Les accidents d`exposition au sang en anesthésie

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Sécurité en anesthésie 73
LES ACCIDENTS D’EXPOSITION AU SANG EN
ANESTHESIE REANIMATION: SPECIFICITES ET
CONDUITE PRATIQUE
E. Casalino*, A. Tarantola**, E. Bouvet*** - *Service d’Accueil des urgencesadultes. CHU Kremlin-Bicêtre. **GERES, Groupe d’étude du risque d’exposition des
soignants aux agents infectieux. ***Service de Maladies Infectieuses et Tropicales
(SMIT-A) et GERES. CHU Bichat-Claude Bernard.
INTRODUCTION
Les expositions potentielles aux agents transmissibles par le sang, dont le virus de
l’immunodéficience humaine (VIH) ou des hépatites en milieu de soins sont liées aux
accidents d’exposition au sang (AES), définis comme une exposition percutanée (piqûre,
coupure) ou cutanéo-muqueuse (contact sur une peau lésée, projection sur le visage ou
une muqueuse) à du sang ou un liquide biologique souillé par du sang. Les principaux
agents transmissibles par le sang sont présentés dans le Tableau I.
Tableau I
Principaux agents transmissibles par le sang
Personnes infectés en France
Risque de transmission
Percutané : 0,3 %
Cutanéo-muqueux : 0,03 %
VIH
80 000 à 120 000
VHB
100 000
Si AgHBe+ et soignant non
immunisé : 30 %
VHC
500 000
Percutané : < 3 %
Le premier cas rapporté de transmission professionnelle du VIH chez un soignant
remonte à 1984 [1]. L’utilisation d’une chimioprophylaxie post-exposition au VIH a
été proposée de manière occasionnelle depuis 1989. La publication des résultats de
l’étude cas-témoin des Centers for Disease Control and prevention (CDC) [2] repris
dans une circulaire ministérielle [3] a banalisé son emploi depuis 1996. Le nombre
élevé d’AES en milieu de soins explique le recours fréquent à cette prescription d’antirétroviraux. Des recommandations officielles en France [3, 4] ont incité les hôpitaux à
mettre en place des procédures permettant un accès facile et permanent aux antirétroviraux dans cette indication. Ces mêmes recommandations permettent une évaluation du risque et orientent la décision thérapeutique.
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Des incertitudes persistent néanmoins sur l’efficacité et la tolérance des schémas
proposés, sur le rapport coût-efficacité des traitements, sur l’impact sur la prévention
de la transmission du VIH en milieu de soins. Nous passerons en revue dans cet article
les principaux aspects ayant lien avec l’anesthésie-réanimation.
1. FREQUENCE DES AES EN MILIEU DE SOINS
La fréquence des AES en milieu hospitalier a été estimée à 33 pour 100 lits occupés
par an [5]. D’après cette formule, pour un hôpital de 1 000 lits avec un taux d’occupation de 85 %, on peut s’attendre 280 à 300 AES chaque année. Environ 75 à 80 % des
AES déclarés concernent des accidents percutanés, les autres étant des expositions
cutanéo-muqueuses.
Tous les personnels soignants ne sont pas confrontés au même risque d’exposition
(Tableau II) : le personnel soignant paramédical est le plus exposé en termes de
fréquence et de gravité, avec une incidence chez les infirmières en France de 30 accidents percutanés pour 100 IDE/an et de 100 accidents cutanéo-muqueux pour 100 IDE/
an [6]. Le personnel infirmier déclare 40 à 50 % de leurs AES. Les médecins ne représentent que 10 % des AES déclarés. Une sous-déclaration importante est à craindre
chez le personnel médical, notamment chez les chirurgiens. Ces derniers sont les plus
souvent exposés avec une incidence estimée à environ un accident percutané par chirurgien et par mois [7].
Tableau II
Différentes catégories des soignants exposés
Catégories de soignants
Infirmières (50 %)
Aides-soignantes (15 %)
Elèves IDE (10 %)
Médecins (10 %)
Chirurgiens (2 %)
Etudiants médecine (2 %)
Autres (10 %)
L’analyse des circonstances de survenue des AES lors de l’enquête du GERES de
1990 à 1992, avait révélé que 35 % des accidents avaient lieu pendant la réalisation du
geste, et que les deux tiers restants survenaient pendant la phase de rangement du matériel. Sur la base des données de cette étude, une hiérarchie du risque lié à chaque acte a
été établie. Les gestes à risque accru de survenue d’un AES étaient les piqûres sur
chambre implantable, les prélèvements artériels, les poses et déposes de perfusions.
