Finalement, être stratégique en ressources

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Tahiti Congrès Ressources Humaines 2015 présente
Finalement, être stratégique en ressources humaines,
c’est…
in CRHA -Par Alain Gosselin, CRHA-janvier 2013
Depuis plus de trente ans, on cherche à associer le concept de stratégie au domaine de la gestion des
ressources humaines. À ce propos, il semble que la communauté en ressources humaines du Québec
soit passée par toutes les phases : du regret de ne pas être considérée comme stratégique à la
culpabilité de ne pas faire ce qu’il faut pour l’être et à la certitude qu’on est enfin à la table des
décideurs au même titre que les autres jusqu’à la lassitude d’en entendre parler.
Quand arrêtera-t-on de se poser les mêmes questions? Que reste-t-il à dire sur le sujet qui n’ait pas été
rabâché? C’est encore un thème couvert par les penseurs. Plusieurs ouvrages relativement récents
(moins de cinq ans) traitent de l’évolution de la fonction ressources humaines et aussi de son avenir.
Pensons notamment aux deux excellents livres de John Boudreau (Beyond HR et Retooling HR), au
dernier ouvrage de Dave Ulrich (HR from the Outside In) et à celui de Patrick Wright (The Chief HR
Officer).
La question est simple : après plus de trente ans de discussion et de réflexion sur l’évolution de la
fonction ressources humaines, être stratégique, qu’est-ce que c’est finalement?
La liste des réponses potentielles peut être assez longue. Mais trois constats semblent particulièrement
pertinents, du point de vue des dirigeants, puisque c’est l’angle stratégique qui nous intéresse ici.
Chacun d’entre eux donnera sans doute matière à réflexion et fournira même des pistes concrètes pour
être mieux reconnu comme un partenaire stratégique.
Faire évoluer la perception de la fonction ressources humaines
Au cours des trois dernières décennies, des observateurs extérieurs à la fonction ressources humaines
n’ont cessé de dire qu’elle fait du sur-place. Depuis 1981, tous les dix ans environ, des articles très
critiques à l’égard de la fonction sont publiés dans des revues d’affaires prestigieuses et très lues par
les dirigeants. Par exemple, en 1996, un article publié dans l’importante revue Fortune, intitulé
« Taking On the Last Bureaucracy », décrivait le service des ressources humaines comme le dernier
bastion des gens inutiles dans l’organisation. En 2005, cette fois-ci dans la revue Fast Company, est
paru un article au titre encore plus sévère : « Why We Hate HR » ; on y reprenait sensiblement les
mêmes arguments négatifs. Est-ce possible qu’en vingt-cinq ans de discussion, de réflexion et
d’action, les professionnels en ressources humaines n’aient pas été capables de faire évoluer la vision
que les autres entretiennent à l’égard de leur travail et de leur contribution?
Le défi. Depuis une dizaine d’années, on note une nette intensification du sentiment d’urgence ressenti
par les gestionnaires issus d’autres fonctions relativement aux enjeux de gestion des ressources
humaines (par exemple l’attraction, la fidélisation, la mobilisation). Il n’y a aucun doute que ces défis
font partie des préoccupations qui les tiennent éveillés la nuit. C’est d’ailleurs ce que les sondages
effectués auprès des dirigeants confirment de façon régulière depuis plusieurs années. Cependant,
leurs attitudes à l’égard des professionnels en ressources humaines ne semblent pas avoir évolué au
même rythme, une majorité de gestionnaires ayant encore une vision largement opérationnelle de leur
contribution potentielle. Alors, pourquoi travailler si fort pour améliorer sa contribution si c’est pour
se retrouver constamment confronté au même scepticisme?
