INTRODUCTION
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constructiviste relativiste», selon laquelle le discours scientifi que serait le produit d’une
construction subjective de la réalité, relative aux modes de pensée d’un groupe donné.
La science –qu’elle fût «dure» ou «douce»– ne se construit pas dans un rapport entre
le savant et son objet, mais dans un rapport entre l’ensemble des savants engagés dans
un champ de la recherche. La connaissance élaborée par un scientifi que est soumise au
jugement de ses pairs, dans le cadre d’une expérience collective réglée par des normes de
communication et d’argumentation scientifi ques, si bien que «la connaissance scienti-
fi que est l’ensemble des propositions qui ont survécu aux objections» (Bourdieu, 2001,
p.163). La connaissance scientifi que est le produit d’une validation collective et le fruit
d’un consensus social qui garantit son objectivité et conduit à son universalisation en tant
que vérité scientifi que. En résumé, l’histoire, c’est ce que font les historiens (Noiriel, 2003,
p.57). Marc Bloch résumait la question de la construction d’une communauté scientifi que
historienne par cette manière de slogan: «L’essentiel est que l’esprit d’équipe vive parmi
nous.» (Bloch, 1949, p.146.)
Pierre Bourdieu et Marc Bloch rejoignent ainsi la position de MaxWeber pour qui
la pratique d’une communauté de savants est le seul fondement de la défi nition d’une
science: «En effet, est vérité scientifi que seulement celle qui prétend valoir pour tous
ceux qui veulent la vérité.» (Weber, 1904, p.164.) Dès lors, une science ne se défi nit pas
par les «relations matérielles entre les choses» (le temps, la société, etc.) qui constitue-
raient l’objet des recherches menées dans un domaine scientifi que particulier, mais par les
problèmes que les scientifi ques se donnent pour envisager des méthodes et des horizons de
recherche nouveaux (Weber, 1904, p.142-143 ; Noiriel, 1996, p.80).
Au fi nal, tous ces auteurs partagent une même conception pragmatiste de la science,
telle qu’elle fut développée par le philosophe américain JohnDewey (1938). Cedernier
récusait tout dualisme hérité des conditions socio-politiques des cités grecques antiques:
aux esclaves et aux artisans l’empirique, le pratique et le sens commun, aux citoyens le
rationnel, le théorique et la science. Le savant philosophe oisif exerçait sa pensée sur des
objets rationnels et théoriques libérés des contraintes de la pratique. Or, comme le montre
J.Dewey, la science moderne a sonné le glas de ce dualisme puisque le scientifi que produit
ses résultats par l’expérimentation pratique dans son laboratoire et leur validation vient de
la réitération de l’expérience par des pairs. La pensée dualiste nous apparaît alors comme
pré-scientifi que, inégalitaire et anti-démocratique. Dès lors, la question n’est plus de savoir
si, par son objet, l’histoire est une science, mais si les procédures et les pratiques des histo-
riens présentent un caractère scientifi que (Dewey, 1938, p.535). Loinde tout dualisme,
l’enquête scientifi que part en effet d’un problème concret qui appelle la vérifi cation empi-
rique d’une théorie considérée alors comme une hypothèse à vérifi er par l’expérimenta-
tion. Le problème décide du choix de la théorie et sélectionne le matériau empirique de
l’enquête. C’est précisément ce que LucienFebvre nous a expliqué en rappelant que toute
enquête historique découlait du problème posé par l’historien pour réaliser «une étude
scientifi quement conduite» qui formule des hypothèses et qui construit les faits néces-
saires à son enquête (Febvre, 1941, p.22-23). Cette histoire-problème n’était pas attachée
à des objets pris pour eux-mêmes mais à la manière de les aborder.
Malgré les apparences, nous ne nous sommes pas éloignés de notre sujet. Ce déve-
loppement nous rappelle que l’épistémologie utile pour nous n’est pas celle qui, depuis
« Écrire l’histoire scolaire », Didier Cariou
ISBN 978-2-7535-2121-6 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr