Josiane Sayag Algoneurodystrophie Aspects psychologiques 2 2 Avant-propos Notre intervention et notre travail thérapeutique étalés sur de nombreuses années, auprès de patients atteints de douleurs algoneurodystrophiques, nous ont interpelées : souffrance physique, état désemparé, demande d’aide et de soins, anxiété face à leur impuissance à surmonter et à faire reconnaître leur douleur dans son intensité, à se penser ou non comme malades psychiques, à entreprendre ou non un suivi psychologique. Des documents médicaux sur ce syndrome, recueillis alors sur le Web – et qui depuis, se sont multipliés jusqu’à ce jour – nous ont été remis par des patients pour nous aider à comprendre leur situation. Nous a, tout autant, interpelées, l’appréhension, des chirurgiens et des médecins, de voir ces symptômes s’installer dans la durée, et demeurer parfois réfractaires à une rééducation, ou à un traitement médical. Aussi, nous tenons à remercier les différents praticiens qui ont senti la nécessité de 2 3 recommander à ces patients un accompagnement psychologique au cours de leur hospitalisation, et qui les ont confiés à notre écoute. Nous rendons hommage aussi bien aux praticiens qu’aux patients qui, en nous faisant confiance, ont témoigné d’une possible et efficace cohésion entre l’aspect médical et l’aspect psychologique de ce syndrome particulier. Au cas où les concepts évoqués par nous paraîtraient trop familiers aux différents praticiens et thérapeutes, cet ouvrage pourra être perçu plutôt comme un certain état des lieux actuel. Les non-familiers qui le liront seront probablement partagés comme dans « La Rose et le Réséda »1 entre « celui qui croyait au ciel, » et « celui qui n’y croyait pas ». N’importe. Ce que chacun y glanera et entendra, trouvera, nous le souhaitons, son utilité. L’auteur. 1 [38] 42 Introduction Notre travail sur l’algoneurodystrophie (AND) ou algodystrophie, se divise en réflexions théoriques, d’une part, en analyses de cas cliniques, d’autre part. Selon un premier document2 fourni par les patients, d’août 1997, rédigé par Ph. GAUDIN, les traitements médicaux étaient efficaces dans 75 % des cas, 25 % des algodystrophies (AND) étant classées comme « idiopathiques ». Selon un second3 document, de septembre 1998, les « circonstances d’apparition », et « la cause de l’affection » restaient « inconnues », mais il était possible d’identifier au moins « un facteur causal ». Des facteurs psychologiques semblaient « favoriser l’apparition d’une algodystrophie ». Un troisième document4, antérieur à mars 2001, parlait d’« algodystrophies primitives », « dans environ 1/3 des cas » : « Un terrain « dystonique » avec émotivité et 2 [6,1] p. 3 [6,2] p.1 4 [6,3] p. 1 3 2 5 anxiété est trouvé chez certains patients, qui paraît être un facteur favorisant ». Le dernier document5, antérieur aussi à mars 2001, décrivait les différentes formes cliniques et topographiques sous lesquelles se présente l’AND, sans allusion à un éventuel facteur psychologique. Ainsi nous retenions comme facteurs psychologiques possibles, la panique, le stress, l’anxiété ou une émotion exagérée. Les patients sujets à ce syndrome apparaissaient sans projets, résignés, peu sûrs d’eux, ou indécis quant à leurs orientations. Le journal Le Monde du 16-17 septembre 20016, consacrait aussi une page à « L’algodystrophie, un syndrome douloureux et mystérieux », à la suite des Entretiens de Bichat, tenus à Paris du 10 au 15 septembre de cette même année. E. BURSAULT, y citait le Pr. émérite Cl. KENESI qui en parlait comme d’un « sujet tordu auquel on ne connaît presque rien », une affection au « coût social élevé ». Elle citait aussi le Dr EULRY : « On a souvent parlé de la fréquence d’un terrain anxieux, mais cette anxiété fait-elle le lit de la douleur ou naît-elle de cette dernière ? » Une question qui nous apparaît toujours essentielle. Au niveau physiologique, les recherches mentionnées relevaient comme responsables des 5 6 [6,4] [4] p. 22 62 phénomènes inflammatoires et des douleurs, le « dérèglement du système nerveux sympathique », une « mauvaise oxygénation des tissus », ainsi qu’une « myriade de substances chimiques ». Selon A RYCKEWAERT7, l’algodystrophie peut ne pas avoir de cause apparente, elle est plus fréquente chez la femme que chez l’homme, et « il n’est pas rare que les victimes aient une personnalité névrotique ». Concernant la pathogénie de ce symptôme, l’auteur reconnaît8: « … on ignore pourquoi se développe ce trouble