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Le problème. Il ne réside probablement pas dans la qualité du travail des professionnels en ressources
humaines, mais plutôt dans la relation qu’ils entretiennent avec les gestionnaires. John Boudreau a
donné le nom de « trappe du service » à ce problème. Les professionnels RH investissent en effet
beaucoup de temps et d’efforts dans le développement d’outils performants et dans le soutien des
gestionnaires, croyant ainsi gagner leur estime et monter en grade sur le plan stratégique. Or, leur
excellente contribution en matière de service semble entretenir un cercle vicieux qui entraîne la
déresponsabilisation de leurs clients à l’égard de la gestion des personnes. Dans d’autres domaines, par
exemple les responsabilités budgétaires ou les inventaires, les gens des finances et des opérations ne
tiennent pas autant les gestionnaires par la main. Ces derniers doivent assumer et expliquer leurs écarts
négatifs.
La solution. Bien sûr, la solution n’est pas de commencer à offrir un mauvais service. Mais elle ne
consiste pas non plus à poursuivre la même stratégie tout en espérant un résultat différent. Il faut plutôt
amener les autres à diversifier et à élever leurs attentes à l’égard des professionnels en ressources
humaines et à anticiper davantage que des opérations fluides et une reprise au bond des balles
échappées dans leur gestion des personnes. Il s’agit d’une bataille qui se gagne un gestionnaire à la
fois. Les armes sont une solide capacité d’influence basée sur une forte crédibilité professionnelle et
personnelle de même qu’une responsabilisation accrue des gestionnaires à l’égard des attitudes et des
comportements de leur personnel. Le but des professionnels en ressources humaines est de convaincre
les gestionnaires, un à un, qu’ils maîtrisent les exigences d’un domaine qui leur apparaît maintenant
comme stratégique, mais dont ils sous-estiment la complexité. Ils doivent aussi faire la démonstration
qu’ils possèdent le coffre à outils et les stratégies nécessaires pour construire des solutions
parfaitement appropriées à leurs préoccupations et à leurs besoins.
Définir un terrain de jeu distinctif sur le plan stratégique
Pour avancer sur le point précédent, il faut d’abord avoir une idée claire du type de contribution qu’on
peut apporter au-delà d’un ensemble exhaustif de pratiques de gestion des ressources humaines
sophistiquées et d’un service d’accompagnement attentif et soutenu. Revendiquer un rôle plus
stratégique est une chose, préciser la nature de sa contribution est autrement plus difficile. Sur ce plan,
la fonction ressources humaines a probablement un retard à rattraper par rapport aux autres fonctions.
Le retard. Prenons le cas de la finance et du marketing. Leur lente évolution leur a permis de devenir
incontournables au point de prendre le contrôle d’un ensemble de décisions de nature stratégique dans
l’entreprise. La fonction finance, il y a environ un siècle, a su s’affranchir du domaine de la
comptabilité (une pratique plusieurs fois centenaire) pour se définir un terrain de jeu composé de
décisions cruciales telles que les investissements et le financement. Plus tard, il en fut de même pour la
fonction marketing qui s’est dissociée de la vente (une pratique elle aussi très ancienne) pour s’arroger
la plupart des décisions de nature stratégique reliées à la segmentation et au positionnement sur les
marchés.
Pour sa part, la gestion des personnes est une pratique certainement aussi ancienne que la comptabilité
et la vente. Mais peut-on vraiment dire que la fonction ressources humaines a su définir un « carré de
sable » qui lui soit propre dans les décisions de nature stratégique et qui soit reconnu et valorisé par le
reste de l’organisation? On peut en douter... Heureusement, le contexte actuel offre au moins quatre
opportunités de consolider une telle position. Il ne faut pas rater l’occasion.
Gérer les talents. La préoccupation récente autour de la gestion des risques et le sentiment d’urgence
largement partagé concernant la rareté d’une main-d’œuvre qualifiée et la guerre des talents qui en
découle procurent à la fonction un levier exceptionnel. Il n’y a pas d’autres enjeux RH qui accaparent
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autant l’attention et le temps des dirigeants (comité de direction et conseil d’administration) que celui
de l’identification et du développement du talent. Récemment, le président-directeur général d’une
grande entreprise confiait fièrement qu’au comité de direction de son entreprise, on parlait maintenant
des gens avant de parler des chiffres. Attirer et fidéliser les meilleurs, identifier le potentiel,
développer la prochaine génération de leaders, réduire ses vulnérabilités et déployer le talent dans les
postes critiques sont autant de priorités pour lesquelles la contribution des professionnels en ressources
humaines est attendue et valorisée.