Outre le fait qu’elle a globalement réduit le risque pour les gestes médicaux, l’introduction de matériels de sécurité a depuis modifié cette hiérarchie, comme l’a montré
les résultats préliminaires de cette étude répétée en 1999 et 2000 (Etude GERES 2000).
1.1.
FREQUENCE DES AES EN MILIEU CHIRURGIC AL
Les chirurgiens au bloc opératoire sont probablement les plus souvent exposés en
milieu hospitalier. L’incidence rapportée chez les chirurgiens en France est de
950 accidents percutanés pour 100 chirurgiens par an et 2 800 contacts cutanéo-
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muqueux/100 chirurgiens par an [7]. La fréquence rapportée d’actes chirurgicaux compliqués d’un AES varie entre 6 et 30 %, avec des incidences comprises entre 1 et
3 accidents percutanés pour 100 personnes par acte [8]. Les panseuses ou infirmières
instrumentistes sont également exposées, ceci à l’évidence en raison de la manipulation des instruments chirurgicaux.
Tous les types de chirurgie sont à risque. Les actes de chirurgie orthopédique, gynécologique ou viscérale semblent clairement à risque accru. Comme pour certains gestes
de chirurgie plastique, ce sont les procédures menées hors du contrôle direct de la vue
et celles associés à la préhension ou fixation des tissus à la main tandis que l’autre
réalise la suture qui sont à l’origine de nombreux accidents. Il a par ailleurs été démontré que des microtraumatismes survenus au cours des interventions chirurgicales, avec
comme conséquence une porosité accrue des gants, exposaient les chirurgiens au sang
du patient.
Certaines études ont prouvé que le port de gants - et notamment le port d’une double paire de gants - réduit le volume de sang inoculé par une aiguille de suture après
piqûre accidentelle [9, 10]. De la même façon, l’imperméabilité des gants est mieux
assurée lorsque le chirurgien porte deux paires de gants. Il a été proposé au vu de ces
données d’avoir recours à une double paire de gants pour les actes chirurgicaux à haut
risque de traumatisme et de piqûre ou tout du moins lors de la phase de suture.
1.2.
FREQUENCE DES AES EN ANESTHESIE-REANIMA
TION
Très peu de données sont disponibles dans ce cadre. Heald a rapporté en 1990 une
incidence de 130 APC/100 personnes par an chez les anesthésistes (APC = Accident
percutané), alors que celle-ci varie entre 50 et 60 pour les autres médecins non chirurgiens [11]. L’incidence est estimée entre 27 et 42/100 personnes par an avec une sous
déclaration très importante, seulement 45 % des AES sont déclarés.
Des données concernant les secteurs de soins intensifs (réanimation médicale, réanimation chirurgicale, salle de réveil) font cruellement défaut. Sur la base des enquêtes
réalisées par le GERES et des données disponibles à la médecine du travail, la fréquence
des AES dans les services de réanimation en France ne semble pas plus élevée que dans
les autres services de médecine. Il est néanmoins important de souligner que la densité
des gestes infirmiers est bien plus élevée dans les services de réanimation que dans les
services de médecine, que le personnel infirmier réalise des soins spécialisés tels que
des pansements, des séances de dialyse, et que l’absence de différence dans la fréquence
des AES pourrait traduire une meilleure organisation des soins et une politique plus
agressive de prévention des AES.
2. FACTEURS DE RISQUE DE TRANSMISSION DU VIH
On estime que le risque de transmission du VIH après piqûre accidentelle est de
l’ordre 0,03 à 0,3 %. Ce risque faible limite la puissance statistique des études visant à
évaluer les facteurs de risque de transmission du VIH. Le risque est évidemment lié au
statut VIH positif du patient source. Rappelons néanmoins que, bien que seul les sujets
infectés par le VIH peuvent transmettre l’infection, le diagnostic repose habituellement
sur la détection d’anticorps anti-VIH et que leur apparition est décalée de 2 à 4 semaines après l’acquisition de infection. Bien que séronégatif pendant cette période, le patient
est virémique et contaminant. Le risque de se trouver confronté à cette situation est
faible, probablement proche du risque transfusionnel résiduel, soit inférieur à 1/500 000
ou 1/1 000 000 de culots globulaires transfusés. Un cas de transmission survenu chez
une infirmière dans ces circonstances a néanmoins été documenté.
