Amérique latine et Caraïbes, des alternatives face à la crise

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Amérique latine et Caraïbes,
des alternatives face à la crise
Julio Gambina
U
ne rupture de taille a eu lieu dans le champ des idées et la politique ; il
y a peu de temps encore, les agendas politiques se focalisaient sur les
effets des politiques de libéralisation de l’économie. L’appareil idéologique
et la pratique politique néolibéraux, à de rares exceptions près, étaient hégémoniques dans la pensée et l’action gouvernementales au niveau mondial.
Désormais, et depuis la fin de la première décennie de ce 21e siècle, deux
phénomènes se présentent avec des autonomies relatives, notamment la crise
capitaliste d’une part et l’émergence d’un processus politique avec une visée
transformatrice en Amérique du Sud d’autre part.
Il s’agit d’une relation dialectique, d’une coexistence entre une crise de
l’ordre en vigueur construit depuis la dictature militaire au Chili en 1973
avec des processus politiques dans la région latino-américaine et caribéenne
qui sont les produits de la résistance aux politiques hégémoniques menées
jusqu’à aujourd’hui depuis ces années 1970. C’est un nouveau scénario qui se
construit depuis l’émergence du nouveau siècle, avec le forum social mondial
et ses suites ; les campagnes continentales contre la dette externe, la militarisation et le libre-échange ; et les luttes de chacun des peuples de la région contre
les politiques développementalistes impopulaires ; ces luttes sont liées aux
espoirs générés par les gouvernements constitutionnels portant un discours
critique vis-à-vis des modèles d’ouverture, de privatisation et de libéralisation
généralisées dans les années 1980 et 1990.
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Au sein de l’affrontement entre les idéologues néolibéraux soutenant qu’« un
autre capitalisme est possible » et ceux qui se prononcent pour « la voie socialiste », la cohabitation de visions contradictoires est un fait étrange. L’évidence
de la crise capitaliste nécessite une discussion entre les deux conceptions.
L’Amérique du Sud est précisément un territoire où se développe cette contradiction. On y trouve en effet à la fois des dynamiques politiques qui radicalisent leur critique du néolibéralisme et postulent l’idée d’un « socialisme du 21e
siècle » ; et en même temps d’autres qui persistent dans une perspective néodéveloppementaliste, avec l’illusion qu’un regain d’interventionnisme étatique
permettrait de normaliser le cycle économique et de rétablir les conditions du
« modèle social ».
Les espoirs de transformation, générés dans la région latino-américaine, s’enracinent dans 50 ans de révolution cubaine et dans une expérience de lutte populaire
soutenue. Cette dernière contribua en 2001 à limiter l’expansion du capital. La
crise capitaliste qui s’est traduite par une récession cette année-là aux États-Unis
exigeait d’affiner et d’accentuer la stratégie de libre circulation capitalistique.
Les États-Unis avaient besoin des capitaux mondiaux et sont parvenus à les
obtenir au prix de l’explosion de leur dette externe et d’une inversion des actifs dollarisés de tous les pays du monde. Dans ce cadre, le projet de l’ALCA
paraissait fondamental : il supposait la consolidation d’un domaine d’exploitation propre, pour les capitaux étasuniens. L’objectif était l’exploitation de la
richesse en pétrole, eau, minéraux, biodiversité, en bref des ressources naturelles et de la force de travail qualifiée et bon marché par rapport au prix de la
force de travail dans les pays capitalistes industrialisés.
La puissance impérialiste s’est transformée en grand acheteur du monde,
par l’approfondissement de son déficit commercial et de sa dette pour soutenir
un immense déficit fiscal. Celui-ci avait été creusé par sa politique de militarisation et d’agression mondiales.
Nous avons pu sortir de cette crise, bien que difficilement, grâce à des taux
de croissance limités en comparaison avec les années précédentes et en retardant le moment de l’explosion jusqu’à 2007. Cette fuite en avant n’a donc pas
signifié la réactivation d’un cycle de croissance durable.
Néanmoins, nous avons mentionné l’ALCA qui fut une stratégie validée
par les luttes populaires dont la force se manifesta durant le sommet des présidents américains en avril 2001 à Québec (Canada). C’est là que s’agrégèrent
des mouvements sociaux de résistance (à la mondialisation capitaliste et au
libre-échange), avec les premières dissensions au sein des mandataires face
au rejet vénézuelien. Le Venezuela avait dans le même temps refusé 2005
comme échéance pour inaugurer la stratégie libre-échangiste ; et suggéré de
défendre la démocratie « participative » pour remplacer la « représentative ».