Mettre en place les conditions de succès. Quand on y regarde de près, l’essentiel des priorités
stratégiques actuelles (innovation, service, qualité, collaboration, etc.) est fortement dépendant de la
qualité et de la performance des personnes au travail. La réalisation de ces priorités repose donc sur la
présence d’un ensemble de conditions de succès reliées aux compétences, aux attitudes et aux
comportements du personnel à tous les niveaux. Cependant, les gestionnaires peinent à voir et à
articuler clairement ce lien de dépendance, à mesurer l’écart entre la situation actuelle et celle qui est
requise et, bien sûr, à concevoir une solution intégrée qui les assurerait de la présence de ces facteurs
de succès. C’est là que le professionnel RH peut entrer en action.
Rechercher l’agilité. Lynda Gratton, dans son livre The Shift, a récemment fait la démonstration
éclatante que les entreprises changent, que la nature du travail du professionnel en ressources
humaines et la façon dont il l’exerce changent de même que les individus présents dans les entreprises,
le tout de façon simultanée. Il s’agit d’une tempête parfaite pour la gestion des ressources humaines,
ce qui exige des efforts constants d’adaptation et de transformation de la part des organisations. Dans
un tel contexte, les dirigeants ne savent pas toujours quel sera leur prochain geste, mais ils savent qu’il
faudra le faire rapidement pour se démarquer des autres. Donner du sens à tous ces bouleversements,
construire une capacité de changement, partager un sentiment d’urgence, solliciter les idées, consolider
et partager les connaissances sont autant de besoins fortement ressentis par les dirigeants. Voilà une
belle occasion pour le professionnel RH de démontrer son potentiel de contribution au plan
stratégique.
Bâtir une culture forte. Les dirigeants sont friands de lectures qui parlent de leadership et
d’entreprises à succès, comme les livres de Jim Collins (Good to Great et Great by Choice). Ils y
voient l’importance et la durabilité des retombées extraordinaires d’une culture d’entreprise forte. Il
s’agit d’un domaine naturel pour les professionnels en ressources humaines, pratiquement orphelin sur
le plan stratégique. Ici, l’enjeu est double et il est de taille. D’abord, il faut s’assurer de la cohérence
entre les valeurs, les croyances et les façons de faire dans l’entreprise. Ensuite, le plus difficile reste
encore le défi de veiller à ce que ces trois éléments soient partagés par tout le monde dans l’entreprise.
Nous savons que lorsque ces conditions sont réunies, les résultats sur le plan de la performance sont
extraordinaires et durables. Un exemple intéressant, qui est en voie de devenir une obsession chez les
dirigeants, est la recherche d’une culture de la collaboration (une valeur). Ces derniers désirent briser
les cloisons qui freinent les efforts de collaboration dans l’entreprise (une croyance). Pour y réussir,
entre autres, ils acceptent de partager entre eux les informations sur les talents dans leurs unités
respectives dans le but de diversifier les parcours professionnels des individus à haut potentiel (une
façon de faire).
Cibler, faire des choix
Dans les faits, la meilleure façon de ne pas être stratégique, c’est de refuser de prendre des risques, de
chercher à tout faire, de vouloir plaire à tout le monde. L’essence même du concept de stratégie, c’est
de prendre une position ferme parmi des options qui semblent toutes valables. A-t-on un nombre limité
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de priorités, ce qui implique d’avoir clairement écarté certains choix? Met-on davantage de ressources
(par exemple formation, soutien en développement organisationnel, accès à la direction) auprès de
groupes cibles d’employés ayant un lien direct avec les choix stratégiques de l’entreprise?