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Dans l’évaluation du risque, les accidents percutanés sont à plus haut risque que les
expositions cutanéo-muqueuses. L’étude cas-témoin du CDC [2] a défini les facteurs
de risque de transmission des accidents percutanés (APC) : blessure profonde (OR 16,1),
sang visible sur le matériel (OR 5,2), aiguille ayant servi à un prélèvement intraveineux ou intra-artériel direct (OR 5,1), patient source au stade SIDA.
Ces variables peuvent être considérées comme des marqueurs reflétant l’importance
de l’inoculum viral. Les piqûres profondes permettent un inoculum viral plus élevé,
ainsi que les dispositifs creux qui sont souillés à l’extérieur et à l’intérieur de l’aiguille
avec des volumes de sang plus importants que pour les aiguilles «pleines», type aiguille
de suture. Le diamètre de l’aiguille et l’utilisation qui en a été faite (ponction intravasculaire ou non, amenant l’aiguille à contenir du sang) sont ainsi des facteurs de risque
de transmission couramment acceptés. Le port de gants pourrait avoir un effet mécanique de réduction des volumes de sang véhiculés par une aiguille, essentiellement en cas
de piqûre par aiguille pleine [9, 10].
Bien qu’il soit couramment accepté que le risque majeur est lié à des expositions au
sang ou à des liquides biologiques souillés avec du sang, le VIH peut être isolé à partir
d’autres liquides biologiques. En règle générale, tous les liquides exudatifs riches en
cellules doivent être considérés comme potentiellement contaminants.
La charge virale du patient source devient une variable dont l’importance est fondamentale. Des études récentes confirment l’importance de la charge virale maternelle
dans la transmission verticale du VIH [12] et dans la transmission sexuelle du
VIH [13, 14, 15]. Bien qu’il ne soit pas possible de déterminer un seuil en dessous
duquel le risque serait nul, les patients avec des charges virales indétectables ou faiblement positives ont à volume égal un inoculum viral moindre à transmettre que les patients
avec des charges virales fortement positives. De la même façon, une charge virale indétectable ne doit pas être considérée comme une situation à risque nul. Il est bien
documenté que les patients avec des charges virales faibles restent potentiellement contaminants. Le Tableau III présente les facteurs de risque de transmission du VIH au
cours des AES chez le personnel de santé.
Tableau III
Facteurs de risque de transmission du VIH
Facteurs liés au type d’accident
Percutané > cutanéo-muqueux
Pour les accidents cutanéo-muqueux Temps d’exposition prolongé > court
Présence de lésions cutanées > absence
Pour les accidents percutanés
Blessure profonde > superficielle
Aiguille creuse > aiguille pleine
Dispositif intravasculaire > sous-cutané ou intramusculaire
Présence de sang visible > absence
Aiguille de gros calibre > faible calibre
Facteurs liés au patient source
Absence de port de gants > port de gants
Stade SIDA > stades précoces de la maladie
VIH (sauf seroconversion)
Lymphocytes CD4 inférieurs à 200 > CD4
supérieurs à 200
Charge virale fortement positive > CV
faiblement positive ou indétectable
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3. NOMBRE DE CAS DE TRANSMISSION DU VIH EN MILIEU DE SOINS
Le nombre total de contaminations VIH après AES chez des soignants était fin 1997
de 264 cas [16]. Parmi eux, 94 cas (35,6 %) sont des cas prouvés de séroconversion
après un AES. Des infirmières ou du personnel de laboratoire réalisant des prélèvements sont concernés dans un peu plus de 50 % des cas, 10 % sont des médecins non
chirurgiens, et 5,7 % des chirurgiens. Quatre cas (1,7 %) sont survenus chez du personnel de dialyse. Deux cas sont rapportés en anesthésie : un cas chez un «anesthesiology
technician» aux Etats-Unis après un accident percutané, et un cas chez une infirmière
de bloc opératoire après coupure avec du matériel orthopédique. Le nombre de cas en
France est de 42 cas, dont 13 cas prouvés, le dernier cas documenté étant survenu chez
une interne au décours d’une piqûre après gaz du sang.
3.1.