Amérique latine et Caraïbes, des alternatives face à la crise
Les États-Unis face aux mouvements populaires d’Amérique latine
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La résistance manifestée en novembre 2005 lors du sommet suivant fut bien
plus puissante. Ainsi, les peuples organisèrent leur propre sommet et réalisèrent des campagnes impliquant des millions de personnes dans la résistance
à la subordination. Face à la tentative étasunienne d’incorporer l’ALCA au
débat, le bloc MERCOSUR en lien avec le Venezuela (qui s’y intègrerait par
la suite) lui infligea une défaite : la politique étrangère des États-Unis considérant l’Amérique du Sud comme son pré carré fut mise en échec.
Il existe des phénomènes propres au capitalisme étasunien pour expliquer sa
crise, mais on doit néanmoins faire des parallèles avec d’autres capitalismes
associés dans le cadre du système mondial, surtout dans les régions voisines.
En partant d’un autre point de vue, il s’agirait de voir comment s’articulent les
luttes populaires anti-ALCA, « antiyanqui », et anticapitalistes, et comment
elles s’influencent mutuellement.
On ne saurait concevoir la crise des États-Unis sans les limites que les peuples en lutte ont mises aux plans agressifs de l’impérialisme et à l’économie
de marché. Cela vaut tant pour la résistance irakienne et pour le mouvement
global de protestation contre l’invasion en 2003 que pour les dynamiques
populaires de lutte dans la région latino-américaine et caribéenne instituées
toutes ces dernières années. La mobilisation globale à Seattle en 1999, dont
les antécédents se manifestent dans la forêt Lacandona avec le soulèvement
des zapatistes en 1994 (simultanément à l’inauguration de la NAFTA), reste
significative par son ampleur. Ce sont des moments fondateurs pour réfléchir
au Forum de Porto Alegre en 2001 et à la consolidation du FSM durant les
rencontres successives jusqu’à Belém en 2009. On peut alors envisager une
proposition commune aux mouvements réunis en assemblée, avec 3 dimensions : anticapitaliste, féministe et socialiste.
La réponse du capital
Pour toutes ces raisons, une discussion portant sur les raisons de la crise et
ses caractéristiques est tout à fait indispensable. Si le problème est la régulation (en particulier des finances) alors la résolution doit passer par là, c’est
l’option choisie par les principaux conclaves officiels depuis le début de la
crise et par la plupart de ceux qui dénoncent les excès des entreprises (que ce
soit par leurs pratiques managériales ou par l’accaparement des richesses) :
pour eux, la solution passe par la limitation des gains, des salaires et des primes, tant pour les actionnaires que pour les gestionnaires.
Est-il possible de réguler la domination monopolistique des multinationales
en ces temps de « révolution communicationnelle » ? Les normes de Bâle 1 (et
la qualité de leur application) donnent un avant-goût amer des échecs dans les
tentatives régulatrices du système financier mondial ; de même que l’échec politique concernant l’établissement de « codes de bonne conduite » aux FTN 2
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au sein de l’ONU. Ces derniers sont en totale contradiction avec l’accélération
de la dérégulation et des réformes législatives et judiciaires (surtout jurisprudentielles) favorisant la libre circulation des capitaux.
L’agression du capital portant sur l’exploitation des travailleurs et des ressources naturelles en vue d’atteindre ses objectifs propres met en lumière le
fait qu’il ne s’agit pas uniquement d’une crise économique mais bien d’une
crise systémique. La réponse du capital, au-delà de quelques nationalisations
proposées par les États capitalistes, est stratégique : il cherche à mettre en
place de nouvelles conditions économiques et politiques afin de continuer à
faire avancer le capital. Et ce, quels qu’en soient les coûts sociaux et environnementaux directement corrélés.
Récemment, le prix Nobel d’économie 2008 3 signalait : « Lorsque je lis les
commentaires récents concernant la politique financière des hauts fonctionnaires [du gouvernement] d’Obama, je me sens dans un tunnel : c’est comme
si nous étions toujours en 2005, qu’Allan Greenspan était le maître, et les banquiers des héros du capitalisme ». Cet analyste fait notamment référence aux
propos du « Mr Économie » aux États-Unis, qui avait affirmé : « Nous avons
un système financier dirigé par des actionnaires privés et conduit par des instances privées ; et nous voudrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour
conserver ce système » (sic). Ce qui, venant de Timothy Geithner (secrétaire
au Trésor américain), est d’autant plus paradoxal que celui-ci s’apprêtait au
même moment à solliciter les contribuables pour compenser les pertes pharaoniques de ce même système.