chez certains sujets, quelle en est exactement la nature et comment il exerce son effet pathogène. » Question posée par le Dr EULRY qui nous amène à rechercher la façon dont la psychiatrie envisage et classe ce type de symptôme. Actuellement, la littérature médicale reconnaît l’algoneurodystrophie en tant que véritable maladie mais adopte globalement trois sortes de position concernant l’influence d’un éventuel facteur psychologique : soit elle omet d’en parler et s’en tient au traitement médical proprement dit et nécessaire, soit elle considère que le facteur psychologique est réactionnel à l’effet provoqué par la douleur connexe, soit elle admet un terrain émotionnel favorisant l’éclosion de cette maladie. Parmi les tenants de la 7 8 2 [9] pp.397 [9] p. 399 7 première position, on compte M D HOOSMAND9, neuropsychiatre du Pain Management Center de Vero Beach, en Floride et la Fondation pour la Recherche Médicale10, qui ne comprend pas ce qui est à l’origine de ce syndrome mais qui évoque le rôle du système nerveux sympathique. Parmi ceux de la seconde position, on compte S BADAOUI11, qui préconise une psychothérapie de soutien agissant sur la dimension cognitive de la douleur. Parmi les tenants de la troisième position, on compte Ch BURES12, médecin des Armées qui évoque un « terrain sensible » défini par l’expérience de terrain : les malades apparaissent anxieux, émotifs, voire dépressifs et préconise d’examiner d’entrée de jeu ce qu’il y a lieu d’envisager sur le plan psychologique. Dans les années soixante-dix, le Manuel de psychiatrie13 de H EY faisait état, de trois théories en présence dont nous rappelons brièvement les orientations qui se sont développées : « La première cherche à relier la pathologie somatique à la vie psychique dans le registre du sens, » mais en la situant « aux confins de la psychose », dans la mesure où les représentants de cette théorie, tenants de Mélanie Klein, recherchaient l’explication de la 9 [8,1] et [8,2] [5] 11 [2] 12 [3] 13 [13] pp. 1031-1032 10 82 pathologie dans les relations préobjectales de l’enfant à son entourage. Il pouvait s’agir d’un « échec de l’élaboration de la « position dépressive primitive » nécessaire à l’organisation des premières relations objectales ». Toute manifestation de relation préobjectale chez un sujet donné pouvait se rapprocher de phénomènes psychotiques. Dans cette perspective, ce pouvait être le lot de tous les être humains atteints d’une maladie somatique, dans la mesure où on ne pouvait affirmer avec certitude que telle maladie ne comportait aucun facteur psychologique. Le second groupe de recherches s’orientait vers « l’approfondissement de la notion de conversion ». Cette notion, J-P VALABREGA a tenté de la généraliser tant aux psychoses qu’à la pathologie générale, de telle façon que l’hystérie de conversion n’en serait qu’un des aspects parmi d’autres. La pathologie générale offrait ainsi aux chercheurs tous les degrés possibles de non élaboration verbale de pulsions jusqu’à une expression somatique complète de ces mêmes pulsions. Enfin le troisième groupe de recherches parmi lesquelles se rangent l’Ecole de MARTY et le point de vue de H EY lui-même, estime que les troubles psychosomatiques n’ont pas de sens, et que c’est, précisément, ce qui les caractérise. La pauvreté de la vie fantasmatique du sujet, la répression de son imaginaire font que la notion de régression et le transfert sont impossibles ou impensables, et ce qui 2 9 apparaît important, c’est « la place de la maladie dans le monde du malade ». Pour R DEBRAY14 qui se rapproche de cette perspective, en effet, « le symptôme est dénué de sens » : « A la différence de l’hystérique, le trouble somatique respecte bien, lui, les localisations anatomiques et il ne doit pas céder à la magie de l’interprétation juste qui ferait se lever un refoulement qui ici n’existe pas. » Cependant, abordant les somatisations graves15 « à évolution péjorative », l’auteur estime que ce qui se joue « sur la scène mentale », révèle un préconscient « épais », « altéré » dans son dynamisme interne. Nous relevons l’exemple donné d’une patiente qui arrive à sa séance, encore plus malade que d’habitude, alors que lors de la séance précédente, elle avait pu parler de ses conflits, de son histoire passée, en relation ou non avec sa maladie somatique. L’auteur se demande s’il fallait incriminer la faillite du préconscient de la patiente ou celle de son propre préconscient mis dans l’incapacité de « ranimer » suffisamment « la relation » transférentielle. A la suite de cet exemple, l’auteur évoque, mais sans le relier explicitement au cas précédent, celui d’une mère aux processus mentaux « sidérés » ou aux mécanismes de défense « exacerbés », après avoir été 14 [22] p. 24 [22] p.16-19 15 10 2 soumise à « une situation de contrainte » très mal ressentie par son bébé, et qui avait provoqué chez ce dernier « une symptomatologie psychosomatique ». Nous repérons bien ainsi un très puissant processus à l’œuvre chez le bébé, comme chez la patiente évoquée précédemment, qui ne peut s’exprimer autrement que par voie organique, le bébé ne supportant pas cette situation de contrainte, sur laquelle la tutelle parentale était en mesure de ne mettre elle-même aucun mot, étant, autrement dit, incapable d’élaborer psychiquement ; mais une tutelle dont le bébé, dans sa prématurité, avait néanmoins besoin de sauvegarder, et dont il s’était trouvé dans la nécessité d’intégrer progressivement, les caractéristiques de contrainte, incompréhensibles mais induisant, en réaction, un puissant sentiment de culpabilité. Il est difficile, pour autant, d’être aussi optimiste que R DEBRAY, sur l’évolution psychologique d’un sujet soumis à une telle contrainte16 : « C’est l’expression attendue, pratiquement la seule possible jusqu’à ce que la progressive psychisation du bébé le rende moins dépendant des états affectifs profonds qui agitent ses objets privilégiés : père, mère, substituts parentaux. » Dans quelle mesure un futur adulte pourrait manifester une indépendance par rapport aux états affectifs de ses tuteurs, quand ces états affectifs l’ont 16 [22] p31 2 11 constitué pour une très large part, à son insu ? C’est précisément ce que nous révèle dans son autobiographie17, F Zorn, atteint de cancer, illustrant fort bien l’ingérence contraignante du désir parental dans la constitution même de son désir de sujet, à son insu, au point de construire puis de détruire son corps. L’auteur, pour autant qu’il ait pu faire preuve d’une activité fantasmatique intense – à travers son ouvrage et en tant qu’enseignant de littérature de langues romanes –, n’explique pas moins sa difficulté à repérer les manifestations et les circonstances de cette ingérence, ainsi que les représailles auxquelles le soumettaient ce repérage, se manifestant par l’invasion progressive de son organisme par sa maladie. L’interprétation du symptôme, cependant, risque d’ajouter au musellement par l’instance surmoïque et de faire taire chaque fois un peu plus, l’expression des conflits chez le sujet « psychosomatique ». Elle comporte en soi, un élément culpabilisant, susceptible de renforcer la résistance du sujet, à une éventuelle élaboration mentale. Dans sa fonction d’étayage, le thérapeute peut inviter le patient à distinguer, au niveau de son expression, ce qui émane de l’influence parentale. Ainsi, l’expression somatique « accompagne » et « ponctue » le déroulement de la vie du sujet18 : « … on doit les replacer dans le fonctionnement général du sujet réinséré dans le déroulement de sa vie. 17 [64] [22] p. 183-184 18 12 2 Cette démarche est rigoureusement celle de la psychanalyse. » Pour autant, en raison de cette contrainte parentale signalée, on peut se demander si cette expression somatique ne peut être considérée comme un appel au secours, en raison d’un défaut d’étayage menaçant la construction narcissique du sujet. Celuici voit son attente d’une voix, d’une parole vouée à un échec relationnel. C’est bien ce que R DEBRAY met en évidence lorsqu’elle évoque, par ailleurs, les circonstances d’apparition chez FREUD, de son cancer du palais. Elle relève ce que FREUD écrit à FERENCZI dans sa lettre du 4 février 192019 : « … comme je suis profondément incroyant, je n’ai personne à accuser et je sais qu’il n’existe aucun lieu où l’on puisse porter sa plainte. » Cette attitude nous apparaît patente lorsque nous voyons pour la première fois un malade somatique dans un service hospitalier. « Le psychanalyste doit aller à l’hôpital en traitant la maladie organique d’emblée comme un appel. »20 « Le psychanalyste doit mettre la poussée comme la rechute de la maladie organique dans la corbeille de sa clinique, et non s’en laver les mains en croyant que quand le désir dépasse les frontières du corps et tombe 19 [22] p. 40 [36] p. 6 20 2 13 sourd dans la dimension de l’organisme, son travail n’a plus de raison d’être. »21 Pour le psychanalyste, la maladie organique