RISQUE DE TR ANSMISSION DU VIH D ANS UNE STRUCTURE DE SOINS
Le risque de transmission du VIH est fonction de plusieurs variables : densité des
gestes, fréquence des AES, caractéristiques des AES, type de matériel employé, prévalence de sujets infectés par le VIH dans le service.
Les AES survenant au bloc opératoire sont à faible risque de transmission car ils
incriminent largement des aiguilles pleines à travers des gants ou des expositions cutanéo-muqueuses par porosité des gants ou des projections. Néanmoins, un nombre
important des cas de transmission sont survenus au bloc. Ceci peut être expliqué par la
très forte fréquence des AES au bloc opératoire et par la survenue de quelques accidents à haut risque, tels que des coupures profondes avec des lames de bistouri
lourdement souillées avec du sang.
Les infirmiers paient un lourd tribut. Les prélèvements par ponction directe,
notamment artériel, les poses et déposes de perfusion, sont des gestes techniques complexes à risque élevé de se compliquer d’un AES. Ce sont, en outre, des gestes très
courants, quotidiens pour certains patients, très denses en nombre pour une IDE dans
une seule journée dans certains services. Ils utilisent du matériel à haut risque de transmission : aiguilles creuses, ayant servi pour des prélèvements sanguins (la lumière de
l’aiguille contenant du sang). L’association de gestes fréquents, souvent compliqués
d’AES, et de risque élevé de transmission potentielle du VIH, explique que plus de la
moitié des cas de contamination aient été rapportés chez des infirmiers.
La prévalence de l’infection par le VIH est de 0,11 % en Ile de France. Il est
couramment accepté que la prévalence dans les services de médecine et de chirurgie est
basse, mais celle-ci peut atteindre 80 à 90 % dans certains services de maladies infectieuses. Les services à forte prévalence de patients infectés par le VIH sont à risque
accru lorsqu’aucune politique de lutte contre les AES n’y a pas été instaurée.
La méconnaissance du statut VIH des patients hospitalisés ou au bloc opératoire ne
pose pas de problème en soi. Le respect des règles de prévention des AES doit être
systématique, pour tous les patients et dans tous les secteurs de soins : médecine,
chirurgie, réanimation, et bloc opératoire. C’est le respect des mesures universelles de
prévention. Le dépistage systématique préopératoire n’est pas seulement contraire à la
déontologie. Il est surtout économiquement non rentable et n’a pas démontré son intérêt en termes de réduction des AES au bloc opératoire. Certaines études ont même mis
en évidence une fréquence accrue d’AES peropératoires chez les chirurgiens informés
du statut VIH positif de leur patient. Enfin, le fait de prendre plus de précautions chez
un patient séropositif pour le VIH sous-entend qu’on en prend moins pour les patients
VIH négatifs, mais qui peuvent être porteurs d’autres agents non recherchés ou encore
à découvrir.
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4. POLITIQUE DE PREVENTION
La prévention de la transmission du VIH en milieu de soins doit s’intégrer dans une
politique globale de prévention de la transmission de tous les agents transmissibles par
le sang (connus ou à venir). La réduction du risque de transmission passe obligatoirement par la diminution du nombre d’AES en milieu de soins.
4.1.
PREVENTION DES AES EN ANESTHESIE-REANIMA
TION
Une des particularités de l’anesthésie-réanimation est la très forte densité en gestes
techniques infirmiers et médicaux. Une politique de maîtrise des prescriptions médicales
assurant une réduction des prescriptions, avec une meilleure qualité de prescription, est
une première approche fondamentale. De la même façon, la rédaction de procédures de
soins privilégiant les techniques de surveillance non invasive et le recours à des techniques de prélèvements artériels ou veineux et d’administration des médicaments à faible
risque d’AES est indispensable. A titre d’exemple, les prélèvements par ponction directe
ou les médicaments par injections sous-cutanée réitérés dans la journée exposent à un
risque d’AES considérable, alors que des prélèvements sur des cathéters ou des tubulures et des médicaments administrés per os ou par voie transcutanée doivent être
privilégiés. Certains gestes infirmiers sont à haut risque de survenue d’un AES, tels que
les prélèvements artériels par ponction directe. La mise en place de cathéters artériels
permet des prélèvements sans risque d’accident percutané. L’utilisation de matériel de
sécurité, notamment pour la pose des cathéters veineux périphériques mais aussi pour
les prélèvements capillaires doit être systématique.