De son côté, le Washington Post indique que Geithner et Lawrence Summer
(principal conseiller économique de Barack Obama) « considèrent que les
États sont de mauvais gestionnaires de banques », très probablement par opposition aux génies du secteur privé qui se sont ingéniés à perdre plus d’un
milliard de dollars en quelques années. Paul Krugman exige d’aller dans le
sens des nationalisations temporaires puis de reprivatiser.
Dans une autre orientation, mais toujours dans le cadre du système capitaliste, Jeffrey Sachs 4 suggère qu’« un des apports historiques du président
Barack Obama sera une impressionnante démonstration de malabarisme politique : convertir la sinistre crise économique en ouverture d’une ère de développement durable. Son paquet de relance macroéconomique pourrait ou non
amortir la récession et il n’y a aucun doute que commencent d’âpres luttes
entre les partis pour définir les priorités. Mais Obama a déjà fixé le nouveau
chemin en réorientant l’économie, de la consommation des ménages vers les
investissements publics concentrés dans les secteurs-clés qui sont autant de
défis : énergie, climat, production agroalimentaire, eau, biodiversité. »
Il ajoute que « ce qui est en train de prendre forme n’est rien de moins qu’un
modèle de capitalisme du 21e siècle, conciliant les deux objectifs du développement économique et de la durabilité ». Il suggère enfin qu’il faut res-
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tructurer l’industrie automobile afin d’abandonner le « paradigme productif »
s’appuyant sur le pétrole ; au profit de nouvelles technologies énergétiques.
La réunion du G20 à Washington le 15/11/2008 sur « Les marchés financiers
et l’économie mondiale » a insisté sur l’argumentaire de la libéralisation. Cette
réunion est la première d’une longue série dont la prochaine aura lieu début
avril 2009 à Londres 5. En réalité, il en est sorti peu de choses, et il ne saurait
en être autrement. En effet, cette problématique a été abordée de façon « nationale » par tous les pays alors que la crise est globale et nécessite des réponses
systémiques et mondiales.
Il ne suffit pas de dire que la crise vient des États-Unis ou qu’elle y a commencé. Il est évident que la crise touche l’économie mondiale. Un autre problème a été la focalisation sur la dimension financière : c’est sur elle que les
principales recommandations se sont portées. À savoir :
1. régulation et harmonisation dans la définition et la prévention des risques ;
2. contrôle sur les produits financiers dérivés et sur les organismes bancaires d’investissement qui étaient non contrôlés et insuffisamment régulés ;
de façon générale, contrôle accru des instruments d’ingénierie de la finance
développés au cours des dernières années ;
3. revalorisation du FMI afin qu’il retrouve son statut de premier assistant
financier au sein des organismes financiers internationaux, ce qui passe par
une augmentation de ses ressources.
En fait, le problème n’est pas seulement financier mais économique, voire
civilisationnel : il affecte par là même la cohésion sociale en général. Or ce
problème est encore peu abordé. Durant la réunion du G7 de février 2009, à
Rome, le président de la Banque mondiale (Robert Zoellick) nous mettait en
garde : nous vivons « des temps très dangereux parce que la crise financière
s’est convertie en une crise économique et de chômage de masse ; sans interventions immédiates et de grande ampleur, elle se convertira en une crise
humanitaire ». La démission du ministre des Finances japonais, ivre durant
la réunion (dont il n’est rien ressorti de concret), est un fait curieux qu’il faut
noter. Cette absence de solution était également flagrante lors du forum économique mondial à Davos en 2009, où son coordinateur et instigateur Klaus
Schwab avouait que « ce fut l’édition la plus glauque » du fait des rares solutions apportées pour régler la crise.
Cacher les dangers de la crise et, de la même façon, persister dans les recettes ayant abouti à des crises locales depuis la « restauration conservatrice » 6
est grave. C’est pour cela qu’il faut penser en termes d’alternatives à l’ordre
financier et économique afin de proposer un autre agencement du système
mondial. C’est pourquoi, à côté du diagnostic, il nous semble intéressant de
pouvoir inclure de nouvelles réflexions sur quelques-unes des possibilités
dans la conjoncture mondiale : en particulier les initiatives qui émergent en
Amérique latine et dans les Caraïbes.
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Penser en termes d’alternatives suppose une rupture avec l’ordre capitaliste.
Or il se peut que la région latino-américaine et caribéenne soit le maillon faible de ce système capitaliste. Celui-ci semble miné par les spécificités régionales que sont la consolidation du projet révolutionnaire entamé à Cuba il y a
un demi-siècle et les dynamiques au Venezuela, en Bolivie et en Équateur. Ces
trois pays, grâce à des réformes constitutionnelles, ont récemment fait un pas
de plus dans la reconnaissance du pouvoir populaire en vue de la transition du
capitalisme vers un socialisme du 21e siècle.
Il est vrai que le concept même de « socialisme du 21e siècle » est diffus
et que des questionnements persistent quant à sa formulation étant donné
qu’elle est trop vague pour imaginer concrètement de nouvelles relations
sociales de production et de distribution. Mais il est tout aussi vrai que le
changement implique la formation de sujets conscients pour l’ordre social
transformé. Le communisme a besoin d’une énorme accumulation matérielle pour pouvoir satisfaire les besoins, et d’un niveau élevé de conscience
sociale s’il veut produire et consommer selon les moyens et les besoins individuels et collectifs.
Pour reprendre les mots du Che : « Comment parvient-on au communisme ?
Nous aussi l’avons souvent dit : le communisme est un phénomène social
auquel on ne peut parvenir que par le développement des forces productives,
la suppression des exploiteurs, la grande quantité de biens mis au service du
peuple et la conscience que cette société est en train de germer. »
La constitution d’une « matérialité consciente subjective » semble être la
condition critique et sine qua non pour créer les conditions permettant la transition réelle du capitalisme vers le socialisme. Le sujet luttant pour générer la
nouvelle société est la précondition pour affronter la crise dans une triple perspective anticapitaliste, alternative et socialiste. En ce sens, nous tenons à souligner le processus politique en marche en Amérique latine et dans les Caraïbes,
surtout dans ses formes les plus poussées à savoir : Cuba, le Venezuela, la
Bolivie et l’Équateur.
Cette dynamique interagit avec des processus sociaux qui amenèrent des
changements de gouvernement dans la région, où se développe voire domine
le discours critique du néolibéralisme, au-delà de la capacité ou de la volonté
à affronter les transformations progressives de l’ordre social. Nous pensons
notamment à de telles évolutions au Brésil, en Argentine et en Uruguay, au
Nicaragua, au Paraguay aussi. Toutes se sont inscrites dans une dynamique
historique récente permettant d’importantes mobilisations, luttes sociales et
politiques qui contestaient le consensus de Washington et qui permirent l’ascension de gouvernements critiques vis-à-vis des politiques hégémoniques
dans les années 1990.
Amérique latine et Caraïbes, des alternatives face à la crise
Rompre avec l’ordre capitaliste
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L’articulation diverse et parfois contradictoire de ces deux orientations du
développement régional, qui a une prétention d’alternative, met en parallèle
tout un ensemble de propositions et d’objectifs en construction, avec une expérience insuffisante pour pouvoir dresser un bilan définitif.
Nous faisons d’abord référence à l’ALBA (Alternative Bolivarienne pour
l’Amérique), commencée avec des protocoles de coopération entre Cuba et
le Venezuela fin 2004 et progressivement élargie à la Bolivie (qui intégra le
concept de « Traités commerciaux des peuples »), au Nicaragua, au Honduras
et à la Dominique. Ce projet inclut d’autre part, à titre d’observateurs, plusieurs pays ; ainsi qu’une banque récemment constituée afin d’assurer les
financements conclus dans le cadre de l’accord d’intégration. On reconnaît
aux États dits « subnationaux » la possibilité d’intégrer l’ALBA, ainsi qu’aux
mouvements populaires, indépendamment de la présence dans l’organisation
des États dont ils sont membres. Il existe un « Conseil des mouvements » à
l’ALBA.
Deuxièmement, nous faisons également référence aux stratégies de régionalisation des initiatives de production et de financement conjoints, au-delà des
orientations assumées par chaque pays, c’est-à-dire capitalisme ou socialisme.
Cela concerne notamment la proposition de coordination pétrolière, proposée par le Venezuela et qui s’est davantage développée en Amérique centrale
qu’en Amérique du Sud. Il en va de même pour l’intégration en matière de
communications, avec l’installation de Telesur qui s’est développée différemment dans les pays associés. Le plus grand projet – actuellement gelé – est sans
doute la décision d’aller vers une « Banque du Sud » dont la volonté intégrative a été rejointe par sept chefs d’État de la région le 9 décembre 2007 et qui
n’a toujours pas réussi à définir des objectifs et des modalités de fonctionnement précis.
En troisième lieu, on peut penser aux stratégies intégratives avec une hégémonie du néodéveloppementalisme qui implique plusieurs pays ayant adopté une
orientation radicale. On peut souligner dans cette optique le MERCOSUR 7 et
l’UNASUR 8. Dans le premier cas il s’agit d’une expérience caractérisée par
son origine néolibérale en 1991 et par son questionnement permanent – remise
en cause due aux changements gouvernementaux ayant eu lieu depuis 2003
mais aussi et surtout à l’intégration du Venezuela (décision qui dépend encore
de l’approbation par le Sénat brésilien). Dans le second cas, tous les pays ont
été intégrés avec un équilibre entre les initiatives régionales de confrontation
avec la politique étrangère américaine et les logiques de défense des autonomies et souverainetés des pays la composant.
Dans les deux cas, la volonté politique est supérieure à la réalité des transformations réalisées en vue d’une intégration alternative, beaucoup moins orientée vers la transition anticapitaliste. Sans s’enraciner dans la région, Cuba est
un acteur clé dans les initiatives mises en place par ces deux dispositifs. Cuba
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a ainsi pesé largement sur le changement de climat politique, que ce soit dans
les débats ou dans les décisions prises, et au-delà des seules transformations
imputables à ces instances supraétatiques.
Ces trois exemples observent une même constante : une pratique intégrative,
avec prédominance de l’orientation socialiste dans le premier cas, capitaliste
dans le troisième (bien qu’avec des oppositions fortes vis-à-vis des États-Unis),
et avec une concurrence entre les deux idéologies dans le troisième bien que
les initiatives restent largement le fait des socialistes. D’une certaine façon,
ces expériences contribuent à ce qu’on puisse, cahin-caha, définir, penser et
construire l’alternative dans la région.
Il est vrai que l’expression « sujet populaire » est un peu vague et diffuse ;
mais beaucoup d’études ont bien montré les attitudes de soumission et de mimétisme des classes populaires. Ces mêmes classes qui constituent la force de
travail contribuent à l’expansion d’une société d’exploitation. Le capitalisme
en Amérique latine et dans les Caraïbes se développe par plusieurs biais : exploitation des peuples dits « autochtones », paupérisation des paysans et travailleurs dans toutes leurs variantes (formels ou informels, précaires ou non,
actifs ou passifs). Il faut y ajouter une large palette de petits et moyens producteurs et/ou entrepreneurs : ce sont des catégories professionnelles caractérisées
par la possession de leurs moyens de production, oscillant entre des conditions
de vie plus proches des classes dominées et des positions politico-idéologiques
ressemblant à celles des dominantes.
Le tout forme le concept de « peuple », qui est soumis par différents secteurs
aux classes dominantes et à l’hégémonie du capital transnational quelle que
soit son origine (capitalisme développé ou nos scénarios de dépendance et de
subordination). Cette domination est le fait fondateur de la société civile et
elle s’exerce donc sur tout le système social, les relations d’exploitation étant
soutenues par l’État capitaliste. C’est dans l’articulation entre exploitation et
État autoritaire que se trouve la clé de compréhension nécessaire pour mener à
bien les transformations qu’implique le socialisme : la crise est une opportunité
pour les réaliser.
On ne peut pas affronter la crise en tentant simplement d’amorcer un nouveau cycle. On ne peut pas se borner à sortir de la crise ou nationaliser pour
ensuite reprivatiser. Il ne s’agit pas non plus d’assainir le système financier et
de recréer les logiques commerciales des entreprises ayant survécu à la crise.
Il est nécessaire d’interroger l’ordre établi – à la fois le capitalisme et ses institutions – aux niveaux local et global. Plus que la recherche d’accords incluant
les pays du Sud aux sommets du Nord (comme pour le G20), il faut une coordination des pays du Sud qui favorise la rébellion au Nord. Les nouveaux chômeurs se comptent par millions aux États-Unis, en Europe et en Asie : pour
le moment, les réponses sont encore trop faibles, trop éparpillées. En ce sens,
l’Amérique latine est différente : mais on ne peut plus se résigner à se défendre
Julio Gambina
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(comme dans les années 1980-90) : il faut, en ce début de 21e siècle, passer à
l’offensive.
