondylarthrite.5 Elles ont également prouvé que ce médicament était meilleur que le placebo en termes de réponse ASAS 20 et 40 jusqu’à un an de suivi. De plus, un nombre significatif de patients répondaient au Cosentyx même après échec aux anti-TNF. Suite à ces résultats, la firme pharmaceutique a déposé une demande de reconnaissance et de remboursement du médicament dans le rhumatisme psoriasique et dans la spondylarthrite auprès de Swissmedic. Ixekizumab et brodalumab L’ixekizumab, comme le sécukinumab, bloque également direc­ tement l’IL-17, par contre le brodalumab se lie au récepteur empêchant dès lors l’IL-17 d’agir. Ils ont été évalués dans le psoriasis et le rhumatisme psoriasique avec une certaine efficacité dans de petits collectifs.6,7 Par contre, les données sur l’atteinte axiale de ce rhumatisme ou sur la spondylarthrite ne sont pas encore disponibles. Nouveaux DMARD (disease modifying antirheumatic drugs) synthétiques Depuis quelques années, l’analyse approfondie des mécanismes de production ou d’inhibition intracellulaire des cytokines a permis de mieux comprendre les voies d’activation ou de modulation intracellulaires de ces cytokines (figure 2). On a pu dès lors développer des molécules qui, par le biais d’interac- WWW.REVMED.CH 9 mars 2016 03.03.16 09:01 rhumatologie fig 2 Voies de modulation intracellulaires, en particulier des cytokines, via des récepteurs transmembranaires (Encadrés en blanc : voies ATP (adénosine triphosphate) et JAK (inhibiteurs des janus kinases) testées dans la spondylarthrite). (Avec l’aimable autorisation de Pfizer, selon réf.15-20). tions avec des récepteurs transmembranaires, agissent sur ces voies d’activation ou de régulation intracellulaires. Contrairement aux biologiques, elles sont de très petite taille et pénè­ trent dès lors dans les cellules, sont obtenues par voie syn­ thétique, sont absorbées par le tube digestif et se comportent sur le plan pharmacologique comme des médicaments classiques. Plusieurs ont vu le jour et sont déjà prescrites en Suisse, notamment dans la polyarthrite, dans le psoriasis cutané et récemment dans l’arthrite psoriasique. Elles sont en voie d’investigation dans les spondylarthrites. Inhibiteurs des Janus kinases (JAK) La voie JAK module la production de cytokines, comme l’IL-6, mais aussi l’IL-23, dont on a parlé ci-dessus. Plusieurs médicaments qui bloquent cette voie de modulation intracellulaire ont été ou sont en cours de développement. L’un d’entre eux est déjà commercialisé, le tofacitinib (Xeljanz) qui, à la dose de 2 x 5 mg / jour per os, s’est avéré aussi efficace que les biologiques dans la polyarthrite rhumatoïde. Vu son effet sur l’IL-23, il paraissait intéressant de le tester éga­lement dans les rhumatismes psoriasiques 8,9 et dans la spondylarthrite. Des études de phase III sont en cours pour les arthrites psoriasiques. Quant à la spondylarthrite ankylosante, malgré les résultats prometteurs d’une étude de phase II présentée récemment au congrès américain de rhumatologie, la compagnie pharmaceutique semble avoir renoncé à poursuivre le développement pour cette indication. Il est donc peu probable que cette molécule finisse par faire partie des nouvelles armes thérapeutiques du traitement de la spondyl­ arthrite. La voie JAK ne sera cependant pas abandonnée dans www.revmed.ch 9 mars 2016 32_36_39045.indd 515 cette indication et d’autres molécules en cours de développement avancé (baracitinib) vont probablement être testées dans un futur proche. Bloqueurs des phosphodiestérases Une autre voie de régulation, qui a donné lieu à des médicaments, est celle qui agit sur l’adénosine triphosphate (ATP) intracellulaire (figure 2). Lorsque celle-ci augmente dans la cellule, elle permet de réduire la production des cytokines proinflammatoires. L’enzyme qui dégrade l’ATP est une phosphodiestérase. En bloquant cette enzyme, on augmente l’ATP. Plusieurs petites molécules bloquant cette enzyme ont été synthétisées. L’une d’entre elles, l’aprémilast, commercialisée sous le nom Otezla, a été testée avec succès dans le psoriasis et l’arthrite psoriasique,9,10 indications reconnues depuis septembre 2015 en Suisse. Plusieurs études ont démontré son utilité également dans les spondylarthrites au cours d’études de phase II.11 L’étude de phase III qui devait confirmer ces résultats n’a pas atteint les objectifs