L’organisation des soins est fondamentale. Une des causes les plus couramment
cités dans l’analyse des AES est la précipitation, l’interruption de la tâche en cours par
un autre membre de l’équipe. L’équipe doit être sensibilisée à l’importance de l’organisation du travail, du respect du collègue à la tâche. Le fait que deux tiers des AES
surviennent pendant la phase de rangement démontre bien qu’une meilleure organisation du soin, avec une préparation du matériel, et surtout le recours aux boîtes à aiguilles
usagées («conteneurs») à proximité ergonomique de l’opérateur est incontournable. Le
recapuchonnage des aiguilles est à proscrire. Il est encore cité dans les causes de 5 %
des AES. L’organisation des soins, avec conteneur à portée de main de la personne
effectuant le geste est la seule approche concrète et efficace à ce problème, les modifications de comportement étant difficiles à obtenir.
Une autre caractéristique des services d’anesthésie-réanimation est la réalisation de
gestes à haut risque de transmission. Tout accident incriminant des aiguilles de gros
calibre tels que les cathéters veineux centraux et les cathéters artériels, est un accident
à risque élevée de transmission virale, car il incrimine des aiguilles creuses de gros
calibre ayant été en contact avec du sang. La pose d’une ligne artérielle et la ponction
veineuse centrale sont des gestes à risque élevé d’AES. D’une part, le repérage se fait
avec une main alors que la main opposée tient l’aiguille et pique à proximité de la main
servant de repère (ce qui augmente le risque d’accident) ; d’autre part, un seul geste
peut se décomposer en plusieurs gestes ou moments à risque d’AES : ponction avec
aiguille pour anesthésie locale, ponction de la veine centrale ou de l’artère, fixation par
suture du cathéter à la peau. Cette seule procédure comporte trois gestes à risque d’AES.
Enfin, il est important de souligner que les matériels de sécurité sont développés
pour neutraliser l’extrémité vulnérante d’une aiguille immédiatement après son utilisation. C’est le cas pour les systèmes de prélèvement veineux ou les cathéters périphériques.
Par contre, les gestes médicaux en général et surtout ceux propres à l’anesthésieréanimation, comportent la réalisation de gestes à travers la lumière de l’aiguille mise
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en place et qui doit rester perméable. C’est notamment le cas lors de l’insertion d’un
guide dans la méthode de Seldinger ou l’injection à travers un cathéter péridural. Il
n’existe pour le moment aucun matériel de sécurité pour ces techniques et l’utilisation de conteneurs de sécurité de taille adaptée et à portée de mains est ici indispensable.
Le relevé de tous les AES survenus dans le service, suivi de l’analyse des circonstances et des facteurs associés à leur survenue, et la rédaction de propositions de
mesures de prévention organisationnelles, de recours à du matériel de sécurité et de
modifications des pratiques professionnelles, doit être instauré dans les services. Le
personnel doit participer à la réflexion et aux propositions, faire sien le projet de
prévention des AES, devenir acteur de la prévention. Le personnel s’appropriera ainsi
la démarche de prévention et n’aura plus à subir les contraintes des modifications des
pratiques professionnelles proposées. Chaque membre de l’équipe doit être responsabilisé tant pour les accidents pouvant le concerner, que pour les accidents pouvant
survenir chez ses collègues.
5. PRISE EN CHARGE PRATIQUE APRES UN AES
En France, chaque hôpital doit disposer d’un système de prise en charge des AES
ou être rattaché à un centre en disposant. Les procédures du dispositif doivent être
disponibles dans chaque service et connues de tout le personnel.
Le Tableau IV présente la conduite à tenir en cas d’exposition à un liquide biologique. Il est important de souligner l’importance du lavage avec de l’eau et du savon
et le respect du temps de contact avec un antiseptique aux qualités antivirales reconnues (de préférence de la Javel 12° diluée au 1/10 ou du Dakin®). L’attitude usuelle
de laver avec violence et de faire saigner les blessures superficielles n’a aucune assise scientifique, et pourrait même être considérée comme à risque, car elle transforme
une lésion superficielle en lésion profonde. En outre, elle favorise et accélère la dissémination de l’inoculum sanguin dans les tissus.