Quels sont nos objectifs ?
Des intégrations et des coordinations qui définissent de nouvelles institutions mondiales ou régionales, au service des besoins des peuples. Cela passe
par la souveraineté alimentaire et énergétique ; par une utilisation différente
des liquidités internationales afin d’en finir avec le financement de l’impérialisme et de la course à l’armement ; par une redéfinition des modèles de production, beaucoup trop de produits étant fournis pour couvrir la demande des
ménages les plus favorisés. Au-delà de la redistribution des richesses, il s’agit
de modifier le mode de production pour satisfaire les besoins de tous et protéger en même temps l’environnement et les nombreuses ressources naturelles
de la région. C’est dans ce cadre qu’il faut réformer l’infrastructure nécessaire
à l’équilibre entre les besoins économiques de la population appauvrie et les
capacités de la nature.
Tout ce qui a été dit fait partie du débat qui a régulièrement lieu dans certains territoires ou se construit dans d’autres : tous se prononcent pour un affrontement anticapitaliste de la crise, vers le socialisme. Certains rétorquent
que ce n’est pas le moment de faire des propositions socialistes : malgré tout
nous viennent à l’esprit les héritages de Mariátegui (décennie 1920) ou de Che
Guevara dans les années 1960. Cette voie socialiste, si courageusement tenue
depuis l’« Île de la Liberté », comment ne pas la défendre face à l’une des plus
grandes crises qu’ait jamais connues le capitalisme ?
Buenos Aires, Février 2009
Références
José Carlos Mariátegui. Obras. Casa de las Américas. El Vedado, Ciudad de
La Habana, Cuba. Tomos I y II, marzo de 1982. Menciones especiales en 7
ensayos de interpretación de la realidad peruana (Tomo I) y Punto de vista
antiimperialista (Tomo II). En el editorial del número 17 de Amauta titulado
« Aniversario y balance » Mariátegui señala que « La revolución latinoamericana, será nada más y nada menos que una etapa, una fase de la revolución
mundial. Será, simple y puramente, la revolución socialista. » (Tomo I).
Paul Krugman, « Al rescate de los incompetentes ». Diario Clarín, martes 3 de
febrero de 2009, Buenos Aires.
Jeffrey Sachs, « Está naciendo un nuevo capitalismo ». Clarín, sábado 14 de
febrero de 2009. Buenos Aires.
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Ernesto Che Guevara. Obras Escogidas 1957-1967, Tomo II « La
Transformación política, económica y social. Discurso en la CTC-R el 11 de
enero de 1964 en la entrega de certificados de trabajo comunista ». Página
245.
Notes
1. NdT : Les normes dites de « Bâle II » visaient à la limitation de la spéculation et de la volatilité des marchés à travers trois principaux dispositifs : 1/Assurer la transparence des comptes et des opérations bancaires ; 2/Permettre une harmonisation des pratiques au niveau mondial ; 3/Exiger un ratio de fonds propres.
2. FTN = Firmes TransNationales. Ce terme est de plus en plus utilisé, jugé plus pertinent et approprié que
« multinationales » ; d’autre part, la nouvelle dénomination fait écho aux théories en relations internationales.
3. NdT : Paul Krugman.
4. NdT : Jeffrey Sachs est un économiste américain. Il enseigne à Harvard et a été conseiller auprès de
nombreux pays et organisations internationales. Il a préconisé la « stratégie du choc » en Bolivie, Pologne et
Russie : celle-ci passait par des privatisations massives et nécessitait souvent des régimes autoritaires.
5. NdT : l’auteur a écrit cet article avant le dernier du sommet du G20.
6. NdT : Portée notamment par Ronald Reagan aux États-Unis et Margaret Thatcher en Grande-Bretagne.
7. NdT : MERCOSUR : Marché commun d’Amérique du Sud, né le 26 mars 1991, avec le Traité
d’Asunción.
8. NdT : UNASUR : L’Union des nations d’Amérique du Sud est officiellement née le 23 mai 2008 à
Brasilia.
Amérique latine et Caraïbes, des alternatives face à la crise
Julio Algañaraz, « El G7 busca en Roma recetas contra la Crisis », en Diario
Clarín, sábado 14 de febrero de 2009, Buenos Aires.
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