attendus. Néanmoins, dans une sous-population de spondylarthrites avec diagnostic récent, ce médi­cament a un certain potentiel. Dès lors, il semble que la firme pharmaceutique a décidé de refaire des études afin de valider ce médi­ca­ ment pour certaines formes de spondylarthrites. Futur Une des complications de la spondylarthrite classique est l’apparition de syndesmophytes évoluant parfois vers des an- 515 03.03.16 09:01 REVUE MÉDICALE SUISSE kyloses qui grèvent le pronostic fonctionnel, voire vital d’un certain nombre de patients. Les traitements biologiques à disposition ne semblent pas être très utiles pour prévenir cette complication. D’autres mécanismes physiopathologiques que l’inflammation entrent en ligne de compte. On commence à mieux les cerner et même à développer les premières molécules susceptibles d’agir sur les voies d’ossification ligamentaire12 (voie Wint avec ces inhibiteurs : DKK1, sclérostine). On en est encore aux modèles expérimentaux et animaux13 et à notre connaissance, aucune molécule n’a encore été testée chez l’hom­me. Cependant, vu le dynamisme de le recherche biopharmacologique et le raccourcissement spectaculaire des délais entre détection d’une cible thérapeutique, la fabrication d’une molécule efficace et le développement d’un traitement en prati­que clinique, des traitements seront disponibles pour ce type de complication dans les cinq à dix ans à venir. Conflit d’intérêts : L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article. 1 * Sieper J. Treatment challenges in axial spondylarthritis and future directions. Curr Rheumatol Rep 2013;15:356. 2 * Braun J, Kiltz U, Heldmann F, et al. Emerging drugs for the treatment of axial and peripheral spondyloarthritis. Exp Opin Emerg Drugs 2015;20:1-14. 3Poddubnyy D, Hermann KG, Callhoff J, et al. Ustekinumab for the treatment of patients with active ankylosing spondylitis : Results of a 28-week, prospective, openlabel, proof-of-concept study (TOPAS). Ann Rheum Dis 2014;73:817-23. 4Mease PJ, McInnes IB, Kirkham B, et al. 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Tofacitinib regulates synovial inflammation in psoriatic arthritis, inhibiting STAT activation and induction of negative feedback inhibitors. Ann Rheum Dis 2016;75:311-5. 10Kavanaugh A, Mease PJ, Gomez-Reino JJ, et al. Longterm (52-week) results of a phase III randomized, controlled trial of 516 32_36_39045.indd 516 Implications pratiques Pour l’instant, aucun biologique autre que les anti-TNF ou nouvelles molécules synthétiques n’est reconnu et remboursé sans autre dans l’indication de spondylarthrite L’ustékinumab (Stelara) et l’aprémilast (Otzela) sont remboursés dans le rhumatisme psoriasique sans restriction particulière pour les atteintes axiales Une demande de validation est en cours pour le sécukinumab (Cosentyx) aussi bien dans l’indication d’arthrite psoriasique que pour les spondylarthrites Des développements sont en cours (études de phase II ou III) pour l’ustékinumab (Stelara), le brodalumab, l’ixekizumab, le tofacitinib (Xeljanz) dans les spondylarthrites avec ou sans psoriasis cutané associé D’autres mécanismes que les voies de l’inflammation devraient aboutir à des cibles thérapeutiques visant notamment l’ankylose compliquant certaines spondylarthites apremilast in patients with psoriatic ­arthritis. J Rheumatol 2015;42:479-88. 11Pathan E, Abraham S, Van Rossen E, et al. Efficacy and safety of apremilast, an oral phosphodiesterase 4 inhibitor, in ankylosing spondylitis. Ann Rheum Dis 2013;72:1475-80. 12* Corr M. Spondyloarthropathy : Frontier for molecular targets ? Expert Rev Clin Immunol 2013;9:289-91. 13* Haynes KR, Pettit AR, Duan R, et al. Excessive bone formation in a mouse model of ankylosing spondylitis is associated with decreases in Wnt pathway inhibitors. Arthritis Res Ther 2012;14:R253. 14Johnson-Huang LM, Lowes MA, Krueger JG. Putting together the psoriasis puzzle : An update on developing targeted therapies. Dis Models Mech 2012;5:423-33. http://dmm.biologists.org/content/5/4/423 15Mavers M, et al. Intracellular signal pathways : Potential for therapies. Curr Rheum Rev 2009;11:378-85. 16Rommel C, et al. PI3K delta and PI3K gamma : Partners in crime in inflammation in rheumatoid arthritis and beyond ? Nat Rev Immunol 2007;7:191-201. 17Tasken K, et al. 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