Si le statut VIH du patient source est inconnu ou les résultats remontent à plus de
trois mois, il est indispensable de réaliser un test VIH rapide en urgence au patient
source. Ce test, fiable, techniquement simple et non onéreux, permet d’établir avec
une excellente sécurité le statut VIH du patient source en moins de deux heures. Il
évite ainsi la mise en route de prophylaxies post-expositions inutiles, coûteuses, et
dont les conséquences à long terme demeurent inconnues. L’information et le recueil
du consentement du patient source sont indispensables. Néanmoins, le Conseil National du SIDA vient de préciser sa position dans un rapport récent pour les situations
exceptionnelles où le patient ne peut pas exprimer son accord et où il y a urgence de
connaître son statut en vue d’une éventuelle indication à une prophylaxie postexposition en urgence. Il est alors possible de déroger à cette obligation, tout en
s’entourant bien sûr des précautions nécessaires à une communication de qualité
ultérieure des résultats au patient. L’inclusion dans l’autorisation d’opérer de
l’accord de prélèvement d’une sérologie VIH en cas d’AES peropératoire peut aider
à contourner cet écueil.
L’accès à une chimioprophylaxie anti-rétrovirale doit être garanti tous les jours,
24h/24h. Cette possibilité ne doit pas être considérée comme un outil de prévention
mais plutôt de «sauvetage», la lutte contre les AES demeurant la base de la prévention. Le Tableau V présente les recommandations actuelles concernant la prescription
d’une chimioprophylaxie après un accident d’exposition au VIH en milieu de soins.
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MAPAR 2002
Tableau IV
Conduite à tenir après un AES
Conduite à tenir
• Interrompre le soin
• Laver à l’aide d’eau et de savon
• En cas d’accident percutanée ou projection sur la peau, tremper la partie exposée
dans du Dakin, de l’eau de Javel à 12° diluée au 1/10 ou de la Bétadine, pendant au
moins 5 min.
• En cas de projection sur le visage ou les yeux, rincer abondamment à l’eau courante
ou au sérum physiologique.
• Prévenir le cadre/correspondant AES du service.
• Vérifier le statut VIH (mais aussi VHB et VHC) du patient source.
Si le patient est connu VIH, demander l’intervention du référent AES pour discuter
de l’intérêt d’une chimioprophylaxie post-exposition.
Si le statut VIH est inconnu ou la sérologie date de plus de trois mois, demander
l’intervention du médecin de la salle, du médecin référent AES ou du médecin de
garde pour prescrire au patient source un test VIH en urgence. Récupérer les
résultats et les communiquer au patient !
Si le patient source est inconnuou ne peut être identifié, demander l’intervention
du référent AES pour discuter de l’intérêt d’une chimioprophylaxie postexposition.
Vérifier le statut vaccinal VHB de la personne exposée : au moins trois doses de
vaccins anti-VHB. Récupérer les résultats des sérologies VHB et VHC, en général
disponibles dans les 48h. Vérifier le cas échéant l’absence de grossesse d’une
soignante exposée.
• Rassurer, informer, écouter la personne exposée.
• Dans tous les cas, faire une déclaration d’accident du travail, remplir le certificat
médical initial dans les 48 h, faire prélever le bilan sérologique initial de la personne
exposée dans les 7 j. Adresser la personne exposée à la médecine du travail. Prévoir
le suivi sérologique et les modalités du suivi en cas de prescription d’une
chimioprophylaxie post-exposition.
Tableau V
Prescription d’une chimioprophylaxie post-exposition : critères de décision.
Nature de l’exposition
Massive (1)
Intermédiaire (2)
Sujet source connu infecté par le VIH
SIDA et/ou
Charge virale élevée
Recommandée
Recommandée
Non SIDA
et/ou chage virale faible
Recommandée
Possible
Minime (3)
Possible
Non conseillée
(1) Piqûre profonde, dispositif intravasculaire, aiguille de gos calibre.
(2) Coupure avec bistouri à travers des gants, piqûre superficielle avec une aiguille creuse.
(3) Blessure superficielle avec aiguille pleine ou de petit calibre.
Sécurité en anesthésie 81
Le rationnel du traitement post exposition est modeste [17] :
• Les modèles animaux de prophylaxie chez les macaques avec le SIV sont contradictoires.
• L’histoire naturelle de l’infection : au cours des premières heures (< 4 à 8 h) le
contact de la particule virale avec les cellules du système immunitaire est non spécifique, et il n’y a pas d’intégration de l’ADN proviral dans le matériel génétique des
cellules cibles tissulaires. Nous pouvons alors espérer qu’une intervention thérapeutique à ce stade pourrait faire avorter l’installation de l’infection.