signifie un désir réduit au silence… et un appel au secours de ce désir. Ce que la relation transférentielle essaie de mettre au jour. Dans son ouvrage22, P-H KELLER, passant en revue les différents théoriciens de la médecine psychosomatique, depuis le début du XXe siècle, fait prévaloir l’aspect décisif du savoir du malade dans cette relation, et partant, de son désir. C’est à partir de la prise en compte de ce savoir qu’une relation de confiance peut être envisagée entre thérapeute et malade, et que la guérison éventuelle peut suivre. C’est encore ce que nous dit Edouard ZARIFIAN23 dans la préface de l’ouvrage : « Lorsqu’on exprime de la souffrance psychique par la parole, c’est par l’écoute de cette parole, par l’analyse du sens dont elle est porteuse que l’on peut être soulagé. » Nous avons tenté de ranger l’algoneurodystrophie, à partir de la classification du Manuel de Psychiatrie de J-D GUELFI et F ROUILLON24 soit quelques quarante ans après le manuel de H EY. Ainsi P HARDY précise bien en introduction25 de ce chapitre, la relation étroite qui peut exister entre les facteurs organiques et les 21 [36] p. 62 [34] 23 [34] p.8 24 [14] p. 301-322 25 [14] p. 301 22 14 2 facteurs psycho-environnementaux, et l’impact réciproque des uns sur les autres. S CONSOLI précise26 que la catégorie des « troubles somatoformes » est : « … l’un des champs sinon le champ le plus discuté et discutable des classifications nosographiques psychiatriques », « le champ d’expression de la souffrance psychique liée surtout aux progrès des connaissances et des techniques médicales ». Il range dans ce champ, des troubles mentaux à expression somatique, sans anomalie organique identifiable, qu’il oppose aux pathologies à « composante psychosomatique » sous-tendues « par des lésions organiques identifiables ». C BUHL et P HARDY évoquent la perspective psychosomatique dans le cadre des traitements de troubles mentaux27 : « … certains troubles mentaux peuvent favoriser la survenue ou le maintien de pathologies somatiques ». L’anxiété de personnes atteintes d’une affection somatique, a pour action, de limiter, d’altérer la qualité de vie, ou de peser sur le handicap fonctionnel lié aux troubles physiques. Selon cette perspective, dans l’AND, les facteurs psychogènes – anxiété, stress, dépression – jouent un rôle amplifiant les effets douloureux et handicapants de la maladie somatique. 26 [14] p. 302 [14] p. 320 27 2 15 L’AND entrerait ainsi dans le cadre de la seconde situation évoquée par C BUHL et P HARDY. Mais l’AND peut aussi être considérée comme un trouble douloureux qui a en commun avec les troubles de conversion – qui ne correspondent à aucune lésion organique – de concerner la motricité volontaire. Les deux sortes de troubles ont aussi en commun, d’être « à l’origine d’une souffrance cliniquement significative ou d’un retentissement socioprofessionnel net… »28. Les facteurs psychologiques mentionnés sont des situations de stress aigu ou chronique, et/ ou de conflit, conséquences de situations familiales et/ou socioprofessionnelles. Ces situations vont de pair avec des troubles anxieux et/ou dépressifs : elles précèdent le trouble douloureux ou lui succèdent et révèlent une détresse psychique. Le DSM-IV-TR, de son côté, répartit les troubles douloureux en trois catégories, selon l’importance – grande, égale ou nulle – des facteurs psychologiques associés à une affection médicale générale29. Ce trouble douloureux peut être aigu, ou chronique si sa durée est égale ou supérieure à 6 mois. Quelle que soit la sous-catégorie où l’on décide de ranger l’AND, il nous apparaît, dans ce cas, opportun de tenir compte des aspects psychologiques, d’entrée de jeu, et d’avertir le patient en souffrance, de l’utilité, le concernant, de les examiner sans réticence. 28 [14] p. 307 [12] p. 577-578 29 16 2 Nous avons donc, plusieurs possibilités de classification mais toutes se réfèrent au rôle de facteurs psychogènes en tant que réaction à une maladie somatique ou à son traitement. La théorie psychanalytique est abandonnée en tant que modèle de compréhension des maladies psychosomatiques. Celle-ci est mentionnée30, avec un consensus des chercheurs, pour expliquer la somatisation – conversion hystérique – en tant que défense, c’est-àdire que « la détresse psychologique induite par des conflits ou d’autres facteurs de stress est au moins en partie « déplacée » sur un symptôme somatique ». S CONSOLI mentionne31 que « … la nature sexuelle du conflit