Malheureusement, trop d’entreprises refusent de faire des choix difficiles en matière de gestion des
ressources humaines. Elles préfèrent la position confortable selon laquelle tous les employés sont
importants et une approche universelle est plus appropriée. Ainsi, les mêmes programmes RH vont
s’adresser à tous, au même moment, de la même façon, avec comme résultat que leur impact en est
d’autant dilué. Par exemple, les budgets de formation vont être largement répartis de telle sorte que
tout le monde aura sa part. Le programme de mieux-être va être conçu pour s’adresser à tous, donc
être utilisé largement par ceux qui ont déjà de bonnes habitudes de vie, alors que ceux qui sont à risque
ne seront pas ciblés de façon prioritaire au plan du soutien et des ressources.
Or, dans les faits, d’un point de vue stratégique, il est évident que ce refus de cibler, de faire des choix,
n’a pas beaucoup de sens. Prenons deux exemples. On sait intuitivement que certains types d’emploi
sont plus cruciaux ou déterminants que d’autres pour le succès d’une entreprise. Ils sont en lien direct
avec le cœur de la stratégie organisationnelle. Ces emplois A varient selon les secteurs d’activité et les
contextes. La capacité d’un professionnel en ressources humaines d’aider les dirigeants à cerner ces
emplois, à les pourvoir par des joueurs A et à leur consacrer une attention et des ressources hors de
l’ordinaire est une contribution essentielle sur le plan stratégique.
Par ailleurs, les professionnels en ressources humaines ont souvent plus le réflexe d’aligner les
pratiques de leur entreprise sur les meilleures du domaine (donc faire comme les autres), plutôt que de
chercher à faire des choix différents ou à prendre des risques, afin d’aider leur organisation à se
démarquer. Il y a beaucoup de pensée magique dans le fait d’espérer avoir des résultats différents en
répétant les mêmes façons de faire.
En conclusion... deux pistes de réponse
Être stratégique en gestion des ressources humaines, c’est compenser les angles morts des
dirigeants
Les dirigeants sont constamment pressés de prendre des décisions, toujours plus rapides et avec des
conséquences qui peuvent être dramatiques pour la survie, sinon le succès de l’entreprise. Ils sont
convaincus que le facteur humain est stratégique, mais ils sont probablement dépassés par la diversité
et la complexité des enjeux de gestion des ressources humaines. Aussi, ils ne voient pas toujours les
impacts sur ce plan des options qu’ils envisagent et des décisions qu’ils s’apprêtent à prendre.
Être stratégique en gestion des ressources humaines, c’est assumer pleinement son leadership
Actuellement, pour les raisons évoquées plus haut, les dirigeants n’ont pas besoin de preneurs de
commandes. Ils souhaitent plutôt des professionnels RH qui créent du sens dans un contexte perturbé,
qui ont des priorités claires et qui proposent des solutions, pas des programmes isolés qui répondent
aux modes du moment. Ils ont besoin de professionnels capables de bâtir des alliances, des relations
basées sur la crédibilité et la confiance avec les dirigeants de leur unité administrative. Enfin, ces
derniers ont aussi un urgent besoin de professionnels en ressources humaines qui ont le courage de se
tenir debout au bon moment, de s’impliquer dans des conversations difficiles, de poser les bonnes
questions et de s’opposer, s’il le faut, à des décisions en gestation qui n’ont pas de sens. Bref, des
individus qui provoquent des réflexions et font évoluer les dirigeants et leur organisation. C’est ainsi
que la fonction ressources humaines va évoluer à son tour.
Tahiti Congrès Ressources Humaines 2015 présente
Alain Gosselin, CRHA, Ph. D., professeur titulaire au service de l'enseignement de la gestion des
ressources humaines et directeur associé à la Formation des cadres et des dirigeants, HEC Montréal
Source : Effectif, volume 16, numéro 1, janvier/février/mars 2013.
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