• La prévention de la transmission maternofœtale du VIH peut être considérée comme
un modèle de chimioprophylaxie administrée à l’enfant et dont l’efficacité est couramment acceptée et bien documentée.
• L’étude cas-témoin du CDC comparant des soignants victimes d’accidents percutanés à mis en évidence une réduction de 80 % du nombre de transmissions du VIH
chez les agents traités par de l’AZT en post-exposition.
Bien que la seule démonstration de l’efficacité d’une chimioprophylaxie postexposition ne concerne qu’une monothérapie par AZT, il est usuel et couramment
accepté de proposer des schémas incluant des bi- et surtout des tri thérapies. Ces schémas sont largement inspirés des schémas thérapeutiques proposés en curatif,
généralement composés de deux analogues nucléosidiques associés à un inhibiteur de
la protéase ou à un inhibiteur non nucléosidique de la reverse transcriptase. Il est possible de proposer des tri thérapies associant trois analogues nucléosidiques.
Le choix des molécules repose sur le risque d’effets indésirables dont certains peuvent être graves, le risque d’interactions médicamenteuses nombreuses notamment avec
les inhibiteurs des protéases, et le risque de résistance aux anti-rétroviraux de la souche
du patient source. Le terrain doit être pris en compte dans certains cas, chez la femme
enceinte, par exemple en raison du risque de complications pour le nouveau-né. Compte
tenu des multiples interactions médicamenteuses et du risque de résistance aux antirétroviraux, le schéma unique ou «trousse d’urgence» à proposer à tous les agents exposés
ne peut plus être retenu. Lorsque le sujet source est connu, il est nécessaire de réaliser
une évaluation de l’historique de son traitement anti-rétroviral, du génotypage de sa
souche majoritaire et de l’efficacité du traitement en cours afin d’ajuster au mieux le
traitement à proposer à la personne exposée. Lorsque le sujet source n’est pas connu,
ou qu’il est impossible de retracer l’historique de son traitement anti-rétroviral, nous
devons prendre en compte la possibilité d’une résistance primaire aux anti-rétroviraux.
Ce phénomène a été bien décrit, et pose aujourd’hui des difficultés thérapeutiques
incontestables.
Notons qu’une sérologie négative chez le patient source n’élimine en aucun cas la
nécessité pour le médecin référent d’évaluer le risque que celui-ci soit en phase de
séroconversion. Ainsi toute fièvre en cours chez le patient source, toute conduite à
risque récente, tout antécédent récent de multitransfusion doit amener à relativiser le
résultat du test en attendant le résultat de méthodes diagnostiques directes.
Rappelons enfin que tout résultat de sérologie prescrite chez le patient source devra
lui être communiqué par le prescripteur.
CONCLUSION
En résumé, la prise en charge d’une personne exposée ou potentiellement exposée
au VIH passe par les étapes suivantes :
• Insister sur le lavage et la désinfection de la plaie ou zone exposée.
• Définir le statut VIH, VHC et VHB du patient source. Vérifier dans tous les cas le
statut vaccinal VHB de l’agent exposé.
• Définir la nature de l’accident tel que présenté dans le Tableau V.
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• Si le patient est VIH positif, si l’accident est à risque de transmission et un traitement
post-exposition est recommandé ou possible, évaluer les contre-indications et les
interactions médicamenteuses éventuelles.
• Débuter le traitement post-exposition (après avis du référent AES si possible), qui
doit intervenir dans l’indication du traitement post-exposition et dans le choix des
anti-rétroviraux. Ce traitement est prescrit au mieux dans les 4 heures.
• Rédiger un Certificat Médical Initial en précisant la date et les circonstances de l’accident, le risque de transmission virale, la nécessité d’un suivi clinique et biologique
pendant 6 mois, et si justifié, la mise en route d’un traitement post-exposition.
• Adresser systématiquement tous les agents exposés au sang en médecine du travail et
au référent AES en vue de leur suivie sérologique (VIH, VHB et VHC), et du suivi
biologique de tolérance en cas de traitement anti-rétroviral.
• Signaler au cadre ou au responsable AES du service les circonstances de l’AES. Une
analyse détaillée devra permettre d’éviter des nouveaux accidents similaires.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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1984;2:1376-1377
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