causal, à l’origine d’un symptôme de conversion… est loin de faire l’objet d’un consensus » Et : « la signification symbolique du symptôme peut dans un certain nombre de cas paraître discutable ou n’être qu’une reconstruction a posteriori » Eu égard à la théorie psychanalytique, en effet, la signification symbolique survient nécessairement après coup, sinon il n’y aurait pas eu de maladie somatique ; elle peut ne pas être pour autant discutable, si c’est le sujet qui la met en lien avec sa maladie, selon la méthode de l’association libre. La reconstruction de l’histoire de la maladie, se fait nécessairement aussi a 30 [14] p. 311 [14] p. 311 31 2 17 posteriori puisqu’elle participe de la reconstruction de l’histoire du patient par lui-même. C’est une construction, fiction de son histoire, qui fait que son organisme devient corps, – témoin – réceptacle des relations à ses parents –. Selon nous, c’est ne pas parvenir à effectuer une reconstruction de cette histoire qui fait chuter et pérenniser le sujet dans sa maladie, et sa libido dans son organisme. Pour autant, S CONSOLI nous rappelle32 que : « … la saisie d’un symptôme somatique comme « prétexte » pour exprimer une détresse psychique n’exclut pas une éventuelle origine organique du trouble ». Le DSM-IV répartit les troubles anxieux33 en nombre de catégories qui incluent avec beaucoup de difficultés les patients atteints d’AND. Dans le cas de nos patients, on note souvent un évènement précédant la survenue du syndrome mais qui n’apparaît pas toujours avec évidence, subjectivement parlant, en lien de cause à effet, avec le trouble. Si bien qu’on ne sait si l’on peut parler véritablement et systématiquement, d’attaque ou de trouble de panique, de phobie ou d’agoraphobie, de trouble obsessionnel compulsif, ou d’état de stress posttraumatique (ESPT). Il est cependant possible de parler d’un « état de stress » ou « d’anxiété », « aigu » 32 [14] p. 311 [12] p. 493-494 33 18 2 ou « généralisé » ou encore de « trouble anxieux non spécifié », dans la mesure où c’est l’attitude générale du patient qui nous apparaît teintée d’anxiété. La perspective psychiatrique laisse toutefois au patient, le droit à sa subjectivité, mais sans évaluer l’impact de cette dernière, sur la survenue, la durée et l’intensité du syndrome AND dans ses aspects physique et douloureux. Deux colloques de 1999 et 200234, réunissant les spécialités médicales et l’INSERM, ont dressé « un premier état des lieux interdisciplinaire » en même temps qu’une « perspective de développement de nouvelles recherches ». L’ouvrage qui fait suite à ces colloques, rassemble les recherches des trente dernières années concernant l’impact du stress au niveau de l’organisme35. Il remet à l’honneur la préoccupation de S FREUD neurologue de formation, de trouver le soubassement neurobiologique à ses découvertes sur l’hystérie36. Le stress se définit dès lors comme « un processus psychosomatique complexe ». Il implique « la personne dans sa globalité avec ses caractéristiques individuelles » et « l’environnement avec lequel elle est en interaction ». Il peut être durable, susciter des troubles ; l’émotion mobilisée de façon excessive « peut se répercuter sur ses équilibres biologiques » : Il met en jeu quatre grands 34 [10] p. 1 [10] p. 18 36 [30] pp. 309-396 35 2 19 systèmes et leurs interactions37 : nerveux central, nerveux autonome (sympathique et parasympathique), neuroendocrinien (hypothalamique-hypophysairesurrénalien), et immunitaire. J-M THURIN38 pose la question de l’existence de « critères » qui permettraient de déterminer, chez une personne, le risque associé à un évènement exceptionnel ou à un stress chronique, qu’il situe à trois niveaux : • Etre « confronté » à certains stress traumatiques et à des « complications associées » • Les réactions immédiates au stress, les caractéristiques générales de la personne, et du contexte environnant donneraient « un profil de vulnérabilité ou de résilience ». • Enfin « La cascade de réactions en chaîne générées par un stress, en différents lieux et à travers différents systèmes » : Il s’agirait de « définir un style de réponse propre à une personne » sous la forme de « dérégulations et d’accentuation des effets sur des fonctions et des organes particuliers ». Le cheminement théorique de notre réflexion prend pour point de départ, « l’approche psychiatrique des Algodystrophies » de D ROUBINEAU39 avec pour 37 [10] p. 3 [10] p.11 et chapitre 23 39 [15] 38 20 2